Gestion administrative et comptable des biens publics

Groupe Réflexion Québec
Même si tous ne s'entendent pas sur les correctifs à apporter afin d'assainir les finances publiques, un consensus émerge quant à la nécessité d'inscrire la gestion des fonds publics à l'intérieur d'un encadrement strict.

Face aux demandes de toute nature qui assaillent constamment les milieux politiques, il devient urgent de fournir aux personnes qui exercent le pouvoir de bonnes raisons de dire « non », tout en les aidant à inscrire leurs « choix » à l'intérieur d'une démarche rationnelle et institutionnalisée à laquelle ils ne pourront échapper.

Les grands principes comptables et administratifs étant établis et connus, les décideurs n'auront d'autre choix que de s'y conformer. Oui, l'adoption d'une telle charte a pour effet de limiter le pouvoir discrétionnaire des élus. C'est même précisément le but visé.

L'état d'urgence dans lequel nous vivons actuellement justifie amplement le recours à des moyens aussi rigoureux. L'alternative est la suivante : ou nous limitons nous-mêmes la marge de manoeuvre de nos élus, ou les marchés financiers le feront à notre place, à leurs conditions et selon leurs intérêts.
Membres du comité :
Frédéric Trépanier, maire de St-Marc-sur-le-Richelieu, préfet de M.R.C.
André Morissette, baccalauréat en commerce, investisseur
André Harel, F.C.A., conseiller en administration
Raymond Marier, urbaniste, maîtrise en aménagement et études supérieures en tourisme
Yvon Cyrenne, comptable agréé
Jean-Luc Benoît, étudiant

Au plan financier, le Canada et le Québec se dirigent vers une véritable situation de crise si rien n’est fait rapidement pour redresser la situation:
— La dette des administrations publiques au Canada atteindra bientôt 500 milliards $.
— Seuls le Canada et l’Italie n’ont pas encore réussi à limiter leurs déficits budgétaires en deçà de 2 % de leur PIB.
— Le Canada est le pays industrialisé dont la dette extérieure est la plus élevée (47%); le deuxième pays est l’Italie (12%).
— Le ratio dette publique/PIB était d’environ 10% au début des années 80 au Canada; le même ratio représente maintenant près de 50% du PIB.
— Mise à part la France, parmi les pays du G7, c’est au Canada que l’emploi dans l’administration publique représente la plus forte proportion de l’emploi total.
— Parmi les pays du G7, c’est au Canada que l’emploi dans l’administration publique a le plus augmenté au cours des 25 dernières années.
— Le Québec est la troisième province canadienne la plus endettée avec un ratio dette/PIB de 33%; Terre-Neuve ne nous devance à ce chapitre que de 3/10 de 1%.
— En 1970, 4,7% des revenus budgétaires du Québec étaient consacrés aux paiements d’intérêts, nous en sommes rendus à 17,3% et les déficits ne cessent d’augmenter.
— Les deux tiers de l’augmentation des revenus au Québec réalisés pendant les années 80 ont été absorbés par la fiscalité, alors que dans les autres pays du G7 la ponction fiscale est restée stable.

Si on veut éviter une situation qui serait désastreuse pour le Québec, il faudra procéder immédiatement à l’amélioration de nos finances publiques pendant qu’il en est encore temps, et ce, selon un échéancier précis enchâssé dans un projet de loi ou une charte visant la gestion des finances et biens publics.

Sinon, les Canadiens et les Québécois devront se satisfaire des promesses vides qui ne sont jamais respectées de la part de nos politiciens, à savoir que le déficit disparaîtra d’ici 4 à 5 ans comme nous l’avons entendu en 1984, en 1988 et cette année. Si nous laissons aller les politiciens à ce rythme-là, nous, les citoyens, n’aurons qu’à attendre patiemment que le marché financier international et/ou le Fonds Monétaire International viennent nous dicter quels programmes ou dépenses devront être éliminés afin d’assainir notre situation financière.

1. Cibler et limiter l’intervention de l’État
Les paramètres et les balises proposés pour encadrer l’action des personnes responsables de la gestion des biens publics (1) reflètent un choix fondamental: l’État a essentiellement pour rôle de mettre en place des conditions propices au développement économique, social et culturel ainsi que des infrastructures et des services requis par la population en fonction des besoins de cette dernière et de sa capacité de payer.

L’État doit fonder son action sur une vision à moyen et à long terme de son rôle afin de «prioriser» les champs d’action auxquels il consacrera ses ressources. Ce faisant, à l’intérieur de la mission qui lui est dévolue, l’État identifie les secteurs d’activités à l’intérieur desquels il confie à ses partenaires le soin de combler les besoins, selon les règles du marché ou en fonction des balises qu’il aura lui-même établies dans les cas où son rôle de planificateur ou de régulateur doit se faire sentir. Cette dernière possibilité se limitant à un faible nombre d’activités.

Il ne nous appartient pas dans cette section du présent document consacrée à la gestion administrative et comptable des biens publics de décrire en détail le rôle de l’État dans notre société. Une évidence cependant s’impose: l’État producteur n’a plus de raison d’être, si tant est que ce fut jamais le cas.

En conséquence, l’État doit cibler avec précision ses champs d’intervention et faire appel, à chaque fois que cela est rentable au faire-faire afin de mettre à profit l’expertise de l’entreprise privée et d’établir des points de comparaison pour mieux évaluer ses propres performances.

2. Les principes directeurs de la gestion des biens publics et certaines de leurs applications
Les divers éléments qui composent la Charte de gestion administrative et comptable des biens publics reposent sur trois principes directeurs:

2.1 Gérer avec prudence et diligence
Les biens publics appartiennent à l’ensemble de la communauté. En conséquence, les personnes qui acceptent la responsabilité de les gérer ont pour devoir de s’assurer que leur gestion se fait dans les meilleures conditions possibles, tant au plan des coûts, de l’efficacité des démarches engagées que de la mise en place de conditions assurant une situation financière saine à moyen et à long terme.
Les personnes mandatées par l’État ont également pour mission de s’assurer de la concordance entre les priorités établies et l’allocation la plus efficace possible des ressources disponibles.
Enfin, l’État doit faire en sorte que son intervention facilite le travail de ses partenaires en allégeant dans toute la mesure du possible les procédures administratives.
Pour ce faire, et sans que la liste qui suit soit exhaustive, il nous apparaît que l’État doit prioritairement:

2.1.1 Réduire le volume et le nombre des règlements
L’État doit s’engager dans une vaste opération de réduction et de simplification de la législation et de la réglementation, tant au plan du nombre de règlements qu’à celui de leur volume et de leur complexité.

Le citoyen, individu ou corporation, ne peut ignorer la loi. Soit. Encore faut-il que la loi soit compréhensible pour le commun des mortels et que le fait de s’y conformer ne place pas de facto le citoyen dans une situation inextricable ou encore ne lui impose un fardeau tel qu’il ne pourra s’en sortir. La contrebande de certains produits et le travail au noir qui sévissent actuellement chez nous illustrent très bien le résultat qu’obtient l’État lorsqu’il légifère ou réglemente de façon déraisonnable.
L’abondance de règlements provient souvent du fait que l’État a choisi progressivement de légiférer au moyen de lois dites «cadres», reléguant par le fait au processus réglementaire la substance même de la législation. Cet exercice a eu pour effet de multiplier de façon déraisonnable le nombre et l’importance des règlements au détriment du citoyen qui est littéralement enseveli sous une avalanche de textes réglementaires dont la complexité dépasse l’entendement.

Nous croyons, au contraire, qu’il faut limiter dans la loi elle-même les applications et les exceptions dont le nombre doit être aussi restreint que possible. De plus, toute loi devrait prévoir les impacts budgétaires qui découleront de son application.

Les experts qui ont étudié la question affirment qu’il y a moyen de réduire sensiblement tant le nombre que le volume de règlements actuellement en vigueur au profit de tous.

2.1.2 Promouvoir le faire-faire et la concurrence
L’État a eu tendance au fil des années de vaches grasses à gonfler ses effectifs et à faire effectuer par ses propres employés l’ensemble des tâches requises pour rendre tous les services dont il a décidé de s’occuper.

Cette pratique a eu pour résultat de faire disparaître toute possibilité de comparaison entre la performance du secteur public et celle de l’entreprise privée, conférant ainsi aux employés un monopole d’office dans des secteurs entiers d’activité.

Si le monopole sert rarement les intérêts de la population dans le secteur privé, il en va de même dans le secteur public, pour les mêmes raisons. Aussi, l’État devrait-il favoriser la concurrence entre ses propres employés et services et ceux offerts par le secteur privé, dans le but d’accroître ses performances et de diminuer ses coûts.

2.1.3 Promouvoir l’amélioration continue de la qualité
Nous vivons à une époque où l’amélioration de la qualité devient une condition essentielle de survie des entreprises.

Au-delà des discours de circonstance auxquels le public a droit régulièrement, il n’existe aucune raison de tolérer l’absence d’un processus identique dans le secteur public et de résultats palpables à ce chapitre.

L’administration publique doit faire siennes les préoccupations de qualité et passer à l’action de façon concrète sans délai. L’évaluation des gestionnaires doit permettre de prendre en compte les résultats obtenus dans ce domaine.

2.1.4 Interdire tout budget déficitaire de fonctionnement
Le début des problèmes financiers insolubles des sociétés se situe précisément au moment où il devient nécessaire d’emprunter pour défrayer les coûts des opérations courantes. C’est le symptôme évident d’une société qui vit au-dessus de ses moyens. Léguer aux générations futures le paiement des factures de services déjà consommés dénote une irresponsabilité inacceptable.

En conséquence, la loi devrait interdire tout déficit au solde des opérations courantes, sauf dans certains cas d’exception (une catastrophe écologique, par exemple).

Dans les cas où un déficit d’opérations courantes se creuserait en cours d’année, le gouvernement devrait être tenu de présenter un budget supplémentaire incluant une taxe temporaire suffisante pour corriger la situation à l’intérieur de l’exercice financier.

2.1.5 Favoriser au maximum les diminutions de dépenses
En se limitant à la mission dévolue à l’État, les efforts combinés de compression des dépenses et de rationalisation des opérations dans le secteur public devraient entraîner logiquement une diminution des coûts. En conséquence, nous devrions assister éventuellement à une diminution des besoins financiers des gouvernements et non à une augmentation de ces besoins, à tout le moins pour leurs opérations courantes.

Il y a donc lieu de fixer une limite stricte aux besoins financiers de l’État pour ses opérations courantes, tout en rappelant avec insistance que c’est à une diminution des coûts que les citoyens s’attendent.

Si, une fois que toutes les mesures suggérées dans ce document aient été appliquées, des augmentations éventuelles des budgets de fonctionnement devaient intervenir, elles devraient être fonction du taux d’inflation et de l’augmentation réelle de la richesse collective, ainsi que de l'évolution démographique.

La formule qui suit pourrait alors être appliquée: toute augmentation de taxes devrait être accompagnée d’une diminution des dépenses équivalente au double de la valeur de l’augmentation exigée (revenus + 1 $ = dépenses - 2 $) et ce, jusqu’à l’obtention d’un budget équilibré. Au-delà du seuil d’équilibre, une augmentation de taxes devrait être accompagnée d’une diminution équivalente de dépenses (revenus + 1 $ = dépenses - 1 $).

2.1.6 Approuver les budgets et les emprunts des sociétés paragouvernementales
Puisque l’État se porte généralement garant des obligations financières des sociétés et organismes paragouvernementaux, il est normal que ces sociétés soient soumises aux mêmes rigueurs que l’État et que leurs activités entrent strictement à l’intérieur de la mission de l’État.

2.1.7 Limiter les chevauchements
Puisque le payeur de taxes est toujours le même quel que soit le niveau de gouvernement qui dépense son argent, le citoyen est en droit d’exiger que tout chevauchement de juridiction soit soigneusement éliminé.

Le palier de gouvernement en mesure de rendre un service de la façon la plus efficace et au meilleur coût devrait en assumer la responsabilité et disposer des ressources nécessaires pour s’acquitter de cette responsabilité. Le départage doit se faire en fonction de la définition de la mission de chaque palier de gouvernement.

Notre système politique facilite les dédoublements de responsabilités et, par le fait même, de factures. Nous n’avons plus les moyens de nous payer un tel luxe.

2.1.8 Tarifer les services
Dans une société aussi endettée que la nôtre et au sein de laquelle il faut rendre un certain nombre de services «publics» à l’intérieur de la mission qui est dévolue à l’État, il y a lieu d’examiner soigneusement l’avenue de la tarification des services.

Il faudrait envisager la possibilité d’imposer l’autofinancement d’une proportion globale des services, par exemple 20 % de l’ensemble des services devraient s’autofinancer. Puisqu’on travaillerait en fonction de l’autofinancement de l’ensemble des activités, il serait possible de percevoir un tarif pour certaines de ces activités, sans pour autant appliquer dans toute sa rigueur le principe de la facturation à l’usage.

Bien sûr, le recours à toute formule de cette nature suppose que l’on tienne compte de l’équité sociale, particulièrement quand il est question des services dits essentiels. Une formule favorisant l’imposition de la valeur d’une partie de ces services (les soins de santé par exemple) pourrait être développée. Les personnes défavorisées économiquement payant moins d’impôts que les mieux nantis, le principe de l’équité sociale serait alors respecté.

2.1.9 Introduire le principe des taxes dédiées
Il y aurait lieu d’implanter, dans une mesure qui reste à circonscrire, un système de taxes dédiées de façon à établir un lien entre les coûts qu’entraînent la mise en place d’équipements et la dispensation de services et l’effort requis pour financer ces opérations.

Ce principe pourrait s’appliquer notamment dans le cas du financement de certaines infrastructures dont les utilisateurs sont plus facilement identifiables (certaines routes par exemple).

2.1.10 Interdire l’imposition des mesures rétroactives
Depuis quelques années, les contribuables vivent une situation que nous jugeons inacceptable. En effet, nos gouvernements imposent des lois ré- troactives et déclaratoires. Cette situation que nous venons de subir, par exemple dans le dernier budget provincial, où des impôts ont été appliqués de façon rétroactive et déclaratoire doit être abolie puisqu’elle est des plus injustes pour les contribuables et les entreprises qui ne peuvent planifier adéquatement la gestion de leurs finances et/ou de leurs opérations.

Ce qui est encore plus inquiétant est le fait que de telles mesures permettent aux gouvernements de devenir «Juge et Partie» vis-à-vis de certaines lois. Dans certains cas, les gouvernements ont décidé d’abolir de façon rétroactive et déclaratoire certaines mesures fiscales auxquelles ces gouvernements ne souscrivent plus. Dans d’autres cas, les fonctionnaires avisent les contribuables et les entreprises que s’ils contestent devant les tribunaux un article de telle ou telle loi, celle-ci sera amendée de façon rétroactive et déclaratoire, ce qui, selon nous, est un abus de pouvoir et met en péril notre système judiciaire.

Nous proposons donc que toute loi qui sera amendée ou modifiée de façon rétroactive et déclaratoire le soit par voie d’un projet de loi distinct qui sera soumis à l’Assemblée Nationale pour approbation.

2.1.11 Interdire les prélèvements dans les caisses des sociétés paragouvernementales
Il devrait être interdit à l’État de prélever des fonds dans les caisses des sociétés paragouvernementales. Le dernier budget du Québec fournit un triste exemple de non-respect des règles du jeu dont une partie importante des citoyens ont été victimes. De tels comportements ne peuvent que miner la confiance de la population dans ses institutions politiques.

Pareil détournement de fonds peut servir de justification à certains citoyens qui en ont assez de contribuer au financement d’un État qui se sert de son pouvoir législatif pour faire main basse sur des fonds qui leur appartiennent, par régie interposée. Devant pareil comportement étatique, il devient de plus en plus difficile de convaincre les citoyens, par exemple, que le travail au noir ou la contrebande de certains produits constituent des gestes antisociaux.

2.1.12 Aligner les conditions du secteur public sur celles du secteur privé
Nous vivons dans un monde où les conditions de travail se resserrent dramatiquement pour l’ensemble des travailleurs. Dans le secteur privé, la sécurité d’emploi est un concept qui a complètement disparu au cours des dernières années. Même de grandes entreprises qui ont servi de modèles de succès sur la scène mondiale éprouvent des difficultés importantes et ont dû remettre en cause le principe de la sécurité d’emploi pour leurs employés. IBM est la dernière en liste de ces grandes entreprises pour lesquelles l’ajustement aux nouvelles conditions du marché passe par une remise en question complète de toutes les approches de fonctionnement.

Aucune raison ne justifie que les employés du secteur public échappent à la réalité. Salaires, avantages sociaux, sécurité d’emploi dans le secteur public doivent être comparables à ce qui prévaut dans le secteur privé. Il s’agit là d’une question de justice à l’endroit de ceux et celles qui payent chèrement les privilèges acquis par les employés du secteur public à des moments où gérer sainement les finances publiques n’avait pas la même signification qu’aujourd’hui.


2.2 Une gestion budgétaire et comptable saine
Aux plans budgétaire et comptable, un certain nombre de pratiques doit être établi afin d’encadrer la gestion des finances de l’État. Ainsi, l’État devrait:

2.2.1 Séparer dépenses d’immobilisations et dépenses de fonctionnement
Gérer dans le respect des administrés suppose que tous ceux et celles qui s’intéressent à la chose publique soient en mesure de s’y retrouver. Or, comment est-il possible de le faire sans un départage clair et net des dépenses d’immobilisations et des dépenses de fonctionnement?

De plus, les principes qui s’appliquent à l’une de ces catégories de dépenses ne s’appliquent pas inéluctablement à l’autre, bien au contraire.

Il faut donc forcer l’administration publique à identifier clairement l’une et l’autre de ces catégories de dépenses.

2.2.2 Présenter un budget de fonctionnement équilibré couvrant un mandat électif complet
Compte tenu des débordements normaux de certaines dépenses de fonctionnement sur plus d’une année budgétaire, il faudrait que l’État prépare des orientations budgétaires qui couvrent la période complète de son mandat, tout en équilibrant les revenus et les dépenses pour chacune des années.

Un tel exercice forcerait les responsables de la gestion des finances publiques à faire preuve de plus de transparence lors de l’exercice budgétaire et les citoyens seraient davantage en mesure de comprendre et d’évaluer les stratégies budgétaires et financières du gouvernement.

2.2.3 Présenter un budget quinquennal d’immobilisations
Les dépenses d’immobilisations portent, par définition même, sur des actions à moyen et à long terme.
Il serait donc tout à fait normal que le gouvernement dépose ses intentions à cet effet pour une période de cinq ans. Ainsi, les citoyens pourraient juger du bien-fondé des stratégies retenues et en déceler en temps utile les éventuelles lacunes.

2.2.4 Déposer un seul budget: recettes et dépenses
Il est étonnant de constater que le gouvernement procède encore en deux étapes au cours de ses opérations budgétaires. Une première opération permet aux citoyens de connaître l’ampleur des crédits qui seront accordés aux différents ministères. Une deuxième opération, quelques semaines plus tard, permet de savoir de quelle façon le gouvernement entend obtenir les fonds nécessaires pour financer ses opérations.

Compte tenu de l’aspect beaucoup plus immédiat pour le citoyen de la deuxième phase du processus — c’est de son argent dont on parle — l’opération de divulgation des crédits passe pratiquement inaperçue alors que c’est précisément à cette étape que le gouvernement engage le présent et l’avenir.
Il y a tout à gagner à regrouper dans le temps les deux phases de cette même opération, comme c’est le cas dans toute organisation.

2.2.5 Émettre un certificat de conformité signé par les responsables
Étant donné la complexité croissante de la préparation des budgets et le degré d’expertise nécessaire pour saisir toutes les subtilités que peut offrir un exercice de cette nature, il serait hautement souhaitable qu’un certificat de conformité soit signé par les principaux responsables des différentes phases du processus.

Ainsi, les sous-ministres du Revenu et des Finances et le secrétaire-général du Conseil du Trésor devraient signer un certificat attestant que le budget a été préparé conformément aux lois et règlements en vigueur, que toutes les dépenses prévisibles ont été prises en compte et que l’estimé des recettes est réaliste.

2.2.6 Produire un plan de rattrapage pour les déficits des caisses de retraite
Plusieurs causes expliquent la détérioration des finances publiques. Certaines de ces causes sont moins évidentes pour le grand public. C’est le cas notamment des déficits actuariels des caisses de retraite des employés de l’État.

Afin de donner l’heure juste à la population, l’État devrait produire un plan de rattrapage concernant les déficits des caisses de retraite de ses employés et être tenu de s’y conformer.

2.2.7 Établir un fonds de réinvestissement pour améliorer la productivité du gouvernement
La faible productivité dans l’ensemble des services gouvernementaux est une des raisons qui expliquent les coûts élevés de l’administration publique.

Pourtant, lorsqu’un employé de l’État met de l’avant un projet dont l’application permettrait d’économiser des fonds publics, il est fréquent qu’on n’arrive pas à dégager le budget nécessaire pour pouvoir implanter ce projet. Ainsi, des possibilités intéressantes d’économies de fonds publics sont laissées de côté à cause d’ impératifs budgétaires à courte vue.

Le manque de formation, la désuétude de certains équipements et certaines dispositions de conventions collectives qui datent d’une époque au cours de laquelle le mot «travail» n’avait pas le même sens qu’aujourd’hui sont à l’origine de cette faible productivité.

L’État devrait donc constituer un fonds de réinvestissement afin d’améliorer la productivité de ses services, selon un plan bien arrêté et connu de ses employés autant que du public.

2.2.8 Instaurer la gestion à base zéro
Quoiqu’on ait pu en dire jusqu’à maintenant et malgré les innombrables modes de gestion qui ont déferlé sur les gouvernements au cours des dernières décennies, la préparation des budgets des corps publics est encore, en trop grande partie, fonction du passé. Quel ministère ne s’efforce pas encore, en pleine période de présumée austérité budgétaire, de dépenser ses fonds de tiroir à la fin d’une année budgétaire, de crainte d’éprouver des difficultés à justifier une partie du prochain budget demandé?

Dans l’État actuel des finances publiques, tous les fonds publics octroyés devraient l’être en fonction d’une justification serrée de chacune des dépenses envisagées.

Toute autorisation de dépenser devrait être octroyée en vertu du besoin réel de rendre tel service et de la capacité de payer de l’État. Toute activité qui ne répondrait pas à ces deux critères devrait être exclue de la liste des services offerts par à l’État.

2.2.9 Financer les immobilisations par des emprunts en partie seulement
Il est normal qu’une bonne partie des projets d’immobilisations soit financée par des emprunts puisque leur mise en place bénéficiera aux générations futures.
Toutefois, de façon à s’assurer un maximum de réalisme dans ce domaine, tout projet d’immobilisations devrait être financé partiellement à même le budget de fonctionnement, par exemple, dans une proportion de 20 %.

2.2.10 Plafonner le service de la dette
Pour cesser d’abandonner aux générations futures le paiement d’une facture écrasante, le service de la dette devrait être plafonné en fonction d’un pourcentage-limite du budget de fonctionnement ou encore de l’assiette fiscale. C’est là une façon pratique d’établir un équilibre entre les moyens financiers dont nous disposons maintenant et l’importance de la facture à payer que nous pouvons décemment laisser à nos enfants.

À titre d’exemple, il est connu que les agences d’évaluation du crédit s’inspirent des ratios suivants dans le cas des municipalités: une dette de 20% de l’assiette fiscale entraîne une éva- luation d’environ «A», une dette de 15% «AA», une dette de 10% «AAA». Bien sûr, d’autres facteurs influencent également la cote décernée.

Compte tenu du niveau très élevé de la dette publique, une période de transition serait nécessaire avant d’atteindre et de respecter le seuil idéal qui serait fixé.

2.2.11 Créer une réserve pour«éventualités»
Nul n’est à l’abri de situations imprévues. Par ailleurs, l’équilibre des finances publiques ne doit pas être mis en péril à chaque fois qu’une situation d’urgence se présente.
C’est pourquoi le gouvernement devrait créer une réserve pour «éventualités» afin de faire face à ces situations de façon organisée et il devrait contribuer annuellement à cette réserve.

2.2.12 Verser les surplus budgétaires dans la réserve pour éventualités et à la réduction du service de
la dette
Puisque le budget de fonctionnement serait obligatoirement équilibré, qu’une taxe
spéciale compenserait immédiatement tout manque à gagner selon les prévisions établies et que toute dépense serait préalablement autorisée en fonction d’une démarche budgétaire à base zéro, il est logique de s’attendre à ce qu’occasionnellement des surplus budgétaires apparaissent.
Le gouvernement devrait obligatoirement verser ces surplus, dans une proportion qui reste à déterminer, à la réduction du service de la dette et dans la réserve pour éventualités.

2.2.13 Produire un audit sur l’état des infrastructures
Tous les trois ans, le gouvernement devrait produire un audit établi par des experts indépendants sur l’état de nos infrastructures et sur les fonds à y investir afin d’en maintenir la valeur économique et l’efficacité. Un plan de rattrapage devrait également être produit.
Ces documents devraient être rendus publics.


2.3 Une gestion transparente
Puisque c’est le citoyen qui paie la facture, la gestion des biens publics doit atteindre la perfection quant à la transparence de toutes les opérations. C’est la seule façon de redonner confiance à la population dans ses élus et dans ses institutions et de ranimer chez les payeurs de taxes un sentiment de solidarité qui a été battu en brèche depuis trop longtemps.
En conséquence l’État doit:

2.3.1 Exiger des études coûts/bénéfices
Dans un contexte où les fonds publics manquent dramatiquement, au moment même où l’État devrait contribuer de tout son poids à mettre en place des conditions propices au développement économique, tout engagement dans un projet important nécessite un éclairage complet et crédible de même qu’une justification hors de tout doute de la décision prise.

C’est pourquoi le gouvernement devrait produire une étude coûts/bénéfices, a priori et a posteriori, dont un des chapitres devrait établir la pertinence du projet dans le cadre de la mission de l’État.

De telles études auraient l’avantage, une fois rendues publiques, de convaincre la population du bien-fondé de la dé- cision prise et ainsi de solidariser les citoyens autour de projets im- portants. De plus, le fait de procéder à de telles études ne pourrait qu’entraîner un effet positif sur la compétitivité de l’État.

2.3.2 Déposer publiquement les documents
Tout audit, rapport comptable et document budgétaire devrait être déposé publiquement afin d’informer la population et de raffermir la confiance des citoyens envers l’administration publique.

2.3.3 S’assurer de l’application du code d’éthique dans la fonction publique
La fonction publique a été souvent prise à partie au cours des dernières années. La motivation et l’engagement du personnel envers les valeurs de rendement et de performance ont été passablement émoussés.

Toute administration vaut ce que vaut son personnel, le secteur public n’échappe pas à cette réalité. Il faut donc redonner aux employés du secteur public, tant aux gestionnaires qu’aux travailleurs de la fonction publique, foi en des valeurs fondamentales sur lesquelles repose le succès. Le code d’éthique déjà en vigueur depuis 1990 doit être respecté.

2.3.4 Instaurer une clause «crépusculaire»
Tous les programmes gouvernementaux devraient être assortis d’une clause «crépusculaire» de cinq ans. Au terme de cette période, le programme serait obligatoirement revu pour être aboli si le besoin qui l’a justifié n’existe plus, ou il serait modifié en fonction de l’évolution de la situation, après avoir été justifié à nouveau sur le plan de la mission de l’État et sur le plan budgétaire.

2.3.5 Tenir des référendums
La population devrait pouvoir exiger la tenue d’un référendum décisionnel sur toute question budgétaire ou fiscale majeure, dans la mesure ou un nombre minimum de signatures serait atteint à cet effet.

2.3.6 Publier périodiquement des états consolidés
L’État devrait être tenu de publier périodiquement (la fréquence reste à établir) le bilan consolidé et l’état des recettes et des dépenses (incluant les sociétés paragouvernementales).

Une vérification annuelle externe des états financiers devrait être obligatoire.

L’État devrait être tenu de respecter les normes reconnues en Amérique du Nord quant à la comptabilisation et à la présentation des données (Government Finance Officers Association et Ordre des comptables agréés).

2.3.7 Exiger des hauts fonctionnaires des comptes annuels
Les hauts fonctionnaires devraient rendre compte annuellement de leur gestion directement aux élus, c’est-à-dire à l’Assemblée nationale ou en Commission parlementaire.
Ces exercices, qui renforceraient l’imputabilité de la haute fonction publique, seraient forcément publics.

2.3.8 Repréciser le mandat du Vérificateur général
Il faudrait confier au Vérificateur général le mandat de s’assurer que les normes et les règlements appliqués dans la gestion des fonds publics par l’État respectent rigoureusement les principes énoncés dans la Charte. Celui-ci pourrait faire des suggestions ou des recommandations appropriées.

Son mandat doit absolument s’étendre à la qualité des décisions administratives, budgétaires et financières prises en cours d’exercice.

Élaborer un plan d’action:
suite au dépôt du rapport du Vérificateur général, le gouvernement devrait être tenu d’élaborer et de déposer un plan d’action afin de redresser les problèmes soulignés ou de rendre publiques, le cas échéant, les explications qui s’imposent s’il décide de passer outre.

Faire le suivi en Commission parlementaire: la Commission parlementaire appropriée devrait faire un suivi bi-annuel des mesures correctives mises en application et rendre public le résultat de ses travaux. Le Vérificateur général devrait par la suite faire un rapport sur le suivi donné par le Gouvernement.



3. Les dérogations

Afin d’assurer la prépondérance du contenu de ce texte d’encadrement financier et budgétaire sur l’ensemble du processus législatif, il y aurait lieu de lui conférer le statut d’une véritable Charte dont les dérogations éventuelles seraient soumises aux conditions les plus strictes.

L’accord d’au moins les deux tiers des membres de l’Assemblée nationale devrait être nécessaire pour déroger à la Charte.

Toute dérogation à cette Charte devra être assortie d’une clause de révision périodique approuvée par l’Assemblée nationale.

Conclusion
Les membres du Comité croient que l’importance du sujet nécessite à lui seul une attention médiatique intense et soutenue. Il est donc souhaité qu’il y ait une véritable campagne de marketing des idées qui furent énoncées dans ce dossier.

A titre d’exemple, on pourrait envisager qu’une ou des instances privées s’associent [exemple: Ordre des C.A. — Ordre des R.I.A. — Chambres de commerce — les médias (télé et radio)] pour diffuser ce message d’intérêt public.

Il va de soi que si cette idée était retenue, une vraie campagne publicitaire devrait être mise sur pied.

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