Sartre ou la nausée

Hélène Laberge
Si on les mesure à l'aune du quotidien, les génies sont souvent des monstres.
On sait que Sartre était un grand consommateur de drogues et d'alcool. Lorsqu'il a, sous la supervision d'un médecin, fait l'expérience de la mescaline, le délire dans lequel il a été jeté n'a rien eu de réjouissant. «Il souhaitait, écrit Onfray, mesurer sur lui les effets produits par un hallucinogène sur la formation des images chez un individu.» Sartre avait depuis toujours une répugnance très grande pour les crustacés: «Cette chair blanche n'est pas faite pour nous, on la vole à un autre univers.» Or ce sont précisément les fantasmes liés à ces bêtes (lesquelles d'ailleurs inspirent de la peur à de nombreux humains) qui surgirent dans l'esprit de Sartre. Pendant plusieurs semaines, il se croira poursuivi par des langoustes. «Sur ses côtés, par derrière (lui) grouillaient des crabes, des poulpes, des choses grimaçantes.» Cette dernière citation est de Simone de Beauvoir.

Avait-il des affinités électives avec certains produits? Était-il gastronome? «Il m'est tout à fait indifférent, disait-il, de sauter un repas le midi ou le soir, ou même les deux repas, de me nourrir de pain ou au contraire de salade sans pain, ou de jeûner un ou deux jours.» Beauvoir confirme qu'il mangeait n'importe quoi, n'importe quand, n'importe comment. Réaction typique de l'alcoolique pour qui boire nourrit: Annie Cohen-Solal a recensé la consommation de Sartre: «Deux paquets de cigarettes [...] et de nombreuses pipes bourrées de tabac brun; plus d'un litre d'alcool (vin, bière, alcool blanc, whiskies, etc.), deux cents milligrammes d'amphétamines; quinze grammes d'aspirine; plusieurs grammes de barbituriques, sans compter les cafés, thés et autres graisses de son alimentation quotidienne.» De quoi effectivement avoir la nausée et en conclure que l'enfer, c'est les autres!

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