Parmentier Antoine-Augustin

1737-1813
"Dès l’année 1545, l’amiral anglais Walter Raleigh rapportait la pomme de terre de l’Amérique septentrionale, et en 1771 on en contestait encore l’utilité; c’est à peine si on la considérait comme une dernière ressource dans des temps de disette, et on la donnait particulièrement aux cochons. Le discrédit du tubercule augmenta encore lorsque, dans une feuille publique (Annonces, affiches et avis de la Haute et Basse-Normandie, vendredi 1er février 1771, p. 19), on essaya de la représenter comme impropre à la nourriture de l’homme, et dangereuse à cause de ses propriétés affaiblissantes. L’abbé Terray, alors contrôleur général des finances, s’émut de cet entrefilet publié dans une feuille à peine connue à Paris, mais très répandue en Normandie, où, à cause du voisinage de l’Angleterre, l’usage des pommes de terre s’était répandu mieux que partout ailleurs, et, le 26 février 1771, il écrivit à la Faculté de médecine de Paris pour lui demander son avis sur ce qu’il y avait de vrai ou d’erroné dans les accusations portées par le journal normand. La réponse de la Faculté vengea les pommes de terre des assertions de l’anonyme normand et, dans un mémoire qui a été imprimé sans doute pour être envoyé de tous côtés, de Gévigland, Bercher, Roux, Darcet, s’exprimèrent ainsi :

« Les pommes de terre, inconnues en Europe avant la découverte du Nouveau Monde où elles viennent naturellement, y ont été transplantées il y a environ deux siècles. Cultivées depuis ce temps-là pour la nourriture des hommes et des bestiaux, elles sont devenues si communes, qu’il n’y a presque plus de province où l’on n’en trouve, et où ces racines tubéreuses ne soient regardées comme une ressource utile en tout temps, et nécessaire dans le cas de disette. Excités par l’amour du bien public, tous les auteurs qui ont parlé de cet aliment ont cherché, par les éloges qu’ils en ont faits, à intéresser les cultivateurs et même à attirer l’attention du gouvernement sur un objet qu’ils regardent comme singulièrement important. » (Reg. Comm. de la Faculté de médecine de Paris)

Eh bien, malgré cet avis favorable des médecins de Paris, l’usage de la pomme de terre reste, en France, à peu près réservé aux pourceaux; les mauvais plaisants s’en moquent, les grands croiraient dégénérer, s’ils la présentaient sur leurs tables somptueuses. Il y eut alors (1773) un homme, un modeste savant, qui défendit la cause du tubercule honni, méprisé, ridiculisé de tous côtés; la pomme de terre à la main, il se présente chez les grands, chez les ministres; il la déclare la subsistance d’un grand peuple, l’aliment du pauvre, le soutien dans la misère; il dit bien haut que cette pomme de terre, qu’il a étudiée, analysée avec le plus grand soin, recèle une fécule pure, d’une blancheur éblouissante, d’une saveur agréable; qu’on peut en former des mets délicieux de toute espèce; qu’elle se multiplie avec une étonnante fécondité, dans un sol ingrat, presque sans culture. L’année 1785 arrive, le blé manque, les calamités s’étendent de toutes parts. Le même savant parvient alors à se faire écouter. Il obtient de Louis XVI le prêt de cinquante arpents d’une terre mauvaise, inculte, située aux portes de Paris (Sablons, près de Neuilly); il y plante la pomme de terre, dont les premières fleurs vont orner, dans un jour de cérémonie publique, la boutonnière du roi; le tubercule arrive à la maturité; il est distribué à profusion; il pénètre chez les grands, dans le peuple…; on finit par en raffoler, et dès lors la pomme de terre a suivi le chemin que l’on sait.

Honneur à l’homme qui a accompli cette sorte de miracle! Honneur à Parmentier, qui a doté l’humanité d’une admirable ressource alimentaire!

Il naquit le 17 août 1737, à Montdidier, dans le département de la Somme, d’une famille bourgeoise peu fortunée. Après avoir reçu les leçons d’un ecclésiastique, il commence très jeune son apprentissage chez un pharmacien de sa ville natale. Bientôt après, en 1755, il vint à Paris se placer comme élève en pharmacie, chez son parent Simmonet. La guerre de Hanovre ayant éclaté, le jeune homme fut employé dans l’armée française en qualité de pharmacien (1757). La paix ramena Parmentier à Paris en 1763; il était déjà riche d’observations et plein du sentiment de ses forces. Il employa les premiers temps du retour et les fruits de son économie à son instruction; il suivit les cours de physique de l’abbé Nollet, ceux de chimie des frères Rouelle et, avec Jean-Jacques Rousseau, les herborisations de Bernard de Jussieu. Puis, en 1765, une place de pharmacien gagnant maîtrise étant devenue vacante aux Invalides, il se présente au concours et est nommé. Le brevet d’apothicaire major lui échut en 1778. C’est vers cette époque que commence la carrière brillante de Parmentier, celle qui l’illustra, et le rangea parmi les plus grands philanthropes de la France. Peu soucieux de faire parade de science, il n’a qu’un but : ne prendre que l’essentiel du vrai savoir, l’approprier aux objets du plus haut intérêt, avoir pour objectif principal le bien-être des peuples. Le point de départ de tous ses travaux fut le prix qu’il remporta en 1771, sur cette question proposée par l’Académie de Besançon : La recherche des plantes alimentaires, car à dater de cette époque on le voit publier d’année en année une foule de recherches, d’observations, d’analyses sur les grains, les farines, les maladies du froment, s’adresser aux bonnes ménagères, perfectionner la meunerie, la boulangerie, établir la mouture économique, travailler à la conservation des grains, au chaulage du blé, à sa carie, à sa moucheture, à la châtaigne, aux champignons, aux eaux communes, aux eaux minérales, à la panification, au maïs, à la patate, au topinambour, aux oiseaux de basse-cour, à l’économie rurale et domestique, à l’établissement des soupes économiques de Rumford, à la vigne et au vin, etc. En un mot, il ne resta étranger presque à aucun problème qui intéresse directement la vie de l’homme. A.-A. Parmentier, qui était resté célibataire, vivant avec sa sœur, femme de beaucoup de sens et d’esprit, est mort à l’âge de 76 ans et cinq mois, le 17 décembre 1813, d’une affection chronique des poumons. Ses restes mortels furent portés au Père-Lachaise, et sur la pierre tumulaire on grava ces simples mots : CI-GIT PARMENTIER; IL AIMA, IL ÉCLAIRA LES HOMMES; MORTELS, BÉNISSEZ SA MÉMOIRE."

A. Chéreau, article « Antoine-Augustin Parmentier », dans : Amédée Dechambre (dir.); Louis Hahn (secrétaire de la rédaction, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales. Deuxième série. Tome vingt et unième (Par-Pea), Paris, G. Masson , P. Asselin, 1885, p. 350-353.

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