Histoire du monde gynécocratique

J.-J. Bachofen

Seconde partie de la préface l'ouvrage de J.J.Bachofen intitulé Le droit de la mère. Source Gallica. La première partie de cette préface se trouve à l'intérieur du dossier Matriarcat, auquel le présent document est associé.

Il y a peu de moments aussi heureux, dans la vie d'un chercheur, que celui qui m'a conduit à la découverte du  texte que nous vous présentons ici: la préface à Das Mutterrecht, Le droit de la mère, de J.J. Bachofen. Si un livre mérite d'être appelé fondateur c'est bien celui-ci. Je ne savais pas qu'il avait été traduit, en 1903, par les soins du Groupe français d'études féministes. La préface seulement a été traduite, mais cette préface a, dans tous les sens du terme, la dimension d'un livre. L'érudition de Bachofen était telle qu'il n'estimait pas nécessaire de traduire en allemand les citations en langues anciennes qu'il multipliait dans ses oeuvres. Sa préface est à notre portée et elle résume bien l'ouvrage. Elle jette une inestimable lumière sur l'influence qu'exerça Bachofen sur Nietzsche (Ils enseignèrent tous deux à Bâle) aussi bien que sur Klages, Freud et sur la psychanalyse dans son ensemble. Mais Le droit de la mère est avant tout le livre qui fonda  les études féminines et révéla au monde que l'ére patriarcale n'est pas un fait de nature, mais un fait de culture. On sait grâce à Bachofen qu'elle eut un commencement, somme toute assez récent, et qu'elle pourrait avoir une fin.

Cette préface a été numérisée en 2007 par les soins de Google. On peut trouver une version texte de meilleure qualité sur le site Gallica de la BNF.

Pour faciliter la lecture du la préface, nous divisons en trois. Voici la seconde partie: Histoire du monde gynécocratique. La première partie se trouve au coeur du dossier Matriarcat. On trouvera la troisième partie, Victoire sur patriarcat sur la gynécocratie, dans des documents associés au présent dossiers.

L’un des principaux buts de cette étude et la méthode qui a servi à l’atteindre me semblent suffisamment indiqués. Un second but, non moindre comme importance et difficulté, supérieur même par la variété et la singularité des phénomènes observés, sollicite nos efforts. Mes recherches vont prendre une autre direction. Après le tableau du monde gynécocratique, son histoire. Celui-là nous a révélé le principe de la gynécocratie, celle-ci tâchera d’établir ses rapports avec d’autres phases de civilisation, et en quoi elles lui furent tantôt inférieures, tantôt supérieures, toujours hostiles. Voici une autre face de l’évolution humaine, de grandes transformations précédées de grands ébranlements. Tout revirement dans la situation respective des sexes est accompagné de sanglants événements, car le progrès graduel et paisible est bien plus rare que les bouleversements violents. Par ses abus, chaque principe cause la victoire du principe opposé ; l’excès devient le levier du progrès, le triomphe suprême est le commencement de la défaite. Nulle part ne se manifeste de façon plus frappante le penchant de l’âme humaine à l’exagération et son impuissance à se maintenir à une hauteur surnaturelle ; nulle part aussi l’aptitude du savant à comprendre la sauvage majesté de peuples rudes mais vigoureux, et à s’assimiler des concepts et des moeurs inédits n’a été mise à plus forte épreuve. Si multiples et variées que soient les péripéties de la lutte entre le matriarcat et d’autres organisations sociales, le principe évolutif qui les régit n’est pas moins stable. De même que le patriarcat succède au matriarcat, de même celui-ci a succédé à une époque d’hétaïrisme déréglé. La gynécocratie démétrique prend ainsi une position intermédiaire entre le degré le plus bas et le degré le plus élevé de l’échelle des âges. Au premier elle emprunte le matérialisme maternel, au second les restrictions du mariage ; elle est supérieure au premier par l’ordre qu’elle a introduit dans les fonctions maternelles, elle est inférieure au second par l’importance exclusive qu’elle attache au rôle de la femme dans la procréation. Nous examinerons donc d’abord la transition de l’hétaïrisme à la gynécocratie, ensuite celle de la gynécocratie au patriarcat.

La monogamie semble si indispensable à l’excellence de la nature humaine et de sa vocation supérieure qu’on se figure, en général, qu’elle a toujours existé, et qu’on relègue dans la région des rêves, comme aberration déplorable et spéculation vaine, la supposition d’une promiscuité sexuelle primitive. Nous aimerions certes nous ranger à cette opinion et épargner à notre espèce le souvenir pénible d’une enfance humiliante. Mais le témoignage de l’histoire nous défend d’écouter les insinuations de l’orgueil et de douter que l’acheminement du genre humain vers la continence conjugale n’ait été extrêmement lent. Aux observations des anciens se joignent celles des générations subséquentes, et de nos jours l’étude des peuples inférieurs a étayé la tradition de l’expérience actuelle. Tous les peuples cités dans cet ouvrage et bien d’autres encore nous offrent des traces d’hétaïrisme, et souvent une série de faits importants nous fait assister à sa lutte contre les concepts plus élevés de la gynécocratie. Celle-ci s’est formée, affermie et maintenue partout par la lutte consciente de la femme contre l’hétaïrisme avilissant. Abandonnée sans protection aux excès sexuels de l’homme, fatiguée jusqu’à la mort par ses jouissances — comme le veut une tradition arabe conservée par Strabon — elle éprouve la première le besoin d’une vie régulière, de moeurs plus pures, au joug des quelles son compagnon, dans l’audacieuse conscience de sa supériorité physique, ne se soumet qu’à contre-coeur. Si ces alternatives nous échappaient, nous ne saurions jamais reconnaître toute la portée historique de la loi typique de la gynécocratie, celle de la fidélité conjugale, ni la placer à son vrai rang dans l’évolution des moeurs. La gynécocratie ne se comprend que par l’existence d’états antérieurs plus grossiers, son principe en suppose un autre dont il a triomphé. Ainsi son authenticité devient une garantie de celle de l’hétaïrisme. La preuve culminante de cette vérité réside dans l’enchaînement des phénomènes divers par lesquels se manifeste le principe anti-démétrique. Leur examen approfondi découvre partout un système gravitant autour d’une idée fondamentale et basé sur des conceptions religieuses qu’il est impossible de supposer fortuites, isolées ou localisées. Nous sommes forcés d’admettre que la nécessité, la primordialité du mariage ne sont qu’un préjugé diamétralement opposé à la réalité. Le principe démétrique se manifeste au préjudice d’un principe contraire, et l’union conjugale même apparaît d’abord comme la violation d’une loi religieuse. Cet état de choses, si incompréhensible qu’il soit à notre conscience moderne, a pour lui le témoignage de l’histoire et peut seul éclaircir d’une façon satisfaisante une quantité de faits très curieux insuffisamment expliqués jusqu’ici : tel l’idée que le mariage nécessite une expiation à l’égard de la divinité dont il viole la loi par son exclusivisme. Ce n’est pas pour les flétrir entre les bras d’un seul que la nature a orné la femme de tant de charmes. La loi de la matière hait la contrainte, rejette toute restriction et la considère comme une offense envers la divinité. Ainsi s’expliquent certaines coutumes où le mariage coexiste avec des pratiques hétaïriques ; opposées en apparence, elles relèvent de la même pensée, savoir que la monogamie doit expier par une période d’hétaïrisme son infraction aux lois de la matière et reconquérir ainsi la bienveillance divine.

Ces deux termes d’aspect incompatible, hétaïrisme et pureté conjugale, arrivent donc à se concilier : le premier devient même une garantie du second dont l’observation exige l’accomplissement préalable du devoir naturel de la femme. Un progrès obligé de lutter contre un système soutenu par la religion ne pouvait être, évidemment, que lent et intermittent ; aussi est-ce d’un pas très modéré que le principe démétrique marche à la victoire. Le sacrifice expiatoire de la femme est réduit, au cours des temps, à une mesure de plus en plus restreinte, à un accomplissement de plus en plus facile. Cette gradation mérite l’attention. Le sacrifice annuel fait place à un sacrifice unique, la prostitution des matrones à celle des jeunes filles ; les pratiques hétaïriques précèdent le mariage au lieu de l’accompagner; à l’abandon au premier voeu succède le choix des personnes. L’institution d’une caste spéciale d’hiérodules a grandement contribué au perfectionnement des moeurs, en infligeant à quelques femmes l’expiation des crimes d’une génération entière et déchargeant les matrones de l’abandon obligatoire. La forme la plus commode du sacrifice est celui de la chevelure, qui était regardée comme équivalente à la primeur du corps, et que l’antiquité met en rapport avec la promiscuité hétaïrique et spécialement avec la végétation marécageuse qui en est le prototype naturel. Toutes ces phases de l’évolution ont laissé de nombreuses traces, non seulement dans la mythologie et l’histoire de peuples très divers, mais encore dans des noms de localités, de divinités, de familles. Elles nous font assister, dans toute sa réalité de fait religieux et historique, à la lutte entre les principes hétaïrique et démétrique, et nous donnent la clef de bon nombre de mythes célèbres, jusqu’ici restés énigmatiques ; elles font ressortir l’importance du rôle de la gynécocratie, qui est d’achever l’éducation des peuples par l’observation rigoureuse des lois démétriques et par une résistance soutenue à toute rechute dans l’état de nature. À propos d’un détail important, la dot, j’appelle l’attention du lecteur sur le rapport qui existe entre une civilisation plus développée et les idées des anciens sur ce point. II y a longtemps que l’on prétend que les Romains n’estimaient pas l’indotata [1] plus que la concubine, et que l’on répète sans la comprendre cette pensée si contraire à nos manières de voir. Sa véritable explication se trouve dans un côté de l’hétaïrisme dont l’importance ressort de plusieurs manières, savoir le profit pécuniaire uni à ses pratiques. Ce qui entravait fort la victoire du principe démétrique, c’est qu’en se prostituant la jeune fille gagnait sa dot, qui dut ensuite être fournie par la famille. D’où le mépris pour l’indotata, les rigueurs prolongées de la loi contre toute union conclue sans dot. On voit que celle-ci eut une influence considérable dans la lutte entre l’hétaïrisme et le matriarcat, et qu’elle se rattache aux plus hautes conceptions religieuses de la gynécocratie, savoir l’eudaimonie [2] après la mort, promise par les mystères, et le fait d’attribuer l’obligation de doter aux lois d’une princesse célèbre, ainsi que nous l’apprend un mythe égypto-lesbien, fort curieux. Ainsi s’éclaire d’un autre côté l’affinité existant entre la gynécocratie et le droit de succession exclusif des filles ; ainsi paraissent la pensée morale qui trouvait dans ce dernier son expression, et l’influence qu’il exerçait sur le relèvement moral du peuple et sur cette sophrosuné [3] dont on loue principalement les Lyciens. Le fils, disent les anciens auteurs, reçoit du père la lance et l’épée pour se créer des moyens d’existence, c’est assez ; mais la fille, si elle n’a pas d’héritage, est obligée de se servir de sa beauté physique pour acquérir la fortune qui lui assure un époux.

De nos jours encore ces mêmes notions continuent d’avoir cours dans les îles grecques, dont les habitants obéissaient jadis aux lois gynécocratiques, et des auteurs attiques, nonobstant l’ample développement qu’avait reçu dans leur pays et de leur temps le patriarcat, admettent que la destination naturelle de la fortune de la mère est de doter la fille, pour la préserver de la corruption. La noblesse et la justesse des idées gynécocratiques ne peuvent être mieux illustrées que par cet exemple ; la dot est le plus ferme appui de la position sociale de la femme, de sa dignité, de sa pureté.

L’ensemble des faits ci-dessus mentionnés ne laisse plus de doute sur l’idée fondamentale dont ils dérivent. À côté de la conception démétrique de la maternité, se révèle une autre conception plus primitive, le tellurisme sans restriction, sans frein. Nous reconnaissons ici le contraste entre l’agriculture et l’injussa ultronea creatio [4], telle qu’elle se présente à nos regards dans la végétation sauvage de la terre notre mère, et, avec plus d’abondance et de profusion encore, dans celle des marais. Au deuxième terme correspond la promiscuité de l’hétaïrisme, au premier les règles sévères du matriarcat démétrique. Le trait commun des deux phases sociales est la suprématie du sexe qui enfante ; la différence réside dans 1a façon plus ou moins élevée dont elles comprennent la maternité. Le degré le plus bas du matérialisme est figuré par la région la plus basse de la vie tellurique, par la flore et la faune du sol humide auxquelles il voue un culte divin ; le degré supérieur trouve son image dans la région de la vie agricole, dans l’épi et le grain de blé qu’il érige en symboles sacrés de son mystère maternel. La distance qui sépare les deux principes ressort d’un grand nombre de mythes et de cérémonies religieuses ; leur lutte se manifeste partout comme fait positif, religieux et historique à la fois. Dans Schoenus, l’homme aux joncs, et Atalante aux fruits d’or, dans la victoire de Carpus sur Calamus, nous trouvons la même idée, le même contraste d’évolution que, chez les Ioxides, entre le culte des marais et le sacerdoce héréditaire de mère en fille, puis les mystères d’Eleusis qui le supplantèrent par la suite. Partout la nature a guidé le progrès de l’humanité, elle l’a, pour ainsi dire, bercée sur ses genoux. L’importance qu’attache la tradition à l’établissement du mariage, l’éclat dont elle récompense, pour ce haut fait, le nom de Cécrops ; d’autre part, la faveur dont on entoure la légitimité de la naissance, ainsi que le démontre le mythe de l’anneau de Thésée, celui de l’épreuve que le père d’Horus impose à son fils ; enfin l’habitude de combiner le mot étéos [5] avec des noms propres d’individus, de familles, de divinités, de peuples : tout cela, y compris le patrem ciere [6] romain, n’est pas une vaine fantaisie de la légende ni une suite d’inventions poétiques sans point d’appui. C’est, sous des formes diverses, le souvenir d’un grand point de revirement dans la vie de tous les peuples. L’exagération du système qui ne reconnaît pas de père, qui présente les enfants comme apatores [7] ou, ce qui revient au même, comme polypatores, spurli, spartoi [8] et le père comme oudeis, sertor, semo [9], est aussi historique que la prédominance de la maternité sur la paternité telle qu’elle se montre dans le matriarcat démétrique. Qui plus est, cette seconde phase de la famille suppose l’existence de la première non moins rigoureusement que le patriarcat suppose le matriarcat. En somme, l’évolution de notre espèce ne connaît ni sauts, ni progrès soudain ; partout des transitions successives, une foule de degrés dont chacun renferme, pour ainsi dire, le précédent et le suivant. Ces grands types de maternité en lesquels s’est incarnée la puissance créatrice de la matière, nous offrent à la fois le degré inférieur, ou promiscuité, et le degré supérieur réglé par le mariage. Et c’est seulement au cours de l’évolution des divers peuples et sous l’influence de circonstances particulières, que l’un ou l’autre a prévalu. Voici une dernière preuve dont le poids fait décidément prévaloir l’hypothèse d’une période où le mariage n’était pas connu. La conception successivement épurée de la divinité atteste et suppose un égal perfectionnement des moeurs, de même que la rechute vers un état moral inférieur et matériel a, dans la religion, son expression correspondante. Tout ce que les dieux personnifient et représentent a autrefois dominé le monde et imprimé son cachet à une période de la vie humaine. Une autre explication n’est pas concevable ; la religion, basée sur l’observation de la nature, en est nécessairement l’image fidèle ; c’est l’histoire de notre espèce. Il n’y a aucun de mes principes qui trouve, dans les recherches suivantes, une confirmation plus fréquente et plus décisive ; aucun ne jette une plus vive lumière sur la lutte de l’hétaïrisme contre la gynécocratie conjugale. Deux phases sociales sont aux prises et chacune repose sur une idée religieuse. L’histoire interne des Locriens épizéphyriens est plus propre que toute autre à démontrer l’exactitude de ma théorie. Chez aucun autre peuple l’élévation successive et victorieuse de la gynécocratie démétrique, au détriment du jus naturale [10] aphrodisien, ne prouve d’une façon plus palpable que la prospérité de l’Etat dépend de la défaite de l’hétaïrisme. Nulle autre part, d’ailleurs, ne se montre d’une manière plus instructive la puissance indestructible d’anciennes notions religieuses et leur renaissance postérieure. Avec nos idées actuelles, ii nous semble assez difficile d’admettre que des circonstances et des événements, dont nous avons l’habitude de restreindre les effets au cercle intime de la vie de famille, aient eu des résultats aussi décisifs pour les destinées de l’État, sa prospérité et sa décadence. Ceux qui ont scruté l’antiquité n’ont accordé à ce point aucune attention. Et cependant, c’est précisément à cause de l’influence sur la vie des peuples des rapports des sexes et de la façon de les concevoir, que mes travaux touchent aux questions les plus importantes de l’histoire. Le premier choc du monde asiatique et du monde grec représente la lutte entre le principe aphrodisien-hétaïrique et le principe matrimonial. La cause de la guerre de Troie est la violation du lit conjugal, et, par suite de la même idée, la victoire définitive de la matrone Junon sur Aphrodite, mère d’Enée, est différée jusqu’au temps de la seconde guerre punique, c’est-à-dire jusqu’à l’époque où la grandeur intérieure des Romains était à son apogée. Le rapport de tous ces faits ne peut être méconnu et devient facile à comprendre. C’est aux peuples de l’Occident, plus purs et plus chastes, que l’histoire a confié la tâche d’amener la victoire décisive du principe supérieur démétrique, et de délivrer ainsi l’humanité des chaînes du plus bas matérialisme où l’avait retenue le charme magique de la nature orientale. Rome doit à l’idée politique de l’imperium [11], par laquelle elle débute dans l’histoire universelle, d’avoir pu mener à bien ce développement de l’humanité antique. Rome qui se rattachait, comme les Locriens épizéphyriens, à l’hétaïrisme de l’Aphrodite d’Asie et qui resta de tout temps, surtout au point de vue religieux, en rapport plus étroit avec la mère-patrie lointaine que le monde hellénique, plus vite et plus complètement émancipé ; — Rome mise en contact, par la maison royale des Tarquins, avec le matriarcat étrusque, et à qui l’oracle put reprocher, dans des moments critiques, que cette Grande Mère lui faisait défaut que l’Asie seule pouvait donner ; -—Rome qui devait servir de trait d’union entre l’ancien monde et le nouveau, n’aurait pas pu, sans son insatiable ambition, s’opposer victorieusement à l’hétaïrisme asiatique, ni se libérer du jus naturale dont elle ne conserva que le cadre vide, ni fêter son triomphe sur le charme séducteur de l’Égypte. La mort de la dernière Candace hétaïrique de l’Orient, Auguste debout près de son corps inanimé, sont les symboles glorieux de ce triomphe.

Au cours de la lutte du principe hétaïrique contre le principe matriarcal, l’invasion du culte de Dionysos [12] amena un nouveau bouleversement, funeste à toute la civilisation antique. Cet événement occupe une place importante dans l’histoire de la gynécocratie. Dionysos apparaît à la tête des grands ennemis du matriarcat et surtout de ses excès amazoniques dont il est l’adversaire irréconciliable. Ce qu’il conseille, ce qu’il approuve, c’est que la femme retourne à ses devoirs de femme et de mère, et s’incline devant la supériorité majestueuse du sexe masculin. II semblerait donc que la religion dionysienne dût servir d’appui au matriarcat démétrique et même compter parmi les causes principales de l’établissement du patriarcat. On ne peut, en effet, nier son importance sous ce double aspect. Son histoire, néanmoins, nous autorise à adopter l’opinion contraire. Cette même religion qui érigeait le devoir conjugal en principe essentiel, encouragea plus que toute autre le retour de l’existence féminine à la sensualité aphrodisienne ; en prêtant au principe masculin une importance supérieure à celle du principe féminin, elle contribua puissamment à abaisser l’homme. L’une des causes principales de la victoire du nouveau dieu fut l’exagération même de l’ancienne gynécocratie qui dégénéra en amazonisme. Mieux les femmes avaient observé les lois modérées du matriarcat, plus il leur était difficile de maintenir la grandeur contre nature de la chasteté amazonienne. Et le dieu si séduisant par la réunion de ses attraits sensuels et intellectuels les trouva toutes disposées à l’accueillir avec enthousiasme. Par un brusque revirement, d’abord ses ennemies acharnées, elles deviennent ensuite ses disciples ; ces guerrières qui tout à l’heure se mesuraient contre lui forment son escorte et sa garde, démontrant une fois de plus la difficulté qu’a de tout temps éprouvée ce sexe à garder le juste milieu. On ne saurait méconnaître la base historique des traditions relatives aux événements sanglants qui accompagnèrent la première diffusion de la religion bacchique, et à la révolution radicale qu’elle provoqua dans les moeurs. Ces événements se répètent indépendamment les uns des autres, quoique de même nature, chez les peuples les plus divers. Ils forment un contraste si complet avec l’esprit dionysien tel qu’il se manifesta par la suite, c’est-à-dire tendu vers les jouissances paisibles et les agréments de la vie, qu’il est impossible de les regarder comme des inventions gratuites. La toute-puissance merveilleuse avec laquelle le maître de la volupté entraîna dans des voies nouvelles le monde féminin se manifeste par des traits qui dépassent, non seulement les limites de notre expérience, mais encore celles de notre imagination. Cependant, les reléguer dans !e domaine de la fiction trahirait peu d’intelligence des profondeurs ténébreuses du coeur humain, de l’influence inhérente à une religion qui satisfait également les sens et l’esprit, de cette sensibilité irritable propre à la femme qui lui permet d’unir étroitement le positif à l’idéal, enfin du charme subjuguant de la luxuriante nature méridionale. Le culte bachique a conservé, dans tout le cours de son développement, le même caractère qu’au début. Par la licence qu’il accorde aux plaisirs sensuels et l’importance qu’il attache à la loi de l’amour physique, loi en harmonie si parfaite avec la nature féminine, il a exercé une suprême influence sur ce sexe, donné à sa vie une nouvelle direction ; il a trouvé en lui ses plus fidèles disciples, ses auxiliaires les plus zélés et bâti son empire sur son enthousiasme. Dionysos est, dans toute l’acception du mot, le dieu des femmes, la source de toutes leurs espérances matérielles et spirituelles, le point central de leur existence ; par suite, reconnu d’abord par elles dans sa magnificence, propagé par elles, il est conduit au triomphe par elles. Une religion qui basait jusqu’aux espérances d’un ordre plus élevé sur l’accomplissement de la loi sexuelle, qui unissait étroitement les félicités de l’au-delà aux satisfactions physiques, devait miner de plus en plus la discipline sévère du matriarcat démétrique par la direction érotique qu’elle imprima à la vie de la femme. Elle devait finir par ramener l’hétaïrisme, qui reconnaît son emblème dans la végétation spontanée. L’histoire confirme par son témoignage la justesse de cette conclusion. L’union de Dionysos avec Déméter est reléguée à l’arrière-plan, et remplacée par l’union avec Aphrodite et d’autres types analogues. Les symboles du matriarcat, l’épi et le pain, font place à la grappe de raisin, fruit opulent du dieu fécond ; le lait, le miel et l’eau, chastes offrandes des temps anciens, disparaissent devant le vin enivrant qui provoque les désirs : la région du plus bas tellurisme, celle des marécages avec leurs créations animales et végétales, prend une prépondérance considérable sur l’agriculture et ses produits. L’adaptation de la vie à ces traits divers est surtout démontrée par les anciennes tombes qui, par un émouvant contraste, sont devenues la source principale où nous puisons notre connaissance de l’érotisme dionysien des femmes. Ici encore se manifeste l’influence pénétrante de la religion sur les moeurs. Le culte bacchique a apporté avec lui l’apogée d’une civilisation foncièrement aphrodisienne, et lui a prêté cet éclat devant lequel pâlissent tous les raffinements et les arts modernes. Il a brisé toutes les chaînes, nivelé tous les rangs et, en dirigeant les aspirations des peuples vers la matière et le bien-être physique, il a ramené la vie elle-même aux lois de la matière. Cette matérialisation croissante correspond partout à la dissolution de l’organisation politique et à la décadence de l’État. Succédant à la diversité des rangs et des castes parait la loi uniforme de la démocratie, loi de liberté et d’égalité qui distingue la vie naturelle de la vie réglée, et qui touche au coté physique et matériel de l’homme. Les anciens ont très bien compris ces rapports, les mettent en relief de la façon la plus frappante, et nous apprennent, par des indications historiques concluantes, que la liberté des moeurs et la liberté politique sont des soeurs jumelles inséparables. La religion de Bacchus est en même temps l’apothéose du plaisir physique et de la fraternité générale ; par conséquent, elle est particulièrement chère aux classes asservies, et fut favorisée par des tyrans tels que César, les Ptolémées, les Pisistrates, qui voulaient asseoir leur domination sur la démocratie. Tous ces phénomènes ont la même origine et ne sont que des aspects différents de ce que les anciens appelaient déjà l’époque dionysienne. La civilisation essentiellement féminine dont ils émanent remit aux mains de la femme le sceptre que tient Basiléia dans l’État des Oiseaux, d’Aristophane ; l’aida dans ses efforts d’émancipation, comme le démontrent les Lysistrata et les Ecclésiazuse, types empruntés à la réalité des moeurs attico-ioniennes ; fonda, enfin, une nouvelle gynécocratie, appuyée moins sur des formes légales que sur la puissance secrète de l’aphroditisme. La comparaison de cette seconde gynécocratie avec la première est éminemment propre à faire ressortir les particularités de chacune. Des moeurs relâchées et sévères, l’abandon aux plaisirs des sens et la chasteté démétrique les caractérisent respectivement. Celle-ci, quoique bornée dans ses conceptions à un cercle d’idées assez restreint, engendra, par sa réglementation sévère, de hautes vertus ; celle-là cache, sous les attraits d’un brillant développement matériel et intellectuel, l’affaiblissement et la corruption qui ont, plus qu’aucune autre cause, hâté la dissolution du monde ancien. Un mâle courage, une bravoure à toute épreuve vont de pair, chez l’homme, avec l’ancienne gynécocratie : la nouvelle le fit descendre à une impuissance et à un abaissement dont la femme se détourna enfin elle-même avec mépris. Ce n’est pas un des moindres témoignages de la vigoureuse constitution morale des Lyciens et des Elidiens qu’ils aient su maintenir dans son intégrité plus longtemps que tous les autres, la pureté démétrique, et résister à l’influence dissolvante de la religion bacchique. Mieux les mystères orphiques s’adaptaient au matriarcat antérieur, malgré l’importance qu’ils accordaient au sexe masculin, plus grand était le danger de la défaite. Nous pouvons embrasser d’un regard cette transformation et ses suites chez les Locriens épizéphyriens et chez les Eoliens de l’île de Lesbos. Mais c’est surtout le monde africain et asiatique qui donna à sa gynécocratie traditionnelle le plus complet développement dionysien. L’histoire constate fréquemment que les peuples passent par les mêmes phases au commencement et à la fin de leur évolution. La suite de cette étude mettra hors de doute, par une nouvelle série de preuves, cette triste vérité, dont l’application ne se borne pas aux nations de l’Orient, quoiqu’elle s’y manifeste plus évidemment. À mesure que la dissolution de l’ancien monde avance vers son dénouement, le principe maternel, dans son sens inférieur et matériel, se rapproche de nouveau du premier plan ; le concept hétaïrique l’emporte de nouveau sur le concept démétrique. De nouveau nous voyons apparaître ce jus naturale qui appartient à la sphère la plus basse de la vie tellurique, et après avoir douté de sa réalité, même en ces infimes commencements de l’évolution humaine, nous le voyons rentrer en scène lorsqu’elle est à son apogée, aggravé d’une idolâtrie consciente et raisonnée pour le côté animal de notre nature. Nous le voyons former le centre de dogmes mystérieux ; on le célèbre comme l’idéal de la perfection. En même temps surgissent nombre d’événements qui peuvent être mis en parallèle avec les traits les plus énigmatiques des plus anciennes traditions. Ce que nous trouvons au début de notre étude enveloppé de mythes, nous le retrouvons à la fin revêtu de l’authenticité des faits récents de l’histoire, et nous avons ainsi la preuve de la régularité systématique de notre évolution, en dépit du désordre apparent qui y règne.

J’ai insisté à plusieurs reprises, en exposant les phases du matriarcat et leur antagonisme, sur l’exagération de la phase amazonienne. J’ai ainsi indiqué le rôle important de l’amazonisme dans l’histoire des relations sexuelles. II est, en réalité, étroitement lié à l’hétaïrisme. Ces deux formes de la vie féminine, les plus curieuses, se supposent et s’expliquent mutuellement. Nous allons indiquer, en suivant de près les traditions que nous possédons, de quelle manière il faut entendre cette réciprocité. Klearch, à propos de la figure amazonienne d’Omphale, remarque qu’une telle exagération du pouvoir féminin, où qu’elle se trouve, suppose toujours une déchéance préalable de la femme et doit être expliquée par la loi des réactions et des contrastes. Plusieurs des mythes les plus célèbres, le crime des femmes de Lemnos, celui des Danaïdes, même le meurtre de Glytemnestre, confirment cette assertion. Partout c’est le mépris des droits de la femme qui provoque sa résistance et arme sa main, d’abord pour sa défense, puis pour la vengeance. Suivant la loi de réaction conforme à la nature humaine en général et surtout à la nature féminine, l’hétaïrisme doit nécessairement conduire à l’amazonisme. Dégradée par les excès de l’homme, la femme sent d’abord le besoin d’une position assurée et d’une vie plus pure. Le ressentiment de l’opprobre subi, la rage du désespoir arment son bras et l’élèvent à cette grandeur guerrière qui, dépassant en apparence ses facultés natives, ne repose cependant que sur le besoin de relèvement. Nous tirerons de là deux conséquences, appuyées l’un et l’autre sur l’histoire. La première, c’est que l’amazonisme est un phénomène général ; il n’est pas le produit d’une race ou d’un pays, mais de l’humanité même. Comme l’hétaïrisme, il est marqué d’un caractère d’universalité. Les mêmes causes provoquent toujours les mêmes effets. Des apparitions amazoniennes sont mêlées aux annales primitives de tous les peuples. On peut les suivre depuis l’Asie centrale jusqu’en Occident, du nord de la Scythie à l’ouest de l’Afrique ; elles ne sont ni moins fréquentes ni moins certaines de l’autre côté de l’Océan et y ont été observées avec tout leur cortège de vengeances sanglantes contre le sexe masculin. Ce sont les phases inférieures du développement humain qui sont les plus typiques et les plus générales. Il y a plus. L’amazonisme indique, malgré sa sauvagerie, un relèvement réel du niveau moral. S’il est une rechute et une dégénérescence au milieu d’une civilisation plus avancée, il est, à son début dans le monde, un progrès, un effort vers des moeurs meilleures, en même temps qu’une phase non seulement nécessaire mais bienfaisante. Il oppose les droits de la maternité aux exigences des sens ; il renferme le germe de cette gynécocratie qui fonda la puissance des États sur celle de la femme. L’histoire nous fournit sur ce point des preuves instructives. S’il est vrai que le matriarcat ait quelquefois dégénéré en amazonisme, ordinairement c’est l’inverse qui a lieu, et l’amazonisme précède et prépare le matriarcat. C’est ce que nous démontre surtout le mythe lycien de Bellérophon à la fois vainqueur des amazones et fondateur du matriarcat ; dans l’un comme dans l’autre rôle il est le point de départ de la civilisation du pays. II est incontestable que l’amazonisme ait, contrairement à l’hétaïrisme, grandement contribué à relever la dignité de la femme et, par là même, du genre humain. La religion nous présente les mêmes nuances. L’amazonisme, tout en ayant, comme la gynécocratie démétrique, les plus grands rapports avec la lune (la supériorité de la lune sur le soleil est l’emblème de la prépondérance de la femme), prête en même temps à l’astre nocturne une nature plus sombre et plus austère. Tandis qu’elle est, pour la gynécocratie démétrique, le symbole du mariage et, par ses rapports exclusifs avec le soleil, de la fidélité conjugale, la lune est, au contraire, pour l’amazonisme, dans son apparition nocturne et solitaire, la vierge sans tache ; dans sa fuite devant le soleil, l’ennemie de toute union durable ; avec sa face grimaçante éternellement changeante, elle est la terrible gorgone dont le nom est devenu presque synonyme du nom même d’amazone.

L’époque relative de ces deux conceptions dont la seconde, plus profonde quoique moins pure, est certainement antérieure à la première, assigne à l’amazonisme sa place dans l’histoire. Toutes les traditions manifestent, d’une manière indubitable, le rapport de la religion avec les moeurs : rapport logiquement nécessaire, toujours et partout. Ces grandes conquêtes accomplies par des guerrières à cheval conservent leur fondement historique, malgré la possibilité de détails fantaisistes, et se présentent maintenant sous un jour tout nouveau. Elles ont dû être, en général, un moyen belliqueux de propagande religieuse ; elles ramenèrent donc l’enthousiasme féminin à sa source la plus puissante, l’accrurent encore par l’espoir de raffermir sa propre domination avec celle de la déesse ; elles nous montrent enfin l’importance de l’amazonisme pour la civilisation. La destinée des États issus de ces conquêtes est très propre à confirmer notre manière de voir, et à rétablir la suite réelle des faits qui constituent l’histoire du monde gynécocratique. Les traditions mythiques et historiques s’unissent, se complètent et se confirment de façon à rendre évident cet enchaînement. Après la guerre et les conquêtes, les héroïnes victorieuses fondèrent des établissements fixes, bâtirent des villes et s’adonnèrent à l’agriculture. Des bords du Nil aux rives du Pont-Euxin, de l’Asie centrale jusqu’en Italie, les noms et les exploits des Amazones sont liés à l’histoire de villes plus tard célèbres. Si la loi de l’évolution humaine amène toujours cette transition de la vie nomade à la vie sédentaire, elle est surtout sympathique au caractère de la femme et s’accomplit, là où celle-ci exerce son influence, avec une vitesse redoublée. L’étude des peuples modernes a rendu certaine cette assertion : ce sont les efforts de la femme qui ont le plus contribué à les amener à l’agriculture, que l’homme repousse plus longtemps. Les nombreuses traditions de l’antiquité qui nous représentent les femmes mettant fin aux pérégrinations en brûlant les vaisseaux, donnant leur nom à des villes, effectuant le partage des terres, par exemple à Rome ou à Elis — ces traditions, dis-je, méritent, par l’idée dont elles émanent, d’être considérées comme une confirmation du même fait. En rendant la vie stable, la femme remplit sa mission naturelle. De la fondation et de l’embellissement du foyer dépend l’épurement des moeurs. Le désir d’une vie paisible se fit de plus en plus sentir à mesure que l’entretien d’une force guerrière, qui d’abord avait été l’unique préoccupation, devint moins utile.

Bien que le maniement des armes ne soit jamais devenu étranger aux femmes des États gynécocratiques, bien qu’il parût indispensable au maintien de leur puissance sur des peuples guerriers, bien que cette prédilection pour le cheval et ses ornements se manifeste encore plus tard dans le culte par des traits significatifs, nous trouvons néanmoins que bientôt elles abandonnèrent aux hommes les travaux de la guerre, ou du moins se contentèrent de les partager avec eux. Dans ce dernier cas, nous voyons les bataillons masculins tantôt marcher à la suite des cavalières, tantôt, comme dans l’histoire d’Iliéra de Mysie, les précéder. Tandis que les moeurs originaires disparaissent peu à peu, la domination de la femme subsiste encore longtemps sans altération à l’intérieur des États et de la famille, mais ici même elle finit par s’affaiblir. La gynécocratie perd du terrain et rétrécit de plus en plus son cercle. Cette évolution rétrograde présente une grande variété ; tantôt c’est le pouvoir politique, tantôt le pouvoir domestique qui succombe le premier. Le deuxième seul a laissé des traces en Lycie quoique nous sachions que la transmission du premier y fut, à une certaine période, régie par les lois du matriarcat. Ailleurs c’est précisément le contraire : la femme règne encore, soit seule, soit à côté de l’homme, alors que la mère a déjà perdu son autorité. Les parties de l’ancien système liées à la religion résistent plus longtemps à l’action du temps, préservées qu’elles sont par la sanction surnaturelle attachée à l’idée religieuse. D’autres causes encore ont agi. Si pour les Lyciens et les Epizéphyriens l’isolement géographique, pour l’Egypte et l’Afrique en générai la nature du pays, ont fait sentir leur influence, le pouvoir politique de la femme fut, dans d’autres contrées, protégé par sa faiblesse même ou soutenu par des formes artificielles qui ont laissé leur trace dans les documents qui nous parlent de ces reines asiatiques renfermées dans l’intérieur de leur palais. À côté de ces restes et fragments d’un système primitivement bien plus vaste, les récits d’auteurs chinois sur un certain État gynécocratique de l’Asie centrale, où la femme sut conserver son double pouvoir, politique et familial, jusqu’au VIIIe siècle de notre ère, méritent une attention spéciale. Ils s’accordent parfaitement sur tous les points principaux avec ce que les anciens nous rapportent de l’organisation intérieure des États amazoniques et, dans la peinture qu’ils nous font de l’ordre et de la paix qui y régnaient, avec le résultat de mes propres études. Ce ne furent pas des cataclysmes violents comme ceux qui eurent bientôt anéanti la plupart des établissements des amazones et n’épargnèrent pas la colonie des Clites en Italie, ce fut l’action imperceptible du temps et le contact avec le puissant empire voisin qui privèrent les modernes du spectacle d’une civilisation apparentée aux plus anciens et plus obscurs souvenirs du monde européen, — civilisation qu’aujourd’hui encore nous devons regarder comme une partie oubliée de l’histoire universelle. Sur ce terrain qui ressemble à un immense champ de décombres, le seul moyen d’obtenir la clarté est de rapprocher des indications fragmentaires qui, ethnologiquement et chronologiquement, sont à une distance considérable les unes des autres. Les diverses formes et expressions du matriarcat antique nous apparaissent alors comme autant de phases d’un grand processus historique qui, commençant aux âges primitifs, se laisse suivre jusqu’à une époque récente et se trouve encore aujourd’hui en plein épanouissement chez les peuples de l’Afrique. Partis du matriarcat démétrique, nous sommes parvenus à l’intelligence des formes hétaïrique et amazonique.

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Troisième partie de la préface à l'ouvrage de J.J.Bachofen intitulé Le droit de la mère. Source




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