Une spiritualité pour le XXe siècle

Robert Vachon
«Témoignage

On m'a demandé un témoignage écrit de mon expérience spirituelle. Je veux bien m'y prêter. Mais la volonté de témoigner ne détruit-elle pas le témoignage?1 Il serait sans doute plus exact de dire qu'il s'agit ici d'une confession de ma croyance. Quoi qu'il en soit, je ne voudrais surtout pas me rendre témoignage, ni même rendre témoignage à ma foi.

C'est un risque que je prends! Ma confession, en effet, pourra même paraître, à ceux qui n'ont pas une expérience analogue, soit comme insensée, soit même comme sacrilège. C'est que le témoignage n'est possible que dans une communion mythique, c'est-à-dire que c'est la participation et la communion au même mythe qui rendent le témoignage possible.2

Le mieux que je puis faire ici, c'est de présenter: 1) quelques éléments de confession de ma croyance; 2) le cheminement qui m'y a conduit; 3) des réflexions qui m'aident à en éprouver la cohérence; 4) enfin, quoique beaucoup trop brièvement, quelques-unes des orientations que la spiritualité, me semble-t-il, doit prendre au XXe siècle.

Ceux qui désirent approfondir pourront se référer aux écrits-témoignages de ce grand génie et mystique contemporain qu'est Raimundo Panikkar. Car c'est surtout lui qui me sert de guide de cohérence dans ma recherche.

Le témoignage est la nourriture du dialogue. Accepter les témoignages des autres, les inscrire dans un dialogue plus ample et non moins profond que celui connu jusqu'alors, voilà une des plus grandes tâches de la spiritualité contemporaine.3


Confession de foi

Je suis un prêtre catholique-athée

Je crois que ce que l'on nomme «les grandes religions», prises individuellement ou collectivement, n'ont le monopole ni de la religion, ni de la spiritualité. En d'autres mots, il existe aussi une spiritualité et religion humanisteséculière et même athée qui n'est pas nécessairement incompatible avec la foi judéo-islamo-chrétienne.4 L'athéisme est un correctif constant nécessaire à toute croyance en l'existence de Dieu, sauf lorsqu'il veut s'y substituer.5

Il me paraît tout aussi important d'affirmer l'existence de l'ineffable, du Transcendant, de l'incompréhensible, c'est-à-dire de Dieu comme Vérité, que de nier son existence comme Etre Suprême et d'affirmer que la question elle-même n'a pas de sens. «Dieu est la vérité»! «Non-Dieu est la vérité»! Une seule foi dans la vérité mais exprimée par deux croyances!

Un Dieu «Parfaitement transcendant» est une abstraction de la même facture qu'un homme «parfaitement indépendant».6

Je suis un chrétien-païen

Je crois que le monde (et l'Eglise) a autant besoin de paganisation que de civilisation et d'évangélisation.

Je crois que les religions dites païennes - religions africaines traditionnelles, vaudou, candomblé, spiritualité amérindienne - sont de grandes religions et spiritualités, aptes à purifier et à accomplir les grandes religions dites civilisées, autant et sinon plus parfois que ces dernières peuvent venir corriger et parachever les premières. Elles sont des humanismes capables d'humaniser et de faire évoluer les humanismes civilisés, autant et sinon plus parfois que ces derniers peuvent faire progresser les premiers.

Une bonne suerie amérindienne équivaut pour moi a une borne retraite fermée. Une cérémonie de la pipe sacrée équivaut7 à une eucharistie.

J'affirme que l'Hostie est un de mes fétiches. Non seulement cela ne m'apparaît-il pas comme sacrilège, mais Ce me semble une façon de valoriser encore plus ce qui est au centre du mystère chrétien.

Entrer en contact avec ces «anges de la nature» que sont les «loas» et les esprits des rochers, des arbres, des rivières et des astres, non seulement ne m'apparaît pas non scientifique, et anti-spirituel, mais me permet d'être pleinement scientifique et spirituel. Je veux bien combattre l'idolâtrie païenne à condition qu'on combatte aussi l'idolâtrie théiste et rationaliste qui fait parfois des idoles de Yahweh, d'Allah, du Christ et de la Science, et qui constitue, par le fait même, un paganisme religieux et/ou scientifique.

Je suis hindou-bouddhiste-chrétien

Mourir au Christ me paraît une dimension constitutive d'une vie qui se veut pleinement chrétienne.8 J'emploie le nom du Christ, mais je me lave la bouche après, de crainte d'employer son nom en vain. La consigne du moine bouddhiste par rapport au Bouddha, je l'applique aussi au Christ: «si tu vois le Christ, tues-le.» J'accepte que Brahman et Sunyata soient de possibles dimensions-incarnations du Christ, à condition qu'on accepte que le Christ puisse aussi être une dimension-incarnation de Brahman et de Sunyata.


La Voie Unique

Au fond, je sens que c'est prétentieux de me dire soit chrétien, soit bouddhiste, soit athée, soit païen. Car je suis en voie de l'être.

Il n'y a certes, en dernier ressort, qu'une Voie. Pas deux. Mais je ne crois pas que cela veuille dire que je doive nécessairement choisir entre le Christ, Krishna, Bouddha, le Tao, la Liberté,9 comme si ces derniers étaient mutuellement exclusifs et irréconciliables. Je ne crois pas non plus que cela veuille dire que je dois nier, dévaloriser les distinctions entre eux, les réduire l'un à l'autre ou à un dénominateur commun. Bien au contraire.

Je crois qu'il est vraiment possible de voir tous ces éléments et toutes ces religions comme des dimensions complémentaires et constitutives les unes des autres et surtout comme des dimensions uniques et originales du Grand Mystère de l'Unique Voie qui les imprègne, les constitue et les transcende toutes, et dont chacune peut être considérée comme le symbole vivant et unique.10

Quel nom lui donnera-t-on? En effet, on ne saurait passer à côté d'un langage concret pour exprimer l'universel. Ce nom peut être Christ, Brahman, Allah, Homme, Liberté, Sunyata, mais la tension créatrice entre ces noms nous permet de découvrir toujours à nouveau qu'il s'agit d'«un nom qui est au-dessus de tout nom»,11 et de ne pas évacuer ou réduire le Mystère Infini de ce que certains appellent le divin, d'autres l'homme et d'autres le cosmos, et qui est la relation cosmothéandrique des trois: le Réel.


Mon cheminement

Je suis né et j'ai été éduqué dans la tradition catholique romaine. Après six ans d'études à l'Université Grégorienne de Rome, j'ai été ordonné prêtre. Après quoi, j'ai enseigné la philosophie-théologie thomiste ainsi que la sociologie pendant six ans. Puis, successivement, aumônier dans un hôpital, Maître de Novices dans ma communauté et, depuis 1967, animateur et directeur au Centre Interculturel Monchanin.

C'est d'abord l'humanisme séculier et ensuite l'athéisme absolu et positif qui ont interpellé12 et enrichi ma foi chrétienne. Mais ce n'est que plus tard, au contact de l'Orient, que je m'en suis rendu compte.

En 1963, lors de Vatican II, propulsé par quelque chose à l'intérieur de ma foi chrétienne, je croyais passer de l'Eglise triomphaliste à l'Eglise servante et pauvre, en me mettant au service du monde des plus pauvres et des plus démunis, dans un esprit de «vivre avec» et d'identification; il ne s'agissait rien moins pour moi que de toucher la chair du Christ, car «ce que vous faites au plus. petit... c'est à moi que vous le faites». Les plus pauvres, à ce moment, me paraissaient être les «affamés» et les «païens» qui n'avaient jamais entendu la Bonne Nouvelle que Dieu les aimait. Cela m'amena à regarder vers l'Inde.

Mais une méditation plus approfondie me révéla très vite que si Dieu était Amour, comme ma foi le prétendait, Il devait aimer tous ses enfants (et pas seulement les chrétiens), d'un amour total d'identification; par conséquent, il ne pouvait s'être donné à eux parcimonieusement, par petites bouchées, mais bien tout entier et depuis toujours. Et je me mis à me poser les questions suivantes: et si j'avais moins à «apporter» l'Amour au monde qu'à le découvrir déjà présent, qu'à l'assimiler et m'y identifier? et si ce Dieu d'Amour parlait au monde chrétien à travers le monde non chrétien? et s'il avait laissé à ce dernier un message pour le monde chrétien, un message aussi important pour le monde chrétien que celui qu'il a laissé au monde chrétien pour le reste de l'univers?

Je me mis donc à regarder le monde non chrétien, moins comme un vide à remplir que comme une plénitude à découvrir; une plénitude qui pourrait accomplir la révélation chrétienne autant que cette dernière prétendait accomplir tout le reste. Je passais d'une mentalité de service à celle d'écoute contemplative du Christ «non chrétien».

Non seulement je me mis à scruter la Bible pour des signes de cette ouverture aux «païens», mais je me mis à méditer les Upanishads, à fréquenter des Hindous, des bouddhistes, des Musulmans et des Juifs, et à vivre des sessions d'immersion totale dans leurs traditions spirituelles respectives (bouddhisme tibétain, zen, soufisme, kabbalah, hassidisme, yoga, theravada). Après cinq ans de préparatifs, je me rendis dans les Himalayas pour vivre dans un monastère hindou et je parcourus l'Inde hindoue du peuple et des paysans pendant six mois. Cela m'amena en milieux bouddhistes tibétains, cingalais, thaïlandais, japonais. Je commençai à découvrir la Chine confucéenne, taoïste et bouddhique, ensuite l'Afrique Noire et enfin le Monde Amérindien pour ne pas parler du Vaudou haïtien et du Candomblé brésilien.

Les Ojibways et les Iroquois m'ont initié à la cérémonie de la pipe sacrée, à la suerie, à la prière d'action de grâces (aux arbres, animaux, feu, terre, etc.). Des Japonais m'ont introduit au Zen (Soto et Rinzai) ainsi u Jodo Shin Shu, à la cérémonie du thé, à l'origami, au sumie, etc. Des maîtres chinois m'ont enseigné le TaiChi pendant plusieurs années. Des Juifs m'ont donné de vivre des expériences de sabbat hassidique et de kabbalah. Des moines hindous de Rishikesh m'ont initié au yoga et, depuis 15 ans, je participe aux pujas à Durga, Lakshmi, Saraswati, Siva, Vishnu, etc, tout en partageant le mode de vie hindou. Des soufis m'ont enseigné des pratiques de méditation dansées ou autres; des musulmans, la prière musulmane et le sens de l'Unique. Avec les Haïtiens, les Brésiliens noirs et les Africains, ce fut la découverte des «loas», des «orishas», du vaudou, des fétiches, des esprits de l'eau, du culte des ancêtres, de la danse communautaire et d'une conception exaltée du Divin et de l'Invisible. Avec l'humanisme séculier, sous ses différentes formes athées, marxistes, socialistes ou autres, ce fut l'approfondissement de la spiritualité séculière, de la Liberté comme religion, de la personne, de l'homo faber, de l'Ordre rationnel, de la Praxis, etc.

Depuis 1974, ma recherche est passée du domaine religieux au domaine culturel, les deux étant vraiment inséparables. C'est ainsi que je me penche sur la culture familiale, sociale, économique, éducatrice, juridique, politique, propre à chacune des grandes voies de salut, avec toutes les valeurs morales-éthiques ou simplement humaines originales que cela comporte.

J'essaie d'aborder les autres cultures et religions de l'intérieur, à savoir comme de possibles sources de révélation du Mystère Insondable de la Réalité, comme de possibles dimensions complémentaires et accomplissantes de ma foi et de ma culture.

Inutile de dire qu'une telle rencontre remet radicalement en question (pas nécessairement en doute) tous les aspects de ma culture occidentale et de ma foi chrétienne. C'est une expérience de «kénose» qui met complètement à nu. Je suis devenu particulièrement sensible à l'arrogance chrétienne et occidentale ainsi qu'au «sauveurisme» qui se cachent souvent même au coeur du service des pauvres.13

Plusieurs croient que je suis anti-occidental et que j'ai perdu la foi chrétienne. Ils se sentent menacés. C'est curieux! Moi, j'ai l'impression très vive et nette que cette mort à l'ego chrétien et occidental à travers l'expérience des autres cultures et religions me révèle les vraies valeurs originales de l'occident et du monde chrétien à leur niveau le plus profond.

J'en viens graduellement à apprécier à tel point les différentes religions et cultures qu'elles deviennent peu à peu des dimensions constitutives de ma spiritualité et de ma culture. Mon identité est devenue interculturelle et interreligieuse. Et je n'ai aucunement le sentiment d'éclectisme, de syncrétisme mal placé ou de confusion. Il y a de la cohérence dans tout cela. Et c'est ici que je dois rendre hommage à celui qui m'a le plus aidé à trouver cette cohérence: le P. Raimundo Panikkar, dont les écrits et la vie sont consacrés à ce genre de questions que pose notre monde pluraliste.

Du divertissement culturel! diront ceux que préoccupent les questions sociales et le rapport de forces économique et politique. A ceux-là je ferai remarquer que la question sociale elle-même est prisonnière et esclave de la dialectique occidentalo-chrétienne et qu'elle-même a besoin d'être libérée de son monoculturalisme économicopolitique et religieux. Mon engagement social et politique n'est pas moindre. La perspective interculturelle a tout simplement fait en sorte qu'il a pris des formes nouvelles, inusitées.14

Je vis surtout un grand sentiment de libération. Oui, l'expérience des cultures et des religions, aussi risquée qu'elle soit, libère!


Une expérience de l'intérieur15

Ce que j'essaie de décrire beaucoup trop brièvement dans ces pages n'est ni une théorie, ni un dogme ou une religion nouvelle, mais une expérience intérieure. Voici quelques réflexions qui m'aident à en éprouver la cohérence.

Un langage commun16

il saute immédiatement aux yeux que de telles expériences ne sauraient se communiquer à moins qu'il n'existe un langage commun qui ait un sens pour des partenaires différents. Mais parce que les voies de salut (religieuses ou séculières) sont profondément enracinées dans des traditions historiques différentes, il est très difficile de trouver un langage qui ait un sens dans plus d'une tradition.

Difficile mais pas impossible! Il est possible d'utiliser parfois, de façon provisoire, un langage pris dans une tradition historique déterminée pour exprimer ce qui joue la même fonction dans une autre tradition historique, sans nécessairement les réduire ou les identifier l'un à l'autre au plan substantiel. Il existe, en effet, une certaine équivalence fonctionnelle entre certains mots, même s'il n'y a pas nécessairement équivalence substantielle. Par exemple, les mots Christ et Krishna (pour ceux qui y croient évidemment) peuvent, au plan substantiel, recouvrir ou révéler, ou ne pas recouvrir ou révéler la même réalité, mais au plan fonctionnel, ils sont équivalents en ceci qu'ils expriment la voie de salut.17 Il en est ainsi de plusieurs mots comme Dieu et Brahman, etc. (voir plus haut le mot religion pour exprimer la voie séculière du salut).

C'est ce que je voudrais faire ici en parlant de foi et croyances.

Le mot foi, tel que je l'utiliserai ici, tout en provenant de traditions religieuses historiques concrètes, n'entend se relier à aucune de ces conceptions philosophiques ou religieuses données. Ce mot, tel qu'utilisé ici, a la prétention d'être valide aussi bien pour un bouddhiste que pour celui qu'on nomme athée. Je pourrais très bien utiliser un autre langage et d'autres schèmes de référence, plus bouddhistes par exemple, mais il faut commencer quelque part.


La foi, dimension constitutive de l'homme18

Le danger de parler de foi, c'est de penser qu'on ne parle que de foi chrétienne ou religieuse, alors qu'il s'agit d'une dimension profonde commune aux êtres humains, quelles que soient leurs croyances religieuses, séculières ou même athées. Une réflexion sérieuse sur la foi ne doit pas à priori écarter ce que les hommes de tous les temps ont vécu dans ce que nous appelons la foi.

La foi, c'est cette dimension dans l'Homme qui correspond au Mystère, au Mythe (entendu au sens de: «ce que nous croyons sans croire que nous y croyons»), qui relie l'Homme à son Fondement (quel qu'il soit et de quelque nom qu'on le nomme: Dieu, Rien, Absurde, Homme, Société, Futur, etc.), qui permet à l'Homme de subsister, qui unit les hommes entre eux et avec toute la réalité, qui délie l'homme de la pure naturalité cosmique, de la choséité, et lui donne la liberté.

La foi n'est pas essentiellement une doctrine ou une morale, mais cet élément primordial qui rend possible l'acheminement vers ce que l'homme n'est pas encore. C'est l'ouverture existentielle: ce par quoi l'homme se fait lui-même, se sauve, s'achève, atteint sa plénitude, obtient sa libération, son but ultime (quel que soit le nom qu'on donne à ce dernier); c'est cette dimension qui fait que l'homme ne se renferme pas dans son état actuel, ce qui l'ouvre à la perfection, à son but ou à son destin; c'est la capacité infinie de l'homme; ce par quoi l'homme découvre qu'il n'est pas complet, achevé, absolu, définitif; sa capacité illimitée de croissance. C'est cette dimension anthropologique qui est à la base de toute foi particulière (croyance).

En résumé, qu'on l'appelle d'une façon ou d'une autre (conscience, raison, science, foi), cela ne devrait pas nous empêcher de déceler dans l'homme, ses cultures et religions, une dimension qui est là, discrète, silencieuse, intérieure, qui remonte à la surface de mille façons, mais qui dans sa profondeur cachée rend témoignage de ce qui dans l'être humain (sa culture et sa religion) dépasse infiniment l'homme (qu'on nomme cette dimension Dieu, Brahman, Rien, Homme, Absurde, etc.). C'est la foi.


Foi et croyances19

S'il nous faut distinguer entre foi en acte (question, ouverture, désir) et acte de foi (la réponse existentielle qu'on donne à la question), il nous faut aussi distinguer entre foi et croyance. La croyance, qui est l'expression de la foi, réfère aux diverses formulations et divers contenus de la foi. Mais elle n'est pas la foi. Reste qu'il n'y a pas de foi sans croyance; la croyance est une dimension constitutive de la foi.

Ce serait se leurrer de penser ou de croire qu'il existe un domaine quelconque ou horizon spirituel, indépendant de la conscience humaine. La foi pure est toujours aussi croyance. Le divin (qu p on le nomme Dieu, Christ, Vide ou Homme), aussi parfait et purifié de l'humain qu'on le perçoive (ou reçoive), est toujours humain. Il n'a pas de sens sans la créature. L'humain est une dimension constitutive du divin. La conscience humaine qu'on a du divin est une dimension constitutive du divin. Mais la dimension divine ne saurait être réduite à la conscience humaine.

L'humain, aussi purifié du divin et de l'aliénation religieuse qu'on le conçoive, ne saurait se détacher de ce «plus», de cette dimension abyssale qui appartient à tout ce qui existe. La foi elle-même, aussi divine qu'elle soit, n'épuise pas son mystère!


Rejoindre la foi des autres

La foi n'est ni le privilège ni le monopole de la tradition chrétienne. Elle est au coeur de toute religion et de toute culture, même de ceux que l'on nomme faussement les «incroyants». C'est de l'arrogance de ne voir que «foi» du côté chrétien et «culture» du côté non chrétien; en ce sens, une certaine incarnation et inculturation de la foi chrétienne dans les autres cultures me paraît un acte de colonialisme spirituel et d'incroyance; c'est le contraire de la foi de ne pas croire à la foi de l'autre, de la réduire à n'être qu'un élément culturel, et de vouloir y substituer la sienne.

Toute voie de salut, quelle qu'elle soit, comprend une foi cristallisée dans une croyance ou une autre. On ne rejoint donc vraiment une culture ou une religion que si l'on rejoint sa dimension la plus profonde, à savoir, non seulement ses croyances, mais son acte et son expérience unique de foi, et par là son fondement ou mystère.

Or le mystère ou mythe de foi, quel qu'il soit, n'est pas objectivable. Le Dieu (Krishna, Christ, Homme) de la foi, c'est-à-dire de ceux qui croient, et celui plus historique, mythologique ou «scientifique» de ceux qui ne partagent pas cette expérience de foi, sont deux phénomènes fort distincts;20 ce sont deux notions différentes. Le premier est celui de mon expérience vécue, de mon coeur et de ma foi; il n'est pas simplement le sujet d'une docte histoire des religions ou encore d'un système ou d'une doctrine de foi (en effet, aucune doctrine ou système ne saurait le contenir, ni l'exprimer).

C'est donc dire qu'on ne saurait rejoindre la foi des autres en l'abordant uniquement comme objet de connaissance ou même comme objet de foi. Je ne dis pas que la foi des autres ne saurait être objet de connaissance, mais qu'en le faisant, la foi en tant que telle est détruite. On ne rejoint la foi de l'autre qu'en essayant de rejoindre le mystère qu'elle essaie d'exprimer.


En y croyant

On ne rejoint la foi des autres qu'en y croyant. Cela ne se fait, on l'oublie trop, que par une expérience vécue interne où l'on rencontre la foi de l'autre dans une communion mythique àl'intérieur de soi-même et de sa propre foi. Il ne s'agit ni plus ni moins que de croire que les croyances des autres peuvent être des révélations du Fondement-Mystère qu'aucune doctrine de foi (religieuse ou séculière) ne saurait contenir ni exprimer. On ne comprend bien une religion et on ne l'enseigne bien telle qu'elle est que si l'on en est personnellement convaincu, que si l'on y croit. Ce n'est que lorsqu'elle est devenue une dimension constitutive de notre propre foi et de notre propre religion qu'on rejoint vraiment la foi des autres.

Une seule foi peut s'exprimer dans des croyances différentes, contraires et même contradictoires; le reconnaître est le début du dialogue de foi entre croyants de divers horizons. La foi s'accommode bien d'un pluralisme doctrinal et éthique au niveau des croyances. Aussi est-il possible de vivre une transformation radicale de ses croyances à l'intérieur d'une unique expérience de foi; mais cela requiert que l'on permette à des croyances différentes, contraires et même contradictoires de se rencontrer et de se féconder mutuellement à l'intérieur de soi-même, dans le creux du coeur, de l'âme et de l'esprit. Le dialogue interreligieux requiert un dialogue intrareligieux.11


L'interpersonnel et l'intrapersonnel

Un des faits les plus simples et pourtant les plus négligés, c'est qu'on ne rejoint le mystère de l'autre que dans une relation personnelle où 1) l'autre est rencontré en tant que témoin vivant de sa culture et en tant que personne (je ne dis pas en tant qu'individu), c'est-à-dire comme un qui ineffable, un qui es-tu?; 2) mais on ne saurait demander qui sans être soi-même impliqué dans la question; la question «qui es-tu?» est personnellement engageante; demander «qui es-tu?», c'est demander le il, le tu et le je qu'il est pour moi ou pour quelqu'un, à savoir: qui suis-je? Donc pas de découverte du mystère de l'autre sans une rencontre ou communion inter et intrapersonnelle.21,


Une spiritualité réaliste22

Je n'entends nullement, ici ou ailleurs, présenter mon expérience spirituelle comme modèle; ce serait contraire à la spiritualité. Je voudrais seulement pointer vers les cieux nouveaux et la terre nouvelle d'une spiritualité pour le XXe siècle, dans un esprit de synthèse, qui, en tant que telle, appelle des interprétations et des langages symboliques très variés.

Il n'y a pas qu'une spiritualité mais plusieurs: spiritualité religieuse (théiste ou non théiste), spiritualité séculière et/ou athée, spiritualités chrétienne, juive, hindoue, africaine, chinoise, amérindienne, etc. En fait, il y a autant de spiritualités qu'il y a de personnes.

Mais les spiritualités varient non seulement selon les aires géographiques et culturelles, mais aussi selon les époques et les générations, de sorte qu'on peut se demander quelle est la spiritualité à laquelle l'humanité est conviée au XXe siècle.

Je dis bien l'humanité! Car le contexte profondément pluraliste et planétaire dans lequel chaque peuple et chaque personne se trouve aujourd'hui, l'oblige à poser ses problèmes religieux dans une perspective universelle; «tout problème d'ordre religieux qui n'est pas posé aujourd'hui dans une perspective universelle, est un problème mal posé».23

Une telle perspective nous invite à parler en termes de millénaires plutôt qu'en termes de siècles et à rejoindre toutes les dimensions de la réalité pluraliste.

Nous vivons présentement les débuts d'une mutation (dans l'homme et la réalité) aussi profonde que celle qui a vu l'homme passer de la spiritualité indifférenciée et plus cosmocentrique de l'homme de la nature à celle plus différenciée et plus anthropocentrique de l'homme de la conscience, de l'humanisme et de la science. La spiritualité religieuse des grandes religions (théistes ou non théistes) est insuffisante. La spiritualité séculière des humanismes (religieux, séculiers, idéologiques) pareillement. Additionner nos insuffisances ne résout rien. Il nous faut une métanoia de transfiguration 24 et de grande solidarité constitutive.

La spiritualité à laquelle l'humanité (et donc le Québécois) est de plus en plus appelée doit être, me semble-t-il, 1) religio-séculière interreligieuse, interculturelle, anthropoc(smique; 2) cosmothéandrique; 3) d'intégration de toute la réalité.


Une spiritualité religio-séculière25

Par cela, je veux dire: 1) récupérer le sens du Mystère et du Mythe, approprié et souvent évacué par les religions traditionnelles et modernes; 2) assimiler le caractère positif et sacré du temps et de la réalité temporelle, comme un facteur fondamentalement constitutif de toute la réalité; 3) libérer la spiritualité de l'emprise et du religieux et du temporel, en construisant un pont entre les deux: le spirituel doit à nouveau devenir le Mysterium conjunctionis qui unit les dieux, les hommes et les êtres, non seulement entre eux mais à ce qui les dépasse, les imprègne et les constitue.

En disant que toute spiritualité doit être religieuse, je veux dire: 1) qu'aucune foi (religieuse ou séculière) n'épuise son mystère propre et encore moins celui du réel; 2) que le réel lui-même dépasse infiniment le réel (caractère infini et dynamique du réel).26

Il n'y a de vraie spiritualité que temporelle ou séculière, c'est-à-dire humaniste, culturelle, biocosmique et efficace; un Dieu ou un divin sans l'homme et le cosmos n'est pas un Dieu ou un divin réel, donc il n'existe pas. Cette dimension temporelle est aussi constitutive de tout le réel que celle du divin. Respecter le caractère positif et sacré du temps et de la réalité temporelle, ce n'est pas d'abord «être de son temps», «à l'affût de l'actualité» ou «traduire» le mystère en termes contemporains; c'est refuser de considérer la créature, la nature, la culture et le temps, comme de simples apparences, vêtements ou signes du divin, comme de l'irréel, des biens à utiliser et des étapes à parcourir, alors qu'elles sont des fins en soi, des dimensions constitutives du réel et du divin lui-même, des symboles qui sont la réalité qu'ils symbolisent. La nature et les cultures, par exemple, ne sauraient être considérées comme de simples instruments (ce que j'appelle «instrumentalisation») de l'homme et de sa spiritualité, comme cela se retrouve trop souvent dans un certain «advaita»,27 certaines spiritualité de sanctification,28 d'adaptation, d'inculturation et d'incarnation.29 La spiritualité du service des pauvres, qui se veut aujourd'hui le sommet de la spiritualité d'incarnation, n'échappe pas toujours à cette instrumentalisation et constitue, par le fait même et trop souvent, une spiritualité désincarnée, qui ne voit plus la richesse économico-politique temporelle des autres (qu'elle appelle les pauvres) parce qu'elle est trop exclusivement préoccupée à les sauver et à trouver de la matière à libérer; elle identifie la croissance temporelle avec le seul progrès et développement, entendus au sens de propriété, pourvoir politique et maîtrise de sa destinée.30

On ne saurait absolutiser ni le divin, ni le temporel! Il n'y a pas deux réalités: Dieu (ou le divin) et le monde; mais il n'y en a pas non plus une seule: Dieu (le divin) ou le monde. La réalité en fait est théandrique ou théocosmique. Construire un pont entre le religieux et le temporel, c'est ouvrir des voies de communication qui puissent devenir des voies de communion. La relation entre eux en est une, ni d'autonomie, ni d'hétéronomie, mais d'ontonomie.31 C'est cela qu'on cherche à exprimer en parlant de spiritualité religio-séculière, sacro-temporelle, tempiternelle, 32 d'épousailles entre le mythos et le logos. C'est une spiritualité de l'inter, de la relativité radicale qui est constitutive du réel (et qui n'est pas relativisme).

UNE SPIRITUALITÉ INTERRELIGIEUSE (approfondissement de la dimension religieuse)

Dieu n'a pas le monopole de la divinité. Brahman non plus! On ne saurait confondre spiritualité et théisme. La rencontre des religions élargit et approfondit notre sens de la foi et du mystère de la divinité qui se manifestent dans plusieurs épiphanies. Elle nous révèle des dimensions du divin que nous n'aurions jamais crues possibles.

La dimension «divine» du réel, ce n'est pas seulement sa dimension transcendante: Dieu, Brahman, Allah, etc., mais aussi ce «plus», cette dimension abyssale, à la fois transcendante et immanente, qui appartient à tout ce qui existe, cette inépuisabilité infinie de tout le réel, son caractère d'ouverture et de mystère ou, si l'on veut, de liberté, que certains nomment Dieu, d'autres Brahman, Sunyata ou Homme (qui dépasse infiniment l'homme). Cette dimension divine est une dimension constitutive (je ne dis pas un ingrédient) de moi-même et de tout ce qui existe. Chaque religion éclaire une dimension de ce mystère de la réalité qui dépasse non seulement notre connaissance mais le réel lui-même. C'est ainsi, par exemple, que même la spiritualité séculière nous révèle une dimension de ce divin qui aurait autrement tendance à nous échapper, à savoir celle qui est immanente à l'homme, à la matière et au temps et qu'on nomme le caractère positif et sacré propre au séculier: ce qu'on pourrait appeler «le sacré intemporel» (c'est-à-dire immanent au temps) pour le distinguer du sacré «supra ou trans-temporel» (c'est-à-dire en dehors du temps).

UNE SPIRITUALITÉ INTERCULTURELLE (approfondissement de la dimension humaine)

Etant donné que la connaissance que l'homme a de la réalité fait partie constitutive de la réalité, on ne saurait connaître cette dernière indépendamment de la première. Il n'y a pas de réalité qui ne soit culturelle; pas même celle de la nature! Il n'y a donc pas de spiritualité qui ne soit culturelle. Mais, étant donné la diversité des interprétations du réel et du divin, une spiritualité authentique ne saurait être qu'interculturelle, c'est-à-dire respectueuse de toutes les cultures ou visions du monde.

Cela veut dire, d'une part, un respect de toutes les dimensions de la culture d'un peuple: spirituelle, religieuse, politique, économico-sociale, juridique, etc., d'autre part, une participation active dans le dialogue avec toutes les cultures.

UNE SPIRITUALITÉ ANTHROPO-COSMIQUE (approfondissement de la dimension temporelle ou séculière)

Qu'on l'appelle «naturo-culturelle», «sécularo-cosmique», «écologique» ou autrement, j'entends par là une spiritualité séculière qui respecte et relie entre eux tous les éléments de la réalité temporelle: l'homme, la nature, la culture, le temps/espace, la matière/énergie, les considérant comme des dimensions irréductibles, organiques et constitutives les unes des autres et du temporel.

Par exemple, il y a de ces spiritualités humanistes-anthropocentriques qui placent l'homme au centre du cosmos et ne considèrent la nature que comme un instrument à son service, une matière à maîtriser, une bête sauvage qui a besoin d'être domestiquée, humanisée, cultivée, civilisée. Elles croient que c'est la culture (connaissance) qui constitue l'homme plus que la nature (existence nue). Certaines spiritualités écologiques n'échappent pas parfois à ce seigneurisme, qui ne voit la nature que comme une réalité à organiser. Elles oublient que la nature est une dimension constitutive de l'homme et que les spiritualités «naturelles» sont aussi de grands humanismes, à leur façon.

D'autre part, il y a de ces spiritualités naturelles-cosmocentriques qui placent la nature à tel point au centre du temporel que la culture ne leur apparaît que comme une maladie de la nature. Certaines vont même jusqu'à condamner non seulement la technologie mais aussi la techniculture33 et l'agriculture. Croyant avoir le monopole du «naturel», elles réduisent leur mère la nature à la vision qu'elles en ont. Elles ne semblent pas avoir conscience qu'il existe plusieurs spiritualités naturelles et cosmiques, car la nature elle-même est pluraliste. Une spiritualité cosmique, digne de ce nom, doit veiller à rejoindre toute la nature et ses forces vitales, même celles qui parfois se présentent sous la forme de culture.

En effet, il n'y a pas de nature sans l'homme et sans sa connaissance et donc sans culture. Certaines spiritualités semblent oublier que la culture est une dimension constitutive de la nature et que les spiritualités agricoles et humanistes sont aussi, par certains biais, malgré leurs déficiences historiques, des spiritualités «naturelles».

Ce qu'il nous faut, c'est une spiritualité anthropocosmique, mais qui appelle différentes interprétations et Symboles, soit plus humanistes, soit plus naturels. Pour certaines spiritualités, le mot «culture» est trop homocentrique et leur rappelle trop les méfaits de la civilisation. Elles préfèrent avoir recours au symbole de la nature et du cosmos comme foyer de convergence: telles les spiritualités amérindiennes, la spiritualité écologique, organique et biologique des temps modernes. D'autres, par contre, préfèrent utiliser les symboles de culture et d'humanisme pour valoriser certaines dimensions négligées de la nature: telles certaines spiritualités humanistes qu'on nomme cultures. Le dialogue et la tension créatrice entre les deux ne peut qu'enrichir et la spiritualité «naturelle», d'une part, et la spiritualité «culturelle», d'autre part. Si les civilisés et les «cultivés humanistes» n'ont pas le monopole de. la culture et de l'humanisme, les «naturels» n'ont pas non plus le monopole de la nature.

Tout cela peut aider toute spiritualité temporelle ou séculière à ne pas confondre le séculier avec le seul culturel ou avec le seul cosmique. Une des grandes tentations de la spiritualité séculière (qu'elle soit cosmocentrique ou anthropocentrique), c'est de ne prêter un caractère sacré qu'à une dimension de la réalité temporelle, celle qui fait le plus son affaire, v.g. le temps circulaire ou linéaire,34 le temps physique ou humain ou technique, l'homo sapiens ou l'homo faber, le logos-raison ou le logos-intuition, l'organique ou l'efficace, etc.


Une spiritualité cosmothéandrique35

En synthétisant les fondements de la spiritualité pour le XXe siècle, je dirais, à la suite de R. Panikkar, que nous sommes conviés à une mutation qui est une «seconde innocence» et qu'il nomme une spiritualité «cosmothéandrique» (cosmos: matière/énergie, espace/temps; theos: pas seulement Dieu mais le divin; andros: l'homme et sa culture). Elle consiste à reconnaître le divin, l'humain et le cosmique (de quelque manière qu'on les nomme) comme trois dimensions organiques, irréductibles et constitutives de toute réalité. Il ne s'agit pas d'abolir la distinction entre le divin et l'humain, entre l'homme et le monde, mais de comprendre que le divin parfaitement transcendant ou même immanent est une abstraction de la même facture qu'un homme et/ou un monde «objectif», parfaitement autosuffisant et indépendant l'un de l'autre et du divin. Ni exclusivement théo-centrique ou homo-centrique ou cosmo-centrique, la spiritualité de notre temps est cosmo-thé-andrique.

Les symboles ou foyers de convergence de cette spiritualité cosmothéandrique peuvent être soit le divin, soit l'humain, soit le cosmique (chacun empruntant des noms différents; par exemple, Christ, Allah, Brahman, Praxis, Liberté, Homme, Nature, Vie, Tao, etc.). Cette spiritualité globale appelle des interprétations et des langages symboliques très variés et complémentaires. Mais quelle que soit la dimension choisie, elle doit comprendre les deux autres comme dimensions constitutives d'elle-même. Autrement, elle risque de tomber dans l'abstraction.


Intégration de la réalité

Quelle spiritualité pour le XXe siècle? demande-t-on. Il me paraît tout aussi important de se demander, en même temps, quel devrait être l'humanisme et le sécularisme pour le XXe siècle. Les trois questions sont distinctes. Mais il est nécessaire de ne pas séparer ces trois questions qui, en fait, ne sont que trois dimensions irréductibles l'une à l'autre d'une seule question englobante: quel réalisme pour le XXe siècle?

Question qu'on peut aborder sous l'angle de la spiritualité, de l'humanisme ou du sécularisme. Mais quelle que soit la perspective choisie, chacune doit inclure les deux autres, si l'on veut éviter une des trois abstractions simplificatrices et aliénantes de notre temps: une spiritualité désincarnée et insensée, un humanisme rachitique, coupé de son sol et de ses racines, un sécularisme inhumain.

J'ai choisi de parler ici de ces trois dimensions du réel, mais à partir du langage symbolique de la spiritualité. J'espère avoir été réaliste.

Ni la spiritualité, ni l'humanisme, ni le sécularisme ne sont souverains! Seule la réalité est souveraine et irréductible, de sorte que la question aujourd'hui ne peut être que celle de l'Intégration Globale du Réel, au niveau de la vision, de la praxis et de la solidarité universelle et personnelle. Toute intégration qui chercherait à simplifier la réalité, c'est-à-dire à éliminer ou ignorer ce qu'on ne peut facilement assimiler, ne ferait que nous en éloigner davantage. Le plus simple, c'est d'essayer de tout rassembler dans la Grande Solidarité Constitutive de la Réalité.»


Notes

1 PANIKKAR, R., «Témoignage et Dialogue», dans Le Témoignage, Compte rendu du Colloque organisé par l'Instituto di Filosofia, Roma, Ed. E. Castelli; Paris, Aubier, 1972, pp. 367-388.
2 Ibid., pp. 372 ss.
3 PANIKKAR, R., art. cit., p. 388.
4 PANIKKAR, R., «Have 'Religions' the Monopoly on Religion?», in Journal of Ecumenical Studies, Nr 3 Vol. XI (Summer 1974), pp. 515-517.
Certes, cette spiritualité séculière ou athée n'aime peut-être pas l'appellation «spiritualité» ou «religion», à cause des multiples consonances que ces mots ont avec un certain type de voie de salut. Il reste que la voie séculière entend faire plus adéquatement et de façon différente ce qu'entendent faire les religions traditionnelles, i.e. être une voie qui amène l'homme à sa plénitude. De ce point de vue fonctionnel, la religion peut être définie comme «voie de salut». En ce sens, les voies séculières peuvent être considérées comme des religions. Ce n'est qu'une question sémantique et de décision culturelle de savoir si l'on va les appeler elles aussi «religions». Etant donné que les nouvelles voies séculières se présentent elles-mêmes de façon si marquée comme des substituts réels pour ce que les (vieilles) religions n'ont pas réussi à faire, il y a parfois avantage à appeler toutes ces voies religieuses ou séculières par le même nom, à savoir religions ou croyances. Et l'on peut donc parler de religions religieuses et de religions séculières. Par contre, je crois aussi que les sécularismes et humanismes de notre temps, pris individuellement ou collectivement, n'ont pas non plus le monopole du sécularisme et de l'humanisme; qu'il existe, en d'autres mots, un humanisme ou sécularisme religieux et spirituel qui n'est pas nécessairement incompatible avec l'humanisme séculier. Si tout sécularisme est une certaine religion, il est aussi vrai de dire que toute religion, même traditionnelle, est un certain sécularisme par rapport au Mystère qu'elle exprime et incarne. Etant donné que les grandes religions traditionnelles se présentent elles-mêmes comme le sommet de l'humanisme et de la libération humaine, il y a parfois avantage à appeler aussi toutes ces voies religieuses ou séculières par le même nom, à savoir: sécularismes, humanismes, cultures. L'on peut donc parler de sécularisme religieux et de sécularisme séculier, de culture ou humanisme soit religieux, soit séculier. Encore une fois, c'est une question sémantique et de décision culturelle qui dépend beaucoup des interlocuteurs qui entrent en dialogue.
5 PANIKKAR, R., «Religion and Atheism», in Myth, Faith and Hermeneutics, N.Y., Paulist Press, 1979, p. 358.
6 PANIKKAR, R., The Trinity and the Religious Experience of Man, N.Y., Orbis, 1973, p. 75.
7 Il s'agit d'équivalence fonctionnelle, non substantielle. Voir: VACHON, R., «Toutes les religions se valent-elles?» dans Communauté Chrétienne, no 108, vol. 18, nov.-déc. 1979, pp. 560-565.
8 Voir: VACHON, R., «Dying to Christ», dans Monchanin, Cahier 66, janv.-mars 1980, pp. 22-36.
9 PANIKKAR, R., «Religion as Freedom», in Myth, Faith and Hermeneutics, op. cit., pp. 420-460.
10 R. Panikkar parle d'une christologie fondamentale qui inclut non seulement plusieurs théologies mais plusieurs religions: «The Category of Growth in Comparative Religion», in Harvard Theological Review, vol. 66, no 1, janv. 1973, p. 128; «Metatheology as Fundamental Theology», in Myth, Faith and Hermeneutics, op. cit., pp. 322-334.
11 PANIKKAR, R., Salvation in Christ: Concreteness and Universality; the Supername, Santa Barbara, 1972 (mimeograph).
12 MARITAIN, J., La signification de l'athéisme contemporain, Desclée, 1949; LACROIX, Jean, Le sens de l'athéisme moderne, Casterman, 1958.
13 VACHON, R., «The Churches, the West and the Fight against Racism. Could our assumptions be racist», in Rikka, summer 1980, vol. VII, no 2, pp. 18-25.
14 VACHON, R., «R. Panikkar and Liberation Theology», in Monchanin, cahier 68, vol. XIII, no 3, pp. 26-44; VACHON, R., «Letter to Dom Helder Camara», in Monchanin, cahier 70, janv.-mars 1980.
15 PANIKKAR, R., The Intrareligious Dialogue, N.Y., Pa~ulist Press, 1978.
16 PANIKKAR, R., Words and Terms, compte rendu du Colloque organisé par l'Instituto di Studi filosofici, Roma, 1980.
17 PANIKKAR, R., The Intrareligious Dialogue, op. cit., pp. 9 ss.
18 PANIKKAR, R., L'Homme qui devient Dieu, Paris, Aubier, coll. Foi Vivante, 1969.
19 PANIKKAR, R., «Faith and Belief», in The Intrareligious Dialogue, op. cit., pp. 1-25; «Je crois», dans , no 50, pp. 258-259.
20 PANIKKAR, R., «Faith and Belief» art. cit., p. 14; ailleurs Panikkar distingue entre «noemata» et «pistemata»: voir Monchanin, cahier 50, juin-déc. 75, p. 17.
21 PANIKKAR R., The Intrareligious Dialogue, op. cit.
21a Voir: «Fa Di'imension Interpersonnelle», dans Monchanin, cahier 55, pp. 23-26; PANIKKAR, R., «The Myth of Pluralism», in Cross-Currents, summer 1979, pp. 212-214; Salvation in Christ, op. cit., pp. 31 ss.
22 PANIKKAR R., «Colligite Fragmenta: For an Integration of Reality», in Proccedings of the Theology Institute of Villanova University, under the title From Alienation to at-oneness.
23 PANIKKAR, R., Le Mystère du Culte dans l'Hindouisme et le Christianisme, Paris, Cerf, 1970, p. 14.
24 Ce qu'on nomme «transfiguration», au niveau de la vision, on le nomme «transformation», au niveau de l'action.
25PANIKKAR, R., Le Culte et l'homme séculier, Paris, Le Seuil, 1976.
26PANIKKAR, R., «Colligite Fragmenta», op. cit., p. 75.
27 Pour qui la créature n'est qu'une «objectivation» de l'esprit, une sorte de projection, résultat de l'ignorance.
28 Pour lesquelles le monde est profane avant d'avoir été sanctifié par l'homme.
29 Témoins les nombreuses théologies d'incarnation: théologies africaine, indienne, asiatique, etc., qui détachent souvent ces cultures de leur sève religieuse et entendent tout baptiser - cultures et religiosité - dans un nouveau triomphalisme qu'on peut nommer «vandalisme théologique». Voir: PIERIS, A., «Vers une théologie de la libération vue d'un point de vue asiatique», dans Monchanin, cahier 68, p. 19.
30 VACHON, R., «Letter to Dom Helder Camara», art. cit.
31 PANIKKAR, R., Le Culte et l'homme séculier, op. cit., pp. 47-83.
32 PANIKKAR, R., «Le Temps Circulaire», dans Temporalité et Aliénation, compte rendu du Colloque organisé par l'Instituto di Filosofia, Roma, ed. E. Castelli; Paris, Aubier, 1975, pp. 232 ss.
33 Selon Panikkar, la techniculture n'est ni l'agriculture, ni la technologie, mais ce qui les rassemble dans une unité supérieure.
34 PANIKKAR, R., «Le Temps Circulaire», art. cit., «Technique et Temps: la technocratie», dans Tecnica e casistica, Atti del colloquio internationale, Instituto di Studi filosofici, Roma 1964, Pp. 195-229; «Temps et Histoire dans la Tradition de l'Inde», dans Les Cultures et le Temps, Paris, Payot-Unesco, 1975, pp. 74-102.
35 PANIKKAR, R., «Colligite Fragmenta», op. cit.



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