Lettres de voyage: Nîmes et Montpellier

Honoré Beaugrand
HUITIÈME LETTRE

St. Hippolyte-du-Fort, 4 décembre 1888.


Depuis ma dernière lettre, j'ai visité Nîmes et Montpellier, deux des plus intéressantes villes du midi de la France et je vais tâcher, tout en suivant Faucher de St. Maurice qui m'a précédé ici de quelque mois, de ne pas tomber dans des redites qui pourraient manquer d'intérêt. Il est cependant probable que les lecteurs de La Patrie n'ont pas lu les correspondances de Faucher adressées au Canadien de Québec, et je vais pouvoir procéder sans trop d'embarras. Occupons-nous d'abord de Nîmes qui est une ville de 64 000 habitants, chef-lieu du département du Gard et siège d'un évêché et d'un consistoire calviniste. C'est un centre industriel très important, surtout pour les soieries, et qui fait un grand commerce de vins et de spiritueux. L'histoire de Nîmes est fort ancienne; elle se soumit aux Romains l'an 121 avant Jésus-Christ. Les trois-quarts de ses habitants ayant embrassé le calvinisme, elle eut beaucoup à souffrir des guerres de religion. Nîmes est la patrie de Nicot qui introduisit le tabac en France. Voilà pour l'histoire, et nous allons maintenant nous occuper du pittoresque, de l'antique, en commençant par les Arènes qui forment un amphithéâtre antique avec un ellipse de 133 m. 38 sur 101 m. 40 de diamètre et ayant une hauteur de 22 mètres. C'est donc un énorme cirque dans le même genre, mais mieux conservé à l'extérieur, que le Colisée de Rome. Ces arènes sont construites en pierre de 8 à 10 pieds cubes, parfaitement ajustées sans mortier, comme d'ailleurs tous les grands édifices grecs et romains de grand appareil.

L'extérieur présente deux étages de 60 arcades, le premier avec de gros contreforts carrés, le second avec des colonnes doriques. Au-dessus règne un attique avec 120 consoles percées de trous dans lesquels étaient engagés les mâts de l'immense voile dont on couvrait l'amphithéâtre les jours de pluie ou de grand soleil.

Il y avait quatre portes extérieures, aux extrémités des axes. Le massif des constructions mesure 33 m. 38 d'épaisseur. Il y avait 35 rangs de gradins, divisés en quatre précinctions, la première destinée aux dignitaires, la seconde aux chevaliers, la troisième aux plébéiens et la quatrième aux esclaves. 24 000 personnes pouvaient y prendre place; 124 vomitoires permettaient de les évacuer en quelques minutes. Les gradins et les couloirs sont construits de façon à laisser écouler facilement les eaux de pluie, recueillies dans le bas par un aqueduc, qui servait au besoin à inonder l'arène pour des naumachies. On n'a pas dû y donner de combats de bêtes féroces, car le podium est peu élevé. Aujourd'hui, on y donne de nouveau des courses de taureaux, comme aux Arènes d'Arles. La construction de ces Arènes remonte aussi au Ier ou au IIe siècles de notre ère, et elles furent également transformées en forteresse au moyen âge, puis envahies par des habitations, dont elles ne furent débarrassées qu'en 1809.

Le vieux gardien qui nous sert de conducteur et qui nous donne tous ces détails est un des types les mieux réussis que je connaisse, et il se croit franchement propriétaire de ce superbe spécimen de construction romaine des premiers siècles de l'ère chrétienne. Il dit volontiers: mes arènes, et il a fini par le croire. Dans tous les cas c'est un des guides les plus intelligents que j'ai encore rencontrés.

Nous passons maintenant à la Maison Carrée qui est un des plus beaux temples romains qui existent encore, et des mieux conservés. Elle forme un parallélogramme de 25 m. 13 de longueur, 12 m. 29 de largeur et autant de hauteur, avec 30 colonnes corinthiennes, dont 20 engagées dans les murs de la cella. C'est donc un temple pseudopériptère, prostyle et hexastyle ou ayant seulement sur la façade un portique de six colonnes. On y monte par un escalier de 15 degrés. Les colonnes sont cannelées et couronnées de chapiteaux d'un travail admirable. L'entablement est d'une grande richesse, mais d'un goût exquis, comme le reste. On n'a pu déterminer absolument à qui fut dédié ce temple ni à quelle époque il fut construit; on l'a d'abord supposé du temps d'Auguste, mais il est plutôt, à en juger par le style, du temps des Antonins, c'est-à-dire, du IIe siècle. Il était probablement sur le forum, et il en aura formé l'enceinte avec d'autres édifices, dont on a retrouvé les fondations. Après avoir servi successivement d'église, de maison consulaire, de magasin, de remise et d'écurie, ce magnifique monument, bien restauré, est transformé en musée lapidaire, qui est fort intéressant à étudier.

Le jardin de la fontaine est une superbe promenade à l'extrémité du vaste boulevard de la République, qui a été dessiné et décoré dans le goût du XVIIIe siècle et qui doit son nom à la fontaine de Nîmes construite sur des fondements antiques. Ce sont d'anciens bains romains d'une grande beauté et dont on se ferait difficilement une idée sans les voir.

Le temple de Diane, près de la fontaine, est petit et fut probablement plutôt un nymphée dépendant des thermes, dont on voit à côté quelques restes. La façade présente encore trois arcades. L'intérieur se compose d'une grande salle et de deux couloirs, la salle ayant une voûte, en partie écroulée, et des niches, qui ont dû renfermer des statues. On y a placé des sculptures et des antiquités trouvées sur place. Des restes de constructions situés derrière passent pour ceux du réservoir de l'aqueduc.

Derrière la fontaine s'élève une colline, le Mont-Cavalier, ayant 114 mètres de hauteur, avec des allées formant une agréable promenade.

La Tour Magne qui en occupe le sommet, est une ruine romaine imposante, de forme octogone, ayant encore 28 mètres dé haut. C'était probablement un mausolée; mais on a voulu aussi y voir un trésor public, un fanal, une tour à signaux, etc. Elle a été comprise dans les remparts sous les Romains. Il y a un escalier par lequel on peut monter au sommet pour jouir de la vue, qui est magnifique, et on aperçoit de là un superbe panorama des montagnes environnantes.

La cathédrale St. Castor passe pour avoir été construite sur les ruines d'un temple d'Auguste, mais elle a été plusieurs fois réédifiée et restaurée. La façade présente une frise très curieuse. L'intérieur, nouvellement restauré, se compose d'une large nef romane, ayant sur les côtés, entre les piliers, de petites chapelles, sans fenêtres, comme on en voit beaucoup dans les églises de ces contrées, et au-dessus, de belles tribunes qui font même le tour du chœur. St. Castor est richement décoré de peintures modernes.

Voilà pour Nîmes qui, par ses monuments antiques, mérite certainement d'être visitée par tous ceux qui se rendent dans le midi de la France.

Nous continuons sur Montpellier qui, pour être d'une origine moins ancienne, est certainement une des plus jolies villes de France.

C'est une ville de 56,000 habitants, le chef-lieu du département de l'Héreault et du XVIe corps d'armée, sur une colline au pied de laquelle coule le Lez et d'où l'on a une belle vue. Son origine ne remonte guère au delà de 737 ou de la destruction de Maguelone par Charles Martel, et sa prospérité date seulement du XIIe siècle, où fut créée son école de médecine, encore célèbre. L'évêché de Maguelone y fut transféré en 1536. Le calvinisme y forme un parti puissant, et Louis XIII l'assiégea et s'en empara en 1622. Elle revint bientôt à son ancienne prospérité, mais l'industrie et le commerce ne s'y sont pas développés de nos jours au même degré que dans les grandes villes voisines. Il y a une académie universitaire très en renom en France et qui a produit des hommes célèbres.

La faculté de médecine est un monument remarquable. On voit à l'entrée les statues en bronze de deux médecins célèbres originaires de Montpellier, la Peyronie (1678-1747) et Barthez (1734-1806), par Gumery et par Lami. L'école possède un musée anatomique, une bibliothèque de 50,000 vol. avec 600 manuscrits et une collection de 300 dessins. Le siège du professeur, dans le grand amphithéâtre, provient des Arènes de Nîmes, et l'on prétend que c'était le trône de l'empereur, qui présidait aux combats des gladiateurs et aux autres fêtes publiques. Il y a aussi une antique dans la salle de réception, un buste d'Hippocrate en bronze. La salle du conseil et une salle voisine renferment des portraits de professeurs depuis 1239. Derrière la Faculté est un nouveau laboratoire de chimie. Montpellier a aussi une école de droit, depuis 1160, une école de pharmacie, etc.

La cathédrale a été fondé au XIVe siècle, mais en partie reconstruite après les guerres de religion, restaurée et agrandie de nos jours. Elle a un grand porche original, mais disgracieux, dont la voûte est très élevée et soutenue en avant par deux espèces de tourelles rondes. La façade a en outre deux tours, et il y en a deux au transept, l'une d'elle reconstruite en 1856. L'intérieur se compose d'une belle et large nef, de chapelles latérales entre les piliers, comme à la cathédrale de Nîmes, et d'un beau chœur moderne. On y remarque particulièrement, dans la quatrième chapelle de gauche, une vierge en marbre, par Santarelli, élève de Canova.

Le Peyrou, dans le haut de la ville, est une belle promenade datant des XVIIe et XVIIIe siècles. Elle est précédée de la Porte du Peyrou, arc de triomphe dorique érigé en 1712 en l'honneur de Louis XIV, par d'Aviler, d'après d'Orbay. Les bas-reliefs rappellent les victoires de Louis XIV, l'union de la Méditerranée avec l'Atlantique par le canal du Midi et la révocation de l'édit de Nantes. Des deux côtés de la grande grille du Peyrou, deux groupes exécutés depuis peu, l'Amour domptant un lion et l'Amour victorieux, en pierre, par D. Enjalbert. Au milieu de la promenade s'élève une belle statue équestre de Louis XIV, en bronze, par Debay et Carbonneau (1829). A l'extrémité, un château d'eau monumental, qui a la forme d'un pavillon hexagone, avec une porte à chaque face et des colonnes corinthiennes. Il est alimenté par un bel aqueduc qui amène l'eau d'une distance de 14 kilomètres et se termine au Peyrou par une double rangée d'arcades superposées, de plus d'un kilomètre de long et 21 m. 5o de haut.

Le musée Fabre, du nom de son fondateur, est très important, mais je n'ai eu que le temps de traverser les salles pour venir ensuite accepter la cordiale hospitalité du beau-père de notre concitoyen, M. Beullac, de Montréal, qui m'avait donné des lettres pour Montpellier. On a le cœur chaud comme la tête, dans le Midi, et c'est avec peine que je m'arrachai aux instances de M. Farrouch qui voulait absolument nous garder pour quelques jours. Je lui promis de revenir le voir au printemps, à mon retour d'Espagne, et j'ai bien l'intention de tenir ma promesse, puisque je laisserai ma fillette au pensionnat, à St. Hippolyte-du-Fort, sous la protection de Mme Chartrand, l'épouse du lieutenant Chartrand, instructeur à l'école militaire de cette ville.

J'ai bien un peu fait un cours de géographie et d'histoire dans la présente lettre, mais je me rattraperai dans ma prochaine en vous parlant de choses plus personnelles. Mes lecteurs doivent d'ailleurs s'attendre à des descriptions géographiques dans le cours du voyage à toute vapeur que j'entreprends à travers l'Italie, la Sicile, Malte, la Tunisie, l'Algérie, le Maroc et l'Espagne. Je consulte tout; traités de géographie, d'histoire, encyclopédies et guides de voyage, et je tâche d'en extraire les détails les plus importants et les plus frappants que je sers chaque semaine aux lecteurs de La Patrie.

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