Quatre personnages en quête de hauteur - A l’ombre de la cellule familiale avec James Gray

Jean-Philippe Costes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

James Gray (cliquez ici pour accéder à son dossier biographique)

 

              Familles, je vous hais ! Moi, Bobby Green[1], j’aurais aimé ne jamais entonner cet hymne au désamour. Hélas, mon père Albert et mon frère Joseph[2] ne m’ont pas laissé le choix. Ils me traitent en paria, au motif que je mène la vie dissolue des gens de la nuit. Ils ont beau être des policiers émérites, ils ne sont ni des dieux, ni des saints ! De quel droit se permettent-ils de me juger et de me condamner ?

 

 

            Familles, je vous hais ! Moi, Joshua Shapira[3], je souscris également à ces paroles d’exécration. Mon père Arkady[4] m’a renié comme un vulgaire bâtard. J’ai certes choisi de mettre mon bras au service du crime. Je gagne ma vie en donnant la mort. Mais s’agit-il d’une raison suffisante pour maudire le fruit de ses propres entrailles ?

 

 

            Familles, je vous hais ! Moi, Leonard Kraditor[5], je pourrais être l’auteur de ce réquisitoire assassin. Les moralistes patentés insinueront que je ne suis qu’un fils ingrat, qui se refuse à admettre qu’il doit tout à ses parents. Qu’importent les bien-pensants ! J’affirme, haut et fort, que mes géniteurs sont les premiers responsables de mon malheur. Leur amour démesuré a fait de moi un adolescent de trente ans. Il m’écrase, il m’étouffe, il me tue. Est-ce ainsi que les enfants vivent ?

 

 

            Moi, Leo Handler[6], j’ai apparemment la chance d’être en paix avec les miens. Mon père n’est plus de ce monde et ma mère est le soleil de ma nuit d’ancien malfaiteur. Mais je le sais, je le sens, mon foyer est moins immaculé qu’il ne le laisse paraître. Je le sais, je le sens, les intrigues du mari de ma tante et mes relations contre-nature avec ma cousine vont finir par causer ma perte. Aussi, je répète à mon tour ces mots de défi : Familles, je vous hais !

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Two Lovers

 

            En reprenant à l’unisson le cri qu’André Gide immortalisa dans les Nourritures terrestres, les héros de James Gray encourent le risque d’un procès en médiocrité. Il est en effet facile de s’attaquer à une institution pour feindre d’être un rebelle et ainsi, s’attirer les faveurs d’un Public avide de subversion. Ces individus hauts en noirceur n’ont toutefois rien de commun avec les caricatures commerciales de l’industrie cinématographique. Bien qu’ils appartiennent au monde de la fiction, ils sont plus vrais que nature. Ils sont si habilement dessinés qu’ils semblent appartenir au cercle de nos intimes. Malgré la barrière de l’écran, ils sont pareils à de proches parents, éloignés par les vicissitudes de l’existence. Leur stupéfiante authenticité et l’empathie qu’elle suscite immanquablement doivent beaucoup au sens de la mise en scène de leur créateur. Néanmoins, ces qualités peu communes sont essentiellement les conséquences de deux caractéristiques étroitement liées : Joshua Shapira, Leo Handler, Bobby Green et Leonard Kraditor ne se complaisent pas dans les bas-fonds de la rancœur ; pour pasticher Luigi Pirandello, ces sont « quatre personnages en quête de hauteur », qui cherchent à cerner les raisons pour lesquelles leur famille, c’est-à-dire, le sanctuaire de leur chair et de leur sang, est le berceau de tous les conflits, de toutes les tensions, de tous les déchirements.

 

 

            Il y a quelque chose d’universel dans cette façon de se demander pourquoi nous, Etres humains, nous ne parvenons pas à aimer ce que nous devrions aimer. L’interrogation soulève pourtant une difficulté qui, d’emblée, menace d’hypothéquer sa pertinence : toutes les familles ne condamnent pas leurs membres à l’aliénation ; certaines constituent même des foyers d’épanouissement. Bobby Green en témoigne avec force et fierté dans La nuit nous appartient (We Own the Night). Lui qui, par dédain des siens, a choisi de ne plus s’appeler Grusinsky, s’est en effet réfugié chez les Boudjaïev, les propriétaires de la discothèque qu’il a fait profession de gérer. Chez ces chaleureux étrangers, il a trouvé l’affection, la tolérance et la compréhension qui lui faisaient cruellement défaut. La cause de son bonheur ne fait pas mystère. Elle résonne comme un affront à la filiation classique : Bobby a adopté un nouveau père, une nouvelle mère et de nouveaux cousins ; autrement dit, il a construit son nid à sa guise, au mépris des obligations inhérentes à sa filiation naturelle.

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Little Odessa

 

            Les sombres mésaventures de Leo Handler viennent cependant déchirer ce tableau idyllique. The Yards propose ainsi une typologie des familles, que l’œil noir de James Gray change en acte de décès de la volonté individuelle. Qu’advient-il du clan mafieux, archétype de la famille d’adhésion ? Son parrain, le puissant entrepreneur Frank Olchin (James Caan), n’hésite pas à le faire voler en éclats lorsque ses intérêts supérieurs l’exigent. Il sacrifie sans états d’âme Willy Gutierrez (Joaquin Phoenix), le jeune Latino qui ambitionnait naïvement de devenir son bras droit et son gendre. Qu’arrive-t-il à la famille traditionnelle, fondée sur l’alliance ? Elle ne résiste pas aux dures réalités de la Vie : non content d’être évincé par Frank, le ténébreux Willy doit renoncer à son mariage avec Erika (Charlize Theron), au motif que cette dernière entretient des relations incestueuses avec son cousin Leo. Quel sort connaît enfin la famille recomposée, née de la généralisation du divorce ? Elle s’effondre, elle aussi, sous le poids de la triste vérité de l’Etre humain. Ainsi, Erika voue une haine farouche à Frank, parce qu’il souffre du vice injustement rédhibitoire d’être son beau-père. Le patriarche outragé n’est pas avare d’iniquité, lui non plus. Il se moque que Leo soit le neveu de Kitty (Faye Dunaway), sa nouvelle épouse. Certes, il fait mine de l’aider à se réinsérer, après sa sortie de prison ; mais quand le jeune inconscient est indûment accusé d’un meurtre commis par Willy Gutierrez, il tente froidement de le faire disparaître, pour faire en sorte que la Police n’enquête pas sur ses propres activités criminelles…

 

 

            Le verdict de ce véritable procès à charge est sans appel : la famille choisie est une illusion. Bobby Green lui-même en fait l’amère expérience. Il découvre avec effarement que Marat Boudjaïev (Moni Moshonov), son père d’adoption, n’est qu’un misérable truand qui feint l’honorabilité pour mieux vendre de la drogue avec son neveu, le sanguinaire Vadim Nidjinsky (Alex Veadov). « Ils se sont bien fichus de moi », maugrée le fils trahi en voyant ses parents indignes se livrer à leur odieux trafic. Cette déception est aussi douloureuse qu’incompréhensible, pour ceux qui ont l’infortune de la vivre. Pourquoi les fruits vermeils de la volonté pourrissent-ils si facilement ? Pourquoi la famille biologique prévaut-elle inexorablement sur la famille de cœur ? Parce que la première est objective tandis que la seconde est subjective, répond James Gray avec la déconcertante simplicité d’un sage. Parce que l’une s’enracine solidement dans la Nature alors que l’autre n’est qu’une fragile construction de l’esprit, précise-t-il avec la même aisance. Ces paroles nous confrontent brutalement à un fait dramatique : le vouloir vivre ensemble s’incline toujours devant la Loi du sang ; l’Individu ne peut rien face au déterminisme du corps[7].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La Nuit nous appartient (We own the night)

 

            L’idée est essentielle. Elle explique la féroce animosité que nourrissent Bobby Green et ses jumeaux cinématographiques à l’égard des leurs. Enchaînés par des liens de filiation qu’ils n’ont pas choisis, par la force des choses, ces personnages en quête d’affranchissement sont en effet condamnés à être perpétuellement reclus dans la bien nommée cellule familiale. Ce confinement dans la plus naturelle et la plus hermétique des prisons, les héros de James Gray le ressentent au plus profond de leur chair. Tout, dans leur environnement, évoque l’oppression. Ainsi, Joshua Shapira semble pris dans les glaces qui recouvrent constamment Little Odessa, le quartier Ukrainien de New York dans lequel il a grandi. Il est comme enfermé dans des cadres, où la vanité de ses désirs d’émancipation est savamment soulignée par l’écrasante immensité des paysages. Leo Handler travaille quant à lui dans l’entreprise de construction ferroviaire dirigée par l’époux de sa tante. La vision quotidienne des rails le persuade, peu à peu, que sa famille a tracé son destin comme une voie de chemin de fer. Le cas de Leonard Kraditor est encore plus significatif. Le jeune homme vit dans l’appartement de ses parents, au milieu d’un complexe immobilier aussi massif et lugubre qu’un établissement carcéral. Les fenêtres de sa chambre sont condamnées par des barreaux. En dépit de ses bonnes intentions, sa mère (Isabella Rossellini), le surveille comme un maton. Leonard éprouve un tel sentiment de claustration qu’il ne quitte pas son foyer, à la fin de cette fascinante romance noire qu’est Two Lovers : il s’en évade, en utilisant les techniques d’un prisonnier de longue date[8].

 

 

            Pour que chacun ressente, sans la moindre équivoque, que la famille est bel et bien liberticide, James Gray suit une ligne scrupuleusement définie. Tout en peignant ses fresques familiales à l’encre fatidique de la violence et du désespoir, il entoure ses héros d’un épais voile d’obscurité. Il en fait des créatures nocturnes, qui sillonnent les villes entre le crépuscule et l’aube, écument les discothèques, sévissent dans les quartiers louches au clair de lune ou hantent les gares, à l’heure où le soleil s’est éclipsé avec les voyageurs. Cette esthétique, qui accomplit le prodige d’imprimer sur la blancheur du jour les ténèbres de la nuit, reprend les conventions formelles du film de gangster. L’emprunt est doublement judicieux. D’une part, il suggère habilement que la famille est aussi sombre et étouffante que la pieuvre mafieuse ; d’autre part, il souligne admirablement le caractère pénitentiaire de l’institution familiale : « mettre quelqu’un à l’ombre », dans le langage courant, c’est en effet le jeter en prison…

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

The Yards

 

            Ainsi donc, les personnages de James Gray sont fixés. Les raisons de leur colère sont clairement identifiées. Ils se savent enfermés dans une cellule dont les barreaux ont été forgés dans le creuset du déterminisme biologique. Néanmoins, ces reclus involontaires n’ont pas encore la hauteur de vue nécessaire pour cerner tous les mécanismes qui les empêchent de briser les murs qui les entourent. Leur inaptitude chronique à la liberté a des origines complexes mais comme toutes les tragédies, elle décrit un cercle infernal, qui s’organise autour d’un point central : que l’on soit homme d’action, fataliste ou révolté, on finit toujours par revenir à son berceau. L’impétueux Bobby Green est la preuve vivante de la véracité de cette maxime. Tel un lointain descendant du Fils prodigue[9], il s’en retourne vers les siens dès qu’il apprend que ces derniers sont menacés de mort par Vadim Nidjinsky, le narcotrafiquant qu’il a honteusement côtoyé durant ses nombreuses nuits de perdition. Que l’on soit homme d’action, fataliste ou révolté, on finit toujours par revenir à son berceau. Joshua Shapira se précipite au chevet de sa mère, Irina[10], aussitôt qu’il est informé que celle-ci est atteinte d’un mal incurable. Il n’a cure d’être haï par son père et menacé de mort par le parrain de Little Odessa[11]. Un souffle intérieur le pousse irrésistiblement vers les lieux de sa naissance. Que l’on soit homme d’action, fataliste ou révolté, on finit toujours par revenir à son berceau. Lorsqu’il est abandonné par Michelle (Gwyneth Paltrow), la femme de ses rêves, Leonard Kraditor est confronté à une alternative d’une sinistre limpidité : mettre fin à ses jours ou les poursuivre à l’ombre de la cellule familiale. Ses sentiments l’incitent à choisir la première option, mais une raison transcendante l’oblige finalement à privilégier la seconde. Que l’on soit homme d’action, fataliste ou révolté, on finit toujours par revenir à son berceau…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Two Lovers

 

           La chansonnette est exaspérante. Cependant, elle est universelle et intemporelle. James Gray le montre magnifiquement dans La nuit nous appartient, en faisant usage d’un procédé scénique aussi précis qu’opportun : quand Bobby Green se penche affectueusement sur le lit de son frère, blessé au visage par l’un des spadassins de Vadim Nidjinsky, une mélodie enfantine, semblable à celles qui endorment les nouveaux-nés, s’élève du néant et couvre le tumulte du monde extérieur. La filiation est plus forte que toutes les inimitiés, susurre la comptine entêtante. La famille Shapira le confirme avec éclat. Arkady, son chef, refuse ainsi de vendre son fils maudit aux truands qui le réclament à corps et à cris. L’impitoyable Joshua envisage d’exécuter son père exécré dans un terrain vague. Mais au moment de passer à l’acte, il se ravise et décide de l’épargner. Le jeune Reuben[12] voit son frère assassiner un homme et brûler son corps dans une décharge. Il pourrait légitimement le détester, pour avoir été l’auteur de ce spectacle abominable. Cependant, il n’en fait rien. Il vole même au secours de son sulfureux aîné lorsque ce dernier est encerclé par le gang de Volkov. Symbole poignant de sa soumission absolue à la Loi du sang, il meurt, face contre terre et mains dans le dos, comme si quelque policier d’outre-tombe lui passait les menottes de la filiation.

 

 

            Le prolongement naturel de cette tragédie, murmure James Gray à ses personnages et à ceux qui les contemplent avec une admiration mâtinée d’effroi, c’est le conditionnement total du destin individuel par l’institution familiale. Comme le montrent Leonard et Michelle, les tourtereaux tourmentés de Two Lovers, cette détermination saisissante relève d’abord de l’hérédité : le premier a hérité de la maladie génétique qui affecte ses parents[13] tandis que la seconde a reçu, de son père, le legs empoisonné de l’instabilité psychologique. Néanmoins, l’assujettissement de la personne au clan est plus général et par là même, plus funeste. Il est d’ordre comportemental, en ce sens qu’il dicte les moindres faits et gestes de chacun. Une fois encore, Bobby Green est l’ambassadeur le plus emblématique de cet Empire de la Nécessité. Répondant à l’appel de ses gènes, il renonce ainsi à sa vie de plaisirs et entre dans la Police pour venger la mort de son père, assassiné par la mafia Russe[14]. « Tu ne peux pas comprendre ! » hurle-t-il à sa compagne (Eva Mendes), qui réprouve sa décision d’intégrer les forces de l’ordre. « Je n’ai pas le choix ! »[15]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La nuit nous appartient (We own the night) 

 

 

            Trouver une alternative est d’autant plus illusoire que la famille apparaît comme le seul îlot de stabilité, dans cet océan de chaos qu’est la planète Terre. Leo Handler ne démentira pas ce constat. Lorsque sa pauvre vie est ballottée entre les vagues du crime et les récifs de la répression policière, il ne peut en effet compter que sur deux bouées de sauvetage : sa mère, Val (Ellen Burstyn) et sa cousine, Erika. Ni Willy, son meilleur ami, ni Frank, son prétendu protecteur, ne sont pour lui des remparts contre les vents mauvais de la déchéance. Au contraire, ils déploient des trésors de machiavélisme pour le faire sombrer dans les abysses. Dès lors, la preuve est faite que la famille naturelle[16] constitue véritablement le dernier refuge des naufragés de l’existence.

 

 

            C’est en cela que cette institution est particulièrement redoutable : comme le laisse entendre James Gray, sans se départir de sa remarquable clairvoyance, elle conduit l’Individu à s’enfermer docilement dans ses cachots contre la promesse d’une sécurité infaillible. Faire payer l’instinct de conservation au prix d’or de la liberté, c’est-à-dire, grimer ses vices en vertus, est l’une des caractéristiques fondamentales de la Tyrannie. Néanmoins, la famille, suprême perversité, est toujours innocente aux yeux du grand tribunal de l’Ethique. Elle n’est ainsi que le fruit de la condition humaine. Elle ne fait que remédier à la violence et à la vacuité du monde. En d’autres termes, elle attire inexorablement les bateaux à la dérive parce qu’elle est le seul phare qui ne cesse jamais de briller dans la nuit noire de nos tourments. Cette fonction d’ultime repère, Joshua Shapira la perçoit mieux que quiconque. Qu’est-il devenu, depuis que son père l’a chassé ? Un « Juif errant », répond-il avec l’amertume et la lucidité de ceux qui ont appris, à leurs dépens, qu’il n’est point de salut en dehors du foyer[17].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Little Odessa

 

            L’allusion ethnico-religieuse est de première importance. L’appartenance raciale et spirituelle constitue en effet la pierre angulaire de la cellule familiale que James Gray a fait profession de décrire. Elle est plus précisément le verrou qui condamne les héros du cinéaste à la réclusion. Ainsi, ces rebelles sans espoir ne sont pas seulement confinés dans le giron parental. Ils appartiennent, corps et âme, à une communauté qui leur impose un mode de vie et une conduite affective rigoureusement codifiés. Avant même d’être Joshua Shapira, Bobby Green ou Leonard Kraditor, ils sont des fils d’immigrés Russes contraints de vivre en vase clos avec d’autres fils d’immigrés Russes. Ils sont plus encore des Juifs, qui ont le devoir sacré de côtoyer d’autres Juifs. De leur aptitude à former un groupe homogène, imperméable à toute forme d’assimilation, dépend en effet la pérennité de leur Peuple[18]. Les liens du sang sont noués. Rien ni personne ne pourra les défaire. Par définition, nul n’est en mesure de remédier à un mal nécessaire…

 

 

            Familles, je vous hais ! Vous imposez un vivre ensemble qui ne repose pas sur le vouloir mais sur le devoir[19]. Désormais, les malheureuses créatures de James Gray connaissent l’alpha et l’oméga de leur tragédie Grecque. Ces enfants d’Oedipe et de Sisyphe sont tombés dans les profondeurs de la misère existentielle. Mais à la différence de bon nombre de leurs confrères cinématographiques, ils ont eu le rare privilège de tutoyer les sommets de l’Art et de l’Intelligence. Cette hauteur exceptionnelle, qui leur a permis d’atteindre la vérité des sentiments et celle de la plus fondamentale de toutes les institutions humaines, apaisera sans doute leur douleur indicible. Cependant, Leo Handler et ses semblables ont d’autres motifs de réjouissance. Ils se consoleront ainsi en apprenant que leur public partage quotidiennement leur affliction et leur désarroi. Mieux : ils peuvent gager, sur leur souffrance d’humiliés, qu’ils resteront à jamais les personnages les plus marquants de leur auteur. En effet, il y a fort à parier qu’en dépit de son génie, James Gray sera enfermé dans sa thématique de prédilection comme ses héros dans leur famille. Il est des cellules dont on ne s’évade pas.



[1] Alias Joaquin Phoenix, l’acteur fétiche de James Gray.

[2] Ces deux personnages sont respectivement incarnés par Robert Duvall et Mark Wahlberg.

[3] Tim Roth.

[4] Maximilian Schell.

[5] Joaquin Phoenix.

[6] Mark Wahlberg.

[7] Notons que toute Nation est confrontée à un problème similaire. Doit-elle se définir à partir de valeurs ou de données purement matérielles ? A titre d’exemple, la France a choisi de se fonder simultanément sur l’adhésion aux idéaux républicains et sur des éléments tels que la langue ou le territoire. Compte tenu de sa vision de la famille, James Gray opterait, sans doute moins par choix que par nécessité, pour une conception strictement objective de la Nation.

[8] Il élabore un plan détaillé, pour s’enfuir de chez lui et organiser sa « cavale ». Il rassemble ses affaires et les jette discrètement par la fenêtre. Aussi tendu que peut l’être un candidat à l’évasion, il se faufile dans les couloirs de l’appartement familial et se glisse, soulagé, vers la sortie de la demeure honnie.

[9] Voir l’Evangile selon Saint Luc, 15 11 – 32.

[10] Alias Vanessa Redgrave.

[11] Volkov (Paul Guilloyle) a mis sa tête à prix après qu’il eût assassiné son fils.

[12] Ce personnage d’adolescent crépusculaire est brillamment interprété par Edward Furlong.

[13] Cette maladie a d’ailleurs fait avorter le premier mariage de Leonard, la famille de la promise ayant refusé de prendre quelque risque sanitaire que ce soit pour ses futurs descendants.

[14] Albert Grusinsky est abattu sous les yeux horrifiés de son fils, à l’issue d’une poursuite en voiture dont la force émotionnelle est telle qu’elle restera probablement dans les annales du Cinéma.

[15] Notons que Leonard Kraditor ne l’a pas davantage. En effet, ses parents le marient contre son gré à Sandra (Vinessa Shaw), pour qu’il reprenne la chaîne de blanchisseries dont cette dernière est l’héritière.

[16] Au sens physique et non, juridique du terme.

[17] Cet état de fait explique la détresse finale de Joshua : avec la mort tragique de son frère, il perd sa famille et par voie de conséquence, tout espoir d’être autre chose qu’un vagabond fantomatique.

[18] Cette communautarisation forcée est la conséquence de la seconde destruction du Temple de Salomon par l’Empereur Titus, en l’an 70 : pour survivre aux vicissitudes de l’exil, les enfants d’Israël n’ont eu d’autre choix que de garder jalousement leur culture et leur unité.

[19] Or, toute nécessité est haïssable, puisqu’elle contrarie le libre arbitre. De ce fait, la famille est, par nature, un foyer de tensions.




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