Vadeboncoeur Pierre

28 / 07 / 1920

 

L'auteur de cette biographie est monsieur Paul-Émile Roy, écrivain québécois bien connu avec lequel Pierre Vadeboncoeur a entretenu une longue correspondance.


Pierre Vadeboncoeur est né à Strathmore, dans l’île de Montréal, en 1920. Il fit ses études classiques au Collège Brébeuf et s’inscrivit par la suite à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Il ne semble pas avoir été spécialement intéressé par l’étude du droit, mais il en fit suffisamment cependant pour travailler comme négociateur, conseiller et plaideur pour la Confédération des travailleurs catholiques, qui deviendra par la suite la CSN.

Après ses études classiques, avant de s’engager dans le syndicalisme, il semble se chercher. Il s’intéresse à la peinture, fréquente les artistes, se met à écrire. Il publie son premier article, «La Joie», dans une revue d’avant-garde, La Nouvelle Relève. Il collabore à différents journaux, et c’est en 1950 qu’il commence à travailler pour la Confédération des travailleurs catholiques du Canada. Ce travail l’enthousiasme et il y devient permanent en 1953. Il y restera jusqu’à la retraite en 1995.

Pierre Vadeboncoeur était un écrivain et un syndicaliste très engagé. C’est peut-être cette double appartenance qui donne à son oeuvre son caractère de si grande authenticité. Vadeboncoeur n’est pas un rêveur mais un homme d’action, un militant qui est aussi un contemplatif. Il a écrit un grand nombre d’articles publiés dans des journaux et des revues, et une trentaine de volumes qui sont des essais traitant de la politique, de l’art, de l’amour, de la modernité. Il s’est engagé à fond dans la bataille du Québec pour l’indépendance, et a porté sur la modernité un regard critique qui reste d’une très grande actualité.

Il est significatif que le premier texte de Vadeboncoeur porte sur la joie. Il s’agit de se situer dans l’univers, de prendre conscience de ce que comporte le fait d’exister. Dès le point de départ, l’écrivain proclame la suprême dignité de la conscience humaine et son affinité profonde avec le secret de l’être. Lui qui plus tard critiquera très sévèrement la société québécoise et la modernité, n’écrira pas moins dans L’Absence: «Nous relevons sans le savoir d’une ontologie stable et lumineuse». Et jusqu’à la fin, il maintiendra à la fois un regard critique sur la société et la culture, et une attention insatiable au grand secret de l’univers.

Vadeboncoeur s’est engagé très tôt dans la bataille du Québec pour l’indépendance. C’était là pour lui une question de liberté et de dignité. Il a écrit un livre dont le titre est très significatif: Un génocide en douce. Il exprime sa conviction que le Québec dans le Canada est condamné à disparaître. Un autre de ses livres porte le titre: To be or not to be, that is the question. Il écrit dans La Dernière heure et la première, en 1970: «Il y a ceci de tout à fait nouveau: langue, culture, liberté et pouvoir sont aujourd’hui absolument indissociables. Il n’y aura plus un jour ici de langue et de culture françaises, de liberté et de pouvoir, que munis de toute la force politique à laquelle nous puissions prétendre.» Jusqu’à la fin de sa vie, il militera en faveur de l’indépendance du Québec même s’il était pessimiste pour ce qui concerne notre avenir.

Le jeune Vadeboncoeur a entretenu de grands espoirs en la modernité. Il croyait, dans sa jeunesse, que la révolution était en marche et que la démocratie produirait un type d’homme libre, autonome, ouvert à la culture. Il dut déchanter assez rapidement, et c’est cette déception qu’il décrivit dans son livre Les deux royaumes qui déçut certains de ses lecteurs qui n’avaient pas compris l’orientation de sa méditation. Dans ce livre, en effet, publié en 1978, il décrit le malaise qu’il ressent face la la modernité. Être moderne, croit-il, c’est vivre dans une actualité folle, privée de mémoire, sans attache à ce qui se passait hier. C’est vivre dans l’instant, dans un instant sans cesse happé par le futur, façonné par lui. «C’est n’être rien» puisque tout ce que le processus historique a fait de nous ne compte plus. Dans ce capharnaüm qu’est la modernité, l’âme est bafouée, niée, reléguée aux oubliettes. Elle n’a plus droit de cité. Les contemporains sont des «taupes». Il n’existe plus d’espace spirituel, le mystère est aboli, l’ineffable est touché, «frappé d’excommunication». On ne peut plus parler de hauteur, d’altitude. «Le sacré qu’on porte en soi» est bafoué, l’âme est «livrée à plus bas qu’elle».

On comprend que Vadeboncoeur devait décevoir plusieurs de ses lecteurs qui n’avaient pas compris où il s’en allait. Mais il persistera à dénoncer ce monde sans âme qui «fonctionne comme une machine qui impose à l’homme son propre rythme, son ordre, ses priorités». Il développera ce thème jusqu’à la fin de sa vie au grand scandale de certains de ses lecteurs moins lucides qui le critiqueront sévèrement. Pourtant, comme l’écrit Jean Marcel, la pensée de Vadeboncoeur sur la modernité «ne condamne pas, elle souffre». Vadeboncoeur n’est pas un sceptique, ni un frustré, mais un écrivain qui se fait une très haute idée de l’homme et de l’univers. Un écrivain qui n’est pas un critique, au fond, mais un contemplatif. Il écrit dans L’Absence: «il n’y a rien de beau que l’indéchiffrable», et une partie importante de son oeuvre est consacrée à une méditation très lucide, très pénétrante sur l’art, qui est «apparition» de l’être, sur l’amour qui est le suprême accomplissement de l’existence.

L’oeuvre de Vadeboncoeur est construite sur deux démarches qui ne s’opposent pas, mais dont l’une est le soutien ou la raison de l’autre: la démarche de contemplation ou métaphysique, et la démarche critique. C’est cette dernière qui occupe la place la plus considérable dans la première partie de l’oeuvre, mais dans la deuxième, la démarche de contemplation occupe presque tout l’espace. Par ailleurs, plus je réfléchis sur cette oeuvre, plus je prends conscience que la réflexion critique de la première prend sa source dans la réflexion métaphysique ou contemplative qui se déploie dans le deuxième.

Quelques éléments bibliographiques

Pierre Vadeboncoeur a écrit de nombreux articles dans les journaux et les revues. Certains ont été repris dans des livres, mais plusieurs ne l’ont pas été. Il est urgent d’effectuer ce travail pour préciser notre connaissance d’une des oeuvres littéraires les plus importantes du Québec.

Il a aussi entretenu une correspondance importante avec plusieurs écrivains qui mériterait d’être publiée. Certaines démarches sont entreprises actuellement dans ce sens.

Il a reçu plusieurs prix littéraires:

En 1971, le Prix de littérature Ludger-Duvernay, décerné par la société Saint-Jean-Baptiste de Montréal.
En 1976, Le Prix de littérature Athanase-David, décerné par le gouvernement du Québec.
En 1979, La ville de Montréal lui décerne son grand prix littéraire pour Les deux royaumes.
En 1984, on lui décerne le Prix littéraire France-Québec Jean Hamelin, à Paris.
En 1987, il gagne le Prix littéraire Suisse-Canada qui lui est remis à Genève.
En 2003, il reçoit le Prix de la revue Études Françaises.

Paul-Émile Roy





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