La pédagogie romantique

Hélène Laberge
Par l'admiration qu'il inspira à l'abbé Charles-François Painchaud, fondateur du Collège de La Pocatière, lequel servi de modèle à d'autres institutions, Chateaubriand aura eu une influence notable sur l'école québécoise.
Le mythe fondateur du Collège de La Pocatière
ou l'origine de la pédagogie romantique au Québec

Lors de votre prochain voyage en Gaspésie, si vous êtes de ceux que l'avenir de nos écoles intéresse, faites un arrêt à Sainte-Anne de La Pocatière et visitez le collège fondé en 1827, où l'on dispense encore l'enseignement secondaire. Ayez soin surtout de faire une promenade dans la montagne voisine, à l'aube ou au crépuscule de préférence. Elle a la particularité de faire partie de la cour de récréation!

Cette cour de récréation, tout comme la pédagogie du collège auquel elle appartient, est le fruit de l'inspiration d'un visionnaire, l'abbé Painchaud, qui avait tout comme Marie de l'Incarnation un sens pratique étonnant.

Le collège de La Pocatière eut pour première vocation l'enseignement pratique et commercial, mais comme il était destiné à devenir un collège classique, c'est dans l'histoire de cet enseignement des humanités qu'il faut le situer. Le collège classique est une institution française qui a été adaptée au Québec. Le premier collège classique a été fondé à Québec, en 1655, par les Pères Jésuites. En 1664, Mgr de Laval pouvait écrire à Rome que les classes d'humanités sont florissantes et que les enfants sont élevés de la même manière qu'en France.

Un texte de Paul-Emile Roy, tiré de la revue Dires, rappelle les racines européennes du cours classique. À la Renaissance, les collèges des Jésuites, qui inspirèrent plus tard l'école républicaine, et qui exerceront une si grande influence sur l'éducation en Occident, enseignent les humanités qui visent avant tout à donner à l'étudiant une formation intellectuelle humaniste.

Montaigne, à la même époque, soutient qu'il faut former le gentilhomme, non l'homme d'aucun métier ni d'aucune époque. La Logique de Port-Royal, livre qui forma de grands savants dont Pascal, reprend la même thèse: On se sert de la raison comme d'un instrument pour acquérir les sciences, et on se devrait servir, au contraire, des sciences comme d'un instrument pour perfectionner sa raison... Les hommes ne sont pas nés pour employer leur temps à mesurer les lignes, à examiner les rapports des angles, à considérer les divers mouvements de la matière. Leur esprit est trop grand, leur vie trop courte, leur temps trop précieux pour l'occuper à de si petits objets; mais ils sont obligés d'être justes, équitables, judicieux dans leurs discours, dans toutes leurs actions.

L'ère romantique
C'est au XIXe siècle que le réseau des collèges classiques s'est constitué au Québec. Si elle a retardé la scolarisation, la conquête n'a pas rompu les liens avec l'Europe. Outre les membres de communautés religieuses, comme celles des Clercs de St-Viateur et des Clercs de Ste-Croix, venus de France à cette époque dans le but de fonder des collèges classiques, certains fondateurs autochtones ont été directement et profondément influencés par les nouveaux mouvements d'idées européens.

On pourrait dire que le collège de Sainte-Anne de La Pocatière a été, dès ses débuts en 1826, un collège romantique, tant a été marquante l'influence qu'exerça Chateaubriand sur son fondateur, l'abbé Painchaud.
    Je dévore vos ouvrages, dont la mélancolie me tue, en faisant néanmoins mes délices; c'est une ivresse. Comment avez-vous pu écrire de pareilles choses sans mourir? Voilà de quoi s'étonnait l'abbé Charles-François Painchaud dans une lettre à Chateaubriand. Et voici ce que lui a répondu l'auteur des Mémoires d'Outre-Tombe, dans le style qui a fait sa gloire: Désormais, Monsieur, les tempêtes politiques ne me jetteraient sur aucun rivage; je ne chercherais pas à leur dérober quelques vieux jours, qui ne vaudraient pas le soin que je prendrais de les mettre à l'abri; à mon âge, il faut mourir pour le tombeau le plus voisin, afin de s'épargner la lassitude d'un long voyage. J'aurais pourtant bien du plaisir à visiter les forêts que j'ai parcourues dans ma jeunesse, et à recevoir votre hospitalité.

Dans cet extrait du manifeste que M. Painchaud écrivit en 1828, peu après la fondation du collège de Ste-Anne, on remarquera l'importance attachée à la santé, à la pureté de l'air et à la beauté du paysage. Ce romantique était un écologiste avant la lettre: «Ceux qui connaissent le local savent qu'on en chercherait en vain un plus salubre. Un coteau sec, élevé, complanté d'arbres toujours verts, auprès d'une jolie montagne, en face de notre beau St-Laurent, tel est ce local favorisé de la nature. »(Mgr WILFRID LEBON, Histoire du collège de Sainte-Anne-De-La-Pocatière, Charrier et Dugal Ltée, Québec, 1948.)

D'autres que l'abbé Painchaud auraient pu rêver aussi d'un collège romantique. Si lui et ses successeurs l'ont construit, s'ils ont pu recueillir les fonds nécessaires à l'aménagement d'une cour de récréation, qui était un grand luxe pour le lieu et l'époque, c'est parce qu'ils ont su, en allant parler aux gens de paroisse en paroisse, leur faire partager leur conception élevée et généreuse de l'éducation.

La discipline
Par comparaison avec celle des écoles d'aujourd'hui, la discipline dans les collèges classiques était rigoureuse, mais il faut se garder des généralisations hâtives en s'attardant plutôt à l'atmosphère que l'abbé Painchaud entendait faire régner dans son collège romantique.

Les élèves ne seront astreints à aucun costume particulier, soumis à aucun châtiment corporel ni à aucune punition humiliante.[...] On tâchera de les former par les sentiments et l'honneur et lorsque cette voie sera reconnue inefficace pour quelqu'un, on le renverra honnêtement à ses parents. Les fautes graves contre les moeurs seront seules un cas d'exclusion perpétuelle.

Tout le climat du collège, dont la discipline n'est qu'un élément, a pour but de favoriser l'éveil de l'intelligence: Tout, jusqu'aux récréations, aux promenades, sera calculé pour les instruire de quelque chose d'utile, à mesure que les occasions s'en présenteront.

Peut-être pourrions-nous trouver là l'inspiration qui nous permettrait de rétablir la discipline dans les écoles sans tomber dans un nouvel excès, comme celui qui consisterait, par exemple, à opposer à un laisser faire débridé une interdiction absolue de fumer!

Pour ce qui est de l'éducation à la santé, l'abbé Painchaud fait preuve d'une largeur de vues et d'un esprit critique admirables. L'art de vivre dont il parle est le parfait apprentissage d'une valeur à laquelle on attache la plus grande importance aujourd'hui: l'autonomie. Dont on parle plus qu'on ne la pratique, surtout dans nos écoles...

Oserons-nous encore annoncer que nous apprendrons à vivre à nos élèves? J'entends l'art si précieux de conserver la santé ou de la recouvrer après l'avoir perdue. Car, à quoi sert tout le reste sans ce baume de la vie, cette âme de l'univers. Primo vivere est l'adage, le principe universel de tout être doué de la faculté de penser. Où en sommes-nous cependant à cet égard? À confier nos vies au premier venu, qui sera médecin au lieu d'être maçon, et dont je ne dis pas seulement l'ignorance, mais une simple négligence ou une méprise peut vous envoyer ad patres, ou au moins détruire votre santé pour toujours (Mgr WILFRID LEBON, op.cit.).

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