Coureur de bois

Sont aussi appelés Voyageurs des Pays d’en-haut, ou simplement Voyageurs.

Dès l’année 1668, la jeunesse coloniale de la Nouvelle-France se jeta en masse dans les forêts, sur les rivières et les lacs. Dans ses rangs se groupèrent engagés, volontaires, enfants du peuple, fils de gentilshommes, jeunes gens affublés du titre de seigneurs ou de chevaliers. Après avoir été démantelé, le régiment de Carignan fournit à cette vie aventureuse et lucrative un contingent assez considérable d'officiers et de simples soldats. On peut citer quelques noms : Le Sueur, Dupas, La Fredière, de Carrion, du Fresnoy, Lafrenay, de Bruey, de Berthé de Chailly, etc. D’autres officiers les ont secondés dans cette œuvre : Gaultier de Varennes, Gauthier de Comporté, Pierre de Sorel, Sidrac Dugué, ainsi que des personnages de renom : Boucher, Le Ber, Rolland, La Chesnaye.

Sans position, sans fortune, trop fiers ou trop indolents pour mettre la main à la hache, à la pioche, à la charrue, ils préféraient, sous prétexte de pêche, de chasse, de traite, prendre le fusil, monter sur le canot, s’enfoncer dans les bois, loin des atteintes de la loi et hors de sa protection. Ils poursuivaient ainsi le profit à retirer du commerce des fourrures. Ceux qui n’avaient pas le numéraire exigé pour l’achat comptant des marchandises de troc, se faisaient avancer la quantité nécessaire par les négociants des villes de Québec, des Trois-Rivières et de Ville-Marie.

«La source du castor, écrit M. de Frontenac à Colbert, est vers les nations du lac Supérieur et de l’Ouest.» Depuis l’époque de Champlain, on avait dépeuplé en partie le bas et le haut Saint-Laurent et l’embouchure de ses tributaires. Les traitants sont désormais condamnés à un voyage de trois à six cents lieues. M. Duchesneau, intendant, se plaint au ministre que «les laboureurs eux-mêmes se débauchent, voyant la liberté qu’on prend si hardiment de courir les bois». En 1668, le Conseil souverain constate «qu’à peine il y a une bande de Sauvages qui n’ait des Français avec soi». En juin 1669, il ajoute: «Plusieurs particuliers, tant soldats et volontaires qu’habitants, ont été dans les bois, 30 à 50 lieues au-devant des Sauvages». En 1672, le comte de Frontenac dit «que les coureurs sont à cinq ou six cents lieues des habitations».

De quelle façon voyagent-ils? Dans deux canots à trois places on empile les marchandises. Des bras vigoureux les manoeuvrent avec adresse et aisance. Au pied de chaque chute ou rapide, il faut porter à dos – portage – pacotille et embarcation. Sur les lacs, le danger menace, à chaque coup de vent subit, de culbuter la coquille légère et ses trésors. Et puis, la faim accourt parfois, faute de venaison et de conserves. Enfin, on arrive au poste de traite, où réside d’ordinaire le missionnaire. Là, il faut compter avec l’hivernage, époque des échanges, du repos, du jeu, des divertissements. La nuit se passe à fumer, à boire, à se débaucher. Quel spectacle et quelle leçon pour les indigènes évangélisés! «Ils détruisent, écrit M. Margry, par cette conduite criminelle, en un moment, le fruit de plusieurs années de travail des Jésuites, qui gémissent de ces désordres.» (Mémoires historiques, tome V).

Toutefois ces lointains exodes ont contribué à nous attacher nos alliés sauvages. À l’appel des gouverneurs, en 1684, 1687, 1696, ils ont pris les armes contre les Iroquois et les Anglais. Mais l’abus des spiritueux a décimé leurs rangs, en tenant compte que les Anglais en furent simultanément responsables. La naissance des Métis est venue peu à peu apporter une certaine compensation ethnique.

Certains historiens ont discrédité et calomnié les Jésuites et Mgr de Laval, opposés à la vente des boissons enivrantes. Il semble que ces accusations soient injustifiées. L'intendant Talon aperçut le mal, sans oser le déraciner. M. Patoulet, son ancien secrétaire, découvre la plaie: «Le recensement de 1681, dit-il, accuse 1475 absences d’hommes mariés et de 65 veufs. Les jeunes gens s’éloignent et ne se marient point…» Le Conseil souverain, les gouverneurs et les intendants, le ministre et le roi, multiplient ordonnances, défenses, pénalités, sans grand résultat. Comment réprimander des absents? Surtout qu’il y a complicité générale. On imagina d’octroyer 25 congés annuels. Ce système rendit plus complexe la surveillance des autorités.

Enfin, les pérégrinations des coureurs de bois servirent à étendre le cercle des découvertes vers l’Ouest et vers le Sud.

Louis Le Jeune, article «Coureur de bois», Dictionnaire général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences, moeurs, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada, Ottawa, Université d'Ottawa, 1931, vol. 1, p. 442-443 (quelques corrections ont été apportées au texte original).

Essentiel

«D'autres et tous un peu, sans doute, ont cédé à l'envie de courir, de se déplacer, de voir du nouveau, de satisfaire leur goût de l'aventure. La Hontan voudra qu'on appelle les coureurs de bois des "coureurs de risques». Coureurs de risques, voilà le titre qui les enorgueillit plus que tout. En eux tous il y avait de l'aventurier. Au vrai, comment modérer, contenir une pareille race d'hommes? Autant mettre en cage l'aigle ou l'épervier ou les attacher à un piquet. En face d'un pays plein de mystère et d'appas, la course des bois apparaît, à certains égards, comme une explosion de jeunesse, d'audace impatiente, de débordante vitalité. On est las de la vie calme, des horizons familiers, trop fermés. On veut voir du neuf, faire de l'esbroufe, se dépasser, se mesurer à plus grand que soi.»

Lionel Groulx, Notre grande aventure. L'Empire français en Amérique du Nord (1535-1760), Montréal, Fides, 1976, p. 188 (reproduit avec l'autorisation des ayants droit de l'auteur)

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