Biographie de George Sand (La Grande Encyclopédie)

René Samuel
Article publié dans une encyclopédie française réputée de la fin du XIXe siècle.
Femme de lettres française née à Paris (rue Meslay) le 1er juillet 1804, morte à Nohant le 7 juin 1876.

George Sand descendait d'Auguste II, électeur de Saxe et roi de Pologne, par le fameux Maurice de Saxe. Maurice compta, parmi ses nombreuses maîtresses, une cantatrice, Marie Rinteau,` qui portait au théâtre le pseudonyme mieux sonnant de Mlle de Verrières; il eut d'elle Marie-Aurore de Saxe, dont le fils, Maurice Dupin, fut le père d'Aurore. Celle-ci fut élevée à Nohant chez sa grand-mère. Dès son enfance, elle court en toute liberté les champs et les bois, s'éprend de la vie rustique et en reçoit d'ineffaçables impressions qu'elle devait traduire plus tard en descriptions admirables de la nature berrichonne. Son éducation était fort négligée : elle lisait énormément, mais ces lectures étaient sans cesse interrompues par les expéditions les plus folles avec les gamins du village. A cette école, Aurore devint tellement indisciplinable que sa grand-mère dut la mettre en 1817 au couvent des Anglaises de Paris, où elle resta jusqu'en 1820. Brusquement transportée dans un milieu calme et reposant, soumise à une discipline douce et ferme, elle recueillit, physiquement et moralement, toutes sortes d'avantages de ce nouveau régime. Mais ses tendances latentes au mysticisme se développèrent et s'exagérèrent au point d'inquiéter fortement la vieille Mme Dupin qui n'était rien moins que religieuse. Aurore, ramenée à Nohant, apprit à monter à chevalet se livra à des courses furieuses. Dans un appétit insatiable de lecture, elle dévora le Génie du christianisme de Chateaubriand, qui eut sur elle une influence marquée, puis, pêle-mêle, tous les philosophes, Locke, Condillac, Montesquieu, Bacon, Aristote, Leibniz, Pascal, La Bruyère, Montaigne; puis les grands poètes Pope, Milton, Dante, Virgile, Shakespeare et enfin Rousseau qui la passionna plus que tous les autres.

Un vieux précepteur, Deschartres, qui avait élevé son père et qui était resté. dans la famille, essayait moins de la guider dans ces lectures que de lui infuser le scepticisme voltairien. II la traitait d'ailleurs comme un jeune homme et l'emmenait, travestie en garçon, en d'interminables parties de chasse. Il n'en fallait pas tant pour scandaliser la province. Avec son caractère libre et primesautier, Aurore se moquait du qu'en dira-t-on. Elle alla jusqu'à afficher son amitié pour un jeune voisin de campagne, Stéphane Ajassou de Grandsaigne, qui lui apprit la zoologie, l'anatomie et la physiologie. Aussi fut-elle mise au ban de la bonne société de La Châtre. Comme elle n'avait rien à se reprocher, elle ressentit vivement cette injustice, et, jugeant à leur valeur les soi-disant principes qui gouvernent les rapports sociaux, elle perdit du coup toute foi religieuse et se jeta dans le plus noir, pessimisme. Là-dessus, sa bonne grand-mère mourut (1821), lui laissant Nohant et tous ses biens. Sa mère, une petite grisette vive, pétulante, coquette, sans beaucoup de cour. emmena Aurore à Paris, et, comme il y avait entre les deux femmes des différences irréductibles de goûts, d'habitudes, d'éducation, la jeune fille fut très malheureuse. Tout lui parut bon pour échapper aux rancoeurs d'une telle existence; elle séjourna plusieurs mois chez des amis, au Plessis-Picard, près de Melun; elle y connut Casimir Dudevant, fils naturel du baron Dudevant, colonel en retraite, et elle l'épousa le 10 septembre 1822.

Dudevant était nul, grossier, despote. Pendant deux ans, il sut assez dissimuler ses défauts pour que le mariage fût relativement heureux. Aurore eut, le 30 juin 1823, un fils, Maurice, qu'elle nourrit elle-même et qu'elle adora. Malheureusement, chez Dudevant, le naturel reprit le dessus. Un beau jour il s'emporta, à propos d'une futilité, jusqu'à donner devant plusieurs personnes un grand soufflet à sa femme. Celle-ci se détacha de lui et, par contraste, se réfugia dans les joies délicates et quintessenciées d'un amour platonique. Celle qui n'est pas encore George Sand avait rencontré, au cours d'un voyage dans les Pyrénées (1825), Aurélien de Sèze, avocat de talent, petit-fils du défenseur de Louis XVI. Les deux jeunes gens s'aimèrent respectueusement, se le dirent, échangèrent une correspondance tendre. Cependant Aurore n'avait pas rompu tout à fait avec son mari. Elle eut, en 1828, un second enfant, Solange, dont la naissance consterna de Sèze qui s'achemina tout doucement à une rupture. Dudevant, suivant toujours sa, pente, en était venu, de son côté, à un cynisme de conduite révoltante, séduisant les femmes de chambre, leur faisant des enfants. Accablée par tant de désillusions et d'ennuis, Aurore essaya vainement d'occuper sa vie en soignant les paysans malades, en griffonnant quelques essais littéraires, en dessinant, en peignant des boîtes, des éventails, des tabatières. Elle traversa une crise affreuse de désespoir. « Je ne mérite plus l'amitié de personne, écrit-elle; comme l'animal blessé qui meurt dans un coin, je ne saurais chercher d'adoucissement. » Et elle fut frappée de congestion cérébrale (1830). Une fois guérie, ne pouvant plus supporter la vie commune, elle quitta Nohant (4 janvier 1831) et s'installa à Paris.

Presque aussitôt elle se lie avec son compatriote Jules Sandeau et d'autres jeunes gens « hugolâtres » Félix Pyat, de Latouche, Ch. Duvernet, Alph. Fleury. Avec une espèce de frénésie, elle mène la vie d'étudiant, court Paris la nuit, habillée en homme. Puis elle se met à écrire « pour se créer des ressources ». Latouche la pousse au Figaro elle collabore à la Revue de Paris, à la Mode. Chose singulière, elle entretient une correspondance presque cordiale avec son mari, lui conte ses affaires, les difficultés de ses débuts, les détails de son installation... et en même temps elle devient la maîtresse de Sandeau. Elle considère qu'«il est bien juste que cette grande liberté dont jouit mon mari soit réciproque; sans cela, il me deviendrait odieux et méprisable; c'est ce qu'il ne veut point être. Je suis donc entièrement indépendante ». Elle écrit en commun avec Sandeau sous la signature « J. Sand ». Mais son génie dépasse le talent de son collaborateur, et seule elle donne bientôt Indiana (1832), Valentine, et toutes ces oeuvres hardies et brillantes qui mettent en relief le pseudonyme de « George Sand ». Le ménage irrégulier n'était d'ailleurs pas plus heureux que le régulier. En 1833, Aurore se détourne avec dédain de Sandeau qui l'a trompée avec une blanchisseuse. « J'ai été trop profondément blessée des découvertes que j'ai faites sur sa conduite pour lui conserver aucun autre sentiment qu'une compassion affectueuse. » Elle se lance à corps perdu dans le saint-simonisme et met en pratique les théories fameuses de « l'égalité des deux sexes devant les droits de la nature ». George Sand se lie avec Marie Dorval et connaît les pires dessous du cabotinage. Elle se donne à Mérimée sans trop savoir pourquoi, et à quelques jours de là écrit à Sainte-Beuve : « L'expérience manqua complètement, je pleurai de souffrance, de dégoût, de découragement. Au lien de trouver une affection capable de me plaindre et de me dédommager, je ne trouvai qu'une raillerie amère et frivole. » Dans ce désarroi moral, elle pense au suicide. Puis, se ressaisissant, elle écrit, par esprit de représailles, sur les droits de la femme et la dépravation des hommes des pages virulentes (Lélia, 1833, 2 vol. in-8), qui suscitent dans toute l'Europe, surtout en Allemagne, un grand mouvement de curiosité et d'enthousiasme, et à Paris soulèvent des polémiques acerbes où se distingue Capo de Feuillide que Gustave Planche provoque en duel. Cette crise de dégoût se résout d'elle-même dans l'excès de sa violence. Et l'année ne s'était pas écoulée que George Sand se rétractait en ces termes : « Je crois que j'ai blasphémé la nature et Dieu peut-être dans Lelia; Dieu, qui n'est pas méchant et qui n'a que faire de se venger de nous, m'a fermé la bouche en me rendant la jeunesse du coeur et en me forçant d'avouer qu'il a mis en nous des joies sublimes. » Elle venait de rencontrer Alfred de Musset à un dîner offert par Buloz aux collaborateurs de la Revue des Deux Mondes et s'était éprise du poète. George Sand était alors fort attrayante : petite, svelte, vive et souple, elle avait une luxuriante chevelure noire flottant sur les épaules, le teint mat, presque olivâtre, le front bombé, intelligent; ses yeux noirs et veloutés, étrangement grands et profonds, avaient une séduction irrésistible. Le 25 août 1833, elle annonce nettement à Sainte-Beuve, ce confident si compréhensif de ses heures troublées, qu'elle est devenue la maîtresse de Musset et qu'il peut « en publier la nouvelle, car elle est dorénavant obligée de mettre sa vie au grand jour ». Après une période d'harmonie parfaite, l'installation dans un gai petit logement du quai Malaquais, des excursions prolongées dans la forêt de Fontainebleau, les deux amants entreprirent (décembre 1833); le célèbre voyage en Italie; dont nous avons dit ailleurs les incidents (Musset). Musset, atteint de delirium tremens, soigné et sauvé par Pagello, rentra en France. George Sand crut se reposer des effroyables alternatives d'une passion désordonnée dans l'amour robuste, honnête, confiant et un peu naïf de Pagello, mais elle ne tarda pas à regretter Musset. Elle revint à Paris, accompagnée du docteur italien, revit le poète, et les trois acteurs de cette tragi-comédie comprenant la singularité de leur situation respective, George Sand s'enfuit à Nohant, Musset à Bade, et Pagello rentra dans l'obscurité. Il y eut un renouveau de liaison au commencement d'octobre 1834, terminé au bout d'un mois de querelles, de souffrances et d'extravagances par une nouvelle rupture; puis encore une reprise en janvier 1835, et une rupture définitive en mars. Brisée, George Sand écouta les conseils de Sainte-Beuve qui la poussait à la philosophie, et ceux plus accessibles de Michel de Bourges qui l'engagea à « chercher la satisfaction de toutes les forces de son être dans la compassion envers le prochain et en se mettant au service de l'humanité.» Elle connut Guéroult et tous les saint-simoniens; se lia avec Liszt, avec Lamennais.

La séparation amiable avec Dudevant avait jusque-là marché sans encombre. Mais il y eut entre les deux époux de nouvelles scènes dont la violence dépassa la gravité des anciens griefs. Le 30 octobre 1835, George Sand porta plainte contre son mari devant le tribunal de La Châtre « pour injures graves, sévices, mauvais traitements » elle demandait, et elle obtint la séparation de corps. Le procès, à travers toutes sortes, d'incidents pénibles, traîna jusqu'en 1838; lors des règlements de compte, Dudevant se montra d'une âpreté révoltante, réclamant jusqu'à « quinze pots de confitures et un poêle en fer de la valeur de un franc cinquante centimes ». Dans l'intervalle, George Sand avait encore dû se séparer de Michel de Bourges, qui était libéral en politique et tyrannique en amour. « J'ai des grands hommes plein le dos, écrit-elle alors avec énergie, je voudrais les voir tous dans Plutarque ! » Elle voyage en Suisse, où elle rejoignit Liszt et Mme d'Agoult et, après un court séjour à Nohant, elle s'établit, à Paris, à l'Hôtel de France, rue Laffitte, où elle eut un salon fréquenté par les plus illustres personnalités du temps : Liszt et Mme d'Agoult, Lamennais, Ballanche, Barchou de Penhoen, Heine, Mickiewicz, Michel, de Ronchaud, Ch. Didier, Eug. Pelletan, Mallefille, Bocage, Nourrit, Mme Allart, Victor Schoelcher, etc. En 1836, George Sand fait la connaissance de Chopin et se lie intimement avec lui, ce qui la brouille avec la jalouse Mme d'Agoult. Elle retourne à Nohant qui devient un centre de réunions philosophiques et littéraires, coupées de promenades à pied et à cheval, de musique, de représentations théâtrales. Ces délicats plaisirs sont traversés par les inquiétudes, les larmes, la mort de la mère de George Sand, l'enlèvement de Solange, qu'il fallut réclamer à son père manu militari (1837). Une excursion dans les Pyrénées précède une nouvelle retraite à Nohant, où vient Balzac en 1838. Une lettre du grand romancier (2 mars) nous ouvre les vues les plus curieuses sur l'état d'âme de son amie qui venait d'éprouver d'autres déceptions dans une liaison de six mois avec Mallefille. « J'ai trouvé le camarade George Sand dans sa robe de chambre, fumant un cigare après le dîner, au coin de son feu, dans une immense chambre solitaire. Elle avait de jolies pantoufles jaunes, ornées d'effilés, des bas coquets et un pantalon rouge. Voilà pour le moral. Au physique, elle avait doublé son menton, comme un chanoine. Elle n'a pas un seul cheveu blanc malgré ses effroyables malheurs; son teint bistré n'a pas varié, ses beaux yeux sont tout aussi éclatants; elle a l'air tout aussi bête quand elle pense [...] La voilà dans une profonde retraite, condamnant à la fois le mariage et l'amour, parce que dans l'un et dans l'autre état elle n'a eu que déceptions. Son mâle était rare, voilà tout. Il le sera d'autant plus qu'elle n'est pas aimable, et par conséquent elle ne sera que très difficilement aimée. Elle est garçon, elle est artiste, elle est grande, généreuse, dévouée, chaste; elle a les traits de l'homme, ergo, elle n'est pas femme. » En octobre 1838, George Sand partit avec ses enfants et Chopin pour Majorque où elle passa tout l'hiver. Chopin était déjà très malade, et elle le soigna avec un dévouement qu'elle n'a peut-être pas assez laissé ignorer. C'est au retour de ce voyage qu'elle se fixa à peu près définitivement à Nohant (1839), ne revenant plus à Paris que pour de brefs séjours, pendant lesquels elle ne manqua jamais d'assister au « dîner Magny », où se réunirent les célébrités de l'époque.

Depuis la fin de sa liaison avec Chopin qui se prolongea jusqu'en 1847, elle vécut dans sa campagne, qu'elle aimait tant, d'une vie de famille, très touchante dans sa simplicité. Elle s'occupa passionnément de l'éducation de ses enfants, puis de ses petites-filles, Aurore et Gabrielle, lorsqu'elle eut marié Maurice avec Mlle Calamatta, et Solange avec Clésinger. Elle écrivait toujours infatigablement et consacrait ses loisirs à l'histoire naturelle, à la minéralogie, à la botanique, à la peinture, surtout à ce théâtre de marionnettes de Nohant qui a été tellement décrit par tous nos écrivains qu'il a sa place dans notre histoire littéraire. George Sand accueillait aveccordialité tous les hommes de lettres, les Gautier, les Flaubert, les Dumas; recevait avec bonté les débutants qui venaient lui demander des conseils. Elle avait toujours fait le bien : les paysans berrichons se pressèrent en foule à ses obsèques où Victor Hugo prononça cette oraison funèbre : « Je pleure une morte et salue une immortelle ! »

L'oeuvre.

Dans l'éclatante floraison littéraire de la première moitié du XIXe siècle, George Sand a été, pour le roman, le chef de l'école idéaliste, tandis que Balzac était le chef de l'école réaliste. George Sand, à la vérité, est bien idéaliste dans ce sens que, chez elle, l'imagination dépasse l'observation, et le pensée domine toujours le fait. Elle se dégage déjà du romantisme par la simplicité harmonieuse de la forme, par la fraîcheur (non plus l'outrance) du coloris. Elle s'en dégage surtout par la véritable révolution qu'elle accomplit en introduisant dans le roman, comme héros, les humbles et les paysans. Car tous les héros de roman avaient presque toujours été jusqu'alors des personnages fort aristocratiques, sinon par leur naissance, du moins par leurs idées, par leurs sentiments, par le milieu où ils évoluaient. Pourtant George Sand tient encore par de fortes attaches à Chateaubriand qu'elle avait beaucoup lu. Car elle n'a rien demandé qu'à elle-même et à son histoire. Toutes ses oeuvres principales procèdent d'un fonds commun d'émotions et de douleurs personnelles. Elle a mis dans ses livres sa passion même, sa vie, sa haine, sa vengeance, ses amours, avec la fièvre, avec l'imagination et avec l'éloquence du génie. Enfin elle doit beaucoup à Rousseau, et cette influence sur la développement et sur l'expression de sa pensée n'a pas été des plus heureuses. Indiana (Paris, 1832, 2 vol. in-8), a-t-elle écrit elle-même, c'est « la femme, l'être faible chargé de représenter les passions comprimées, ou, si vous l'aimez mieux, supprimées par les lois; d est l'amour heurtant son front aveugle à tous les obstacles de la civilisation ». C'est aussi l'amère analyse des désillusions éprouvées par l'auteur dans un mariage malheureux. Valentine (1832, 2 vol. in-8) reproduit ce thème du mariage malheureux imposé par les convenances mondaines, et aussi Jacques (1834, 2 vol. in-8) où George Sand dévoile son idéal de l'amour dans l'homme, comme elle avait dévoilé dans Indiana son idéal de l'amour dans la femme; et encore Mauprat (1837, 2 vol. in-8), où elle expose l'action éducatrice de l'amour sur une nature sauvage. Dans Lélia (1833, 2 vol, in-8), il faut chercher une crise d'âme en proie tour à tour au doute et à la foi, à la sensualité la plus vive et au spiritualisme le plus transcendantal. Dans Spiridion (1839, in-8), George Sand semble avoir trouvé sa voie et s'élance à la poursuite de la vérité religieuse et de l'idéal divin, poursuite qui fut d'ailleurs, comme on sait, une des grandes préoccupations de l'époque. Mais voici que, subissant une autre des préoccupations dominantes de ce temps, le socialisme, George Sand dévie de l'idéal purement religieux et écrit : le Compagnon du tour de France (1810, 2 vol. in-8); Horace (1842; 3 vol. in-8); Consuelo (1842-43, 8 vol. in-8); la Comtesse de Rudolstadt (1843-45, 4 vol. in-8); le Meunier d'Angibault (1845-46, 3 vol. in-8) et le Péché de M. Antoine (1847, 2 vol. in-8), où défilent tous les systèmes, y compris la théosophie et le communisme. Elle devait bientôt se dégager de l'influence politico-sociale qui alourdissait son génie. Dès 1846, elle publie une ravissante idylle, la Mare au diable (2 vol. in-8), où elle aborde une nouvelle manière, le roman champêtre, dans laquelle elle écrit encore ces chefs-d'oeuvre : la Petite Fadette (1849, 2 vol. in-8); François le Champi (1850, 2 vol. in-8), véritable création dans la littérature française, car le genre de l'idylle y était ignoré, ou du moins n'avait encore produit que des transpositions, assez fades, d'idylles grecques. Après ses adorables pastorales champêtres, George Sand revint au roman mondain. Mais la vieillesse l'a comme assagie. Sa façon est plus simple. Elle renonce aux déclamations vibrantes contre le mariage, contre les injustices sociales. On dirait une bonne aïeule qui se complaît à raconter de touchantes histoires à ses petits-enfants. Ainsi le Marquis de Villemer (1861, in-12) est le roman banal de la jeune fille pauvre qui inspire de l'amour à un très noble gentilhomme; Valvèdre (1861, in-12), c'est la réhabilitation du mari trompé, qui se montre supérieur au ridicule par la hauteur de son caractère; les Beaux Messieurs de Bois-Doré (1858, 5 vol. in-8), c'est un récit du temps passé, l'évocation souriante d'un XVIIe siècle précieux, galant et généreux. Mais si les vues de l'auteur se sont modifiées, elle demeure jusqu'en ses dernières oeuvres le peintre incomparable de la nature, et son style est aussi clair, aussi souple, aussi harmonieux que dans ses plus célèbres ouvrages. George Sand eut moins de succès à la scène où ses productions les plus connues, et d'ailleurs tirées pour la plupart de ses romans, sont François le Champi (1849), le Mariage de Victorine (1834), le Marquis de Villemer (1864), les Beaux Messieurs de Bois-Doré (1862), etc., comédies aristocratiques d'une forme précieuse et distinguée où reparaissent les thèses de l'égoïsme fondamental de l'homme, du dévouement inné de la femme, de la vertu survivant aux pires chutes, de l'orgueil résistant à l'assaut de toutes les misères.

Il faut ranger George Sand parmi les plus grands écrivains de langue française. Lorsqu'elle mourut, Renan prononça ces paroles caractéristiques : « Quelque chose manquera désormais à notre concert; une corde est brisée dans la lyre du siècle ». Cette appréciation doit être retenue et méditée. Car, par suite d'un de ces reflux fréquents dans l'histoire des lettres, on a semblé pendant longtemps ne plus apprécier à leur juste valeur tant d'oeuvres charmantes et si personnelles. Elles ont eu aux yeux de beaucoup de critiques le tort d'être écrites simplement, dans « ce style courant cher aux bourgeois », remarquait déjà méchamment Baudelaire. Et l'on fait assurément trop de cas de la critique excessive d'un autre grand esprit, Nietzsche : « Froide comme V. Hugo, comme Balzac, comme tous les romantiques dès qu'ils étaient à leur table de travail! Et avec quelle suffisance elle devait être couchée là, cette terrible vache à écrire, qui avait quelque chose d'allemand dans le plus mauvais sens du mot! Comme Rousseau lui-même, son maître, ce qui certainement n'était possible que lorsque le goût français allait à la dérive. »

Dans l'oeuvre de George Sand, nous ferons quatre parts : le roman, le théâtre, les mémoires, souvenirs et correspondances, les écrits littéraires politiques et divers. Nous ne citons pas à nouveau les ouvrages dont nous avons parlé au cours de cet article :

1° Romans. Rose et Blanche ou la Comédienne et la Religieuse (Paris, 1831, 5 vol. in-12), en collab. avec Sandeau; le Secrétaire intime (1834, 2 vol. in-8), recueil de nouvelles publiées dans la Revue des Deux Mondes et la Revue de Paris; André (1835, in-8); Leone Leoni (1835, in-8); Simon (1836,m-8); Contes vénitiens (1838, 2 vol. in-8); l'Uscoque (1839, in-8); Gabriel (1840, in-8); les Sept Cordes de la lyre (1840, in-8); Pauline (1841, in-8); Jeanne (1844, 8 vol. in-8); la Noce de campagne (1846, in-4), qui fait suite à la Mare au diable, mais ne la vaut pas; Isidora (1846, 3 vol. in-8); Tévérino (1846, 2 vol. in-8); Lucrezia Floriani (1847, 2 vol. in-8); le Piccino (1848, 5 vol. in-8); Histoire du véritable Gribouille (1851, in-12), le Château des Désertes (1851, 2 vol. in-8); Metella (1852, in-4); les Mississipiens (1852, in-4); les Maîtres sonneurs 1853, 4 vol. in-8); la Filleule (1853, 4 vol. in-8); Jean Ziska (1853, in-4); la Marquise (1853, in-12); Mont Revêche (1853, 4 vol. in-8); Procope le Grand (1853, in-4); Adriani (1854, 2 vol. in-8), Evenor et Leucippe (1856, 3 vol. in-8); le Diable aux champs (1857, in-12); Daniella (1857, 2 vol. in-12); Légendes rustiques (1858, in-fol.), avec nombreux dessins de Maurice Sand; Narcisse (1859, in-12), l'Homme de neige (1859, 9 vol. in-12); Jean de La Roche (1860, in-12); la Famille de Germandre (1861, in-12); la Ville noire (1861, in-12); Constance Verrier (1860, in-12); Tamaris (1862, in-12); Autour de la table (1862, in-12); Mlle de la Quintinie (1863, in-12); Antonia (1863, in-42); les Dames vertes (1863, in-12); la Confession d'une jeune fille (1865, 2 vol. in-12); Flavie (1866, in-12); le Dernier Amour (1867, in-12); Mlle Merquem (1868, in-12); le Beau Laurence (1870, in-12); Malgré tout (1870, in-42); Pierre qui roule (1870, in-12); Césarine Dietrich (1871, in-12); Francia (1872, in-12); Marion (1872, in-22); Contes d'une grand-mère (1873, in-12 et 1876, in-12); Ma soeur Jeanne (1874, in-12); les Deux Frères (1875, in-12); Flamarande (1875, in-12); la Coupe (1876, in-12); la Tour de Percemont. Marianne (1876, in-12).

2° Théâtre. Cosima (drame, 6 actes, 1840); Claudie (drame, 3 actes, 1851); Molière (drame, 4 actes, 1851; les Vacances de Pandolphe (comédie, 3 actes, 1852; le Démon du foyer (comédie, 2 actes, 1852); le Pressoir (drame, 3 actes, 1853); Flaminio (comédie, 3 actes, 1854); Maître Favilla (drame, 3 actes, 1855); Françoise (comédie, 4 actes, 1856); Lucie (comédie, 1 acte, 1856); Comme il vous plaira (comédie, 3 actes, 1856), tirée de Shakespeare; Marguerite de Saint-Gemme (comédie, 3 actes, 1859); le Pavé (comédie, 1 acte, 1862); le Drac (drame fantastique, 3 actes, 1864), en collaboration avec Paul Maurice; le Lis du Japon (comédie, 1 acte, 1864); le Don Juan de village (comédie, 3 actes, 1860), en collaboration avec Maurice Sand; Cadio (drame, 1868), en collaboration avec Paul Meurice, publié aussi la même année sous forme de roman; l'Autre (comédie, 4 actes, 1870), leThéâtre de de Nohant (1864, in-12).

3° Mémoires, souvenirs, correspondances. Lettres d'un voyageur (1837, 2 vol. in-8); un Hiver à Majorque (1812, 2 vol. in-8); Histoire de ma vie (1854-55, 20 vol. in-8);cette autobiographie, fort intéressante, et qui eut un grand succès de curiosité parce qu'on y pensait trouver des anecdotes piquantes, est moins l'histoire de la vie de George Sand que l'histoire du développement de ses idées. Elle et Lui (1859, in 12), version de la rupture avec Musset, qui fait partie de cette singulière collection où figurent le Lui et Elle de Paul de Musset, la Confession d'un enfant du siècle d'Alfred, les récriminations de Louise Colet, les révélations de Pagello, etc., et qui fait que l'on ne peut plus rien ignorer des incidents de cette union malheureuse. - Laure, Voyages et Impressions (1869, in-12); Journal d'un voyageur pendant la guerre (1872, in-12); Impressions et Souvenirs (1873, in-12); Nouvelles Lettres d'un voyageur (1877, in-12); Souvenirs de 1848 (1880, in-12); Correspondance (1882-86,6 vol. in-12); Lettres familières, publ. par Ed. Montagne dans la Revue encyclopédique (1893); Lettres à A. de Musset et à Sainte-Beuve, publ. par S. Rocheblave (1897, in-12).

4° Écrits littéraires, politiques et divers. Lettres au peuple (1848, 2 vol. in-8); la Cause du peuple (1848, m-8); la Guerre (1859, in-8); Garibaldi (1859, in-8); Souvenirs et Impressions littéraires (1862, in-12); Promenade autour d'un village (1860, in-12) Pourquoi les femmes à l'Académie? (1863, in-8); Dernières Pages (1877, in-12); Questions d'art et de littérature (1878, in-12); Questions politiques et sociales (1879, in-12).

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