Un lynchage en règle sans règles aucunes

Jean-Luc Gouin

Autour du cinéaste feu Claude Jutra

« Qui m’enterrera pour la seconde fois... ? »
l’immortel Charles Aznavour, Qui ? (1963)

D'abord un avis personnel, lequel constitue également un constat juridique : la pédophilie est un crime. Et éminemment condamnable qui plus est, compte tenu de la haute vulnérabilité des victimes d’un comportement de cette nature. Et ce, nonobstant la dimension psychiatrique du phénomène.

Ensuite, une précision : le soussigné ne présume d’aucune manière de la véracité ou de la fausseté, en tout ou en partie, des déclarations de victimes supposées du cinéaste. Non par défiance ou par déni. Moins encore sous couvert de quelque procès d’intention. Mais simplement par carence, pour l’heure, d’informations véritablement avérées, vérifiées et contrevérifiées. Ce qui requiert du TEMPS. Et ce, afin d'établir (ou réfuter, le cas échéant) les faits allégués avec une certitude qui soit digne de ce nom à l’entendement de tout citoyen réfléchissant en régime de droit. Du droit, il va sans dire, mais disons-le tout de même, qui prévaut au sein de la société québécoise de notre temps.


Cela étant entendu, le citoyen lambda que je suis se voit consterné, abasourdi, franchement ébranlé, et, pour tout dire, outré par le caractère expéditif (quelques jours sinon quelques heures à peine suivant les allégations) de la mise au ban de Claude Jutra, sur-le-champ et sans appel, par des personnalités publiques de la société civile et politique (et donc influentes en regard à l’opinion générale, pour les unes ; en position d’autorité effective pour les autres).

Or, aussi bien (l’ex) ministre nationale de la Culture (Mme Hélène David) que la ministre fédérale du Patrimoine (Mme Mélanie Joly), ainsi que le directoire bicéphale de Québec Cinéma (M. Patrick Roy et Mme Ségolène Roederer), et autres Régis Labeaume ou Denis Coderre, icelui déclarant à tous vents qu’il « ne défendra jamais l’indéfendable », parmi quelques noms, estiment, au contraire, et contre toute intelligence du droit effectif de tout un chacun en pareil dossier (celui de l’agresseur présumé / celui des victimes présumées), que de ce TEMPS (de recherche, d’analyse et de réflexion) nécessaire pour faire la lumière sur ce drame à la fois privé et collectif, ils n’en ont nullement cure.

Aussi cette décision quasi-unanime – d’un simple claquement de doigt, ou d’une banale signature au bas d’une lettre officielle – de littéralement éradiquer jusqu’au souvenir même de Claude Jutra m’apparaît-elle non seulement dangereusement précipitée, mais radicalement irrecevable, à l’heure actuelle, au sein d’une société éthiquement évoluée et authentiquement démocratique. Nous assistons en effet, à rien moins qu’au lynchage d’un homme par lynchage de la vérité.

Pour le simple motif qu’il n’y a pour l’instant – on m’autorisera le pléonasme – aucune vérité pleinement et indiscutablement avérée.
D’où, en dépit, je le présume, des intentions honorables de leurs auteurs et qu’illustre fort bien, hélas, le "papier" de Michel Leclerc paru dans Le Devoir de ce 20 février, des interventions totalement à côté de la plaque – dans les circonstances, et à ce stade de la « réflexion collective » – qui, force morale à la clé, mais nourrie d’assertions non établies hors de tout doute, s'indignent haut et fort sous motif que l’on chercherait, le milieu artistique en particulier, à gommer les prétendus actes répréhensibles d’un homme par le génie de son Œuvre. Pour ces gens, de toute évidence, l’affaire est d’ores et déjà entendue. Sans jamais avoir été entendue, pourtant, en vertu des règles les plus élémentaires de l’éthique propre à notre société. Qu’est-ce à dire ? Ceci : D’une prémisse bancale (« Monsieur x est une canaille », disons) ne naîtra jamais une conclusion vraie.

Bref. Comme si la destruction d'un individu jusqu’à la racine de son être – dans le pire ou l'extrême des cas – ne pouvait souffrir d’attendre quelques semaines ou quelques mois de plus. En clair, cette volonté effrénée et arbitraire d’anéantir jusqu’à la mémoire d’un homme – je dirais même volonté sauvage : condamnation sans « procès » équitable, ne fût-ce que par l’examen rigoureux desdits « faits » – est parfaitement indigne d’une société civilisée.

Aussi n’est-ce pas sans un désarroi certain, ajouterais-je en corollaire, que je lus sous la plume étonnamment arrogante du tout nouveau directeur du Devoir (M. Brian Myles, in édition du 18 courant) que les contradicteurs d’un tel acte de « sauvagerie » ne seraient en l’occurrence, et je cite, que des « pleureurs exaltés ». Fiou. Voilà qui nous rapproche de David Desjardins plus que d’André Laurendeau. Disons.

Heureusement, et comme en contrepartie, madame Odile Tremblay – le même jour, pour faire bonne mesure, et surtout, dirais-je, pour préserver l’honneurdu quotidien du grand Bourassa (Henri) – nous offrit, bien que sans  complaisance, une brève « analyse » de l’Événement autrement plus sage. Et réfléchie.

Coda -. Si la pédophilie est punissable, et fermement, parce que inexcusable, le lynchage symbolique d’un citoyen (aux effets dévastateurs immédiats, permanents et irréversibles) est une monstruosité qui nous réduit – qui nous réduit tous – à l’état de barbares.
Sur ce, mes amitiés à Yves Michaud.

Pour contacter l’auteur : LePeregrin@yahoo.ca

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