«Le respect de la dignité du mourant». Considérations éthiques sur l'euthanasie

Académie pour la vie (Église catholique)
C'est en déclarant la douleur "curable" (au sens médical) et en proposant comme un devoir de solidarité l'assistance envers celui qui souffre que l'on arrive à affirmer le véritable humanisme: la douleur humaine requiert amour et partage solidaire, non la violence "expéditive" de la mort anticipée déclare l'Académie pontificale pour la vie dans son document du 9 décembre, en réponse à ce qui constitue une légalisation de l'euthanasie par le Parlement hollandais.
Le document s'intitule: "Le respect de la dignité du mourant. Considérations éthiques sur l'euthanasie". Il est signé par le président de l'Académie, M. Juan de Dios Vial Correa, et le vice-président, Mgr Elio Sgreccia.

Surtout, l'Académie souligne qu'un malade entouré des soins nécessaires, médicaux - qui soulagent la souffrance, comme les soins palliatifs -, mais aussi humains, et spirituels - qui donnent un sens à la souffrance - surmonte les crises liées à la maladie et à la souffrance. Une demande éventuelle d'euthanasie est d'abord un appel à la solidarité et à la fraternité. La "solidarité fraternelle" vainc "la solitude" et "la tentation du désespoir".
Mais les personnes en bonne santé sont souvent "pauvres" face à de tels appels, souligne encore le document.

Un document qui n'hésite pas à dire: "Il n'est pas à exclure que, derrière certaines campagnes "pro-euthanasie", se cachent des questions de dépenses publiques, retenues insoutenables et inutiles face à la durée de certaines maladies".

Ce qui est aussi en jeu, explique le document, c'est la "finalité" et le "fondement" même de la société et "l'identité" professionnelle du médecin.

Le document propose au §6 des lignes de conduite, demande la disponibilité des thérapies nécessaires, sans acharnement thérapeutique, de l'assistance domiciliaire, et recommande de "favoriser toujours le dialogue et l'information du patient". Il y rappelle en outre la "grande différence éthique" existant entre "procurer la mort" et "permettre la mort".

Le texte, en italien, est disponible sur le site du Vatican (http://www.vatican.va, rubriques "Curie romaine" puis "Académies pontificales"). Nous proposons ci-dessous une traduction de travail, non officielle, en français.
1. A partir des années 70, et en commençant par les pays les plus développés du monde, s'est diffusée une campagne insistante en faveur de l'euthanasie entendue comme une action ou une omission qui par sa nature et ses intentions provoque l'interruption de la vie du malade grave ou bien du nouveau-né mal formé. Le motif qui est habituellement invoqué est de vouloir ainsi épargner au patient des souffrances définies comme inutiles.

On a développé des campagnes et des stratégies menées dans ce sens, avec le soutien d'associations en faveur de l'euthanasie au niveau international, à l'aide de manifestes publics signés par des intellectuels et des hommes de science, de publications favorables à de telles propositions - certaines accompagnées aussi par des instructions visant à enseigner à des personnes malades ou non différentes façons de mettre fin à la vie, lorsqu'elle est considérée comme insupportable -, d'enquêtes recueillant des avis de médecins, ou de personnages connus de l'opinion publique, favorables à la pratique de l'euthanasie et, enfin, à l'aide de propositions de loi présentées aux Parlements, ainsi que des tentatives de provoquer des sentences des Cours de justice qui pourraient déboucher sur une pratique de fait de l'euthanasie, ou au moins à son impunité.

2. Le cas récent de la Hollande, où existait déjà depuis quelques années une sorte de réglementation qui garantissait l'impunité au médecin qui aurait pratiqué l'euthanasie à la demande d'un patient, pose un cas de véritable légalisation de l'euthanasie à la demande, même si elle est circonscrite à des cas de maladie grave et incurable, accompagnée de souffrances et de conditions de vie telles que la situation soit soumise à une vérification médicale qui se présente comme rigoureuse.

La justification qui veut mettre en avant et présenter à l'opinion publique est repose sur deux idées fondamentales:

a) du principe de l'autonomie du sujet, qui aurait le droit de disposer de façon absolue de sa propre vie;

b) de la persuasion plus ou moins explicite du caractère insupportable et inutile de la douleur qui peut parfois accompagner la mort.

3. L'Eglise a suivi avec appréhension le développement d'une telle pensée, en y reconnaissant l'une des manifestations de l'affaiblissement spirituel et moral concernant la dignité de la personne mourante et une voie "utilitariste" de désengagement face aux véritables besoins du patient.

Dans ses réflexions, elle a maintenu un contact constant avec les acteurs et les spécialistes de la médecine en cherchant la fidélité aux principes et aux valeurs de l'humanité partagés par la grande majorité des hommes, à la lumière de la raison éclairée par la foi, et produisant des documents qui ont reçu l'approbation de personnes de la profession et d'une grande partie de l'opinion publique. Nous voulons rappeler la Déclaration sur l'Euthanasie (1980), publiée il y a déjà 20 ans par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le document du Conseil pontifical Cor Unum "Questions éthiques concernant les personnes gravement malades et les mourants " (1981), l'encyclique de Jean-Paul II Evangelium Vitae (1995) (en particulier les nn. 64-67), la "Charte des agents de santé" rédigée par le Conseil pontifical pour la pastorale de la santé (1995).

Dans ces documents, le Magistère ne s'est pas limité à définir l'euthanasie comme moralement inacceptable "en tant que meurtre délibéré d'une personne humaine" innocente (cf. EV 65: la pensée de l'encyclique est précisée au n. 57, permettant ainsi une juste interprétation du passage du n. 65 cité ci-dessus), ou comme un acte "honteux" (cf. Vatican II, Gaudium et Spes 27) , mais il a également été offert un itinéraire d'assistance au malade grave et au mourant qui s'inspire, tant du point de vue de l'éthique médicale que du point de vue spirituel et pastoral, de la dignité de la personne, du respect de la vie et des valeurs de la fraternité et de la solidarité, en stimulant les personnes et les institutions à répondre par des témoignages concrets aux défis actuels d'une envahissante culture de mort.

Récemment, cette Académie pour la Vie a consacré l'une de ses Assemblées générales (après un travail préparatoire de plusieurs mois) à ce même thème, et a publié ensuite les Actes conclusifs dans un volume intitulé "La dignité de la personne du mourant" ("The Dignity of the Dying Person", 2000).

4. Il faut rappeler ici, tout en renvoyant aux document cités ci-dessus, que la douleur des patients, dont on parle et sur laquelle on veut fonder une espèce de justification ou le caractère quasi obligatoire de l'euthanasie et/ou du suicide assisté, est aujourd'hui plus que jamais une douleur "curable" avec les moyens adéquats de l'analgésie et des soins palliatifs proportionnée à la douleur; celle-ci, accompagnée de l'assistance humaine et spirituelle adéquate, peut être adoucie et trouver du réconfort grâce à un climat de soutien psychologique et affectif.
D'éventuelles demandes de mort de la part de personnes qui souffrent gravement, comme le démontrent des enquêtes faites auprès des patients et les témoignages de cliniciens proches des situations des mourants, constituent presque toujours une "traduction extrême" d'une demande désolée du patient de recevoir davantage d'attention et de proximité humaine, en plus des soins adaptés, deux éléments que manquent parfois dans les hôpitaux d'aujourd'hui.
Aussi apparaît-elle d'autant plus vraie la considération déjà proposée par la Charte des agents de santé: "Le malade qui se sent entouré d'une présence humaine et chrétienne faite d'amour ne tombe pas dans la dépression et l'angoisse de celui qui au contraire se sent abandonné à son destin de souffrance et de mort, et demande d'en finir avec la vie. C'est pour cela que l'euthanasie est une défaite de qui en fait la théorie, la décide et la met en pratique"(n. 149).
A ce propos, on en vient à se demander si, par hasard, sous la justification du caractère "insupportable" de la douleur du patient, ne se cache pas au contraire l'incapacité des personnes en "bonne santé" d'accompagner le mourant dans son difficile travail de souffrance, de donner un sens à la douleur humaine - que, de toute façon on ne peut jamais éliminer totalement de l'expérience de la vie humaine ici bas - est une sorte de refus de l'idée même de la souffrance, toujours plus diffuse dans notre société du bien-être et de l'hédonisme. Il n'est pas à exclure que, derrière certaines campagnes "pro-euthanasie", se cachent des questions de dépenses publiques, considérées comme insoutenables et inutiles face à la durée de certaines maladies.

5. C'est en déclarant la douleur "curable" (au sens médical) et en proposant comme un devoir de solidarité l'assistance envers celui qui souffre que l'on arrive à affirmer le véritable humanisme: la douleur humaine requiert amour et partage solidaire, non la violence "expéditive" de la mort anticipée.

Par ailleurs, le soi-disant "principe d'autonomie", par lequel on veut parfois exaspérer le concept de liberté individuelle, en poussant au-delà de ses limites rationnelles, en peut certainement pas justifier la suppression de la vie du sujet ou d'un autre: l'autonomie personnelle, en fait, a comme présupposé le fait "d'être vivant" et en appelle à la responsabilité de l'individu, qui est "libre pour" faire le bien selon la vérité; et il arrivera à s'affirmer lui-même, sans contradictions, uniquement en reconnaissant (même dans une perspective purement rationnelle) d'avoir reçu sa vie comme un "don", dont il ne peut donc être le "maître absolu"; supprimer la vie, en définitive, veut dire détruire les racines mêmes de la liberté et de l'autonomie de la personne.

Et lorsque la société en arrive à légitimer la suppression de l'individu - peu importe à quel stade de la vie il se trouve, ou à quel point sa santé est compromise - elle nie sa propre finalité et le fondement même de son existence, en ouvrant la voie à des iniquités de plus en plus graves.
Enfin, la légitimation de l'euthanasie implique une complicité perverse du médecin qui, du fait de son identité professionnelle et des exigences déontologiques absolues qui y sont attachées, est appelé à toujours soutenir la vie et à soigner la douleur, jamais à donner la mort "pas même sous les pressions de qui que ce soit" (Serment d'Hippocrate); une telle conviction éthique et déontologique a traversé les siècles intact dans sa substance, comme le confirme par exemple la Déclaration sur l'euthanasie de l'Association médicale mondiale (39e Assemblée, Madrid 1987) qui dit: "L'euthanasie, c'est-à-dire l'acte de mettre fin délibérément à la vie d'un patient, soit à la suite de la demande du patient lui-même ou à la demande de sa famille, est immoral. Cela n'empêche pas le médecin de respecter le désir d'un patient de permettre eu processus naturel de la mort de suivre son cours dans la phase finale de la maladie".

La condamnation de l'euthanasie exprimée dans l'encyclique "Evangelium Vitae" - comme une "grave violation de la Loi de Dieu, en tant qu'elle est le meurtre délibéré, moralement inacceptable, d'une personne humaine" (n. 65) - , renferme le poids de la raison éthique universelle (est fondée sur la loi naturelle) et la requête élémentaire de la foi dans le Dieu Créateur et gardien de toute personne.

6. La ligne du comportement envers le malade grave et le mourant devra s'inspirer du respect de la vie et de la dignité de la personne; devra poursuivre le but de rendre disponibles les thérapies proportionnées, dans susciter aucune forme "d'acharnement thérapeutique"; devra recueillir la volonté du patient lorsqu'il s'agit de thérapies extraordinaires ou risquées - auxquelles on est pas moralement tenu d'adhérer -; devra assurer toujours les soins ordinaires (cachets nutritifs et hydratation, même artificiels) et s'engager dans les soins palliatifs, surtout pour la thérapie adéquate de la douleur, en favorisant toujours le dialogue et l'information du patient lui-même.
A l'approche immédiate de la mort qui apparaît désormais inévitable, et imminente, "il est licite en conscience de prendre la décision de renoncer à des traitements qui procureraient seulement le prolongement précaire et pénible de la vie" (cf. Déclaration sur l'euthanasie, IVe partie), du fait qu'il y ait une grande différence éthique entre "procurer la mort" et "permettre la mort": le premier comportement refuse et nie la vie, le second en accepte l'accomplissement naturel.

7. Les formes d'assistance domiciliaire - aujourd'hui toujours plus développées, surtout pour le patient malade de tumeur -, le soutien psychologique et spirituel de la famille, des professionnels et des volontaires, peuvent et doivent transmettre la persuasion que tout moment de la vie et que toute souffrance peuvent être habitées par l'amour et sont précieux devant les hommes et devant Dieu. L'atmosphère de la solidarité fraternelle dissipe et vainc l'atmosphère de la solitude et de la tentation du désespoir. L'assistance religieuse en particulier - qui est un droit et une aide précieuse pour tout patient et pas seulement dans la phase finale de la vie - si elle est accueillie, elle transfigure la douleur en acte d'amour rédempteur et la mort en ouverture à la vie en Dieu.

Les brèves considérations offertes ici se placent dans le cadre de l'enseignement constant de l'Eglise, qui, en s'efforçant d'être fidèle à son mandat "d'actualiser" dans l'histoire le regard d'amour de Dieu pour l'homme, surtout lorsqu'il est faible et souffrant, continue d'annoncer avec force "L'Evangile de la vie", certaine que, dans le cœur de toute personne de bonne volonté, il puisse résonner et être accueilli: tous, en fait, nous sommes invités à faire partie du "peuple de la vie et pour la vie" (cf. Evangelium Vitae 101).

Le président
Juan de Dios Vial Correa

Le vice-président
Mgr Elio Sgreccia

Cité du Vatican, 9 Décembre 2000

ZENIT (13 décembre 2000)- www.zenit.org/french. Droits réservés

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