Sanction (droit international)

«Les sanctions : de la coutume internationale à la Charte des Nations unies

1) La genèse des sanctions internationales

La coutume internationale a toujours admis la pratique de sanctions à l'encontre d'un État. Il s'agissait du blocus, souvent maritime, et de l'embargo qui désigne au sens classique l'immobilisation temporaire des navires de commerce étrangers en vue de faire pression sur les Etats dont ils portent le pavillon. Souvent utilisées au XVIIe et XVIIIe siècle, ces mesures ont été codifiées par le droit international et utilisées dans une conception extensive.

La création de normes de droit international a déterminé le domaine et l'action des mesures coercitives à l'encontre des États, à ce titre la Charte des Nations unies a prévu le recours à des mesures non militaires pour faire pression sur les États et tenter de rétablir la paix et la sécurité internationale. La Société des Nations créée par la Conférence de la paix de Versailles, le 28 avril 1919, avait comme objectif essentiel le maintien de la paix. Le pacte de la Société des Nations prévoyait ainsi en son article 16 que «si un membre de la SDN a recours à la guerre contrairement à ses engagements, il est de facto considéré comme ayant commis un acte de guerre contre tous les autres, et ceux-ci s'engagent à rompre avec lui toutes relations commerciales ou financières, à interdire tous rapports entre leurs nationaux et ceux de l'État en rupture du Pacte et à faire cesser toutes communications financières, commerciales ou personnelles... ». Ce système comportait déjà, de manière embryonnaire, l'idée de sécurité collective.

L'empereur éthiopien Hailé Sélassié prenant la parole devant la Société des Nations après l'invasion de son pays par l'Italie de Mussolini. Source : Library of Congress, Prints and Photographs DivisionCependant, la rédaction de cet article soulevait des problèmes d'application: l'absence de gradation dans les sanctions et l'automaticité de leur mise en oeuvre divisaient souvent les membres de la SDN quant à la manière dont il fallait les interpréter. L'illustration de ces difficultés est apparue en 1935 lors des sanctions prises à l'encontre de l'Italie et lors des sanctions contre le Japon en 1938 (3). Les sanctions imposées à l'Italie étaient centrées sur un embargo touchant les exportations de produits minéraux, métaux et caoutchouc, mais elles restaient dans l'ensemble plutôt restreintes. D'autant plus que pour des raisons de politique et de stratégie internationales, les États membres de la SDN n'appliquaient pas toujours avec rigueur ces sanctions économiques.

De plus, le rôle du Conseil et celui de l'Assemblée, chargés de constater la rupture du Pacte, reposaient sur une ambiguïté de compétences: le Conseil devait constater la rupture du Pacte alors que l'Assemblée ne pouvait qu'approuver ou désapprouver ses conclusions. Les premières politiques de sanctions internationales ont donc connu l'échec. La rédaction de la Charte des Nations unies devait être une correction des insuffisances juridiques et techniques du système précédent.

2) Le Chapitre VII de la Charte des Nations unies

Lors de l'élaboration du Chapitre VII de la Charte des Nations unies concernant l'action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression, les auteurs avaient bien à l'esprit les défauts du système antérieur. Ils souhaitaient remédier aux «fissures du Pacte» que pouvaient exploiter les États puissants; en effet, certains États souhaitaient ménager les pays sanctionnés pour des raisons de politique internationale. (...)

En effet, le caractère non limitatif de l'énumération des sanctions définies dans l'article 41 donne l'opportunité au Conseil de sécurité d'imaginer d'autres mesures n'impliquant pas l'emploi de la force armée. Cette absence de limitation peut donc s'étendre à des sanctions financières ou au gel des avoirs financiers, comme cela fut le cas au cours de la dernière décennie (Libye, Iraq, Serbie). La Cour de justice internationale a par ailleurs admis la progressivité de ces mesures.

L'article 2 § 5 de la Charte des Nations unies (4) énonce deux principes entraînant deux obligations complémentaires: une obligation positive avec le devoir d'assistance à l'Organisation lorsqu'elle entreprend une action; une obligation négative avec le devoir d'abstention de toute aide à un État sanctionné par l'Organisation. Un lien étroit est ainsi établi entre ce paragraphe 5 et le Chapitre VII (notamment les articles 41, 42, et 49) qui expliquent et précisent les obligations incombant aux États membres. Des divergences apparaissent souvent entre l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité sur l'interprétation de ce texte, qui facilitent d'autant le contournement des sanctions mises en place. On retrouve, à un degré moindre il est vrai, le même écueil que lors de l'application des sanctions par la SDN. (...)


Les sanctions doivent être compatibles avec les principes du droit international

Dans la pratique, la notion de sanctions englobe de nombreuses mesures économiques, militaires, diplomatiques, culturelles ou touchant les voyages. Il peut même s'agir d'une interdiction de participer aux jeux olympiques.

1) Les différentes catégories de sanctions (…)

Les sanctions économiques sont de deux natures: commerciales ou financières. Les premières peuvent être générales, comme dans le cas de l'Iraq, ou sélectives, frappant uniquement certains produits en cause dans un différend commercial. Les sanctions financières concernent le domaine monétaire. Ces deux catégories se recoupent en grande partie dans la pratique, surtout lorsqu'elles sont d'application générale. (...)

Les sanctions touchant les voyages comprennent d'abord les restrictions aux déplacements de certains groupes d'individus qui ne sont pas autorisés à quitter leur pays - il s'agit alors de sanctions par nature ciblées -: ce type de mesures a été employé à l'encontre de la Junte militaire de Sierra Leone en 1998, des dirigeants de l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola (Unita) à partir de 1997. Ces sanctions peuvent aussi consister en l'interdiction de tout décollage ou atterrissage d'aéronefs appartenant à l'entité sanctionnée, ou affrétés ou exploités par elle: c'est l'exemple de l'interdiction aérienne à l'encontre des Taliban depuis 1999.

Les sanctions militaires consistent à mettre l'embargo sur les armements ou à supprimer l'aide ou les opérations d'entraînement militaires; elles sont ciblées par définition.

Les sanctions diplomatiques visent les dirigeants d'un Etat : ses diplomates et ses hommes politiques verront leurs visas annulés et seront exclus des activités des instances internationales. On peut citer en exemple le bannissement par l'ONU du Gouvernement sud-africain de l'apartheid. Des mesures de cette nature ont été prises contre le régime des Taliban en 1999, avec la réduction au minimum de sa représentation diplomatique à l'étranger.

Enfin, les sanctions culturelles et sportives ont un caractère symbolique, mais permettent à la communauté internationale, ou à un groupe de pays, d'exprimer sa désapprobation, lorsque l'on ne souhaite pas aller plus loin dans les mesures coercitives: par exemple à l'égard de la Chine après les événements de Tian an men. On peut aussi citer, pour le passé, les restrictions aux compétitions sportives imposées à l'égard des équipes sportives d'Afrique du Sud. (...)»


Notes
(3) La SDN eut à appliquer des sanctions contre l'Italie suite à l'invasion du territoire éthiopien, le 3 octobre 1935. Le 30 septembre 1938, le Conseil déclara, suite au conflit sino-japonais, que les Membres de la SDN étaient fondés à prendre individuellement des mesures contre le Japon.
(...)
(6) Article 2 paragraphe 5 de la charte des Nations unies: «Les membres de l'organisation donnent à celle-ci pleine assistance dans toute action entreprise par elle conformément aux dispositions de la présente Charte et s'abstiennent de prêter assistance à un Etat contre lequel l'organisation entreprend une action préventive ou coercitive».

Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale française, Les sanctions internationales. Rapport d'information no 3203, 27 juin 2001. Rapporteur: René Mangin

Enjeux

«La fréquence du recours aux sanctions varie selon les États. On soulignera la propension, au cours de la dernière décennie, tant du Conseil de sécurité des Nations unies que de l'Union européenne, à utiliser de plus en plus l'instrument des sanctions.

1) La pratique des sanctions au sein de l'Organisation des Nations unies

La division politique internationale issue du dernier conflit mondial eut de nombreuses répercussions sur la mise en oeuvre des sanctions et sur leur légitimité. L'action du Conseil de sécurité a été paralysée à plusieurs reprises par l'opposition entre les États-Unis et l'Union soviétique, ces deux pays étant presque toujours guidés par le souci de préserver leurs intérêts. De ce fait, l'article 41 a été peu utilisé durant les cinquante dernières années. Cependant, deux situations ont nécessité une réaction vive des Nations unies avec la mise en place d'un embargo sur les produits pétroliers dans le cas de l'indépendance de la Rhodésie du Sud (8), et en ce qui concerne l'Afrique du Sud pour la poursuite de sa politique d'apartheid (9). Ces sanctions étaient fondées sur «la dangerosité des actes du Gouvernement sud-africain qui sont une menace pour la paix et la sécurité internationale», et ont imposé la cessation immédiate de toute livraison d'armes et de matériel connexe.

On rappellera plusieurs cas d'embargo dans la pratique internationale récente. En 1949, les États-Unis ont édicté un embargo sur tous les produits stratégiques à destination des pays communistes. Le Président Kennedy a décrété en 1962 l'embargo sur les importations en provenance de Cuba. L'Organisation des Nations unies a recommandé pour sa part aux Etats membres d'édicter un embargo sur tous les produits à destination de la Chine et de la Corée du Nord (1951), puis sur les armes, munitions et véhicules exportés en Afrique du Sud. (...)

La pratique des sanctions est devenue plus fréquente à partir de l'embargo iraquien, c'est à dire à partir des années 1990.

2) Les sanctions restent l'un des instruments du leadership pour les Etats-Unis

Les États-Unis ont recouru extrêmement souvent à l'arme des sanctions au cours des dix dernières années. Les pays soumis à sanctions américaines sont très nombreux: 75 sur les 193 États du monde seraient touchés par des sanctions unilatérales, soit fédérales, soit édictées par des États. Les motifs ayant conduit à l'imposition de sanctions sont très divers, allant de différends sur des importations de produits alimentaires à la violation caractérisée des droits de l'Homme ou au trafic de drogue. Il a été souligné par la presse américaine que, sur les 125 régimes de sanctions économiques unilatérales imposés par les États-Unis depuis 1918, presque la moitié ont été initiés entre 1993 et 1998, c'est à dire par un Congrès à majorité républicaine et sous la présidence de M. Bill Clinton (12).

L'arme économique est utilisée de façon constante dans ce pays; décidée par le Congrès, qui est susceptible de voter des lois extrêmement rigoureuses en dépit des efforts du lobby industriel, elle est mise en oeuvre de façon pareillement rigoureuse par l'administration présidentielle.

On citera à cet égard les exemples des lois «Helms-Burton» à l'encontre de Cuba et «d'Amato» visant à limiter les investissements des compagnies américaines, mais aussi étrangères, en Iran et en Libye. Cette dernière loi arrive à échéance le 5 août prochain, date à laquelle elle peut être reconduite, amendée ou abandonnée. Cette échéance donne lieu à de vigoureux échanges d'arguments entre partisans de la levée des sanctions - milieux d'affaires et particulièrement les opérateurs pétroliers - et les milieux favorables aux sanctions. (...)»


Notes
(8) Résolution 232 du 16 décembre 1966, complétée par les résolutions 253 (1968), 277 (1970), 388 (1976), 409 (1977). Les sanctions contre la Rhodésie ont été levées en 1979, après la naissance du Zimbabwe.
(9) Résolution 418 du 4 novembre 1977.
(...)
(12) Robin Wrigh, International Herald Tribune, 23 janvier 2001

Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale française, Les sanctions internationales. Rapport d'information no 3203, 27 juin 2001. Rapporteur: René Mangin. En particulier la section Le recours aux sanctions révèle une stratégie variable selon les États et les organisations internationales

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