Lutte biologique: trois bogues

Jean Hamann
Tout n'est pas rose du côté des armes «vertes» contre les insectes nuisibles
Malgré les progrès spectaculaires enregistrés par les agents de lutte biologique au cours des dernières années, trois nuages noirs planent sur leur avenir. C'est ce qu'a expliqué le professeur Jacques Brodeur, du Département de phytologie, à la centaine de personnes qui participaient, la semaine dernière à Trois-Rivières, à un colloque du Réseau Biocontrôle. Ce réseau canadien de chercheurs, financé par le CRSNG, tenait une rencontre pour mettre le petit monde québécois de la lutte biologique au parfum des dernières avancées scientifiques dans le domaine.

«La lutte biologique a surfé sur une image positive depuis 30 ans, mais on s'aperçoit que tout n'est pas aussi parfait qu'on le croyait, explique le professeur Brodeur. Parce que les producteurs cherchaient des alternatives aux pesticides chimiques et parce que la lutte biologique a prouvé son efficacité dans certaines conditions, le nombre d'agents biologiques vendus commercialement (insectes, acariens, araignées, nématodes, champignons, bactéries, virus) a poussé comme des pissenlits: leur nombre est passé de 2 en 1970 à 162 en 2003.

«Les producteurs utilisent maintenant un cocktail d'agents dans leurs cultures, sans se soucier des interactions qu'ils pourraient avoir entre eux, déplore le chercheur. Il y a beaucoup d'improvisation.» Les résultats ne sont pas toujours heureux: les insectes se combattent entre eux, les champignons attaquent aveuglément les bons et les mauvais insectes, etc. À cause de ces interactions, des agents qui ont prouvé leur efficacité en laboratoire font chou blanc dans les champs, constate le chercheur. Il reste donc beaucoup à faire pour mettre au point des stratégies d'intervention qui font entrer sur le terrain les bons joueurs, en bon nombre, au bon moment.


«La lutte biologique a surfé sur une image positive depuis 30 ans, mais on s'aperçoit que tout n'est pas aussi parfait qu'on le croyait.»



Virginité perdue
Le chercheur constate également la perte de ce qu'il nomme «la virginité bienveillante» de la lutte biologique. «Avant, on n'y voyait que des bons côtés, mais ce n'est plus le cas. L'introduction de certains agents biologiques a eu des effets secondaires très négatifs sur les insectes indigènes.»

Le chercheur cite le cas de la coccinelle asiatique, introduite aux États-Unis pour lutter contre des pucerons. La petite bête a rapidement migré vers le Nord et, il y a six ans environ, elle a atteint le Canada. Depuis, elle s'est multipliée au point de déplacer ses cousines québécoises. «Il y a dix ans, on comptait six espèces de coccinelles indigènes dans les champs de maïs. Aujourd'hui, il n'en reste qu'une.»

Pour prévenir la répétition de pareils scénarios, l'OCDE concocte présentement une réglementation qui devrait mettre un frein à l'introduction anarchique d'agents biologiques.

L'après 11 septembre
Le dernier nuage noir qui menace l'avenir de la lutte biologique origine du Patriot Act, adopté par l'administration Bush au lendemain des événements du 11 septembre. Un article de cette loi restreint l'importation de matériel biologique vivant, question d'intercepter aux frontières américaines d'éventuelles armes bactériologiques provenant de l'étranger.

«Parce que les agents de lutte biologique sont du matériel vivant, ils tombent sous le couvert de cette loi, ne peut que constater Jacques Brodeur. Il va donc falloir dédouaner ce matériel, avec les délais et les conséquences que cela implique pour des organismes vivants. Comme 80 % des agents biologiques utilisés aux États-Unis proviennent d'Europe, cette mesure met en péril, à court terme, la lutte biologique en sol américain. À plus long terme, par contre, elle pourrait favoriser l'émergence de producteurs locaux qui pourront prendre la relève», analyse le chercheur.

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