Chiisme

En ce début de l’année 2014, la tragédie qui frappe toute la partie nord du Moyen-Orient, de l’Iran à l’Est jusqu’à la Syrie et au Liban à l’ouest, semble s’aggraver plutôt que de se résorber. Devant cette implosion, les grandes puissances, semblent avoir perdu toute grandeur et toute puissance. Quant aux individus, vous et moi, tout au plus peuvent-ils s’efforcer de comprendre un peu mieux la situation. Les médias nous répètent qu'il s’agit d’une reviviscence du conflit entre chiites et sunnites, lequel a éclaté dès les premières années de l’islam. Les chiites actuels sont les descendants des premiers membres du Chiat Ali, le parti d’Ali, cousin et gendre de Muhammad (570-632). L’Iran est leur place forte. En face d’eux, se trouve leurs plus grands ennemis : les sunnites de l’Arabie Saoudite. Les chiites, maintenant au pouvoir en Iraq, comptent aussi parmi leurs ennemis le mouvement terroriste Al-Qaïda, d’inspiration sunnite fondamentaliste. En ce moment, ce mouvement fait preuve d’une vigueur étonnante en Iraq.

Après leur conquête de la Grèce, qui leur était bien supérieure sur le plan intellectuel, les Romains, du moins les plus conservateurs d’entre eux, Caton l’ancien par exemple, ont craint que le pays de Platon ne se venge, en imposant sa culture à Rome. Quelques siècles plus tard, l’empereur Marc-Aurèle rédigeait ses Pensées en grec.

Par rapport aux Perses, dont ils triomphèrent facilement, les bédouins qui formèrent les premières armées de l’islam étaient plus vigoureux que raffinés. Les Perses se vengèrent à la manière des Grecs, en faisant revivre, dans le chiisme, leurs anciennes croyances, celle du parsysme notamment, tout en se présentant en surface et en apparence comme des musulmans orthodoxes. C’est la thèse que défend Gobineau dans Religions et philosophies d’Asie centrale. La situation actuelle serait la conséquence de l’indéfinition doctrinale de l’islam.

Le compte Arthur de Gobineau (1816-1882) a été ambassadeur de France en Perse (l’Iran d’aujourd’hui). Comme son ami Alexis de Tocqueville en Amérique, il fait preuve au cours de sa mission diplomatique (1855 à 1858 et 1861 à 1863) d’un sens de l’observation et d’une curiosité intellectuelle qui l’élèvent au niveau des plus grands historiens. On lui doit trois ouvrages sur ce qu'’on appelait alors l’Asie centrale, un recueil de nouvelles, Les nouvelles asiatiques, un récit de voyage, Trois ans en Asie, récit complété par une étude intitulée Religions et philosophies d’Asie centrale, laquelle, en 1957, en était à sa septième édition, succès qui confirme le jugement de Lord Curzon lors de la parution du livre : «Les meilleurs ouvrages qu'on ait écrits sur l’Asie, c’est un Français, le comte de Gobineau qui les a composés.» (Avant-propos de l’édition de 1957 chez Gallimard.)

Nous reproduisons ici, le chapitre consacré au chiisme, mais voici d’abord un rappel des origines du chiisme : «La formation du courant chiite date des luttes de rivalité pour la succession du Prophète. La Chiat Ali défend le principe de la seule succession légitime du cousin et gendre du Prophète, Ali, et de la descendance qu’il a eue de la seule fille du Prophète, Fatima; la succession devait donc pour eux rester dans la lignée de Muhammad. Les chiites sont minoritaires au sein de la communauté islamique, mais ils ont de tout temps influencé la vie intellectuelle et politique de l’islam. Ali et ses descendants sont à leurs yeux les imams infaillibles (chefs de la communauté des croyants) qu’ils honorent presque autant que le Prophète. L’histoire du chiisme est complexe, elle est jalonnée d’innombrables scissions, persécutions et révoltes; tout au long de son histoire, le parti chiite fut toujours porteurs de courants révolutionnaires, idéalistes mystiques, par opposition à l’orthodoxie traditionnelle, et le comportement des chefs chiites est souvent marqué par l’impatience révolutionnaire et la recherche passionnée du salut.
Un culte du martyre est attaché à la mort du troisième imam et fils d’Ali, à Kerbela, le 10 muharram (octobre) de l’an 680 alors qu’au cours d’une révolte contre la dynastie des Omeyyades, il fut abandonné par ses alliés. (Arts et civilisation de l’Islam, Könemann, Bonn, 2000, p.29)

Texte de Gobineau

LA FOI DES ARABES

 

ORIGINE ET DÉVELOPPEMENT DU S H Y Y S M E


Pages 46 à 63 de l’édition de 1957 chez Gallimard, de religions et philosophie dans l’Asie centrale.


La foi des Arabes, c'est une branche fort maigre et très sèche du chaldaïsme. On comprend sans peine que, dans les siècles reculés, les hommes du désert n'avaient ni le loisir, ni le goût de se jeter dans toutes les recherches philosophiques des écoles de la Mésopotamie, mais ils n'avaient pas non plus la puissance intellectuelle de chercher ailleurs que là leurs opinions religieuses. Par le commerce, par les caravanes, par la politique, par les déprédations même, les Bédouins d'alors, tout comme ceux du Bas-Empire, tout comme ceux d'aujourd'hui, étaient en relations trop suivies avec les peuples les plus cultivés de leur sang et de leur race pour avoir pu s'en isoler, et ils ne l'avaient pas fait ni voulu faire. Leurs mœurs étaient nécessairement différentes des mœurs des villes assyriennes ou babyloniennes, différentes dans le sens d'une austérité que la pauvreté et l'habitude guerrière soutenaient; mais, parlant un dialecte des mêmes langues, voyant les faits des mêmes yeux, souvent tributaire des mêmes rois, l'Arabe du désert qui voulait croire à quelque chose avait dû se renseigner dans les grandes villes auprès des prêtres et des savants, et cela dès la plus haute antiquité.

Aussi lui en voit-on les principales doctrines. Il ne connaît pas tous les raffinements des philosophes, mais il connaît les principes premiers, et, ce qu'il n'ignore pas davantage, ce qu'il sait peut-être mieux encore, ce sont les superstitions que professent les basses classes ou même les classes élevées dans les pays qui l'ont instruit.

Les Bédouins

Il croit à l'unité divine, stricte, rigoureuse, sans moralité définie, voulant le mal aussi souvent que le bien, et mettant sa justice dans le fait seul de sa volonté. Cette unité est respectable, assurément, parce qu'elle est toute-puissante, mais elle est encore bien plus parce qu'elle est toujours agissante, et que, toujours prête à frapper, elle peut atteindre partout. Se répandant dans le monde sous toutes sortes de formes, elle existe majestueuse dans les planètes; elle est aussi à reconnaître dans les autres manifestations cosmiques. Celles-ci sont fortes, celles-là sont faibles. Il s'agit de vénérer le tout, de ne pas se faire d'ennemis dans ces forces émanées de la force unique. Mais l'esprit de l'homme, malheureusement, ne se prête pas à suivre avec aisance, dans toutes ses diversités, un système aussi complexe; il aime à se fixer. Le Bédouin finira donc par vénérer théoriquement la force unique, ce qui n'a jamais cessé d'avoir lieu, et par se choisir, pratiquement, des protecteurs beaucoup plus souvent implorés parmi les forces émanées. C'est ce qui arrive à tout moment dans la vie mondaine aux solliciteurs de grâces. Ils estiment plus fructueux d'obtenir la bienveillance de quelques autorités subalternes que de rechercher celle d'un maître suprême. Ainsi les Arabes s'occupaient à discerner quelle était la divinité secondaire qui leur offrait le plus d'avantages, et ils s'attachaient presque uniquement à elle, sans nier le moins du monde le caractère auguste des autres. De là ces discussions dont la Bible a gardé et transmis plus d'un souvenir, où un dieu est opposé en mérite à un autre dieu. Ce genre de culte était renforcé par toutes les pratiques de la divination et de la magie, apprises aussi dans les villes syriennes avec le culte des planètes : celui de Hobal apporté de Belka, celui d'Asâf et de Nayelâh, celui de Mény, de toute l'armée céleste, enfin. Naturellement, à cet ordre de notions se rattachait, jusqu'à l’infiniment petit, la longue série des superstitions domestiques.

Il est vrai que les Arabes du désert ont l'esprit moins tourné à cette sorte de recherche ténébreuse que les Arabes des villes, cependant ils n'en pratiquaient pas moins, dans bien des cas, l'immolation des enfants devant les idoles, à la manière dos Chananéens. En somme, toutefois, à l'exemple des autres peuples sémitiques, l'unitarisme en religion a toujours été pour eux une tendance assez forte, et qu'ils n'ont jamais perdue de vue entièrement, même quand ils ont cédé à des influences différentes. Les allures indépendantes, qui leur sont chères dans la vie de ce monde, leur inspirent assez de propension à une critique négative ou du moins fort restrictive dans les choses de l'autre. C'est ainsi qu'ils ont contrarié absolument le vœu de Mahomet et ses efforts pour faire de l'Arabie une terre d'une orthodoxie irréprochable. Même de son temps, et sous ses premiers et habiles successeurs, il fut impossible de gagner ce point. Aujourd'hui, il n'existe pas dans tout l'islam un seul pays qui soit moins musulman. Certainement, les mêmes tendances à l'opposition existaient avant Mahomet contre la religion existante, et il ne fut pas le premier à s'élever avec passion contre les idoles et contre les pratiques superstitieuses que leur culte entraînait. Le désir général était de trouver une forme de doctrine ramenant vers l'unitarisme, par des chemins agréables au genre d'esprit de la nation. On ne trouvait pas le judaïsme assez arabe ; on ne voulait pas se soumettre à ses théories trop israélites, précisément parce qu'on était porté, comme lui et par identité de sang, à faire ce qu'il avait fait, en voyant dans la famille arabe le centre du monde. On ne voulait pas non plus du christianisme, comme trop compliqué. Le dogme de la Trinité sonnait mal aux oreilles des logiciens du désert.
 

En réalité, le passé qu'on regrettait était encore appréciable à tous les souvenirs, si, même, çà et là, il n'en restait pas de fortes traces, ce qui est le plus probable. C'étaient les débris des doctrines les plus élevées des écoles mésopotamiques, que l'on pouvait apercevoir au milieu de la littérature philosophique, théologique, astrologique, médicale des Syriens, des Juifs, des Perses. D'importantes universités étaient, en possession séculaire de répandre et d'augmenter l'éclat de cette littérature, plus certainement de corrompre la masse énorme de notions qui s'étaient concentrées dans les diverses sciences qu'elle embrassait. C'étaient Néhardéa, Bumbedita, Rishihr, d'autres villes encore. Là, affluaient dos troupes nombreuses d'étudiants de toutes les races et de toutes les croyances, des chrétiens aussi bien que d'autres. Si célèbres que pussent être les écoles d'Antioche ou d'Edesse pour l’enseignement de la foi catholique, il ne faut pas se dissimuler que leur éclat était loin d'effacer celui de ces centres scientifiques, et tout ce qu'il pouvait, c'était de soutenir, sans trop pâlir, le rayonnement rival. La meilleure preuve qu'on en peut donner, c'est que les disciples chrétiens qui allaient étudier les sciences sémitiques ne manquaient pas, lorsqu'ils continuaient à rester dans la foi, triomphe assez rare, de rapporter avec eux un butin fâcheusement hétérodoxe, et qui aboutissait à étendre, à consolider, à animer d'une nouvelle ardeur ces innombrables sectes gnostiques presque jumelles de l'Église, et que l'esprit occidental a seul à peu près réussi à étouffer.

Tant d'écoles célèbres que je viens de nommer exerçaient donc une influence immense sur tout l'Orient. Elles représentaient, pour lui, et même en dehors de lui, la science par excellence. Elles se vantaient, et non sans raison, d'avoir recueilli l'héritage de cette érudition antique, nourrice des premiers philosophes de la Grèce, et qui, après avoir fourni des notions premières à Thalès, à Pythagore et à leurs émules, n'avait pas été moins généreuse pour Platon. Enfin, ce n'était l'objet d'aucun doute, que les doctes critiques d'Alexandrie, que les néoplatoniciens, dans toutes leurs nuances, s'étaient trouvés, en communion beaucoup plus étroite encore avec les écoles mésopotamiques, et n'étaient autre chose que des disciples restés plus ou moins fidèles dans la forme, mais, en tous cas, des disciples avoués de la doctrine sémitique. On conviendra qu'une science qui pouvait se parer de tels souvenirs et invoquer de tels témoignages, non seulement n'était pas à mépriser, mais devait encore compter sur une vénération universelle. Il était difficile que sa réputation n'eût pas pénétré dans les camps des tribus arabes, dont le contact avec les populations urbaines était, en définitive, si fréquent; mais il serait plus extraordinaire encore qu'à la Mecque, où venaient et revenaient tant de voyageurs et de gens curieux et même instruits, on n'eût pas su ce qui, depuis des siècles, faisait l'objet de la vénération enthousiaste de toute l'Asie. Surtout, il serait radicalement impossible que Mahomet, enfant d'une grande maison en possession de la grande charge de Gardien du temple de la Kaaba, et où se devaient agiter souvent des questions religieuses, que Mahomet, marchand et voyageur, ayant fréquenté les villes de Syrie et conversé avec tant de gens, que Mahomet, enfin, plein de curiosité pour apprendre et plein de zèle pour comprendre, et plein d'ardeur pour combiner des idées, n'eût pas été, de tous ses concitoyens, celui qui avait encore le plus de notions et la plus haute idée de la science araméenne.

Tous ces motifs, qui semblent de poids, ne sont cependant en eux-mêmes que des inductions raisonnables dénuées de preuves matérielles. Ils vont prendre la valeur qui leur appartient devant certaines observations de fait.

La science araméenne, comme toutes les sciences du monde, a donné naissance à une esthétique littéraire. Il lui a été indispensable de connaître, à son point de vue, et de fixer les règles et les conditions du beau en matière de compositions écrites. Les différentes sociétés civilisées ont vu se produire un phénomène analogue, et le résultat obtenu pour elles par l'intelligence locale a été conforme aux conditions d'existence de la langue et du goût, ainsi qu'à l'expérience que cette intelligence avait pu acquérir. Il n'en a pas été autrement, dans les pays de langage sémitique, qu'en Grèce et en Italie. Seulement les conditions linguistiques se sont trouvées telles que la beauté littéraire s'est produite là d'une façon toute spéciale, et que le goût aussi bien que le genre des connaissances ont rendu ce qui a passé pour être la perfection du style absolument inséparable des puissantes vertus secrètes attribuées aux écrits. Ainsi un document bien composé, bien rédigé, suivant toutes les règles, n'a pas seulement eu le mérite d'être beau suivant les idées sémitiques; il a encore, par cette cause même, possédé une énergie mystérieuse qui, en l'assimilant aux forces de la nature, en a fait un redoutable instrument d'action magique. Telle est la composition littéraire comme on la comprenait dans les universités fameuses que j'ai nommées tout à l'heure. Un docteur, un sage concevait et exécutait son œuvre de telle façon que, dans quelque direction qu'on en lût les lignes, il en devait sortir un sens religieux et théologique; en outre, en changeant, d'après des règles fixes, la valeur des lettres, de nouveaux sens également continus, se présentaient; ensuite, il fallait que toutes les lettres fussent allitérées les unes avec les autres; enfin, il ne suffisait pas que des sens multiples se rencontrassent dans le texte, il fallait encore que certains de ces sens fussent d'une nature favorable, certains autres d'une nature néfaste. De pareils tours de force n'étaient assurément pas faciles à exécuter, et, par conséquent, leur nombre n'était pas infini; mais il n'y a pas de doute que rien ne devait être plus glorieux que de trouver une combinaison nouvelle dans ce genre; ce devait être le plus grand succès de la vie d'un savant, et l'œuvre la plus considérable que le temps pût enfanter. En effet, ces textes qui, à les lire, ne présentent guère que des combinaisons de noms divins, renferment, ipso facto, toute l'énergie de ces différents noms, en tant qu'ils manifestent tels ou tels attributs de la puissance divine. Ils exercent sur la nature une influence irrésistible; ce sont des formules médicales d'une force extrême; Quant à la philosophie, que pourrait-elle trouver de plus profond et de plus auguste que ces écrits qui, sous la couverture étroite d'un mot bi-syllabique ou même d'une seule lettre, offrent à la méditation du savant les secrets les plus variés et cela à l'infini? C'est ainsi que la science sémitique aboutissait à la production des talismans. Les talismans, maîtres de toutes les imaginations, se fabriquaient, à la vérité, en Asie, mais couraient le monde occidental tout entier. Les Mecquois avaient des talismans, ainsi que tout le monde, et n'en pouvaient ignorer le mode de production. Ainsi Mahomet devait savoir, et il savait aussi bien que personne, que l'unitarisme sémitique auquel il voulait faire revenir son peuple n'allait pas sans cette certaine science, de certaine nature, qui en était déjà sortie et qui était la plus célèbre du monde d'alors, chez les Asiatiques, chez les Grecs, chez les Romains, et que cette science, pour être vraiment auguste, ne pouvait s'exprimer qu'au moyen d'un certain style qui faisait ressembler les œuvres de toute l'école aux talismans que l'on avait l'habitude séculaire de tant redouter et vénérer.

Le Koran fut écrit suivant ce système. Il a plu au Prophète de se taxer lui-même d'ignorance, afin de bien établir qu'il aurait été incapable d'inventer la sublimité de forme et de fond qu'on trouve dans son ouvrage. Il attache tant de prix à la qualité de pauvre d'esprit qu'il fait remarquer plusieurs fois que Dieu seul était capable d'exécuter un chef-d'œuvre comme celui qu'il présente, et il met au défi ses contradicteurs de rien produire d'approchant. Sous ce rapport, je ne crois pas qu'il ait trop présumé de la portée de son argument; car, en arabe, aucune composition ne saurait se comparer, en effet, au mérite supérieur de la rédaction et des pensées de certaines parties du Koran; et, soit que les circonstances n'aient jamais été si favorables qu'au moment où ce livre fut écrit, soit qu'il ne se soit jamais rencontré un second écrivain aussi habile à manier la langue, il est incontestable que tous les efforts pour produire quelque chose de beau en arabe n'ont jamais abouti, tant nombreux qu'on les ait vus, qu'à des essais de qualité inférieure et toujours à des copies. Aussi n'est-ce pas sérieusement qu'il faut discuter la qualification d'ignorant que se donne Mahomet et que des critiques chrétiens ont assez naïvement relevée pour s'en servir contre lui, il ne faut pas accepter cette prétention, sans quoi on serait obligé d'entrer avec le Prophète dans l'hypothèse du livre dicté par l'archange Gabriel. Car, pour savant, au point de vue arabe, suivant les possibilités du temps et du pays, savant dans les apocryphes chrétiens, dans les traditionnalistes juifs, dans la philosophie araméenne, savant et rompu au maniement du style difficile de cette philosophie, savant par une connaissance inouïe du vrai caractère de la langue arabe et de ses ressources propres, et du genre de beautés qui ressort de son génie particulier, le Prophète l’est à un degré supérieur et avec un génie qu'il serait puéril de nier ou de prétendre méconnaître. Il a su, notamment dans l'adoption du style talismanique, manier l'allitération et accumuler les sens multiples comme personne ne l'a jamais pu faire. De même qu'au dire de kabbalistes, la Bible renferme quarante-neuf sens purs et quarante-neuf sens impurs, de même, sur la déclaration d'El-Djahedh, le Koran présente d'une part la louange de Dieu, de l'autre le blasphème, antinomie absolument indispensable dans un livre sacré, suivant les idées chaldéennes. Ce ne sont pas là de ces résultats qui s'obtiennent par inspiration; il faut, pour les produire, des modèles parfaits, l'étude, la méditation, le travail, la patience et le temps.

Considérée sous cet aspect, la grande œuvre de Mahomet, l'islam, est une religion qui s'est donné pour but de remonter le cours des âges, afin de retrouver l'unitarisme absolu des ancêtres arabes, c'est-à-dire des ancêtres assyriens. Épurer l'arabisme de son temps, voilà donc ce que le Prophète se propose; pour instruments, il emploie les notions chrétiennes et juives, et il les choisit de préférence parce que ces religions lui présentent une forme de l'unitarisme plus exacte que les productions contemporaines de la même idée. Seulement, par les raisons que j'ai indiquées, il ne consent à accepter ni l'une ni l'autre religion : elles se sont séparées de l'araméisme. Il se sert aussi et surtout de cet araméisme et avec une prédilection marquée; c'est là qu'il va chercher et la forme et même beaucoup de ses idées, sans compter ce que ce système avait déjà en commun avec le judaïsme et les dogmes chrétiens. L'araméisme est placé vis-à-vis de lui à peu près dans la même situation que l'arabisme, ou plutôt c'est identiquement la même chose. Il y reconnaît la vraie foi, souillée par des accumulations d'erreurs idolâtriques successives. C'est ce terrain qu'il lui faut déblayer et sur lequel frappent ses colères les plus fortes. Mais, par cela même que c'est le terrain aimé, favorisé, celui qu'on doit rendre à la foi véritable, le terrain fécond où celle-ci germait jadis et prospérait, il est aussi tout naturel que le Prophète accorde aux partisans de cette ancienne loi, qu'il appelle les Sabys, les mêmes prérogatives qu'aux chrétiens et aux juifs. Il voit en eux, bien qu'égarés, des adorateurs du Dieu unique. Enfin, de cent manières, il laisse apercevoir qu'il est au fond leur homme. Il admet leur magie, leur astrologie, leur algèbre, leur talismanique, leur doctrine sur la puissance active des sons, des lettres, des mots combinés avec l'énergie des nombres; c'est là le milieu de connaissances qu'il accepte; et, pourvu qu'il détruise l'idolâtrie qui s'y est glissée, il ne prétend y rien changer ou bien peu de chose.

Aussi sa morale est-elle très imparfaite. Elle reste absolument celle de l'ancien sémitisme, et, en réalité, au point de vue où se place Mahomet, il n'en peut être autrement. Personnellement, le Prophète était, parmi les Arabes et même entre tous ses contemporains, un homme de mœurs douces, graves, aimant la justice, d'une bienveillance étendue, d'une indulgence grande et d'un désintéressement sans bornes. Mais ce sont là, chez lui, des questions de tempérament, et non pas de principes. Il n'a cherché à rien changer, dogmatiquement, au fond de la morale connue, reçue, pratiquée autour de lui, avant lui. Il a fait beaucoup de bien, assurément, mais sans esprit de suite, sans système, sans aucune notion nettement sentie, encore moins démontrée du droit. Il s'est opposé, avec une assurance généreuse, à la continuation des inhumations d'enfants naissants, usage qui, dans les tribus du désert, souvent menacées de famine, remplaçait l'exposition usitée dans l'empire gréco-romain; il a étendu l'usage des compositions pécuniaires pour meurtre; il a rendu presque impossibles dans la pratique les condamnations régulières pour adultère en exigeant la présence de quatre témoins oculaires; dans les cas où il a dû subir l'action des préjugés un peu sanguinaires de son peuple, il n'a jamais manqué de faire remarquer que Dieu aimait ceux qui pardonnent ; enfin, pour ne pas trop étendre la liste de ses bienfaits très réels et nous en tenir au principal, il a créé la position légale des femmes dans le mariage, et elle est loin d'être aussi dure que nos idées nous portent à le croire. Mais, encore une fois, cette législation, toute louable qu'elle est, surtout si on la compare à celle qu'elle a renversée, présente de grandes lacunes, offre de nombreuses inconséquences, manque de sérieux, parce que c'est une œuvre du sang et des nerfs, et que l'essentiel, les principes logiques, y manquent, comme à toutes les conceptions de l'esprit sémitique, et, en effet, l’unitarisme sémitique auquel le Prophète remonte et se rattache le plus étroitement qu'il peut, ne possède rien de ce genre. Dans sa notion de la nature divine, ce qui domine, c'est l'infini d'abord, la toute-puissance ensuite, et sur ces deux attributs, comme les rameaux d'un arbre sur les maîtresses branches, se ramifient les autres idées que les sectateurs d'un culte pareil se font des perfections appartenant à l'Être souverain. La justice y reste dans un état d'indéfinition complet. On la compte, assurément, parmi les qualités do la Toute-Puissance; mais qu'’est-elle, cette justice? Je l'ai déjà dit : rien autre que la volonté; et cette volonté de l'essence infinie, constamment présentée sous un aspect rébarbatif, contient autant le mal que le bien; elle n'a rien de pur, rien de net.

C'est là un défaut considérable assurément, et qui exerce sur les esprits asiatiques la plus déplorable influence. La justice n'est pas une de ces conceptions que les théologiens, après les fondateurs de religions, peu¬vent laisser impunément aux siècles futurs à reconnaître et à déterminer. L'idée de mystère ne saurait s'adjoindre à elle ; on ne saurait la vénérer à l'état voilé, comme une Isis; il faut qu'elle se montre tout entière et toute nue comme la vérité, parce que le monde a soif de la justice, et il faut encore que la notion en soit si complète qu'on ne puisse se tromper sur son caractère sans le vou¬loir. Le catholicisme a atteint sur ce point capital un de¬gré de précision qui ne laisse rien à souhaiter; et, suivant l'exposition do saint Thomas, il a établi que dans la définition de cet attribut, il faut d'abord la volonté pour bien déterminer que l'acte juste est nécessairement libre; en¬suite admettre la constance et la perpétuité, pour qu'il soit fort et bien établi. Ces points fondés, arrive la formule :« la justice est une habitude d’après laquelle quelqu’un, par une volonté constante et perpétuelle, rend à chacun son droit.» On ne voit pas que les âges modernes, dans leurs philosophies successives, aient ajouté beaucoup de choses à l’expression de l’Ange de l’École.

Mais l'islamisme n'a produit rien de semblable sur ce point capital. Partout le vague, l'incertitude ; la crainte infinie des jugements de Dieu, qu'il n'y a aucun moyen de prévoir, et la déférence absolue avec laquelle on déclare s'y soumettre, voilà tout ce qu'il sait dire. Encore une fois, le Prophète n'a modifié nullement l'ancienne con¬ception de la morale, se bornant à adoucir les usages autant qu'il était en lui* par bonté et douceur naturelles plus que par un système réfléchi. En matière dogmatique, on a vu de même qu'il n'avait voulu que retrouver les anciennes bases, les antiques croyances de l'araméisme. On peut donc prononcer avec assurance que l'originalité manque essentiellement à son dogme, et que, s'il n'a pas fait avancer, au point de vue moral, les populations sur lesquelles il a étendu son influence, il a simplement voulu, au point de vue de la foi, leur faire rebrousser un peu chemin sur la route déjà parcourue.

La conséquence de ce défaut de nouveauté a été naturellement ce que nous avons déjà observé; l'islam n'a réussi qu'à jeter un instant d'incertitude dans les esprits de ses sectateurs, et bientôt on a pu s'apercevoir qu'aucun des abus intellectuels du passé n'était vraiment détruit. Seulement, comme l'islam, avec ses formules vagues et inconsistantes, semblait inviter tout le monde à le reconnaître sans forcer personne à abandonner rien de ce qu'il pensait, il est devenu ce que nous le voyons, le manteau commode sous lequel s'abritent, en se cachant à peine, tout le passé et les idées hybrides qui bourgeonnent chaque jour sur un sol qui contient tant de choses en putréfaction.

La plus grande preuve qu'on en puisse donner, c'est l'existence même du shyysme persan.

Lorsque les Arabes eurent renversé l'empire sassanide, à la bataille de kadessyeh, leurs succès furent rapides et, au premier abord, aussi inconcevables que ceux dont ils avaient à se réjouir du côté des provinces grecques. La raison en est la similitude parfaite de décomposition où se trouvaient les deux grands États qu'attaquait le jeune mahométisme. Sans rien ôter de l'énergie sauvage, de l'enthousiasme belliqueux des arrivants, sans nier leurs vertus conquérantes : dévouement, sobriété, grandeur d'âme, intrépidité; sans méconnaître le génie de leurs chefs, il est manifeste que s'ils avaient eu en face d'eux en Orient, comme il est arrivé en Occident, des populations attachées à leurs maîtres et des chefs militaires capables d'user avec discernement des ressources immenses que possédaient les contrées envahies, les résultats eussent été tout différents de ceux que l'on a vus, et les Amrou et les Khaled se fussent fait rudement et promptement rembarrer dans leurs déserts. Mais les contrées byzantines étaient pourries de vices, désarmées et disloquées par les hérésies, et les territoires persans ne l'étaient pas moins par îles causes tout analogues.

Les mages, en fondant, sous l'abri de la politique sassanide, une religion d'État qui prétendait ne tolérer aucune foi dissidente à côté d'elle, faute que les Arsacides s'étaient refusés à commettre, n'avaient pas pris garde que le sol était d'avance miné sous leur édifice. Dans le sud et dans tout l'ouest de la monarchie, les polythéismes grec et assyrien, fondus ensemble par le néo-platonisme, dominaient chez les populations. Dans le nord, les tribus ne voulaient reconnaître et pratiquer le parsysme que sous les formes libres du culte primitif, qui n'admettait pas de clergé; elles repoussaient donc les emprunts nombreux faits par la nouvelle cléricature à l'araméisme, prétendaient que chaque chef de famille devait rester l'unique prêtre de l'autel domestique, et n'acceptaient pas d'autre autel. Et, par-dessus ces résistances ou par-dessous, ou à côté, se glissaient à travers mille fissures un groupe notable de sectes chrétiennes, un nombre considérable de communautés juives assez puissantes pour avoir leurs princes et leurs gouvernements particuliers, déployer des étendards, soudoyer des soldats, conduire des guerres privées, et d'autres associations encore, plus modestes peut-être, mais non moins obstinées dans leur foi, des bouddhistes, des manichéens, et aussi des brahmanistes, ces derniers dans le Kerman et les districts d’Hormouz.

L’énergie avec laquelle le parsysme renouvela provoqua, accepta, soutint la lutte, n'est pas sans mériter quelque considération. Par le grand nombre d'emprunts que ses promoteurs firent au judaïsme, au christianisme, à la philosophie chaldéenne, il est clair qu'il se proposait la tâche qui a souvent séduit de grands politiques, mais qui n’a jamais réussi à aucun. Il voulait, en contentant tout le monde, en acceptant quelque chose de toutes les idées et, en remplaçant les anciens cultes par un syncrétisme habile, faire succéder une ère de concorde universelle à la discussion générale. Il est curieux que cette volonté toute philanthropique, chaque fois qu'elle s'est produite avec une pareille netteté, n'a jamais manqué d'aboutir à des violences. Le parsysme fut, en effet, amené à être essentiellement persécuteur, et quand il n'en venait pas à une tyrannie ouverte, il se montrait taquin, agressif, oppresseur, odieux aux populations. Il l'était d'autant plus que l'administration politique le soutenait, et toute la haine que celle-ci pouvait s'attirer, il ne manquait pas de la partager avec elle.

La bataille de Kadessyeh fut un signal do délivrance pour les dissidents, et on vient de voir qu'ils étaient nombreux. Les juifs, que l'on massacrait de temps en temps, et les chrétiens, que l'on déportait, respirèrent sous l'autorité d'un prophète qui les déclarait vrais croyants quoique incomplets et n'exigeait plus d'eux qu'un impôt en les en les exonérant des obligations miliaires.

Les innombrables gens de métier que frappait une réprobation légale fondée sur ce qu'ils souillaient le feu, l’eau, ou la terre par leurs professions et que l’on maltraitait en conséquence, s'empressèrent de se convertir et allèrent grossir les rangs avides des vainqueurs. Voilà ce qui explique assez les prompts succès, l'extension subite de l'islam dans l'Asie Centrale.

Cependant, le gouvernement n'était pas resté pendant plus de quatre siècles aux mains de religionnaires aussi savants et aussi fermes que les parsys sans que l'influence de ces derniers, impuissante à tout saisir, n'eût réussi du moins à s'étendre beaucoup. S'ils avaient d'ailleurs été vaincus, c'était avec la monarchie nationale, avec la patrie elle-même. Ils trouvèrent, au bout de quelque temps, quand bien des griefs furent oubliés, représenter celle patrie opprimée. Débris des anciens pouvoirs, ils avaient conservé richesses, honneurs, influence locale beaucoup plus qu'on ne le croit, car on a fort exagéré les instincts oppresseurs et surtout spoliateurs des musulmans. Les chefs féodaux des tribus et des villages qui étaient parsys à l'ancienne mode, sous les Sassanides, et odieux au clergé triomphant, devinrent parsys à la nouvelle et chers au clergé opprimé. Quand des princes turks ambitieux voulurent se créer des royaumes dans les domaines des khalifes, ils ne manquèrent pas de remarquer ces dispositions et, tout musulmans qu'ils étaient, souvent musulmans excessifs comme Mahmoud de Ghazny, ils les encouragèrent. La littérature, sauf quelques réserves de formes, se piqua d'être guèbre au fond parce qu'il lui était commandé d'être persane. Tout le monde devenu libre de maudire les Arabes s'en donna à cœur joie, même les petits-fils de ceux qui les avaient tant accueillis, et les souvenirs affaiblis de l'ancien mécontentement s'effacèrent devant les souvenirs grandioses de l'ancien sacerdoce, qui devinrent autant de regrets. Ce fut cette puissance éclipsée qui devint désormais l'objet de tous les rêves. On n'avait plus de descendants de l'ancienne dynastie, mais on pouvait refaire la nationalité si l'on réussissait à reformer un clergé semblable à celui que l'on pleurait. A dater de ce moment, le patriotisme persan eut pour expression la recherche d'une formule religieuse qui lui fût propre et qui se rapprochât, autant que les temps le pouvaient permettre, des anciennes apparences.

Car, de quitter brusquement l'islam, il n'en pouvait pas être question. Le monde entier, alors, était musulman pour un Oriental. C'était la puissance politique, c'était l'éclat, c'était la civilisation. Volontiers on réduisait l'islam à n'être qu'un mot; les philosophes y travaillaient à leur manière, avec non moins d'ardeur que les princes sassanides, gaznévides, bouydes, deylémites à la leur; mais ce mot, il le fallait; il en était, absolument comme nous, où les incrédules, sans tenir en aucune façon à la messe, font cependant un si grand éclat de ces termes : « civilisation chrétienne » — « monde chrétien. »

C'était à l'unité du khalifat qu'on en voulait. On étouffait sous cette domination unique, étendue de l'Espagne à l'Inde, et les Persans aspiraient à leur autonomie. Les Persans attaquèrent donc la légitimité des khalifes. Ils se firent les champions du droit méconnu des Alydes et se trouvèrent ainsi établis sur un terrain où, devenus maîtres d'une théorie légale plus exigeante que la légalité reçue, plus arabes que les Arabes, plus musulmans que leurs rivaux, ils les assaillirent au nom de principes que ceux-ci avaient mauvaise grâce à nier et qui étaient tous contre eux. Ce fut le commencement du shyysme et, dès les premiers jours, cette levée de boucliers occasionna de grands troubles et causa de grands malheurs. Mais elle servit au-delà de toute espérance la cause nationale et raviva merveilleusement les données morales et les croyances de l'ancien Iran.

En apparence, il ne s'agissait que d'une opinion sur le droit des Abbassides à occuper le trône. En réalité, des habitudes absolument opposées aux dogmes de Mahomet reparurent et s'établirent graduellement. Chaque ville, de la réunion de ses docteurs, forma un clergé; ce clergé reprit une hiérarchie, s'attacha à couvrir de ses membres unis le pays tout entier et, avec le temps, y réussit. Il ne pouvait pas justifier son existence par le Koran, ni même parles traditions authentiques du Prophète, qui, au contraire, avait voulu que chacun des croyants restât maître et libre dans sa foi. Il s'arma donc de maximes antiques et, les métamorphosant en dires du Prophète et des Imams, il établit dogmatiquement que le Koran, sous peine d'infidélité, ne pouvait être lu et commenté que par des moullas. Ces maximes antiques, auxquelles j'ai déjà fait allusion plus haut, furent prises un peu partout, dans les écrits des philosophes comme dans ceux des parsys, mais préférablement dans les derniers, et ainsi, graduellement, il arriva un jour où la religion sassanide se trouva virtuellement ressuscitée, à peu de chose près, dans le shyysme. Ce jour suivit de peu l'avènement des Séfewys, qui se trouvèrent ainsi être à leur tour des espèces de Sassanides musulmans.

En allant au fond des choses, voici aujourd'hui ce qu'est le shyysme : Dieu infini, éternel, unique, n'exerce pas sur le monde une action directe. Il en a posé les lois, il a établi les conditions de la damnation et du salut; on retournera à lui. Le Prophète est invoqué plutôt pour la forme qu'en fait. Il est la plus excellente des créatures. Est-il créature? On en peut douter, tant il se confond avec Dieu sur bien des points. En tout cas, le Koran est incréé, il a existé de toute éternité dans la pensée divine. En somme, Dieu, le Prophète, le Koran reviennent assez bien à une unité enveloppante qui représente la notion du Zerwanè-Àkerené, le temps sans limites, d'où le parsysme des derniers âges tirait tout le reste des existences et au moyen de laquelle il prétendait donner satisfaction à l'unitarisme araméen.

Ce qui est vraiment actif, c'est le corps des Imams. Le monde n'est conservé, justifié, conduit directement que par eux et leur action. En dehors d'eux, il n'y a que ténèbres. Ne pas s'en tenir à eux, c'est courir au-devant de la Géhenne. Avec eux, tout est salut. Ils sont douze, mais en y regardant de près on aperçoit en eux deux faits bien distincts : chez Àly, le rôle tout divin, tout conservateur, tout sauveur d'Ormuzd, tandis que ses descendants ressemblent aux Amshaspands à s'y méprendre. Si, au contraire, on contemple l'imamat, réduit à une existence concrète, c'est encore Ormuzd que l’on retrouvera. Quant au monde, à la matière, au Sheytan sémitique qui y préside et qui est en contention perpétuelle avec les Imams, on y aperçoit sans peine Ahriman et sa défaite assurée, Il n'est pas très extraordinaire qu'un pareil système soit odieux aux sunnites; ils n'ont pas grand peine à le reconnaître à travers ses déguisements et malgré ses habiletés de langage. S'ils lui donnent le nom qui lui appartient en l'accusant de parsysme, ils n'ont pas tort. Mais ce qu'ils méconnaissent à leur tour, c'est qu'une religion aussi vague que la leur, aussi inconsistante dans sa profession de foi, pouvait seule permettre une pareille intrusion. S'il y a scandale, c'est un scandale que l'islam rendait inévitable en prenant si peu de soin de l'écarter. En effet, l'islam, moins exigeant que le parsysme sassanide, semble avoir plutôt voulu fonder un empire terrestre qu'une religion proprement dite. On pourrait l'accuser d'avoir surtout tenu à enrôler, sous ses étendards, aux plus faciles conditions possibles, le plus de gens, le plus d'esprits différents. Réellement, celle foi n'est pas une foi dans l'idée d'un système bien défini; c'est un compromis, une cocarde, un signe de ralliement; on peut à peine y rien trouver d'obligatoire, et c'est pourquoi, favorisant la mobilité de l'esprit asiatique, ne le gênant eu rien, il lui est agréable en presque tout et ne menace aucunement de tomber en ruines de la façon dont nous l'entendons en Europe. Mais on verra tout à l'heure qu'une transformation de plus, après toutes celles auxquelles il s'est constamment prêté, est impossible.

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