La flexibilité du temps de travail

Brigitte Lestrade
La question cruciale semble être de savoir si les PME peuvent se permettre d'adopter la flexibilité des heures de travail.
Les nouvelles voies de la flexibilité du temps de travail

    La République fédérale, en tant que «site industriel», est en mauvaise posture, ce qui inquiète les Allemands. Championne mondiale de la cherté du travail et de la durée des congés (1), l'Allemagne ne compense pas ce handicap par une productivité élevée: contrairement à un préjugé positif très répandu, elle est également en tête du classement des coûts salariaux par pièce (Lohnstückkosten). À cette réputation non usurpée de pays cher s'ajoutent des rigidités inhérentes aux économies du modèle rhénan: un taux global de charges qui atteint 45% du PNB, l'omniprésence d'une bureaucratie tatillonne (presque 20% des Allemands travaillent dans le secteur public), ainsi qu'un système d'organisation du travail qui conduit les entreprises allemandes à présenter, avec 53 heures seulement par semaine, la durée de fonctionnement des équipements la plus faible de l'Union européenne.

    Devant ce constat alarmant, deux prises de position diamétralement opposées pour améliorer la compétitivité de l'Allemagne ont été développées: l'une préconisait un retour immédiat à la semaine de 40 heures et un gel des salaires, tandis que l'autre défendait la nécessité d'abaisser considérablement le nombre d'heures ouvrées par semaine, si possible avec compensation intégrale des salaires. Les défenseurs de la semaine de 40 heures estimaient que le travail n'est pas une somme finie qu'il convient de répartir sur davantage de personnes pour faire baisser le chômage, mais une variable qui dépend de nombreux facteurs sur lesquels les acteurs économiques peuvent peser. À l'appui de cet argument, ils citent volontiers l'exemple de pays qui conjuguent un faible taux de chômage avec un nombre annuel d'heures de travail élevé, tel que le Japon. Les tenants d'une réduction de la semaine de travail arguaient de la situation spécifique de l'Allemagne, où l'accroissement massif du chômage est intervenu au moment où la réduction régulière du temps de travail s'était fortement ralentie. (2)

    Ces divergences d'opinion persistent toujours, mais dans la mesure où les spécialistes prévoient, pour les années à venir, ce qu'il est convenu d'appeler «jobless growth», c'est-à-dire une croissance économique sans création d'emplois (3), les tenants de la semaine de 40 heures se sont faits moins virulents et acceptent - à contrecoeur - que se poursuive le mouvement de réduction du temps de travail, mais sous condition qu'il s'accompagne d'une plus grande flexibilité du temps de travail.

    Depuis 1993, les partenaires sociaux tentent de façon accrue de remédier au problème de la rigidité des structures en introduisant une plus grande souplesse dans une organisation du travail qui ne paraît plus adaptée aux exigences du temps présent. Le thème de la flexibilité du temps de travail et des salaires est au centre des débats actuels entre les partenaires sociaux. Les employeurs ne cachent d'ailleurs pas qu'ils visent en premier lieu un abaissement des coûts salariaux, tandis que les syndicats poursuivent l'objectif de la création ou du maintien d'emplois. Le concept de flexibilité ne recouvre pas forcément un recours accru au travail posté, au travail de nuit et de week-end, ou, dans l'autre sens, au travail à temps partiel - il vise en premier lieu l'abandon de systèmes d'organisation rigides du temps de travail.

    Si la nouvelle de la création d'une semaine de quatre jours chez Volkswagen a traversé l'Europe à la manière d'une onde de choc, il ne faut pas oublier que la firme allemande n'est ni précurseur ni révolutionnaire dans ce domaine. Bien d'autres firmes ont eu recours à la flexibilisation du temps de travail avant elle. (4) Mais en raison de sa notoriété, elle a attiré les regards, en Allemagne comme à l'étranger, sur son projet, et initié du coup un vaste débat sur la réorganisation du travail. Il en est résulté un amendement de la loi sur le temps de travail et une floraison de modèles de flexibilisation qui risquent de ne pas rester sans conséquences sur le traditionnel rapport de forces entre employeurs et salariés.

    La semaine de quatre jours chez Volkswagen

    Avec une production annuelle de trois millions de véhicules, le groupe Volkswagen (5) est le premier constructeur européen et le quatrième au niveau mondial. À la fin de 1993, il employait au total 253 000 salariés, dont 150 000 en Allemagne. De graves difficultés financières dans l'ensemble du groupe ainsi que des retards dans la réorganisation de la production ont amené le groupe Volkswagen à prendre des mesures d'économie drastiques. Suite à l'accroissement de productivité initié par la direction, le groupe se voyait confronté à la nécessité de réduire le personnel de 30,000 personnes. Mais les licenciements coûtent cher. Les frais induits par les plans sociaux reviennent à 40 000 DM par personne, d'après les calculs de Volkswagen.

    Après les pertes financières subies les années précédentes, y compris le plan social pour les 8 000 salariés licenciés en 1993, le coût pour le groupe aurait été de plus d'un milliard de DM.

    À ces considérations d'ordre financier s'ajoutait l'intérêt d'un actionnaire certes minoritaire mais dont l'opinion compte: le Land de Basse-Saxe et son puissant ministre-président, Gerhard Schröder qui, en période préélectorale, ne souhaitait pas faire face au mécontentement de sa base électorale. Pour toutes ces raisons, le groupe Volkswagen a présenté à ses salariés un plan de réduction du temps de travail qui concerne, non pas les 30 000 salariés considérés comme surnuméraires, mais l'ensemble des effectifs.

    Les détails de l'accord

    Le 15 décembre 1993, Volkswagen et le syndicat IG-Metall ont conclu un accord aux termes duquel patronat et syndicat ont choisi de réduire le temps de travail sans compensation intégrale du salaire pour éviter d'avoir à recourir à des licenciements. Le modèle Volkswagen, qui se veut pionnier de la semaine de quatre jours, n'est pas destiné à créer des emplois, mais à en préserver.

    Depuis le 1er janvier 1994, les 101 000 salariés allemands de Volkswagen travaillent 28,8 heures en moyenne par semaine, au lieu de 35 heures auparavant, et ceci réparti la plupart du temps sur quatre jours. La direction du personnel a développé près de 200 variantes d'horaires flexibles qui peuvent se résumer de la façon suivante:

    1. La semaine de 4 jours: 4 journées de 7 heures 12 minutes.

    2. La flexibilité sur le mois: 4 semaines de travail complètes (5 jours) avec des journées de 7 heures 12 minutes; la cinquième semaine est libre.

    3. Le roulement des jours libres: des semaines de travail de 4 journées de 7 heures 12 minutes; une journée libre par semaine, mais qui n'est pas la même d'une semaine à l'autre.

    4. Le travail posté avec 4 groupes: la première semaine en équipe du matin, la seconde en équipe de l'après-midi, la troisième en équipe de nuit, la quatrième restant libre; les journées de travail sont de 8 heures.

    5. La réduction journalière: deux possibilités: des semaines de 5 jours de 5 heures 46 minutes ou des journées de 6 heures 30 minutes chaque jour sauf un jour toutes les 2 semaines.

    6. La semaine de 4,25 jours: 4 journées de 6 heures 47 minutes pendant 3 semaines, la quatrième semaine 4 journées de 6 heures 47 minutes plus une journée de 6 heures 40 minutes.

    Si le passage à la semaine de 4 jours a permis de maintenir 20,000 emplois, d'autres conventions sont venues compléter le dispositif pour sauvegarder les 10 000 emplois restants. Elles s'adressent plus particulièrement aux salariés jeunes ou âgés d'une part et aux salariés en manque de formation d'autre part. Le premier projet, qualifié de «modèle relais», prévoit un partage progressif du temps de travail à l'entrée et à la sortie de la vie professionnelle, entre les jeunes et les salariés plus âgés qui se préparent à la retraite.

    Pour pouvoir garder les jeunes apprentis formés par ses soins au sortir de la formation professionnelle, Volkswagen leur propose de les prendre à mi-temps (20 heures par semaine) pendant deux ans et, à la fin de cette période, d'allonger progressivement leur temps de travail pour les amener au temps plein au bout de 42 mois d'activité. À l'autre bout du spectre, les salariés de plus de 56 ans font le chemin inverse et réduisent peu à peu leur temps de travail pour arriver à 20 heures par semaine au moment de leur départ à la retraite, à 62 ans.

    Le deuxième projet, le modèle «bloc», constitue une innovation par rapport aux variantes de flexibilité existant jusqu'alors. Les partenaires sociaux se sont en effet mis d'accord sur une formule qui permet aux salariés l'équivalent d'un congé sabbatique, c'est-à-dire un congé de trois mois sur une année de travail, et ce essentiellement pour suivre une formation professionnelle. Pendant ce congé, ils percevraient des allocations de chômage partiel, versées par les agences pour l'emploi du Land et par l'entreprise. Ce système garantirait la presque totalité du salaire net pour les bas salaires (95%), un peu moins (85%) pour les rémunérations plus élevées. Le modèle bloc s'adresse surtout aux jeunes salariés célibataires dont la formation laisse à désirer, ou qui souhaitent simplement se ménager des plages de temps libre importantes pour réaliser des projets personnels.

    Pour ce qui est des salaires, une chose est sûre: il n'y a pas de compensation intégrale. Les affirmations divergent toutefois considérablement sur l'étendue de l'effort demandé aux salariés. D'après les syndicats, la réduction du temps de travail de 20% s'est accompagnée d'une perte de revenus de seulement 10%. Le patronat, quant à lui, estime qu'elle va presque jusqu'à 20%, tandis que les commentaires qui accompagnent cet événement dans la presse citent à peu près tous des chiffres compris entre 10 et 20%. (6)
    Si une telle incertitude règne à ce propos, c'est que le système de calcul imaginé par le directeur du personnel, Peter Hartz, n'est pas simple. La priorité était de sauvegarder la rémunération mensuelle. Or, le salaire chez Volkswagen comprenait, outre la rémunération mensuelle, une série de primes - de Noël, de congés annuels, etc. - qui contribuaient de façon sensible à l'augmentation du pouvoir d'achat des salariés. Toute l'astuce de M. Hartz consistait à combler la réduction de 20% du salaire mensuel par les primes rapportées au mois. Le tableau ci-dessous donne un exemple chiffré pour illustrer la complexité du calcul.

    [...]

    Cet exemple qui fait état d'une perte de salaire de 10,75% pour cette catégorie d'ouvriers pratiquant la semaine de quatre jours, montre aussi que les salariés de Volkswagen, loin d'être payés au SMIC (qui n'existe pas en Allemagne), bénéficient de rémunérations leur permettant plus facilement qu'à d'autres de subir une ponction financière en échange d'une réduction du temps de travail.

    Les nouveaux modèles introduits par Volkswagen ont une durée de deux ans; mais il est possible de les transformer en système permanent. Ils s'appliquent à tous les salaires, même au personnel d'encadrement qui a vu sa rémunération baisser de 20%, sans toutefois que son temps de travail soit amputé. Pour cette catégorie de personnel, Volkswagen a renoncé à spécifier une durée précise du temps de travail, le résultat étant déterminant.

    Les réactions

    L'introduction du modèle Volkswagen a suscité des réactions très diverses, non seulement dans les milieux économiques, mais aussi dans la société tout entière: la réduction du temps de travail pour chacun allait-elle vraiment créer des emplois pour tous? La diminution du salaire concomitante n'était-elle pas insupportable pour la majorité des salariés? Ce qui a sans doute contribué à accroître la confusion dans les esprits, c'est que le modèle Volkswagen semblait prendre tout le monde à contre-pied. Les patrons ainsi que le ministre de l'Économie, Günter Rexrodt, n'avaient-ils pas prôné l'allongement des heures de travail comme meilleur remède contre le chômage? Les syndicats n'avaient-ils pas toujours refusé toute réduction du temps de travail sans compensation intégrale du salaire?

    Pour le DGB, la Confédération des syndicats allemands, le compromis réalisé par le patronat de Volkswagen et le syndicat IG-Metall est «un succès de l'autonomie tarifiaire». Les points positifs qu'il relève sont notamment la priorité donnée au maintien de l'emploi, une compensation salariale au moins partielle, l'application de l'accord à l'ensemble du personnel, et surtout la nouvelle impulsion donnée à la réduction du temps de travail à laquelle le patronat ne pourra plus se dérober.

    Or, au début des négociations, si l'IG-Metall était parfaitement d'accord avec la semaine de quatre jours, il entendait bien l'obtenir avec maintien intégral du salaire - et sans céder sur la flexibilité. Dans la mesure où la situation financière de Volkswagen ne permettait pas d'honorer la première exigence, l'IG-Metall était dans l'inconfortable situation de devoir choisir entre deux maux: des licenciements massifs ou une réduction de la rémunération annuelle. Avec le soutien des salariés de Volkswagen, il a rapidement opté pour la seconde solution - décision pourtant bien difficile, puisque c'est la première fois depuis la guerre qu'un syndicat a dû accepter une telle mesure. Il a toutefois obtenu que les projets de flexibilisation du temps de travail élaborés par le patronat ne soient pas appliqués: la semaine de quatre jours répartis du lundi au samedi inclu a été ramenée aux cinq jours habituels du lundi au vendredi. Il semble certain que seule la menace d'un licenciement massif a pu amener l'IG-Metall à tailler dans les acquis de ses adhérents.

    Si les sentiments de l'IG-Metall et du DGB sont dans l'ensemble positifs, les autres syndicats gardant une prudente réserve, l'attitude du patronat est plutôt négative. La plupart des responsables des grandes entreprises soulignent le caractère exceptionnel de la solution Volkswagen: une accumulation d'erreurs de management conduisant à une situation critique ponctuelle alliée à une situation financière très confortable des salariés. Les salariés de Volkswagen gagnent à partir du 1er, janvier 1994 toujours plus que la plupart de leurs collègues dans la petite et moyenne industrie métallurgique et presque autant que les ouvriers chez Audi, tout en travaillant nettement moins qu'eux. Voilà pourquoi, si les patrons des grandes entreprises restent sceptiques, ceux des PME/PMI sont nettement hostiles au modèle Volkswagen; car si VW économise 1,6 milliard de marks globalement sur la première année d'application de cette mesure, les coûts horaires, eux, augmentent. Les PME ne voient pas comment ils pourraient faire face à une telle augmentation, ni comment leurs salariés, partant d'un niveau de rémunération beaucoup plus bas, pourraient accepter des coupes sombres dans leurs salaires.

    Autre argument: VW a certes réduit le temps detravail de ses salariés et fait baisser sa dépense globale, mais il n'en a pas profité pour flexibiliser les horaires en vue d'augmenter le temps de fonctionnement des équipements. Or, ce que souhaite la majorité des entrepreneurs n'est pas tant une réduction de l'horaire global sur la semaine, mais l'introduction d'une plus grande flexibilité du temps de travail non seulement sur la semaine, mais aussi sur le mois et sur l'année. Si le patronat estime que le modèle Volkswagen est difficilement transposable, il se félicite néanmoins que le tabou de la réduction du temps de travail sans compensation intégrale du salaire soit enfin tombé. (7)

    Les problèmes pratiques

    La convention collective est en vigueur depuis le 1 - janvier 1994; depuis le mois d'avril, 140 variantes organisationnelles du temps de travail sont appliquées chez Volkswagen, dont 50 sur le seul site de Wolfsburg. Il a fallu des mois pour la mise au point du système; les responsables du personnel reconnaissent volontiers que tous les problèmes ne sont pas résolus. Un des problèmes qui ont failli remettre toute l'organisation en question est l'amélioration inattendue de la conjoncture dans l'industrie automobile. Le subit gonflement du carnet de commandes a conduit à un accroissement du travail, notamment sur le site de Hanovre qui est le seul à produire un petit camion très demandé. Si la convention collective prévoit bien le cas d'une remontée temporaire du temps de travail à 35 heures hebdomadaires, les heures au-delà de 28,8 heures ne sont plus rémunérées sur la base d'heures supplémentaires, mais consignées sur un «compte du temps de travail» et récupérées plus tard sous forme de journées non ouvrées. Même si cette situation est provisoire, elle suscite le mécontentement des salariés qui ont l'impression, à juste titre, de travailler autant qu'avant, et ce pour un salaire réduit.

    Un autre problème concerne les besoins inégaux en main-d'oeuvre des différents services: si la production est en sureffectif, certains départements, comme la recherche et le développement, manquent de salariés. Un millier de techniciens et ingénieurs ont déjà été transférés de la production vers la recherche sur le site de Wolfsburg, mais ce mouvement se heurte non seulement à des différences de qualification, mais aussi à une réticence croissante des salariés face aux transferts qui ne sont plus, comme par le passé, accompagnés de primes de séparation. Pour cette raison, la direction de Volkswagen envisage de mettre sur l'agenda des négociations d'une convention collective valable à partir de 1996 des discussions sur une version plus restrictive des critères de la mobilité (8).

    Les responsables chez Volkswagen sont conscients que leur solution ne peut être que ponctuelle, car toute réduction du temps de travail ne produit d'effet sur le maintien de l'emploi que dans la mesure où la productivité ne s'accroît pas. Or, chez Volkswagen , de grands efforts ont été entrepris pour augmenter la productivité. Le sort que connaîtra leur modèle d'organisation du temps de travail au 1er janvier 1996 est incertain. Les salariés, pour leur part, souhaitent à 80% le retour vers la situation antérieure.

    Le modèle Volkswagen a toutefois un effet positif incontesté: en ramenant le temps de travail à moins de trente heures par semaine, il contribue à effacer la distinction nette entre travail à temps plein et travail à temps partiel, rendant du coup à ce dernier le service de le sortir de son ghetto. Le gouvernement de Bonn qui, depuis quelques mois, fait de grands efforts pour promouvoir le travail à temps partiel, apprécie.

    Le temps de travail dans la loi et les conventions collectives

    L'organisation du temps de travail dans l'entreprise obéit aux règles juridiques fixées par le gouvernement et, le cas échéant, aux conventions collectives. Tous les modèles de temps de travail, celui de Volkswagen comme ceux qui ont suivi, s'inscivent dans le cadre de la Loi sur le temps de travail (Arbeitszeitgesetz ou ArbZG) qui s'inspire des normes régissant la protection de la santé des salariés. L'année 1994 a vu une réforme de la Loi sur le temps de travail ainsi qu'une série de conventions collectives qui innovent en matière de flexibilité.

    La nouvelle Loi sur le temps de travail (ArbZG)

    Entrée en vigueur au 1er juillet 1994, la nouvelle Loi sur le temps de travail concède une plus grande marge de manoeuvre aux entreprises dans la conception et l'organisation du temps de travail de leurs salariés. De plus, elle a ceci de particulier qu'elle autorise les partenaires sociaux à dépasser des limites maximales fixées par la Loi, si la convention collective le permet.

    Durées de travail maximales: la durée maximale de la journée ouvrée a été fixée à huit heures, ce qui donne une limite hebdomadaire maximale de 48 heures, le samedi étant considéré comme un jour de travail normal.

    La nouvelle loi permet de porter le temps de travail journalier à dix heures, sous condition que la durée moyenne de huit heures calculée sur une certaine période ne soit pas dépassée. C'est à l'endroit de la définition de cette période que le législateur a introduit davantage de souplesse dans le dispositif, car la durée de deux semaines prévue par l'ancienne loi pour cette compensation a été portée à un maximum de six mois ou 24 semaines respectivement. Cette limite peut être dépassée si la convention collective le prévoit. De même pour le travail de nuit, dont la durée maximale journalière ou hebdomadaire est identique à celle du travail de jour; la loi prévoit des délais de compensation d'un mois ou de quatre semaines, modulables par convention entre les partenaires sociaux.

    Il est à noter que ces dispositions permettant une modulation de la loi par la convention collective s'appliquent également aux entreprises non assujetties à une convention, au cas où le prévoit la convention collective qui devrait théoriquement s'appliquer à elles. (9)

    Temps de repos: la réglementation des pauses pendant le travail a été unifiée et durcie. La nouvelle disposition qui s'applique désormais aussi bien aux femmes qu'aux hommes spécifie que les salariés ont droit à une pause seulement à partir d'un temps de travail minimal de six heures, et ce d'une durée de trente minutes. Ce n'est qu'à partir de neuf heures de travail par jour que les salariés ont droit à 45 minutes de pause. Si les partenaires sociaux ne sont pas libres de rogner sur ces durées, ils peuvent les découper en pauses de 15 minutes et les disposer librement.

    Le temps de repos, c'est-à-dire le temps entre la fin et la reprise du travail est de onze heures, comme auparavant. La loi fixe des domaines d'activité, tels qu'hôpitaux, restaurants, agriculture, où cette limite, sous condition de compensation ultérieure en l'espace d'un mois ou de quatre semaines, peut être abaissée à dix heures.

    Globalement, les partenaires sociaux peuvent se mettre d'accord pour réduire le temps de repos minimal de deux heures au plus s'il y a compensation ultérieure et si la nature du travail l'exige.

    Travail du dimanche et des jours fériés: la nouvelle loi maintient l'interdiction du travail le dimanche et les jours fériés, mais la prolifération d'exceptions à cette mesure la réduit à une question de principe. Elle permet même, exception très contestée, le travail le dimanche et les jours fériés pour raisons économiques. Une entreprise a le droit d'y recourir si elle exploite déjà assez largement les 144 heures hebdomadaires de fonctionnement maximal autorisées et si des concurrents étrangers, dépassant cette durée de 144 heures, portent un grave préjudice à la compétitivité de l'entreprise. Cette autorisation d'exception, qui doit être accordée par l'administration de tutelle à l'entreprise qui remplit les conditions, est censée sauvegarder des emplois.

    Il est toutefois peu probable que la nouvelle réglementation conduise à une augmentation notable du travail du dimanche, et ce pour deux raisons il occasionne des surcoûts notables comparé au travail des jours de semaine, et il existe encore des réserves appréciables de temps de travail non exploité en dehors du dimanche. Globalement, le travail du dimanche n'a guère augmenté ces dernières années. Dans l'industrie, il a même fortement reculé, mouvement qui a été compensé par une augmentation concomitante dans le secteur des services. (10)

    La nouvelle Loi sur le temps de travail (ArbZG), tout en reprenant la charpente de l'ancienne (AZO), a donné une nouvelle latitude aux partenaires sociaux, dont ceux-ci se sont rapidement prévalus dans l'élaboration des conventions collectives venues à échéance en 1994.

    Les règlements sur le temps de travail dans les conventions collectives

    Les questions de temps de travail n'auraient dû jouer qu'un rôle mineur en 1994, les conventions collectives soumises à négociation portant essentiellement sur le domaine des salaires. Mais les conséquences de la crise conjoncturelle et structurelle sur le marché de l'emploi ont conduit patronat et syndicats à inclure le sujet du temps de travail dans leurs discussions. Nombreuses étaient les entreprises qui estimaient que les réductions continues du temps de travail ne s'étaient pas accompagnées de mesures de flexibilisation correspondantes et qui se trouvaient à l'étroit dans le corset imposé par les conventions collectives. Sans mettre en cause la durée normale du travail qui, selon les secteurs, varie entre 36 et 39 heures par semaine, elles réclamaient la possibilité de pouvoir répartir cette durée de façon variable sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois, pour pouvoir répondre de façon plus souple aux variations de la demande. Les syndicats, dont l'enthousiasme pour la flexibilité est limité, se sont inclinés sous la pression du chômage.

    Pourtant, les premiers pas vers la flexibilité ne datent pas d'hier. C'est en effet le syndicat IG-Metall, après sa victoire dans le conflit autour de la semaine de 35 heures, qui a accepté que le temps d'utilisation des équipements et le temps de travail des salariés soient pour la première fois «découplés».Les conventions collectives de 1984 dans la métallurgie, l'industrie du bois et l'imprimerie permettaient une répartition inégale du temps de travail sur une certaine période; un accord, dans la métallurgie et l'industrie électrotechnique, autorisait un temps de travail individuel pouvant varier entre 37 et 48 heures. Seule condition: les 38,5 heures fixées dans la convention de l'époque devaient être atteintes en moyenne sur la période considérée.

    Dix ans plus tard, les partenaires sociaux vont beaucoup plus loin dans la systématisation de la flexibilité en inventant le «corridor» du temps de travail. C'est le secteur de la chimie, traditionnellement assez «consensuel», qui a ouvert la voie avec la convention collective signée le 11 janvier 1994. Elle prévoit que la durée normale du temps de travail, qui passe de 39 à 37,5 heures par semaine en moyenne sur l'année, peut être dépassée ou diminuée de 2,5 heures hebdomadaires. Dans l'industrie chimique n'existe plus, depuis cette année, une durée de travail fixe, mais un «corridor» de 35 à 40 heures, qui permet un retour durable vers la semaine de 40 heures, sans qu'il implique le versement d'heures supplémentaires ou, inversement, l'introduction de la semaine de 35 heures, sans compensation salariale. La durée maximale étant fixée à 10 heures par jour, six jours sur sept, certaines semaines, les salariés peuvent être amenés à travailler jusqu'à 60 heures, quitte à récupérer du temps libre plus tard dans l'année, voire l'année suivante; certains projets prévoient, en effet, l'étalement du calcul du temps de travail sur trois ans.

    Cette innovation s'applique désormais à des entreprises entières, et non plus à des départements (11), mais elle requiert non seulement un accord au sein de l'entreprise concernée, mais aussi celui des partenaires sociaux. La convention de branche se borne à poser le cadre juridique, à l'intérieur duquel chaque entreprise peut négocier son propre modèle flexible. Des «corridors» analogues sont prévus dans les conventions collectives des industries du verre, du papier, du caoutchouc et du cuir.

    Il est à noter que le secteur de la chimie innove aussi en matière de flexibilité des salaires, pour soutenir le marché de l'emploi. Les apprentis, embauchés à l'issue de leur formation professionnelle, sont rémunérés à 95% du salaire prévu dans les conventions salariales, pour un contrat de travail à durée indéterminée. Les chômeurs sans emploi depuis plus de six mois, qualifiés de chômeurs de longue durée, peuvent être rémunérés pendant un an à 90% du salaire conventionné. La convention collective de 1994 dans la métallurgie, également citée en exemple, tente une autre approche. L'objectif avoué étant le maintien de l'emploi, elle offre la possibilité aux entreprises du secteur de négocier librement une diminution du temps de travail jusqu'à 30 heures par semaine. La convention prévoit deux clauses d'ouverture:

    1. si cette réduction du temps de travail s'applique à tous les salariés, même à ceux qui font encore 40 heures par semaine (12), l'entreprise offre en retour une garantie contre les licenciements économiques pendant la durée de validité de l'accord;

    2. si le temps de travail n'est réduit que pour certaines catégories de salariés, l'entreprise doit verser une compensation salariale partielle (allant de 1 à 7% du salaire horaire), qui est d'autant plus forte que la réduction du temps de travail est plus grande; cette option exclut la garantie d'emploi.

    La sidérurgie a adopté un modèle de flexibilité analogue cette année, avec la possibilité d'une réduction du temps de travail de 35 à 32 heures et, inversement, d'un allongement de celui-ci, à l'instar de ce qui a été convenu dans la métallurgie en 1990. Cette dernière mesure n'entrera en vigueur qu'au le juin 1996.

    Les premières expériences dans les secteurs couverts par les nouvelles conventions n'ont pas été exemptes de surprises. Dans la métallurgie, les partenaires sociaux ont constaté que la majorité des entreprises, peut-être encore sous le coup de l'effet Volkswagen, ont choisi la première option, la réduction du temps de travail pour tous, avec une semaine de travail de 32 heures en moyenne. Or, les employeurs s'attendaient au choix de la deuxième formule, certains départements importants, tels que recherche et développement, étant plutôt en faveur d'un allongement du temps de travail. Le statut des travailleurs de 40 heures a soulevé des dissensions. Les employeurs voulaient leur appliquer une réduction du temps de travail du même ordre que celle touchant la majorité des salariés: cette mesure les aurait fait passer de 40 à 36 heures. L'IG-Metall, lui, voulait une application uniforme à l'ensemble du personnel. En pratique, les entreprises non seulement admettent, mais favorisent des durées de travail plus longues pour certaines catégories du personnel. (13) Pour l'instant, L'IG-Metall ne sait toujours pas s'il souhaite reconduire le «corridor», dont la durée a été limitée à deux ans. Certains syndicalistes ne croient pas aux vertus de la réduction du temps de travail en matière de maintien d'emplois et font plutôt confiance aux méthodes éprouvées, tels que plans sociaux et préretraites.

    Les partenaires sociaux dans l'industrie chimique n'ont pas assigné de limite à la durée d'application du «corridor». Six mois après son entrée en vigueur, sa grande flexibilité a été mise à profit par 24 entreprises avec au total 6500 salariés, dont 15 ont réduit le temps de travail et 9 l'ont augmenté. Si l'IG-Chemie est dans l'ensemble satisfait des mesures de flexibilité du temps de travail, il se montre plus réservé quant à la flexibilité des salaires. Il estime que les employeurs doivent encore apporter la preuve que les salaires inférieurs à ceux fixés par convention ont un effet sur l'emploi. Sinon, il n'est pas prêt à reconduire cette clause. (14)

    Les récentes innovations en matière de flexibilité du temps de travail, où les partenaires sociaux ont en quelque sorte anticipé les modifications du cadre légal, ont le mérite de réconcilier partisans et adversaires de la réduction du temps de travail: le corridor permet de réduire aussi bien que d'augmenter la durée de travail normale, comme le prouve la politique adoptée par les entreprises du secteur de la chimie. Conçu pour faire des économies au niveau des salaires, il impose toutefois aux seuls salariés le poids de la flexibilité.

    La flexibilité du temps de travail dans les entreprises

    La publicité faite autour du modèle Volkswagen et la conclusion, dans la foulée, des conventions collectives dans la métallurgie et la chimie ont fortement attiré l'attention sur les avancées faites en matière de flexibilité du temps de travail. La Confédération des associations patronales (BDA) a saisi cette occasion pour lancer une enquête sur la réelle étendue des formes de flexibilité dans les entreprises. (15) Même si elle ne peut se prévaloir d'être représentative des entreprises allemandes dans leur ensemble, les résultats auxquels elle est parvenue ne semblent pas être très éloignés de la réalité: la grande majorité des entreprises pratique toujours la semaine de travail régulière, où le temps de travail est réparti de façon égale du lundi au vendredi. Cela s'applique à 72% des ouvriers et 78% des employés concernés. Une entreprise sur cinq pratique des horaires irréguliers pour ses ouvriers, et une sur six pour ses employés. La base de calcul pour ces salariés est le mois, avec toutefois une nette tendance à l'allongement, un tiers des entreprises aux horaires irréguliers ayant choisi la durée d'une année pour leurs ouvriers.

    Les variantes du temps de travail

    Les entreprises interrogées citent, par ordre d'importance, les formes suivantes de flexibilité du temps de travail qu'elles pratiquent:

    - les heures supplémentaires
    - le travail à temps partiel
    - les horaires mobiles
    - les horaires échelonnés
    - les horaires en fonction des besoins
    - la rotation des équipes
    - le temps de travail totalement variable.

    Cette liste, qui donne la prééminence aux heures supplémentaires, semble témoigner d'un immobilisme certain en matière de flexibilité. Si toutefois on la complète par l'indication de la fréquence avec laquelle les entreprises ont recours à telle ou telle forme de flexibilité pratiquée chez elles, l'image se nuance: ce ne sont pas les heures supplémentaires onéreuses auxquelles elles ont le plus recours, mais les horaires mobiles. ( 16) Même constat pour le travail à temps partiel qui, bien qu'existant dans presque toutes les entreprises, ne sert pratiquement pas en tant qu'instrument de flexibilisation. (17) La rotation des équipes de travail, en bas dans la liste, est toutefois pratiquée très souvent par la moitié des entreprises qui y ont recours.

    La flexibilité du temps de travail est déjà une réalité en Allemagne, même si les variantes les plus souples sont encore peu pratiquées à grande échelle. Il existe toutefois un certain nombre d'entreprises, surtout dans des domaines où l'activité est inégalement répartie, qui ont conçu des modèles d'organisation du temps de travail originaux.

    Quelques exemples de flexibilité

    Le fabricant de pâtisserie industrielle Bahlsen de Hanovre n'a pas attendu le modèle Volkswagen ou le changement du cadre législatif pour se lancer dans la flexibilisation du temps de travail; son activité très saisonnière - 70% du chiffre d'affaires sont réalisés à Noël - l'y contraint. Il a développé une organisation qui lui permet de faire varier l'horaire normal qui est de 38 heures hebdomadaires, de quatre heures en plus ou en moins, en fonction de la demande. Les salariés peuvent se constituer un «avoir» d'heures à récupérer qui peut atteindre l'équivalent d'un mois, ce qui leur permet une tout autre organisation des congés.

    La firme, elle, peut faire varier son temps de fonctionnement des équipements de zéro à 144 heures par semaine. Seul hic: la base de calcul, c'est-à-dire le laps de temps pendant lequel il faut avoir équilibré son compte du temps, est théoriquement de quatre mois; l'activité étant très irrégulière, cette durée est de fait ramenée à deux mois.

    L'usine métallurgique Mettler-Toledo d'Albstadt a poussé la flexibilité encore plus loin, souhaitant adapter la production le plus étroitement possible aux demandes du marché. L'horaire hebdomadaire normal est de 36 heures, mais les comptes du temps de travail permettent des variations cumulées de 72 heures, c'est-à-dire l'équivalent de deux semaines, dans un sens comme dans l'autre. La durée maximale du travail est limitée à 10 heures par jour, le minimum a quatre heures; tout salarié a le droit de travailler ces quatre heures quand il le souhaite, entre 6 heures 30 et 19 heures, d'affilée ou entrecoupée de pauses plus ou moins longues. L'organisation du temps de travail est laissée à la responsabilité des salariés eux-mêmes, ce qui suppose qu'ils sont suffisamment qualifiés pour pouvoir tenir différents postes de travail. Jusqu'à présent, ce modèle fonctionne à la satisfaction du personnel et de la direction.

    Un modèle d'organisation flexible du temps de travail fréquemment cité ces jours-ci est celui de BMW à Regensburg. Bien plus ancien que celui de Volkswagen - il a été mis au point dans les années quatre-vingt lors de la conception de l'usine -, il fait appel au système de la rotation des équipes, sans réduction du temps de travail. BMW a développé une organisation qui prévoit quatre équipes de neuf heures sur six jours, ce qui implique pour les ouvriers une équipe le samedi une semaine sur trois. Ce modèle a surtout le mérite de découpler le temps de travail du personnel et le temps die fonctionnement des machines, ce qui a conduit à une économie de 1,5 milliard de marks au niveau des investissements. Ayant été conçu avant l'engouement actuel pour la flexibilité, cet aspect n'est pas suffisamment pris en considération. En cas de variation de la demande, le temps de travail ne peut être ajusté que de 7% à la hausse ou à la baisse.

    Ce quelques exemples donnent un aperçu de ce qui se fait actuellement en Allemagne. Même si les entreprises qui flexibilisent sont encore en minorité, leur nombre s'accroît (18), non seulement en raison des vagues produites par le modèle Volkswagen - toute question de mérites inhérents à ce modèle mise à part - mais aussi parce qu'il existe un consensus entre les entreprises et les salariés sur les aspects positifs de ces formes d'organisation flexibles.

    Avantage et inconvénients

    Pour les entreprises, les avantages sont évidents: meilleure adaptation aux variations conjoncturelles et saisonnières de la demande; meilleure adaptation des heures d'ouverture aux besoins de la clientèle; réduction, voire élimination des heures supplémentaires onéreuses; réduction du temps d'arrêt improductif des équipements. Les inconvénients vus par les employeurs résident surtout dans la difficulté de l'organisation qui exige toujours de nouveaux ajustements. C'est peut-être pour cette raison que bon nombre d'entreprises notent les réticences de leurs cadres moyens à accepter des horaires flexibles. (l9)

    Pour les salariés aussi, les avantages semblent prédominer, surtout dans les formules où le temps de travail moyen, donc le salaire antérieur, est maintenu. La flexibilité permet une meilleure adaptation des temps de travail et de loisir entre partenaires; elle facilite la vie de tous les jours, comme par exemple la possibilité de faire ses courses à un moment autre que juste avant la fermeture; elle permet de consulter un médecin ou de voir un service administratif, bref elle donne des plages de temps libre à un moment où l'ensemble des services de la société fonctionnent. Elle offre également la possibilité à un couple de se partager la garde d'un enfant d'âge scolaire qui, en Allemagne, passe tous ses après-midi à la maison.

    Ces avantages ont toutefois aussi un revers: si les horaires flexibles sont moins choisis que subis, le rythme de vie des familles est susceptible de se déliter; il devient plus difficile d'organiser des activités en commun avec des amis. Pour les salariés tributaires du service des transports publics, l'organisation se complique du fait de la rareté des moyens de transport en dehors des heures de pointe; pour les autres, il se peut que les sociétés de transport privé, très courantes en Allemagne, se défassent.

    Si la flexibilité s'accompagne, comme dans le cas de Volkswagen, d'une réduction du temps de travail sans compensation salariale totale, les conséquences peuvent être plus graves: les salariés sont parfois amenés à compenser leurs pertes financières en se cherchant une source de revenus supplémentaire, et ceci parfois en dehors de la légalité. (20)

    En dépit de ces problèmes, il ne se passe pas de semaine actuellement, sans que soit relevé dans la presse un nouvel accord dans une entreprise qui préfère flexibiliser plutôt que licencier. Le nouveau cadre légal du temps de travail et les conventions collectives récemment conclues ont considérablement élargi la marge de manoeuvre des partenaires sociaux, de sorte que ce mouvement a toutes les chances d'aller en s'amplifiant.

    Presque à l'insu de tous, l'Allemagne q est en train de donner le coup de grâce au système rigide des mêmes horaires de travail pour tous. 32 heures chez Volkswagen, 37,5 heures dans la chine, le retour aux 40 heures pour les fonctionnaires en Bavière et dans quelques PME: bientôt les Allemands pourront, avec une grande flexibilité, travailler tantôt peu, tantôt beaucoup, se permettant au passage de partir en congé pour presque trois mois.

    L'introduction d'inégalités dans les horaires - et les rémunérations - ont fait craindre un blocage du «modèle allemand». La liberté donnée aux entreprises de déterminer elles-mêmes le cadre des horaires fait voler - en éclats cette grande homogénéité des conditions faites aulx salariés dans une branche donnée. Il est à craindre que l'Allemagne ne se dirige vers une inégalité croissante entre les; secteurs, entre les entreprises et aussi entre les salariés. Certains voient le consensus social menacé à la base. D'autres estiment que les syndicats se sont engagés dans une spirale qui, les conduira à la perte de pouvoir, voire à la disparition.

    Il ne fait pas de doute que la flexibilité introduit une modification radicale des équilibres sociaux. Le «modèle rhénan» a fait un pas vers des conditions américaines d'un marché du travail beaucoup plus individualisé. Les syndicats, en acceptant d'abandonner une partie de leurs prérogatives aux entreprises, y ont laissé une part de leur, pouvoir. Mais pouvaient-ils faire autrement? En organisant eux-mêmes la flexibilité, ils ont préservé l'essentiel: ils demeurent le partenaire de négociation incontournable pour le patronat en vue de négocier l'organisation du travail, la formation et, - une revendication chère à l'IG-Metall - l'ajustement automatique des salaires sur les profits. Tant qu'ils constituent une réelle émanation de la volonté des salariés, ce qui est encore le cas, en dépit du nombre d'adhérents en recul, leur pouvoir demeure.

    Pour l'heure, le patronat allemand dit ne pas souhaiter instaurer des relations sociales à l'américaine. L'attitude de la majorité des employeurs est-elle encore empreinte de la conviction exprimée par Joseph Abs, l'ancien président de la Deutsche Bank, décédé au début de l'année 1994, qui estimait qu'une entreprise n'a de justification que si elle rend service à la société tout entière et pas seulement à ses propriétaires? Ou les récentes innovations sociales qui visent certes le maintien d'emplois, mais surtout la réalisation d'économies, sont-elles un pas de plus vers la précarité?

    Notes

    1. Pour le salaire: 42,66 DM l'heure ouvrée comparée à 28,50 DM en France, chiffres de 1993, et pour les congés, 30 journées ouvrées comparées à 25.

    2. Pendant les années soixante-dix, le temps de travail moyen des actifs a baissé de plus de 1% par an, tandis qu'au cours des années quatre-vingt, ce chiffre est tombé à 0,7%. Ce ralentissement s'explique d'une part par la résistance croissante des entreprises à l'abaissement de la durée de la semaine de travail et la priorité donnée par les salariés aux rémunérations plutôt qu'au temps libre supplémentaire.

    3. Voir les prévisions de l'Institut Prognos pour l'économie de l'Allemagne de 1991 à 2010, in Deutschland-Report.

    4. Si dans la plupart des pays industrialisés, il n'y a guère de tentatives de maintien de l'emploi par le biais de réductions du temps de travail avec réduction concomitante du salaire, la France fait par contre figure de précurseur dans ce domaine: un certain nombre d'entreprises, telles que Potain et Thomson-Tubes Électroniques, ont déjà conclu ce genre d'accord avec leurs salariés; mais cela ne concerne pas des dizaines de milliers d'emplois comme chez Volkswagen.

    5. 3,019 millions de véhicules produits en 1993 sous les marques de Volkswagen, Audi, Seat et Skoda.

    6. L'article que La Tribune Desfossés du 21 juin 1994 consacre à l'expérience allemande de la flexibilité du travail cite, par exemple, une baisse des salaires de 15%.

    7. C'est ce que fait M. Klaus Murmann, président de la Confédération des associations patronales allemandes (BDA), dans une discussion avec Dieter Schulte, nouveau patron de la Confédération syndicale DGB, voir Wirtschaftswoche 44/1994, p. 14.

    8. En attendant, les jeunes salariés célibataires sont déjà soumis à l'obligation de mobilité.

    9. Dans des domaines qui ne sont pas habituellement réglementés par convention collective, des dérogations de ce type peuvent être accordées par l'administration de tutelle. Voir R. Anzinger, «Neues Arbeitszeitgesetz in Kraft getreten», in BelriebsBerater, 21/94, p. 1494.

    10. Voir Klaus Peren, «Arbeilszeilpolitik im Wandel». Schriftenreihe Leistung und Lohn, Nr. 278/279/280 Oktober 1994, Bundesvereinigung der deutsche Arbeitgeberverbände.

    11. Le secteur de la chimie prévoyait, depuis 1992 déjà, la possibilité de faire varier le temps de travail normal de deux heures en plus ou en moins, mais seulement pour certains groupes de salariés.

    12. Depuis 1990, les conventions dans la métallurgie prévoient que 13% ou 18% respectivement du personnel peuvent, par contrat individuel, accéder à la semaine de 40 heures. Ceux-ci sont également visés par le passage à la semaine de 30 heures, ainsi que, dans certaines régions tarifaires, les salariés hors convention.

    13. Voir «Hürden bei der betrieblichen Umsetzung des Arbeitszeitkorridors», in FAZ, 19.7.1994.

    14. L'IG-Chemie a été sévèrement critiqué par la Confédération des syndicats allemands (DGB) pour avoir accepté la clause sur la flexibilité des salaires.

    15. Enquête Flexibilisierung der Arbeitszeit, entreprise fin 1993/début 1994 auprès de 319 entreprises d'Allemagne de l'Ouest, dont 78% d'entreprises industrielles et 22% d'entreprises de service; les résultats ont été publiés par Botho Graf Pückler, «Flexibilisierung der Arbeitszeit, mehr Spielraurn erwünscht» in Arbeitgeber 11/46 - 1994.

    16. 89% des entreprises interrogées pratiquent des heures supplémentaires, mais seulement 39% d'entre elles s'en servent très fréquemment comme instrument de flexibilisation. Pour les horaires mobiles, 75% des entreprises y ont recours, dont 79% très souvent.

    17. Il est vrai que 92% des entreprises interrogées se contentaient d'offrir des emplois à temps partiel dans la variante la plus classique, à savoir le travail à mi-temps.

    18. Pour plus de détails, voir Karl Linnenkohl/Gerhard Kilz/Hans-Jürgen Rauschenberg/Dirk Reh, Arbeilszeiflexibilizierung: 140 Unternehnzen und ihre Modelle, Verlag Recht und Wissenschaft, Heidelberg 1992.

    19. Dans l'enquête entreprise par le BDA citée plus haut, les obstacles principaux à l'introduction d'horaires flexibles sont en effet l'attitude négative du comité d'entreprise et des supérieurs hiérarchiques du middle management.

    20. Depuis l'introduction de la semaine de quatre jours chez Volkswagen, les services de l'agence pour l'emploi de Wolfsburg ont constaté un accroissement subit et notable du travail noir sur les chantiers du bâtiment.

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