La neige

Émile Verhaeren
La neige tombe, indiscontinûment,
Comme une lente et longue et pauvre laine,
Parmi la morne et longue et pauvre plaine,
Froide d’amour, chaude de haine.

La neige tombe infiniment,
Comme un moment,
Monotone, dans un moment,
La neige choit, la neige tombe
Monotone, sur les maisons
Et les granges et leurs cloisons,
La neige tombe et tombe
Myriadaire, au cimetière, au creux des tombes.

Le tablier des mauvaises saisons
Violemment, là-haut, est dénoué,
Le tablier des maux est secoué
Continûment sur les hameaux des horizons.

Le gel descend au fond des os
Et la misère au fond des clos,
La neige de la misère au fond des âmes,
La neige lourde et diaphane
Au fond des âtres froids et des âmes sans flamme,
Qui moisissent dans les cabanes.

Aux carrefours des chemins tors
Les villages sont blancs comme la mort,
Les grands arbres, roides de gel,
Au long de leur cortège par la neige
Entrecroisent des branchages de gel.
Les vieux moulins où la mousse claire s’agrège
Apparaissent comme des pièges
Tout à coup droits sur une butte,
Contre eux l’espace et le vent luttent
Tandis qu’infiniment la neige touffue et pleine
Choit par ta morne et longue et pauvre plaine.

Ainsi la neige au loin
En chaque sente, en chaque coin,
Ainsi la neige mortuaire,
La neige pâle et inféconde,
Déchiquète son énorme suaire
En folles loques vagabondes
Par à travers l’hiver illimité du monde.

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