George Orwell et Jane Austen : deux écrivains au coeur des débats d’aujourd’hui

Les Américains sous la loupe d’Orwell

Jacques Dufresne

En marge de l’élection américaine de mi-mandat en novembre 2022. L’Occidental a mauvaise conscience et mauvaise presse en ce moment. George Orwell redore le blason de l’ensemble. Voici comment il a puisé dans les sources gréco-latines comme dans la science moderne et l’histoire de son temps pour s’élever à la hauteur de Solon dans la défense de la justice et de la liberté.

D’un ami de Vancouver cherchant comme moi une troisième voie, j’ai reçu cet ouvrage: Orwell’s Roses de Rebecca Solnit. Si ce livre a une portée universelle, le contexte dans lequel il paraît invite le lecteur à faire une lecture plus éclairée des événements en cours aux États-Unis. Solnit est  l’auteure de plus de vingt livres, dont un sur la station debout et la marche, Wanderlust, que j’ai commenté. Elle collabore régulièrement à The Guardian. Dans Orwell’s Roses, elle fait graviter la vie brève, itinérante et aventurière de George Orwell autour des roses qu’il a cultivées dans une petite ferme, près de Oxford , le seul lieu où il ait jamais pris racine; il lui inspira Animal Farm. Né en 1903 en Inde et bientôt rapatrié en Angleterre, il ne conserva que de mauvais souvenirs de ses études, à l’exception des quatre années, de 1917 à 1921, passées au prestigieux Eton College, une école phare en Occident où il eut Aldous Huxley comme professeur  tout en s’initiant aux humanités gréco-latines comme la chose allait de soi dans ces grandes écoles.  Eric Blair, de son vrai nom, il aurait choisi le George de son nom de plume en souvenir des Géorgiques de Virgile, façon pour lui de célébrer à la fois la nature et la liberté exemplaire des petits propriétaires terriens.

Il eut au même haut degré et indissociablement l’amour de la vérité et celui des êtres humains concrets, à commencer par les victimes du capitalisme sauvage, dans les mines de charbon et par les opprimés des régimes totalitaires. Logiquement, il fut socialiste, mais aussi démocrate et défenseur des libertés individuelles et c’est à ce titre qu’il s’est surtout illustré par son célèbre roman, 1984. De santé fragile, allant d’une maladie pulmonaire à une autre, tel un u retraité des mines de charbon , il s’exposa néanmoins aux plus grands risques, pendant la guerre civile espagnole en particulier, soutenu dans ce sacrifice par la beauté : de ses roses, de la poésie de Virgile, des tableaux de Vermeer. Personne ne songerait pourtant à en faire un saint, ce qui n’était pas un idéal pour lui . Il ne fut par exemple ni un mari ni un amant modèle.

S’inspirant d’Orwell, Solnit évoque de façon saisissante, dans l’une des plus belles pages  de son livre, le lien étroit entre la fausse science, le mensonge et l’oppression. Staline est en cause entre 1928 et 1944, année de la mort, en prison, de Nikolai Vavilov, ce grand agronome-généticien qui, acquis à la biodiversité comme moyen d’améliorer la culture du blé et du maïs, avait fait le tour du monde à la recherche de la plus grande variété possible de graines de semences.  Vavilov sera victime d’un rival pseudo-savant appelé Trofim Lysenko. Staline était depuis longtemps lamarckien et il le demeura même quand il y eut consensus sur le darwinisme dans la communauté scientifique. Il croyait donc que la girafe transmettait à ses descendants le cou allongé qu’elle avait acquis en l’étirant pour brouter plus haut au sommet des arbres. D’où sa volonté, pour créer un empire fort, d’inciter les ouvriers et les paysans à accroître constamment leur productivité, à défaut de quoi le pire sort leur était réservé, comme des millions de paysans, surtout ukrainiens, l’ont appris à leurs dépens.

Il faut rappeler ici qu’il y eut au même moment politisation et idéologisation du darwinisme, selon lequel l’évolution résulte de mutations aléatoires; la survivance du plus apte et l’eugénisme servirent ensuite à justifier l’ordre hiérarchique établi. On peut comprendre que les communistes et leurs alliés socialistes aient eu une préférence pour le lamarckisme.

Dans l’un et l’autre cas toutefois, le même homme souverain étale sa volonté de tout contrôler simultanément dans la nature et dans société. Solnit : «Dans les deux premiers tiers du vingtième siècle, on avait largement tendance à croire que tout et tout le monde pouvait être réinventé, que les anciennes méthodes pouvaient être balayées, le passé oublié, le futur contrôlé, la nature humaine remodelée, chose souvent liée à l'idée qu'une élite - parfois une élite de scientifiques, parfois de politiciens - pouvait être chargée de ces immenses transformations. L'eugénisme était à sa manière, comme le lamarckisme, l'idée que les êtres humains pouvaient être poussés à la perfection avec des moyens monstrueux justifiés par des fins douteuses et utopiques. Beaucoup semblaient alors croire que la nature humaine, aussi bien sur le plan  psychologique que sur sur le plan biologique, était suffisamment malléable pour que la façon dont les humains vivaient, pensaient, aimaient et travaillaient puissent  être réinventée.»(p.135)

À propos du stalinisme, Solnit ajoutera sur un ton orwellien: « C’était un empire de mensonges. Les mensonges, un assaut contre la langue, étaient le fondement nécessaire de tous les autres assauts.» (p.145)

Mëme si elle ne fait allusion à Donald Trump qu’à la fin de son ilvre, il est clair que Solnit met ses lecteurs en garde contre les suites logiques des mensonges de l’ex-président, mais immédiatement après avoir rappelé son déni des changements climatiques, elle prend acte du fait que tout près de chez elle, dans la Silicone Valley, « des super-puissances mondiales, ont, sur chacun d’entre nous rassemblé plus d’information que Big Brother, le KGB, la Stasi et le FBI n’ont jamais rêvé de le faire.»(p.268)

Conclusion : et si un Donald Trump vengeur prenait le contrôle de ces super-puissances ?

 

Extrait

À propos du stalinisme, Solnit ajoutera sur un ton orwellien: « C’était un empire de mensonges. Les mensonges, un assaut contre la langue, étaient le fondement nécessaire de tous les autres assauts.»

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