Clarence Gagnon - La Messe de Minuit

Bernard Lebleu

On peut dire de Clarence Gagnon qu'il a inventé un certain hiver québécois. Son oeuvre est le fruit de la rencontre d'un être amoureux des grands espaces et d'un espace assez grandiose pour nourrir cette passion, la région de Charlevoix, sur la rive du fleuve Saint-Laurent, au nord de Québec. Partageant sa vie entre Paris où se déroule la majeure partie de sa carrière professionnelle et un atelier à Baie Saint-Paul où il séjourne périodiquement, il a popularisé - d'abord en Europe où il expose aux côtés des gloires naissantes de l'art canadien, puis progressivement au Canada où les amateurs d'art confortés par l'enthousiasme du public européen commencent à porter attention à l'oeuvre des artistes tels que ceux du Groupe de Sept, ces paysages montagneux qui servent d'écrin à de jolies maisons aux toits encombrés de neige, blotties ensemble comme pour se protéger du froid et des grands vents. Sous l'impulsion de ce peintre qui s’est fait en Europe une réputation de graveur d'exception, le dessin, la ligne sinueuse, les formes nettes et épurées reprennent le dessus sur l'irrésolution impressionniste. Alors que la plupart des artistes ne se soucient plus guère que de transcrire les paysages selon le filtre de leur personnalité, Gagnon retrouve le plaisir de raconter le monde qu'il observe et qu'il aime, ce dont témoigne avec brio la série d'illustrations qu'il a conçues pour accompagner le texte de Maria Chapdelaine, récit sobre et poignant d'une jeune femme qui doit choisir entre la vie rurale et les lumières de la grande ville. La Messe de Minuit reproduite ici est un petit bijou, une évocation magique de souvenirs qui restent à jamais gravés dans la mémoire de tous ceux et celles qui ont vécu une expérience semblable.  Alors que sonnent les cloches de la dernière messe de la journée, celle où toutes les familles se rassemblent, on observe les fidèles, la tête enfoncée dans les épaules pour se protéger des rafales de vent, se rendant à l'église d'où émane un flot de lumière quasi surnaturelle. Les eaux sombres de la rivière qui serpente en contrebas rappellent que l’hiver est là qui attend son lourd tribut de vies humaines, mais ce soir-là, les fidèles oublient la dureté du climat et l’âpreté du quotidien pour aller se réchauffer l’âme et le cœur dans la nef qui se dresse fièrement au milieu de la nuit étoilée.

< George Henry Durrie - Plus que 7 milles avant Salem Grandma Moses - Scène d'hiver >

La carriole rouge - 1924/1925

La Vallée du Gouffre en hiver - 1915

Le retour des trappeurs - 1909/1913




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