Recueillement

Dans recueillir, il y a cueillir. Le mot recueillement évoque d'abord la saison des récoltes… et les fruits dont on se nourrira pendant l'hiver, saison propice au recueillement.

Puisque le recueillement est ainsi inscrit dans la nature, on peut présumer que tout ce qui permet de se familiariser avec cette dernière favorise aussi le recueillement. Même si pour une multitude de raisons, telles l'urbanisation, la mondialisation des marchés et l'organisation du travail, il est devenu pratiquement impossible de suivre le rythme des saisons en se reposant l'hiver et en travaillant davantage l'été, on pourrait au moins rappeler aux jeunes dans les cours d'histoire qu'il n'en a pas toujours été ainsi dans le passé; on pourrait également leur faire lire des textes qui soient en accord avec les saisons.

Mais de toute évidence, c'est par la pratique de sports favorisant le recueillement qu'on peut le mieux tirer parti de la nature. La pêche et la chasse font partie de ces sports. Ils attirent des personnes actives, peu portées à la méditation, mais ils comportent de longs moments d'attente et de silence qui sont de belles occasions de recueillement. Pour des raisons écologiques toutefois, ils sont de moins en moins populaires et, compte tenu de la pollution de l'eau en beaucoup d'endroits, de moins en moins intéressants.

Les promenades dans la grande nature, les excursions de canot ou de ski sont tout aussi favorables au recueillement. Parents et enseignants devraient se concerter pour faire en sorte que le temps consacré par les jeunes à de telles activités soit vraiment un contrepoids au temps passé à se divertir et à travailler devant un écran cathodique. La faveur dont jouissent en ce moment les pèlerinages comme celui de Compostelle, ou les grandes excursions initiatrices comme celles que l'on peut faire, pendant des jours, des semaines ou des mois sur les sentiers de grande randonnée comme l'Appalachian Trail sont des choses très positives auxquelles il faudrait intéresser les jeunes. Dans ce but, il faudrait veiller à ce qu'il y ait toujours au programme des écoles des récits d'aventures accompagnés de réflexions qui font voir à quel point il est simple et naturel de se recueillir à l'occasion d'une excursion. Les promenades aux pays du Centre, de Daniel Halévy, appartiennent à cette catégorie et mériteraient pour cette raison d'être rangé parmi les classiques:

"La marche a son vertige, quel marcheur ne le sait? Son rythme invariable fixe l'esprit, endort la volonté et délivre les rêves. Périgord, Bourbonnais, lumières de crépuscule et d'aube, cônes d'Auvergne, nuit toute légère, aérienne, que de souvenirs mêlés en moi! Le rythme de mon pas les presse, exalte ma pensée.

"Il faut marcher: c'est le plus vieil exercice des hommes. Nos pères ont traversé l'Asie; l'Europe, leurs pas ont fait sonner deux continents. Comme eux, il faut marcher: c'est la plus antique habitude, elle n'est pas perdue, mais seulement affaiblie, et bien vite on la réacquiert. C'est la marche qui a fait l'homme et le corps de l'homme est fait pour la marche, il se réconforte en marchant, il s'apaise, il se réjouit. Et l'esprit de l'homme, comme son corps, est fait pour la marche, pour la durée d'un jour et la longueur d'une étape. Rien ne lui est si favorable que l'aube du départ et le crépuscule de l'arrivée.

"Écoutons la cadence de nos pas: c'est la plus vieille musique des hommes. Les premiers de tous les chants, les chants de marche, c'est le pas qui les a rythmés. Ecoutons la cadence de nos pas: pendant des heures, écoutons-la, qu'elle nous porte et qu'elle nous rassérène. Elle sonne invariable et forte, mais le sol a des réponses variées: le franc granit, la tourbe et le douteux humus. Rien n'est si beau que la cadence de nos pas.

"Il ne faut pas craindre la peine; c'est la peine qui a fait l'homme et l'homme est fait pour la peine, il s'y retrouve et s'y anime. Il faut, plusieurs fois l'an, connaître la chaleur ou le froid des routes, l'effort de gravir les côtes avec le soleil sur la tête, ou la neige dans les yeux, et, sur les épaules, le poids d'un fourniment, d'un repas, d'un livre. La peine est bonne pour le corps et utile à la pensée. À quoi donc pensera-t-il, celui qui n'aura pas connu la vie, l'antique vie mesurée par la peine, la dure journée mesurée par ses pas?"

Selon le Littré, recueillir signifie aussi recevoir ce qui coule, ce qui découle… le suc d'une plante, par exemple. D'où ces vers de Racine:

"Pour fruit de tant d'amour, j'aurai le triste emploi
De recueillir des larmes qui ne sont pas pour moi."

Il y a ici l'idée d'une disposition spéciale, particulièrement attentive et respectueuse qui permet d'accéder jusqu'au suc des choses et des événements, pour pouvoir le recueillir. Cette disposition spéciale, grâce à laquelle on peut être profondément touché chez un être par des signes de tristesse que les autres ne voient pas, ou par tel aspect subtil d'un paysage, un vol d'oiseau par exemple, est une forme de recueillement. Les efforts que l'on a faits pour découvrir un être ou un paysage sont l'une des conditions de ce recueillement. Le paysage que l'on découvre du haut d'une montagne que l'on vient d'escalader n'est pas le paysage que l'on peut voir sur un écran; de même, la personne qui nous a accompagné dans cette aventure a un autre visage. Ce sont là d'autres raisons d'inciter les jeunes à l'aventure.

Rassembler, réunir des choses disparates. C'est là un autre des nombreux sens du verbe recueillir que donne le Littré. "Vous avez recueilli toutes les plaintes qui s'élevaient contre lui."

Dans bien des moments de la vie, la mise en ordre de la maison que l'on habite, du bureau où l'on travaille est une condition du recueillement. Si elle n'est pas toujours le signe d'une dispersion de soi, la dispersion des choses autour de soi rend souvent plus difficile le retour à soi. D'où la rareté des objets et l'ordre impeccable qui caractérise les lieux destinés au recueillement. Il faut donner aux jeunes l'accès à de tels lieux. Si les architectes tenaient vraiment compte de l'ensemble des besoins des êtres humains, ils veilleraient à ce que dans les écoles et les maisons, il y ait des espaces conçus pour favoriser la méditation. Les chapelles dans les écoles religieuses étaient de tels lieux. Il y a quelques années, constatant qu'il n'y avait rien dans les polyvalentes du Québec pour remplacer les chapelles des anciennes écoles, le philosophe chansonnier Raoul Duguay proposa d'y créer, au moyen de tentes si nécessaire, des aires de méditation.

Autre sens, apparenté au précédent: recueillir ses esprits, ses idées.

Cette forme de recueillement est l'une des conditions de l'efficacité et de la joie dans le travail. La marche que l'on a parfois l'occasion de faire avant une journée de travail est une belle occasion de recueillir ses idées. Assez souvent, elles se mettent en ordre presque d'elles-mêmes. Il ne reste plus ensuite qu'à les exécuter une à une. Il ne suffit pas d'utiliser un agenda, sur papier ou sur ordinateur pour parvenir au même résultat. D'où, à l'école, l'importance du silence avant d'entrer en classe, de la prière ou de l'équivalent au début des cours.



Saisir ce qui s'échappe des lèvres d'un autre. Recueillir les dernières paroles d'un mourant.

Voilà une situation où il est clair qu'il faut se recueillir pour pouvoir recueillir.

Faire un recueil. Il a recueilli de ce qu'il y a de meilleur dans les écrivains de l'antiquité.

Dans le mot recueil, il y a, sous-entendu: recueil des meilleurs textes. Le rapport entre le recueil et le recueillement n'est pas fortuit. Le beau texte est par définition celui qui favorise le recueillement; c'est aussi celui auquel on ne peut accéder que par le recueillement.

Les NTIC mettent tous les textes du monde, pêle-mêle, à la portée de chacun. La création de recueils des meilleurs textes et documents de toujours est une nécessité criante. Condition du recueillement, cette opération suppose aussi le recueillement.

Résumé. Il est bon de recueillir ce qui vient d'être expliqué et d'y faire réflexion.

Un bon résumé d'un document consiste à en recueillir le suc, ce qui suppose du recueillement. Compte tenu de la variété et du nombre des documents que les NTIC rendent accessibles, l'exercice appelé résumé est d'une importance cruciale. C'est le résumé d'un texte qui dispose à le lire ou à ne pas le lire, à le lire attentivement ou à se contenter de le parcourir. D'où l'importance qu'il convient d'attacher à cet exercice dans les travaux scolaires.

Retirer pour donner refuge. Une vielle tante l'avait recueillie chez elle.

Ici, le verbe recueillir exprime l'hospitalité la plus raffinée. Le mot se souvient ici de son origine: cueillir.

Se recueillir, être recueilli, pris, amassé. "La sagesse ne se recueille pas sur la terre, comme la succession d'un père faible et mortel." (Massillon) "Écoute Israël à l'endroit où la vérité se fait entendre, où se recueillent les pures et simples idées." (Bossuet)

Cet usage est merveilleux. Il évoque des lieux, où tels des oiseaux, se rassemblent les grandes vérités. Comment reconnaître de tels lieux? Comment les utiliser pour faire contrepoids à la multitude des informations qui s'accumulent en un lieu qui n'en est pas un, qui est virtuel: l'écran cathodique?

Essentiel

Terme de dévotion, détacher son esprit des choses de la terre, se livrer à la méditation religieuse. "Ménager chaque année, chaque mois, chaque semaine et même chaque jour, quelque temps pour se recueillir." (Bourdaloue)

Littré est un homme du XlXe siècle et il est à l'image de son siècle. Il n'est donc pas étonnant qu'il ait mis le sens religieux du mot recueillement à la fin de sa liste et la citation de Bourdaloue qu'il a choisie, qu'on l'interprète dans un sens religieux ou dans un sens profane résume, ou plutôt recueille admirablement bien notre propos. Mais le recueillement n'est-il pas essentiellement religieux? Pourquoi s'arrêter? Pourquoi laisser s'ouvrir en soi un vide qui rend l'âme aussi sensible qu'une plaie vive? "Que cherches-tu là-haut dans les étoiles d'or?" Quels reflets de quelles étoiles cherches-tu dans le puits qui s'ouvre en toi? Dans le seul fait de s'arrêter pour se recueillir il y a un acte de foi dans l'être… et dans la vie, il y la conviction implicite que toute floraison a pour prélude une concentration, un intériorisation de l'énergie et de la forme.

Enjeux

Recueillir ses forces, les réunir pour tenter un effort

Cette forme de recueillement semble aller de soi. En réalité, elle ne va pas du tout de soi, comme le prouvent les nombreux accidents provoqués par des efforts démesurés. Recueillir ses forces, c'est aussi les mesurer. L'on peut voir ici le lien entre le recueillement et la santé. "L'homme dégénéré, nous rappelle Nietzsche, est celui qui ne sait pas distinguer ce qui lui fait du mal." Comment flairer ce qui nous fait du mal, comment le distinguer de ce qui nous fait du bien? Comment pressentir que nous sommes vraiment capables ou incapables de tel effort? Par quelle connaissance intime de nous-mêmes pouvons-nous parvenir à ces fins? S'il existe une faculté correspondant à cette connaissance, nous en ignorons la nature et les lois. Nous connaissons, cependant, grâce aux athlètes, l'importance de la concentration avant l'effort. Or la concentration, c'est le recueillement. Pour cette raison et pour bien d'autres, que l'expérience quotidienne devrait nous apprendre, nous devrions savoir que l'habitude du recueillement est peut-être la plus importante de toutes les conditions de la santé. C'est le recueillement avant un repas, favorisé par le respect des rites de la table, par la prière ou l'équivalent, par le moment de silence en attendant que tous les invités soient à leur place, qui dispose à manger à proportion de ses désirs et de ses besoins réels, plutôt que de céder bêtement à l'attrait des plats.

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