Réflexion d’un pédopsychiatre sur la pratique de la pédopsychiatrie

Jacques Thivierge

Voici les cinq premier chapitres d'un livre en devenir. Le dernier chapitre chapitres paraîtra bientôt.

 Québec, début du XXIe siècle


INTRODUCTION

Chapitre 1 : QUELLE SORTE DE SCIENCE EST LA PEDOPSYCHIATRIE ?
Chapitre 2 : LA QUESTION DES DIAGNOSTICS EN PEDOSYCHIATRIE MODERNE
Chapitre 3 : LES CONSEQUENCES NÉGATIVES DU CHANT DE SIRÈNE POUR LES ENFANTS.
Chapitre 4 : LA MÉDICATION
Chapitre 5 : LA LOI CANADIENNE ET LES ARRÊTS D’AGIR.
Chapitre 6 : COMMENT AIDER NOS ENFANTS

NOTE: Le lecteur trouvera ici l'Introduction, et  les chapitre 1 et  2

Les chapitres suivants seront annoncés au fur et à mesure de leur parution..


INTRODUCTION

Une famille m’est référée par son médecin parce que le fils, âgé de sept ans pose un sérieux problème de comportement à la maison. A l’exploration, il ressort que l’enfant ne présente aucun problème de comportement à l’école, ni au service de garde, ni chez la gardienne. Et le père de conclure subitement, avec humour : Je crois qu’il nous faudra déménager, il n’y a qu’en dehors de cette maison qu’il n’a pas de problème… Cette anecdote nous introduit à ce qui constitue le pain quotidien en pédopsychiatrie moderne, soit les troubles du comportement non liés à une condition médicale identifiable. La grande majorité des enfants référés à nos services de pédopsychiatrie externe ont de tels troubles du comportement, au sens large du terme, i.e. des agissements qui sont problématiques : opposition, agressivité verbale ou physique, agitation, etc. D’où on conclut facilement à une condition d’anxiété, de dépression, de psychose, etc. Plutôt que de conclure rapidement, je préfère m’arrêter plus longtemps aux problèmes tels que rapportés, mêmes ceux qui nous sont intuitivement présentés comme des problèmes émotifs (dépression, anxiété...). Le comportement humain est un véritable nœud gordien constitué d’un mélange d’émotions et d’idées ; ce mélange, aux variétés infinies est, pour chacun de nous, la source de nos agissements. La psychanalyse, et une bonne partie de la psychologie moderne, nous ont habitués à accorder d’emblée notre attention aux émotions ; ce qui a été popularisé à souhait par nos littérateurs et metteurs en scène, de sorte que le réflexe est entré dans la culture populaire : devant une difficulté comportementale quelconque chez l’humain, on se demande quelle en a été la cause dans le passé émotif du patient. Je préfère personnellement éviter cette voie rapide et prendre le comportement comme assise de compréhension et d’intervention. Il est important de souligner que ce n’est pas là de ma part une façon de nier la relation qui existe entre ce qu’a vécu une personne et ses difficultés présente s; cela veut tout simplement dire que j’estime qu’une attention suivie sur les comportements est généralement une boussole plus utile à la solution des problèmes.

On risque moins de se tromper soi-même, et de tromper les autres d’une façon consistante, en orientant d’abord nos efforts de compréhension sur le comportement plutôt que sur l’émotion ou ce qui est pire, sur cette explication intellectuelle des émotions, dont raffole encore notre culture.

Depuis maintenant 45 ans, ma profession est la psychiatrie, et davantage la pédopsychiatrie. Nos actions reposent toujours sur des questions. Celles qui me préoccupent sont curieusement encore les mêmes qu’au début de ma pratique, mais l’angle est différent, plus incisif. L’approche critique est indissociable de l’approfondissement des connaissances. Une telle approche nous donne un espoir réel d’approcher de la vérité des choses mais sans pour autant nous donner la garantie qu’il en sera ainsi. C’est de cette manière que ce livre devrait être reçu : une réflexion sur l’état de la pédopsychiatrie au début de ce XXIe siècle dans la société nord-américaine à laquelle j’appartiens.

Chaque domaine de la connaissance humaine est enraciné dans des réalités culturelles qui façonnent les vérités sur lesquelles les « spécialistes » fondent et justifient leurs actions. Cet enracinement nous apparait avec plus d’évidence dans le domaine des sciences humaines, et la psychiatrie, malgré ses prétentions modernes génético-biologiques, demeure essentiellement humaine comme science. Une science qui demeure facile à pratiquer et à enseigner si vous vous en tenez à de grandes généralités, genre DSM-Pilule (nous y reviendrons); mais une pratique qui devient très difficile, si vous entrez dans ce que chaque patient a de particulier. Ce que dit Henry Giroux de la pédagogie critique, à savoir « qu’elle n’est pas une méthode a priori qui peut être appliquée simplement sans égard au contexte » (Giroux 2011), me semble éminemment convenir à la nature de notre relation professionnelle avec nos patients ainsi qu’à l’enseignement de cette relation. À une époque où le rouleau compresseur de l’esprit néolibéral pèse sur tous les secteurs d’activité importants en Occident, il n’est pas facile d’oser adopter une position critique et personnelle sur un secteur d’activité. Jacqueline de Romilly, cette femme intelligente et enseignante passionnée accusée de « penser à côté », en l’occurrence, de ne pas comprendre les patients à travers les schémas appris et enseignés à l’approche des examens nous rappelle que ce qui sert le psychiatre, « c’est une habitude d’esprit ; une aptitude à penser » beaucoup plus qu’un m bagage de connaissances, en soi toujours insuffisant. (De Romilly 1991).

Vous trouverez dans ce livre une habitude de pensée, celle qui s’est formée et est devenue mienne au cours des années ; elle est évidemment née des échanges avec un grand nombre de collègues, médecins et non médecins, et également du contact quotidien avec mes patients (je déteste le terme moderne de client et sa connotation mercantile). J’écris d’abord pour clarifier mes propres idées mais également pour soumettre à la critique et à la discussion ce qui m’apparaît comme un problème actuel en ce début du XXIe siècle : celui de l’action des psychiatres sur les enfants qui leur sont amenés en consultation.

Nous nous interrogerons d’abord sur la pédopsychiatrie en tant que science ; nous aborderons ensuite la question des diagnostics. Cela nous amènera à discuter du danger de considérer comme valides des diagnostics qui ne le sont pas également, dans un chapitre distinct, nous discuterons des conséquences que nous considérons négatives de l’application de certaines lois dans l’éducation des enfants. Nous discuterons finalement de certains points à retenir au cours de cette discussion, points qui à mon avis constituent des guides utiles pour en arriver à travailler plus efficacement, avec nos enfants et leurs milieux.

Lorsque nous tenons pour acquis que le travail du médecin est essentiellement celui de la résolution d’un problème de santé, l’idée est très répandue que la façon dont le médecin y parvient ici est celle de faire d’abord un bon diagnostic, lequel lui ouvrira la porte au bon traitement.

Nous allons revenir constamment sur deux idées : celle des diagnostics liés aux traitements en pédopsychiatrie et celle des approches éducationnelles qui devraient les accompagner. La redondance de ces idées dans les pages de ce livre n’a pas pour but de les marteler dans la tête des lecteurs ; elle s’explique davantage par l’omniprésence de ces réalités dans tous les aspects du travail avec les enfants qui ont des problèmes pour lesquels nous sommes consultés en ce début du vingt et unième siècle.

Bibliographie

-De Romilly Jacqueline 1991, Ecrits sur l’enseignement, Editions de Fallois,Paris.
-Giroux Henry A., 2011, On Critical Pedagogy, Continuum International Publishing Group NY

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Chapitre 1

 

QUELLE SORTE DE SCIENCE EST LA PEDOPSYCHIATRIE ?


Paul est un enfant de 12 ans qui vit dans un foyer de groupe. Bel enfant blond, de taille plutôt petite qui, lors de la première consultation, se présente à moi calmement, avec un sourire chaleureux, un bon contact visuel, répondant à mes questions avec un vocabulaire et des structures de phrases impeccables pour son âge. Il parle d’abondance sur les circonstances immédiates de sa vie en famille d’accueil, devenant nettement plus évasif lorsque nous en venons à ses parents.

À la suite d’une désorganisation importante du comportement de l’enfant (cris intenses, grossièretés, bris d’objets, menaces suicidaires etc…), il avait été amené à l’urgence. Paul avait déjà reçu à ce moment un diagnostic de TDAH (Trouble par déficit attentionnel avec hyperactivité) et prenait déjà un psychostimulant lors cette sa visite à l’urgence, de même qu’un médicament pour dormir, tous deux donnés par son médecin de famille. À l’urgence, devant ce tableau de crise, on ajouta un neuroleptique et on le plaça sur la liste d’attente de la clinique externe de notre hôpital où je le vis après 8 mois d’attente, avec persistance des problèmes.

L’enfant m’apprend qu’il a été placé jusqu’à sa majorité de même que tous ses frères et sœurs. Il évite de me décrire les circonstances épouvantables de sa vie familiale dont j’avais pris connaissance dans le rapport d’enquête de la Direction de la Protection de la Jeunesse (DPJ) : depuis des années, il avait vécu dans un état de négligence important (manque de nourriture, de vêtements, de support à l’égard du milieu scolaire, etc.), comportements d’abus sexuels à l’égard des enfants, climat de violence physique et verbale, etc.

Je crois que nous avons ici assez d’éléments cliniques pour déjà tenter une première réponse à la question de ce chapitre : quelle sorte de science est la pédopsychiatrie? Les problèmes de cet enfant n’ont rien de banal et probablement personne ne sera étonné de sa référence en pédopsychiatrie. De nos jours, personne non plus ne sera étonné du fait que l’enfant ait préalablement été vu par un médecin de famille, lequel a retenu un diagnostic de TDAH, qu’il a suivi d’une prescription (des psychostimulants en l’occurrence). La pédopsychiatrie serait donc une science médicale appliquée qui, entre autres, porte ou confirme des diagnostics associés à des troubles de développement ou de comportement chez l’enfant ou l’adolescent. C’est donc une science que l’on conçoit confortablement assise sur une connaissance et une science médicale des problèmes humains, tout comme la psychiatrie adulte, lorsque nous parlons de dépression majeure, de schizophrénie ou de trouble d’anxiété. Donc dans le cas de Paul, on s’attend à ce que je donne mon opinion sur la justesse du diagnostic (TDAH) et du traitement (psychostimulant) qui ont été donnés et prescrits, de même que sur l’existence possible d’autres diagnostics et traitements. Ainsi conçue, la pédopsychiatrie est, à sa base, une science médicale.

Maintenant, je vous demande d’oublier pour un instant la pédopsychiatrie et son aspect scientifique et de répondre à la question suivante : d’après ce que vous connaissez présentement de cet enfant, quelle est la première chose qui vous vient à l’esprit pour caractériser son problème ? Avouez qu’il est difficile de passer à côté du milieu très chaotique dans lequel il a vécu. C’est Mark Twain qui disait à propos de Christophe Colomb : c’était merveilleux de découvrir l’Amérique, mais il aurait été plus extraordinaire de la manquer. Le milieu de cet enfant est tissé au quotidien de privations de nourriture, de menaces physiques, d’expériences éprouvantes que je vous épargne. Certains enfants manifestent un degré de résilience remarquable dans de pareilles circonstances mais tous admettront que de telles circonstances mettent à rude épreuve le bonheur d’être enfant. Il apparait logique de s’adresser au problème de cet enfant d’abord de ce côté, i.e. du côté psychologique et social (psychosocial) de sa situation. Et effectivement, plusieurs choses furent entreprises de ce côté, et de façon appropriée : on lui a donné un milieu de vie plus stable en le retirant de sa famille, un éducateur lui a été attribué pour l’aider dans l’organisation de sa vie quotidienne et de ses rapports avec les autres et il rencontre régulièrement une psychologue pour prendre de la distance et faire le point sur les évènements qu’il vit et a vécus. Nous reviendrons à cet aspect psychosocial qui n’est jamais du genre 2+2=4 et qui, pour simple à résoudre sur papier, se présente toujours dans la réalité avec des complexités inattendues. J’aimerais que nous réfléchissions maintenant à la question suivante: pourquoi cet enfant m’est-il référé avec un diagnostic et un traitement médical de TDAH ?

Je crois qu’il est ici important de parler du terme : diagnostic. Je dois vous avouer que je trouve parfaitement inutile et stérile qu’on se batte pour des définitions de mots ; l’important est la réalité que nous voulons transmettre derrière les mots que nous utilisons. Et lorsque nous adoptons la définition d’un mot pour désigner une réalité, c’est généralement dans l’intention de solutionner un problème. Pour les fins de ce livre, je vais retenir une définition du terme diagnostic qui me semble faciliter la compréhension, et la solution, du problème de la médicalisation des enfants pour leurs troubles de comportement. Je pourrais tout aussi bien retenir quelle qu’autre définition qu’on me propose du terme diagnostic, mais je crois que la définition que j’en retiens (qui s’apparente à la définition que nous retrouvons couramment) permet une identifications très claire de ce problème et éventuellement de sa solution.

Le terme diagnostic était anciennement limité au domaine médical mais, les langues étant vivantes et évolutives, on voit aujourd’hui ce terme allègrement utilisé dans plusieurs contextes. Ce terme vient du grec : dia (à travers) et gnosis (connaissance), connaitre à travers. Mais connaitre quoi ? et à travers quoi ? Et comment cela nous éclaire-t-il sur le problème de Paul ?

Supposons qu’on m’amène Paul parce qu’il présente des maux de tête et qu’il se plaint de fatigue ; les maux de tête et la fatigue sont ce que nous appelons des symptômes en médecine i.e. des éléments subjectifs rapportés par le patient. Je l’examine et trouve chez lui une température légèrement élevée et une raideur de la nuque, ce que nous appelons des signes en terme médical, i.e. des éléments objectifs que je peux vérifier à l’examen physique du patient. Sur la base de ces symptômes et de ces signes, je soupçonne un diagnostic de méningite.

Voici maintenant quelque chose de très important à comprendre : à ce stade-ci, le terme de diagnostic n’est qu’une hypothèse, une supposition, une supposition que les méninges de Paul sont le siège d’un processus inflammatoire, probablement d’origine infectieuse, ce qui constitue une condition très dangereuse. Cette hypothèse doit être confirmée ou infirmée. Comment ? Bien sûr par des moyens différents de la présence des signes et symptômes qui m’ont conduit à cette hypothèse sinon, je me retrouverais dans la situation absurde de dire que A (signes et symptômes) est égal à B (méningite) parce que B (méningite) est égal à A (signes et symptômes). En somme, lorsqu’il n’y a pas de relation directe et unique entre un signe ou un symptôme et une maladie (ce qui est très rare), il faut, pour confirme l’hypothèse de la méningite par exemple, disposer de moyens autres que la présence de signes et symptômes sur lesquels nous basons notre hypothèse diagnostique, sinon nous tournons carrément en rond, si vous me permettez l’expression. Ces moyens existent-ils pour la méningite en médecine moderne ? La réponse est oui. Ce sont des tests ou examens complémentaires qui permettent de valider notre diagnostic en mettant en évidence un ensemble d’autres faits (que ceux des signes et des symptômes) qui émergent de la présence d’une inflammation des méninges. Par exemple, je demanderai une ponction lombaire qui révèlera la présence d’un nombre anormalement élevé de globules blancs, une élévation des protéines, une baisse du glucose ; je demanderai une résonnance magnétique cérébrale qui révèlera la présence d’œdème cérébral. J’aurai de cette manière confirmé mon diagnostic i.e. mis en évidence des anomalies physiologiques qui traduisent l’existence d’un problème au niveau d’un des tissus de l’organisme, ce que nous appelons en médecine une physiopathologie ; ceci constitue une confirmation raisonnablement acceptable du diagnostic de méningite . Notre hypothèse de méningite devient alors davantage un fait objectif qui explique le malaise de l’enfant.

Laissons maintenant de côté le Paul de la méningite, et venons-en au Paul du TDAH. La question : quel est l’ensemble de signes et de symptômes qui ont fait penser au diagnostic de TDAH chez Paul, et quels sont les tests médicaux complémentaires qui ont confirmé la pathophysiologie de cette maladie chez lui ?

Ce qui dans ce cas tient lieu de signes physiques ce sont des comportements d’inattention, d’impulsivité et d’hyperactivité. Lors de l’examen physique de l’enfant, aucun autre signe connu ne nous met sur la piste de l’existence de cette maladie. Par rapport à l’exemple de la méningite, nous venons donc de passer des caractéristiques physiques objectives observées à l’examen physique du patient, à l’observation de caractéristiques comportementales. Cela est acceptable d’un point de vue objectif si nous réussissons à montrer clairement que le lien entre ces comportements et la présence d’une maladie est net et sans équivoque; ceci peut se faire par le moyen d’examens complémentaires, par des tests, par la mise en évidence d’une pathophysiologie i.e. par l’existence d’une maladie dans un organe.(1)

Quels sont maintenant les examens complémentaires dont les résultats identifient la pathophysiologie de cette maladie, c’est à dire qui nous indiquent l’organe qui est lésé et dysfonctionnel ? Pour la méningite, les résultats de l’analyse du liquide céphalo-rachidien et de la Résonnance Magnétique Nucléaire cérébrale nous indiquent l’inflammation des méninges. Cependant, et ceci est important, pour le TDAH, nous ne disposons d’aucun examen complémentaire qui nous indique une lésion ou une dysfonction quelconque dans un organe du patient. Est-ce un problème ? Pour la médecine moderne, c’est un problème et un problème auquel on ne peut actuellement trouver de solution satisfaisante ; par conséquent, on choisit souvent, soit de l’ignorer ou de le nier. (2) Nous allons donc prendre le temps d’éclaircir ce point en raison des conséquences pratiques importantes qu’il implique pour ces enfants qui nous sont référés avec un diagnostic de TDAH.

Nous aborderons ce problème en trois questions, et les réponses à ces trois questions nous permettront de comprendre quelle sorte de science est la psychiatrie, et la pédopsychiatrie qui s’y rattache.

1-Que veut-on dire de Paul lorsqu’on dit qu’il a un TDAH ?
2-Pourquoi tient-on à dire qu’il s’agit là d’un diagnostic médical ?
3-Quelles conséquences pratiques cela a-t-il pour l’enfant ?

1-Que veut-on dire de Paul lorsqu’on dit qu’il a un TDAH ?

On s’attend à découvrir un enfant qui manque d’attention, qui est impulsif et hyperactif. De fait c’est à peu près ce que nous devrions trouver à toutes les fois que ce terme est utilisé pour décrire un enfant. Il s’agit donc d’un terme qui premièrement décrit un ensemble de comportements. Mais il y a un deuxièmement, et ce deuxièmement, c’est que lorsque ce terme est utilisé de nos jours pour décrire un enfant, il implique dans notre esprit, en raison de l’habitude acquise dans notre culture, l’existence d’une cause biologique qui est ou ressemble à une maladie. Cette implication médicale est absolument inévitable en ce début du XXI e siècle lorsque l’expression TDAH est utilisée. Donc lorsqu’on dit que Paul a un TDAH, tout le monde comprend qu’il est, dans des proportions variables mais significatives, inattentif, impulsif et hyperactif et que cette condition a une base biologique qui s’apparente à une maladie. On parle donc ici de diagnostic. Résumons : TDAH est premièrement une description de comportements et deuxièmement un diagnostic. C’est ce que tout le monde en est venu à comprendre lorsque le terme de TDAH est utilisé. En partie parce que tous les médecins l’utilisent, ce qui renforce évidemment sa connotation médicale diagnostique. Mais comment est-on passé d’un terme qui décrit un ensemble de comportements à un terme qui décrit un diagnostic, alors que à partir de cette description des comportements, on ne dispose d’aucun examen complémentaire qui nous permette d’identifier une maladie i.e. une atteinte du fonctionnement dans un organe du patient ? Pourquoi tenons-nous à appeler cela un diagnostic alors que ce terme de TDAH ne nous fait pas comprendre les raisons médicales pouvant expliquer le problème que cet enfant présente. Ce qui nous amène à notre seconde question.

2-Pourquoi tient-on à dire qu’il s’agit là d’un diagnostic médical ?

Dire que le TDAH n’est pas un véritable diagnostic médical sera plus ou moins contesté par un grand nombre de personnes, dont un grand nombre de professionnels et de médecins. On vous laissera entendre qu’il est faux de dire que le terme ne désigne pas une maladie car plusieurs chercheurs ont identifié des altérations de structures et de fonctionnement dans le cerveau de ces patients. Qu’en est-il réellement ?

Ma réponse rapide à cette question est que n’existe, à ce jour, aucun résultat de recherche convainquant, à l’effet qu’une altération quelconque de la structure ou du fonctionnement du cerveau explique cette « maladie » qu’on appelle le TDAH. À cet égard, vous ne pouvez pas baser votre opinion sur le fait que cette idée est entretenue par des grands noms, travaillant dans des grandes universités, publiant dans de grandes revues médicales. Il faut comprendre que la science n’est pas, comme on pourrait le croire, un lieu où on peut entretenir des certitudes i.e. des vérités immuables, les vérités à la mode du jour devenant les erreurs du lendemain. Il faut aussi comprendre que les chercheurs sont souvent poussés dans leurs affirmations, davantage par la recherche de financement et/ou la promotion de leur propre carrière que par la découverte de la réalité des choses. Je vous donne des exemples qui à cet égard font réfléchir, et font d’autant plus réfléchir qu’ils sont de surcroit tous tirés du domaine de la médecine où existent du point de vue médical de vrais diagnostics (i.e. vérifiables par une anomalie biologique) ;vous pourrez trouver plus de détails et de références sur ces exemples dans un livre que j’ai écrit et qui est gratuitement disponible sur internet (Thivierge 2011) :

AINSI,

- L'IDÉE  que les estrogènes (la Prémarine de Wyeth par exemple qui fut largement utilisée comme traitement de remplacement hormonal) gardaient à la femme sa jeunesse et la protégeait du cancer et des maladies cardiaques. On a mis plus de quarante ans à reconnaître que c’était exactement le contraire et que ce médicament augmentait les risques de maladies cardiaques, de cancer et de thrombose chez les femmes. L’histoire de la progestérone a débuté en 1962 et en 2002 on trouve encore des résistances à cette idée. (Avorn 2005)

- L'IDÉE de la chimiothérapie à haute dose (dix fois la dose) associée à une transplantation de moelle pour le traitement du cancer du sein. Quarante mille femmes ont subi cette procédure avant que les études cliniques en 1999 ne démontrent que cette procédure très douloureuse (entre autres, perte des cellules linéaires du tractus intestinal de la bouche à l’anus rendant extrêmement douloureux le fait de manger et de déféquer), et très dispendieuse, n’était pas plus efficace que le traitement standard (Brownlee, 2007). Le docteur William Peters du Dana-Farber Cancer Institute à Boston (grand centre reconnu internationalement du traitement du cancer) est monté au Congrès avec sa foi et son verbe (« Si vous regardez cette femme en face de vous, demandez-vous si elle ne vaut pas le prix d’une voiture de luxe ? ») pour le convaincre de forcer les assurances à payer pour le traitement, et il gagna. Quarante mille femmes envoyées à la torture ! Traitement inefficace et des plus douloureux.

- L'IDÉE d’un traitement pour l’arthrite qui devait diminuer de façon miraculeuse les complications gastro-intestinales des traitements alors courants : le Vioxx de Merck suivant les résultats d’une recherche publiée dans un des journaux médicaux le plus sérieux en médecine, le New England of Medicine (NEJM). Retiré après 4 ans, le médicament a causé plus de décès aux Etats-Unis par complication cardiaque que le nombre de soldats américains décédés lors de la guerre du Vietnam ; et de plus, les tricheries de la compagnie ont été mises à jour et il était faux de dire que ce médicament causait moins de saignements gastro-intestinaux (Abramson 2004) ; encore plus incroyable, il a été établi que Merck savait, avant même la mise en marché du médicament, qu’il causait davantage de complications cardiaques ; on cache aux médecins que pour chaque 100 patients cardiaques traités sous vioxx on a entre 7 et 11 complications cardiovasculaires additionnelles sérieuses chaque année.

Le TDAH, une maladie?


Donc, examinant la question du TDAH comme maladie, gardons bien à l’esprit ce fait que la science de nos grands chercheurs et de nos grandes revues médicales ne constitue pas nécessairement la meilleure garantie de la réalité des choses en médecine à l’heure actuelle, et que nous devons toujours garder à l’égard de leurs conclusions un esprit critique. Le prix de la foi aveugle, pour facile et rassurante que soit cette foi (« Vous êtes le spécialiste, vous connaissez cela ») peut être très amer, comme en témoignent les exemples ci-haut mentionnés.

Revenons au TDAH. Je ne veux pas faire une revue critique des recherches qui ont proposé et décrit des bases biologiques du TDAH. Cela est trop complexe et dépasse le but de cet ouvrage. Je réfère ceux qui veulent approfondir la question à la littérature présentée dans la bibliographie. Je vais ici me contenter d’illustrer ma position personnelle en revenant sur des résultats qui ont été présentés en 1998 à la Conférence du Consensus sur le TDAH par des auteurs encore bien connus dans ce domaine : Swanson et Castellanos (1998). À ma connaissance, la situation actuelle du problème est encore la même. Lors de cette rencontre importante où les chercheurs et cliniciens tentaient d’établir les bases médicales du TDAH, ces chercheurs ont conclu qu’en révisant les 14 études utilisant des techniques d’imagerie cérébrale, on devait conclure que les enfants TDAH présentaient des structures cérébrales réduites (lobes frontaux et ganglions de la base) par rapport aux enfants normaux. Il est clair qu’une telle conclusion venant de plusieurs chercheurs travaillant dans des milieux académiques réputés doit être prise au sérieux car elle révèle peut-être une vérité très importante. Or le Dr Fred A.Baughman (2006), un neurologue américain pour adultes et enfants, était à cette conférence et a fait observer que les psychostimulants pris par les enfants pouvaient peut-être expliquer ce résultat ; en effet, sur les 259 sujets de ces 14 études, 247 étaient sous psychostimulants. L’argument était de poids. Swanson et Castellanos (2002) se sont remis au travail et en 2002 ont présenté les résultats de 49 enfants TDAH sans médication contre 139 enfants normaux : ils conclurent que les cerveaux des enfants TDAH étaient effectivement plus petits. Mais il faut savoir que cette conclusion était problématique : les 49 enfants TDAH avaient un âge moyen de 8.3 ans et les normaux de 10,5 ans. Comment ne peut-on pas s’attendre à ce qu’à cet âge, à peu près toute partie du corps soit plus petite chez des enfants de 2,2 ans plus jeunes ? De sorte que cette recherche n’établit toujours pas le fait que les enfants TDAH ont une atteinte cérébrale structurale, même si elle est encore citée à cet effet. On ne peut donc pas accepter cette conclusion d’une base biologique sérieuse associée à cette condition. Malgré les affirmations soutenues par les belles images colorées du cerveau que les chercheurs nous montrent à l’appui de leur théorie, il m’apparaît encore juste de dire qu’aucune anomalie de structure ou de fonctionnement du cerveau (physiologique ou biochimique ou génétique : –très populaire la génétique qui se vend bien de nos jours) ne peut être considérée comme spécifique aux personnes décrites comme ayant un TDAH et que par conséquent, il s’agit toujours d’une ¨maladie¨ que ne peut confirmer aucune pathophysiologie. Il s’agit d’une maladie qui n’a pas encore trouvé le moyen de se tenir debout sans les béquilles de nos rhétoriciens cliniciens et chercheurs.

Alors, et nous revenons à notre question, pourquoi tient-on à dire qu’il s’agit là d’un diagnostic médical ? La réponse à cette question plonge ses racines dans le vaste mouvement de l’histoire de la psychiatrie au XXe siècle. Pour aller à l’essentiel, la psychiatrie est une spécialité qui a développé un complexe d’infériorité par rapport aux autres spécialités médicales. Dans la première moitié du XXe siècle, les traitements dits organiques hérités du XIXe s demeuraient approximatifs et inconfortables, ce qui a laissé toute la place à la psychanalyse naissante pour fournir une explication plus consistante de ce qu’on appelait la maladie mentale. Cependant ce genre d’explication n’avait d’une part, rien de médical et d’autre part, n’ouvrait la porte à aucun moyen efficace d’intervention pour deux grands problèmes en psychiatrie : la schizophrénie chez l’adulte et les troubles de comportement chez l’enfant. Un vent rafraichissant de science, du moins l’a t’on cru, s’est levé à l’avènement du DSM-III avec Spitzer en 1974 qui adopte la position que « le diagnostic est au cœur de la psychiatrie car il définit ce qu’est la réalité » (ce sont là ses propres paroles). On parle ici de diagnostics basés sur des observations structurées, résultant de procédures scientifiques d’analyse ; on parle également de traitements médicaux spécifiques aux conditions ; par exemple, les antipsychotiques pour la schizophrénie, les antidépresseurs pour les dépressions, les anxiolytiques pour les troubles anxieux, les psychostimulants pour les enfants hyperactifs désormais appelés TDAH, etc. Cette nouvelle façon de diagnostiquer les maladies mentales avait une allure objective encourageante et devint la norme. Restait à asseoir ces catégories à une belle courbe objective sur des anomalies claires de fonctionnement du cerveau : on pourrait alors parler d’une pathophysiologie et solidement faire reposer sur elle l’idée de la maladie. Des efforts considérables ont été déployés à cet effet, des paroles chargées de promesses ont été dites et même ont été annoncés des résultats des plus « scientifiques » ; cependant, malgré la rhétorique grandiose de nos chercheurs, académiciens et gestionnaires de systèmes publics, nos maladies psychiatriques demeurent toujours sans maladies d’organes identifiables dans la très grande majorité des cas en clinique.

Il y eut de grands espoirs comme par exemple dans le cas de la schizophrénie, lorsque Nancy Andreassen rapporta une diminution des lobes frontaux dans un groupe de 500 schizophrènes, diminution qui s’est accrue au bout de 3 ans ; des années après, la chercheuse a dû se rendre à l’évidence qu’il s’agissait là de l’effet de la médication sur le cerveau de ces patients. Ces anomalies du cerveau n’étaient pas dues à la maladie mais au soi-disant traitement même de la maladie, i.e. aux médicaments (neuroleptiques) que les patients prenaient.

Des pressions commerciales puissantes (industries pharmaceutiques, centres de recherche, organismes gouvernementaux en santé etc.) ont contribué à mettre la charrue devant les bœufs et à présenter comme scientifiquement acquises des idées qui n’étaient que des idéologies et n’avaient et n’ont toujours rien de faits scientifiques : comme par exemple l’idée que les patients déprimés manquent de sérotonine (idée née dans le département de marketing de GSK pour vendre le paxil), l’idée que les schizophrènes souffrent d’un déséquilibre de la dopamine, l’idée que les enfants TDAH souffrent d’un déséquilibre de la norépinephrine.

On peut facilement imaginer que cette façon nouvelle de concevoir les maladies mentales, ce nouveau vocabulaire, a évidemment été adoptée à tous les niveaux importants de fonctionnement de notre société, non seulement en médecine mais également dans les cours de justice, à l’école, dans les médias, dans les familles, par les patients etc… Il s’agit de glissements sémantiques aux lourdes conséquences.

Voilà donc là une des raisons pour laquelle on tient à dire que Paul souffre d’une maladie appelée TDAH même si ce soi-disant diagnostic a un statut différent d’un véritable diagnostic du point de vue médical. Malgré l’allure objective des catégories diagnostiques modernes en psychiatrie, nous n’en restons toujours qu’à la phase préliminaire du processus diagnostic en médecine, i.e. à la phase descriptive de ce que nous voyons chez le patient en termes de signes et de symptômes ; le processus diagnostic doit se compléter, comme nous l’avons vu antérieurement, d’une confirmation par le résultat de tests complémentaires révélant l’existence d’un processus pathologique identifiable chez le patient. Or relativement à cette deuxième partie, nous n’avons, sauf rares exceptions, rien à dire en psychiatrie moderne. La réalité est que nos « diagnostics » en psychiatrie ne sont qu’une simple description de comportement, la confirmation d’une pathologie n’existant tout simplement pas, dans l’immense majorité des cas.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que cette façon de concevoir et de parler qui semble avantager initialement la psychiatrie, sert davantage les intérêts d’un grand nombre de personnes et d’institutions dans nos sociétés occidentales. Elle fait partie de notre quotidien, s’étant transformée en un prêt à porter de la pensée pour solutionner nos soi-disant problèmes mentaux lesquels, de plus en plus, prennent les couleurs de nos problèmes de vie ; plus justement dit, nous vivons à une époque où en Occident, nous sommes fortement invités à considérer nos problèmes de vie, et ceux des autres, comme des maladies mentales.

Et il est important de réaliser que nous faisons maintenant tous partie de ceux qui entretiennent ce système de pensée, même dans notre rôle de patient. Vous en doutez ? Écoutez plutôt ce que raconte le docteur Frank Hawley de Redding en Californie : il fait de la pratique générale et constate que ses cotes de pratique sur le site internet des affaires vient de baisser à 3.5 étoiles (échelle de 5 étoiles); pour rester en affaire, il a besoin de soutenir sa cote (les cotes lui sont données par les patients qui le consultent) et il écrit « Je suis de très sensible à mes cotes d’évaluation et lorsque je les vois tomber au-dessous de quatre étoiles, je fais quelques prescriptions extra d’Adderal ou de dexédrine (les deux sont des psychostimulants), m’assurant d’y inclure deux renouvèlements automatiques; cela m’assure de me maintenir dans la partie supérieure des cotes des praticiens généraux locaux. Les patients sont toujours heureux lorsque je leur tends cette prescription, et cela me garantit pratiquement un cinq étoiles. Dans un commerce qui survit par le bouche à oreille, les bonnes évaluations sont absolument essentielles ». Le Dr Hawley ajoute que depuis 2011 il n’a plus avisé un seul patient de faire régulièrement de l’exercice ou de manger sainement, expliquant qu’il avait eu sa leçon de se voir alors coller une cote dévastatrice à une seule étoile. Cela fait réfléchir et nous met devant le fait que nous entretenons nous mêmes ce système DSM-pilule lorsque nous agissons en tant que patient. Essentiel de réaliser que nous avons ici affaire à un problème très complexe, un problème de la culture même dans laquelle nous vivons tous.

Revenons à Paul, qui est un enfant agité. On décrit son agitation en utilisant l’acronyme TDAH. Ceci veut dire qu’il est inattentif, agité et impulsif. Mais l’acronyme a une résonnance définitive de diagnostic médical ; il implique l’existence d’une pathologie chez l’enfant et on parle de tests effectués par des spécialistes pour assurer ce diagnostic. Parler de tests dans le cadre de diagnostic fait effectivement très sérieux. Mais dans le cas présent, il faut savoir que ces tests ne sont pas très sérieux; ce sont des questionnaires recensant des comportements, qui essentiellement vous disent, en d’autres mots, ce que vous savez déjà, à savoir que l’enfant est inattentif, impulsif et agité, des tests qui font tourner en rond malgré le grand nombre d’analyses statistiques auxquelles on les a soumis pour les rendre d’allure très scientifiques, et dont on vous présente les résultats dans un langage compliqué, et obscur, avec une fierté toute universitaire. Caveat emptor (Acheteur, prend garde).

Quelle sorte de science est la pédopsychiatrie ?

Nous devons apporter une première correction à notre réponse de départ où nous disions: :

La pédopsychiatrie est donc une science médicale qui, entre autres, porte ou confirme des diagnostics associés à des troubles de développement ou de comportement chez l’enfant ou l’adolescent. C’est donc une science que l’on conçoit confortablement assise sur une connaissance et une science médicale des problèmes humains, tout comme la psychiatrie adulte, lorsque nous parlons de dépression majeure, de schizophrénie ou de trouble d’anxiété.

La pédopsychiatrie est une science qui s’en tient à la première phase du processus diagnostique en médecine, à savoir la phase descriptive, notamment des comportements. Cependant, et nous le répétons, la deuxième phase du processus diagnostique qui consiste à faire émerger par des tests complémentaires les éléments probants d’une atteinte organique est à toute fin pratique absente, de sorte que la partie cruciale du processus diagnostique qui consiste à assoir ces comportements sur une pathophysiologie, n’existe pas. Nous en restons à peu près toujours au niveau de la description. Ce n’est pas une science confortablement assise sur une connaissance médicale (i.e. une pathophysiologie) de ces problèmes de comportement, tout comme la psychiatrie adulte d’ailleurs, à mon avis.

Tentons d’approfondir davantage la question. Donc Paul a reçu un « diagnostic » de TDAH de son médecin de famille pour son agitation, son impulsivité et son manque de concentration ; son médecin lui a prescrit des psychostimulants pour traiter son TDAH. Personne ne sera surpris de cet état de chose courant dans notre société. Il s’agit du quotidien pour un pédopsychiatre de recevoir des enfants chez lesquels on veut confirmer un diagnostic de TDAH et le traitement médicamenteux qui s’ensuit. La pression dans cette direction vient de plusieurs sources : des écoles, des organismes publics d’aide aux enfants, des parents qui ont des difficultés avec leurs enfants et qui ont entendu parler de diagnostics et de traitements. J’entends souvent dire dans mon bureau, de la part des parents entre autres, qu’ils ne sont pas pour les médicaments, mais… « mais s’il avait un TDAH et que la médication pouvait l’aider ». Tout cela fait partie du mode quotidien de formuler les problèmes de nos enfants au point où, lorsque je propose d’autres façons de voir ces problèmes et d’intervenir, je m’expose à des sorties émotives de la part de certains parents : « Je venais chercher ici un service professionnel, avec des tests scientifiques et un diagnostic clair » dit par un parent qui sort en claquant la porte. Je ne me conforme pas au modèle admis. Mais nous sommes tous influencés par ce modèle, même moi qui tente de le combattre au profit de certains de mes patients. Le cœur du problème est précisément ce qu’a dit ce parent : un diagnostic clair, on s’attend à un diagnostic clair pour expliquer et traiter une maladie qui explique ces comportements. Ce point mérite un chapitre à lui seul, qui sera le prochain. Concluons, entre temps, sur la sorte de science qu’est la pédopsychiatrie avec ce que nous avons appris jusqu’à maintenant.

3) Quelles conséquences pratiques cela a-t-il pour l’enfant ?

Quelles conséquences cette façon de concevoir son problème, comme étant un TDAH, a-t-elle pour Paul ? Il en existe plusieurs, mais ne mentionnons ici que celle de faire de lui un patient, donc quelqu’un qui a une maladie, donc quelqu’un qui doit voir un médecin et qui doit être soumis à un traitement médical. Restons-en là pour l’instant, nous y reviendrons.

Nous pouvons donc conclure que la pédopsychiatrie (tout comme la psychiatrie adulte d’ailleurs, dont elle est issue) est une science médicale qui porte des diagnostics sur la base des comportements observés, mais des diagnostics qui, dans la très grande majorité des cas de pratique quotidienne, ne peuvent pas être associés, comme les vrais diagnostics en médecine, à ce que nous avons appelé une maladie vérifiable dans un organe (une pathophysiologie). Cependant, c’est une science qui en dépit de ce fait, tend à tenir un discours et une pratique comme si ses diagnostics avaient une portée aussi solide que ceux qui sont appuyés par une maladie vérifiable dans un organe. Nous verrons plus tard les raisons pour lesquelles il en est ainsi et la raison pour laquelle ceci est problématique pour nos patients.

A lire ce qui précède, vous croyez peut-être que je viens d’exclure la pédopsychiatrie du champ de la médecine. La réalité est que, bien que je vienne d’en restreindre les prétentions, je ne viens pas de l’exclure du champ de la médecine car je crois qu’elle y a sa place, pour la raison suivante : l’administration de médicaments a sa place dans le monde complexe des comportements humains perturbants et ces médicaments présentent des dangers, demandent une surveillance médicale, de même que du doigté pour les prescrire et surtout pour les retirer. Pour ces raisons, je crois que la psychiatrie a sa place dans le monde de la médecine moderne

 

BIBLIOGRAPHIE ET NOTES

Abramson, John, 2004, 2005. Overdosed America, Harper Perennial, New York.
Avorn, Jerry, 2005. Powerful Medicines : The benefits, risks and costs of prescription drugs. First Vintage Books Edition, New York.
Baughman, Fred, 2006. The ADHD fraud: how psychiatry makes “patients” of Normal children , Trafford Publishing
Brownlee, Shannon, 2007. Overtreated : Why too much medicine is making us sicker and poorer. Bloomsbury, New York.
Castellanos, FX et al. 2002 Developmental Trajectories of Brain Volume Abnormalities in Children and Adolescednts with Attention-Deficit/Hyperactivity Disorder. JAMA 288 1740-1748.
Davies James. 2013 Cracked: the unhappy truth about psychiatry, Pegasus book, Amazon Digital Services inc.
Swanson,J , Castellanos, FX. 1998 NIH Consensus Development CXonference of ADHD: Biological Bases of Attention Deficit Hyperactivity Disorder: 37-42


(1) Quant aux symptômes, i.e. aux éléments subjectifs de la condition, suivant les critères courants des DSM récents, ils ne sont pas requis pour poser le diagnostic du TDAH, mais sont utilisés comme compléments utiles, lorsque présents, pour soutenir les observations comportementales ; par exemple, lorsqu’un enfant nous dit : ça va vite dans ma tête…, je suis incapable d’arrêter de bouger… » etc.

(2) Si vous estimez que j’exagère en parlant de négation, considérez ceci (Davies James 2013) : en aout 2003, six activistes, dont David Oaks, un « ancien schizophrène » devenu un militant des droits civils, se sont enfermés avec des ordinateurs dans une église de Pasadena en Californie et ont annoncé une grève de la faim jusqu’à confirmation, notamment de la part de l’American Psychiatric Association (APA), des preuves de l’origine biologique cérébrale des maladies mentales. La première réponse de l’APA : nous avons fait des progrès importants dans la compréhension des bases neurophysiologiques de plusieurs maladies mentales et pour les détails, on les réfère à trois grands manuels de psychiatrie moderne (les textbook) dans lesquels on peut supposément trouver les réponses de l’origine biologique des maladies mentales. Or les protestataires avaient réuni (on comprend que l’entrée dans l’église de Pasadena est l’aboutissement d’un dialogue débuté il y a longtemps) un panel de scientifiques, comprenant médecins et universitaires, qui épluchèrent les 3 manuels et n’y trouvèrent pas les réponses qu’ils devaient y trouver, relevant d’autre part, dans ces manuels mêmes, plusieurs aveux d’absence de preuve de l’origine biologique de ces maladies. Devant ce fait, la deuxième réponse de l’APA fut de réaffirmer que ces bases biologiques existent mais toujours sans les spécifier, simplement les affirmer. Finalement, dans une troisième réponse l’APA concède qu’on ne peut pas discerner de lésion pathologique ou anomalie génétique dans les troubles mentaux, entendons dans la grande majorité des troubles mentaux ; on doit comprendre ici que l’APA ne peut identifier de cause biologique à la maladie mentale de la grande majorité des malades mentaux. On constate, dans cette histoire, le reflexe d’emblée, et répété de, négation de la part d’un organisme très officiel en la matière ; on constate également la pression sociale énorme qui a due être déployée pour que cet organisme en arrive à admettre les données factuelles à cet égard.

Parlant toujours de négation, il ne faut pas être naïf au point de croire que cela a provoqué un changement majeur dans notre société occidentale. En 2015, Jeffrey Lieberman, un ancien président de l’APA affirmait clairement la valeur du schéma médical d’une cause de lésion biologique et génétique pour comprendre ce que nous appelons les maladies mentales (voir chapitre 6). (non encore en ligne)

 

Chapitre 2

 

LA QUESTION DES DIAGNOSTICS EN PEDOPSYCHIATRIE MODERNE

 Par Jacques Thivierge, médecin pédopsychiatre

 Une des phrases qui rebondit souvent sur les quatre murs de mon bureau à l’hôpital est la suivante : « Nous venons chercher un diagnostic; nous n’avons pas de diagnostic, donc nous n’avons pas de services ».  

 Si votre enfant a un mal de ventre persistant, vous imaginez-vous allant dire à votre médecin : « Il n’a pas de diagnostic; je viens chercher un diagnostic pour qu’il ait des services » ?

 Des services? Compte tenu du contexte, le médecin comprendra ce que signifie votre demande mais il ne pourra probablement pas s’empêcher de penser que vous devez quelque part travailler pour la division de la Planification quinquennale en faveur des prestataires de soins du Ministère de la Santé PQ ! Un langage de gestionnaire administrateur qui colore de plus en plus les paysages de notre société, y compris de notre médecine.

 Dans le contexte où l’enfant a un mal de ventre persistant, le terme diagnostic conserve son plein sens médical. Dans le contexte où l’enfant présente un comportement turbulent, le sens médical du terme diagnostic n’est conservé que si une condition médicale peut être identifiée comme étant reliée à ces comportements; dans le cas, par exemple, de certains enfants dont le cerveau a été exposé à la cocaïne en période fœtale, ou d’un jeune dont le cerveau est sous l’influence toxique de drogues. Cependant, dans la majorité des cas de comportements turbulents chez l’enfant, il demeure impossible de mettre le doigt sur une quelconque condition médicale liée à la turbulence. Comment se fait-il alors que dans nos sociétés modernes, nous continuions à utiliser le terme de diagnostic pour ces enfants turbulents ? La réponse à cette question a ses racines dans une longue histoire dont nous n’allons retenir que deux épisodes : d’une part des faits qui expliquent le problème et d’autre part des faits qui entendent le résoudre.

 Des faits explicatifs : en 1918, eut lieu aux E-U une épidémie d’encéphalites virales. On remarqua que les enfants dont le cerveau avait été atteint par le virus demeuraient impulsifs, inattentifs et hyperactifs (Diller 1998) L’idée que les « autres » enfants impulsifs, inattentifs et hyperactifs avaient un cerveau atteint nous était présentée sur un plateau d’argent, et on la retint. L’idée était logique et on supposa qu’elle était vraie sans autre forme de procès. On en vint, au cours des années, à prendre l’habitude de dire que les enfants impulsifs, inattentifs et hyperactifs souffraient de dysfonction cérébrale mineure. Voilà pour le problème et son explication.

 Maintenant le traitement. En 1936 le Dr Charles Bradley administre de la benzédrine pour atténuer les céphalées souvent liées aux pneumo encéphalogrammes auxquels il soumet ses jeunes patients.  Il en constate l’effet calmant (Bradley 1937), et a l’idée d’utiliser cette médication chez les enfants très agités; il en arrive même à décrire une amélioration des performances scolaires chez ces derniers (Bradley 1940). Voilà pour le traitement.

 Prises comme un tout, ces deux idées forment une image claire, simple et rassurante pour les parents dont les enfants sont impulsifs, inattentifs et hyperactifs et qui, de surcroit, comme souvent mais pas toujours, ont des difficultés d’apprentissage. Cette image pointe vers un trouble du cerveau, qui pourrait ouvrir la porte à un diagnostic et à un traitement médical. Signalons, comme pour tous les diagnostics à caractère médical approximatif, qu’on a régulièrement assisté à des changements de nom de ce diagnostic au cours des années : Dysfonction cérébrale mineure, Trouble hyperkinétique et, actuellement, Trouble par Déficit Attentionnel avec ou sans hyperactivité (TDAH).

 Pourquoi un diagnostic approximatif ? Parce que si je fais une grippe, il est normal que je fasse de la fièvre; mais si je fais de la fièvre, je ne fais pas nécessairement une grippe; si je fais de la fièvre, je peux faire une infinité d’autres choses qu’une grippe : un coup de chaleur, une septicémie, une appendicite, un cancer etc. Il en est de même pour l’hyperactivité chez l’enfant; mais même si elle n’est pas nécessairement une maladie du cerveau, cette idée (agitation, manque d’attention et impulsivité) est tellement imprégnée dans l’esprit de notre époque, que nous continuons à la véhiculer dans une société qui en redemande et n’arrive pas à s’en défaire.

 Cela illustre à gros traits, comment on en est arrivé à parler de diagnostic pour la grande majorité des enfants impulsifs, inattentifs et hyperactifs et comment on en est arrivé à les traiter avec des médicaments. C’est là une histoire que, dans sa forme moderne, nous avons vue apparaître en 1918 (nous aurions pu la faire commencer avant, au XIXième siècle, par exemple), et qui continue à se dérouler sous nos yeux.

 Et cette histoire est importante car elle nous montre comment, dans notre société moderne, ce qu’on appelle un diagnostic médical peut ne pas en être un véritable. Un véritable diagnostic médical (i.e. un terme identifiant une pathophysiologie qui explique les signes et les symptômes d’un patient) nous aide à comprendre ce qui est anormal dans un organe ou du moins, nous fournit, dans le cas des syndromes par exemple (comme le syndrome néphrotique) des évidences relativement solides d’une atteinte organique quelconque. Or il n’en est rien dans la plupart des cas que nous appelons TDAH. A la suite de la publication de l’avant dernier manuel qui définit les critères pour les diagnostics en psychiatrie, le DSM-IV (1994), on a observé une augmentation du triple des cas de TDAH dans nos sociétés (Allen 2013). Nous avons dès lors le choix entre deux formes d’explication :

 1. Ou les nouveaux critères tiennent compte de connaissances nouvelles qui expliquent cette augmentation des cas.

 2. Ou ces nouveaux critères ne tiennent pas compte de connaissances nouvelles, l’augmentation des cas étant due à une « réorientation » des critères.

 Or de fait, il n’y a pas de nouvelles connaissances scientifiques expliquant cette inflation; mais ce n’est pas ce qui est véhiculé. Il s’agit là d’une réalité étonnante et qui produit ses effets pour plusieurs autres « maladies », comme par exemple, toujours dans le domaine de la psychiatrie infantile, pour l’autisme et la maladie bipolaire.  A la suite de la publication du DSM-IV l’augmentation des cas d’autisme a été multipliée par 20 et celui des cas de maladies dites bipolaire, par 40.  Par suite de nouvelles connaissances médicales? Par suite essentiellement de nouvelles forces sociales et politiques, en somme, des épidémies qui sont de fausses épidémies, des épidémies dues à la rhétorique. Rappelez-vous que nous vivons dans un monde de gestionnaires où la rhétorique est de première importance.

 Imaginez que je vous dise que vous vivez dans une ville où les cas d’amygdalectomie sont trois fois plus nombreux que ceux recensés dans une autre ville située à 25 milles plus loin. Parce que vous avez, comme nous tous, le réflexe de penser que les diagnostics médicaux sont quelque chose d’essentiellement objectifs, vous allez vous dire qu’il y a quelque chose dans votre ville qui explique que les microbes y soient plus virulents qu’ailleurs ou les systèmes immunitaires plus faibles. Vous n’aurez pas idée de mettre en doute l’objectivité du diagnostic fait par les médecins de votre ville, d’autant plus que l’infection des amygdales est une maladie qui n’a rien de très subjectif dans notre esprit, et qui repose sur des critères physiques et physiologiques détectables. Donc s’il y a 60% des enfants en bas de 15 ans qui ont eu une amygdalectomie dans votre ville, comparativement à 20% dans la ville voisine, il est naturel (et rassurant, il ne faut pas l’oublier) de penser que ceci est dû aux virus et non aux médecins. 

 Maintenant, trouvez-vous que cet exemple est tiré par les cheveux ? S’agit-t-il, à votre avis d’une histoire sortie de mon imagination ?  Il s’agit d’une histoire réelle. Le nom de la première ville est Stowe, au Vermont, et le nom de la deuxième, Waterbury également au Vermont, à quelques dizaines de kilomètres de la première. Le médecin qui a décrit ce fait est le Dr John Wennberg.  Le Docteur Wennberg a poursuivi ses recherches et a décrit d’autres résultats étonnants, comme le fait par exemple que dans la petite ville de Lewiston au Maine, on y trouvait le plus haut taux d’hystérectomie aux EU, 60% des femmes au-delà de 70 ans ayant subi une hystérectomie. Il a également décrit des situations comparables pour des interventions comme des prostatectomies, pour les hernies, les maladies cardiaques etc… (Wennberg 2010). La conclusion était inévitable : la conduite des médecins, donc leur habilité à diagnostiquer et à traiter, expliquait cette variation.

 Les médecins ont évidemment mal réagi à cette conclusion qui à toute fin pratique leur disait qu’ils n’étaient pas très objectifs dans leurs diagnostics, et plutôt subjectifs. Et remarquez que nous parlons ici de maladies bien définies par une pathophysiologie. Pour les médecins, comme pour tous les patients d’ailleurs, la nécessité et la justification des interventions devaient venir des patients et de leur maladie, et non des médecins. L’article décrivant ces faits et cette conclusion a été refusé dans tous les grands journaux médicaux (NEJM, JAMA, etc.) et fut finalement accepté dans une revue qui n’était pas dédiée spécifiquement à la médecine, mais une revue très appréciée par les scientifiques sérieux, la revue Science (Wennberg 1973).  

 Il est donc étonnant de constater que pour des maladies réelles et connues (dans le sens médical d’une atteinte de la structure et de la physiologie d’un organe, l’amygdale et l’utérus dans les exemples précédents) puisse exister un tel flottement dans l’application des critères pour guider le traitement (comme l’amygdalectomie et l’hystérectomie). Et pourtant il en est ainsi. Il est important de préciser qu’il n’en est pas ainsi pour toutes les conditions en médecine et qu’existent des conditions où s’observe une grande uniformité de décisions et d’interventions, les interventions pour le cancer du côlon étant un bon exemple où les taux d’interventions chirurgicales sont à peu près identiques d’une région à l’autre. Il faut donc en conclure que pour certaines conditions en médecine, existent des critères objectifs valides utilisés avec fiabilité par la majorité des médecins, et que pour d’autres conditions médicales, existent des critères d’objectivité approximatifs i.e. davantage subjectifs. Ceci vaut indépendamment pour le diagnostic et le traitement. On comprendra que ce qui vaut pour le diagnostic, comme dans le cas du TDAH, vaut alors d’autant plus pour le traitement.

 Revenons à Paul et à son TDAH.

 Le TDAH est-il une maladie qui s’apparente davantage au traitement du cancer du côlon ou à celui d’une infection de l’amygdale ?  S’agit-il d’une maladie dont le diagnostic et le traitement sont davantage basés sur des réalités objectives, ou sur des réalités trop approximatives, trop subjectives ?

  La réponse à cette question n’est pas si simple pour les personnes vivant à notre époque, émotionnellement parlant j’entends. Certains défendront le point de vue qu’il s’agit d’une maladie dont les critères objectifs sont acceptés et utilisés de façon à peu près générale chez les médecins occidentaux, conduisant à des traitements relativement uniformes notamment d’un point de vue pharmacologique. On vous parlera de tests diagnostiques établis dont l’usage est répandu à plusieurs niveaux de notre société : dans les cliniques spécialisées TDAH de médecins ou de psychologues, dans les écoles, cours de justice etc. On vous parlera également des nombreuses études qui ont établi les bénéfices des psychostimulants chez les enfants et les adultes qui souffrent de cette maladie.  Donc l’allure objective de cette approche paraît, à prime abord, indiscutable.

 D’autres, dont je suis, défendront le point de vue qu’il s’agit d’une maladie  dont les critères diagnostiques sont d’une objectivité douteuse, argumentant qu’il s’agit d’une « maladie » qui repose essentiellement sur un raisonnement circulaire, que les soi-disant tests utilisés pour en confirmer la présence  demeurent trop subjectifs, et que  nous sommes constamment confrontés à l’identification d’une atteinte organique qui n’existe pas pour la très grande majorité des personnes chez qui ce soi-disant diagnostic est retenu. Donc, je suis de ceux qui estiment que le diagnostic de TDAH dont souffrirait Paul repose sur des critères trop approximatifs pour parler de maladie.

 Pour éclairer ce débat, j’aimerais établir une analogie avec une situation qui n’a rien à voir avec la médecine.

  Imaginez que vous soyez perdu en forêt dans une vallée entourée de montagnes. Vous estimez que votre survie immédiate dépend de l’eau. Dans la fraîcheur du matin, vous apercevez un nuage de brume s’élever derrière l’une de ces montagnes et vous pensez que ceci peut indiquer la présence d’un lac derrière la montagne.  Mais avant d’entreprendre l’épuisante marche vers ce supposé lac, vous tentez de trouver d’autres indices de la présence du lac. En observant bien, vous finissez par détecter sur cette montagne les sillons de plusieurs chemins comme les orignaux en pratiquent en forêt, pour se déplacer plus facilement, notamment vers les points d’eau, phénomène qui vous semble beaucoup moins présent sur les montagnes avoisinantes. Enfin, vous observez également la présence de ce qui vous paraît être des aigles pêcheurs au-dessus de cette montagne.

 C’est sur la base de ces éléments d’observation que vous décidez d’entreprendre cette marche.   Par analogie, c’est sur la base de la présence des observations d’impulsivité, de manque d’attention et de distractibilité que vous aurez à conclure à la présence d’une maladie TDAH chez Paul et d’entreprendre de le traiter.

Maintenant, une chose extraordinaire s’est produite : il y avait réellement un lac derrière votre montagne de sorte que vous avez pu survivre et attendre les secours. Tout comme il y avait une atteinte organique cliniquement documentée chez les enfants (une encéphalite virale) chez lesquels on a, au début du siècle, décrit la Dysfonction cérébrale Mineure, aujourd’hui appelée TDAH.

 Encouragé par cette relation positive et salutaire entre l’existence réelle du lac derrière la montagne et l’ensemble de vos observations (nuage matinal de brume, chemins d’orignaux dans la montagne, survol d’aigles pêcheurs etc…)  vous avez choisi de proposer un instrument « objectif », sous forme de questionnaire, afin de venir en aide aux infortunés qui se perdent en forêt. Vous avez appelé votre questionnaire, le Questionnaire du Lac Derrière la Montagne, que vous avez fini par désigner, suivant le courant scientifique à la mode de votre époque, par l’acronyme : QLDM (Questionnaire du Lac Derrière la Montagne). QLDM offre l’avantage d’une certaine obscurité à l’égard des non-initiés, ce qui confère un prestige facile au questionnaire, auquel on finit par assigner le statut d’instrument, ou de test diagnostique.  Un carriériste actif, le Dr.Zozo, de l’Université des Grands QI, a décidé de faire une étude de terrain avec votre questionnaire, dont il publie les résultats dans la Revue Internationale des Perdus en Forêt. Il a trouvé que dans une situation où vous avez à trouver un lac derrière une montagne, il y a, entre votre intuition pure de l’endroit ou pourrait se situer un lac, et l’utilisation de votre questionnaire, une différence statistiquement significative en faveur de votre instrument (p < 0.05).  C’est la consécration. Vous êtes quand même un peu étonné.  (Et avec raison.) Avouez que le « statistiquement significatif (p>0.05) » vous a eu.  Vous ne savez pas trop bien ce que cela peut vouloir dire, mais une chose est certaine, c’est que, c’est scientifique. On voit cela partout dans les grandes revues médicales.  Et c’est le Dr Zozo qui le dit, donc c’est scientifique, et prouvé. Quand le QLDM vous dit qu’il y a un lac derrière la montagne, il y a un lac derrière la montagne, semble vous suggérer fortement le papier du Dr Zozo. Mais malgré ce que vous suggère l’article du Dr Zozo, vous pouvez être assuré que le Dr Zozo lui-même, en homme intelligent, sera, dans ses propos, beaucoup plus nuancé, du genre « oui…non…peut-être etc… ». La suggestion forte est une chose, l’affirmation claire en est une autre. Il y a le point de vue de la propagande, et le point de vue de ce que nous croyons réellement. C’est ainsi qu’on finance une grande partie de la science moderne.

 Cette question est importante et nous allons nous y attarder un peu car nous tenons tous trop pour acquis les « vérités » qui nous sont ainsi véhiculées par les experts dans notre société. Imaginez que le Dr Zozo, pour tester le QLDM, ait envoyé 4000 étudiants dans des bois entourés de montagne, et demandé à ces étudiants d’indiquer derrière quelle montagne se trouvait un lac, sur la seule base de leur ropre intuition d’abord. Le résultat : 4 bonnes prédictions. Mieux vaut ne pas se perdre dans le bois avec ces étudiants. On recommence maintenant l’expérience en donnant le QLDM aux étudiants et cette fois, ils font 20 bonnes prédictions. Impressionné(e)s ? Qu’en dites-vous ? C’est exactement le genre de situation où vous appliquez un test scientifique, dit test de signification statistique, pour savoir si la différence est réelle, ici, pour savoir si le QLDM est réellement utile lorsqu’on s’égare en forêt.  Le test vous dit que la différence est statistiquement significative (le p plus petit que 0.05). Un peu de calme. Feriez-vous confiance à un instrument qui donne la bonne direction de l’eau seulement 1 fois sur 1000 ? Si vous vous fiez à votre gros bon sens, la réponse est clairement non ; il faut trouver d’autres moyens. Si vous ne regardez que les chiffres cependant, l’intuition ne vous fournissant la bonne réponse qu’une fois sur 1000 par rapport à cinq sur 1000 du QLDM, vous serez tenté de dire que la différence est impressionnante ; mais il serait salutaire de se rappeler ici que la réalité de la forêt n’est pas la réalité des chiffres.

En forêt, sur le terrain, dans la vraie vie, la performance du QLDM est véritablement médiocre et insignifiante ; perdu en forêt, vous devriez continuer à observer votre environnement et à réfléchir au-delà du QLDM pour trouver de l’eau et sauver votre vie. En médecine moderne cependant, on ne raisonne pas avec ce genre de gros bon sens : on estime que les tests de signification statistique sont ici un bon guide pour apprécier en pratique la valeur, en forêt, du QLDM ; avec des résultats semblables à ceux du QLDM ci-haut, on a conclu que le Vioxx était aussi sécuritaire que le naprosyn alors qu’il causait 10 fois plus de maladies cardiaques. La médecine vénère les tests de signification et s’y fie au détriment du gros bon sens pour des raisons qu’il est difficile à apprécier (Healy 2012).

Retournons au TDAH de Paul.

 Cet enfant est agité, impulsif et distrait. Ce sont là comme les caractéristiques que vous observez sur la montagne : nuage de brume matinale, chemins d’orignaux, vols d’aigles pêcheurs. Y a-t-il un lac derrière la montagne ? Y a-t-il une maladie dans le cerveau de Paul ? Quel est votre diagnostic docteur ? vous demande-t-on de toute part. Le terme de diagnostic est impressionnant, parce qu’il est chargé de la promesse de nous faire comprendre ce qui ne va pas. En médecine moderne (puisque ce terme origine de la médecine) il est difficile d’éviter l’hypothèse que derrière ce terme, il y a quelque chose dans le cerveau de Paul qui est particulier, une sorte de maladie.

 Dans son acception la plus courante, le terme diagnostic désigne le processus par lequel un médecin cherche à identifier une pathologie dans un organe (une maladie) à partir de l’existence chez le patient de signes et de symptômes et, ceci dans le but de traiter la personne.  Simplifions les choses en parlant d’un double écran, un à gauche et un à droite, et en disant que le processus diagnostic a une partie gauche (la partie gauche de l’écran) et une partie droite (la partie droite de l’écran) ; dans la partie gauche on trouve les malaises et dans la partie droite, la cause des malaises, la partie droite ouvrant la porte au traitement basé sur la cause de la maladie. Un diagnostic précis établit un lien adéquat entre les malaises et la cause des malaises. Le diagnostic devrait se voir dans le milieu de l’écran à titre d’hypothèse, tant qu’il ne demeure qu’une suggestion émergent de l’écran gauche et qu’il n’a pas été confirmé par ce qui se trouve à l’écran droit. Mais que faites-vous lorsque votre « maladie », votre « diagnostic » n’a qu’un côté gauche et pas de côté droit ? ou ne laisse voir un côté droit, que dans de très rares occasions ? C’est le cas du TDAH.

 Une des choses que vous pouvez alors faire est d’accroître la précision des observations du côté gauche dans l’espoir (vague) que cette précision apportera plus de lumière du côté droit ; vous pourriez ainsi entraîner votre personnel à détecter les chemins d’orignaux sur une montagne, à reconnaître les aigles pêcheurs sur la montagne etc…à reconnaitre les enfants très agités des enfants normalement agités, les enfants anormalement impulsifs des enfants normalement impulsifs ou non impulsifs,  les enfants qui ont un bougeotte anormale des enfants dont la bougeotte est normale etc…Vous faites là quelque chose qui est sérieux et qui a une allure scientifique par l’importance que vous accordez à la précision, car on attend d’un scientifique qu’il projette une image de précision.

Vous pouvez également soumettre toutes ces observations à de savantes analyses statistiques dans l’espoir que les chiffres verront dans la réalité, des choses qui échappent aux observations cliniques. La quête du St-Graal demeure encore bien vivante dans plusieurs domaines de notre société scientifique. Une quête qui remplit le temps et l’espace dans un climat d’objectivité. Souvenons-nous que lorsqu’il faut expérimenter un médicament chez 10000 enfants dans l’espoir de prouver un bienfait, c’est que ce bienfait est trop faible pour être cliniquement signifiant pour la grande majorité. En augmentant considérablement le nombre de sujets, on finit toujours par trouver des différences statistiquement significatives qui sont malheureusement considérées suffisantes par les Agences du médicament pour autoriser sur le marché un nouveau produit ou une nouvelle indication pour un ensemble de sujets dont plusieurs, il est clair, n’en bénéficieront pas.

Mais notez que tous ces efforts de précision demeurent confinés au côté gauche de l’écran, i.e. au côté gauche du processus diagnostic ; la précision qu’ils ajoutent au processus ne concerne jamais le lien entre la gauche et la droite ; or c’est le lien entre l’écran gauche et l’écran droit qui est important dans le processus diagnostic en médecine. Dans ce contexte, la question que nous devons nous poser est la suivante : est-il utile de travailler si fort à accroître la précision des observations du côté gauche dans le but d’élaborer un instrument diagnostic fiable et valide ? Encore une fois, je crois que le travail utile se situe dans le lien qui unit le côté gauche au côté droit du processus diagnostic.  Maintenir ses activités à gauche, si considérable soit le travail de précision réalisé, risque de demeurer stérile. Si je vous demandais la différence entre un mont et une montagne ? Aux extrêmes, nous savons de quoi il s’agit ; par exemple les Rocheuses Canadiennes qui sont des montagnes et le Mont Royal (Montréal) qui est un mont. Où un mont cesse-t-il d’être un mont pour devenir une montagne ? Est-il utile de travailler à préciser la définition du mont par rapport à la définition de la montagne ? Certains universitaires carriéristes, comme le Dr Zozo, seront des plus heureux de consacrer leur carrière à ce problème non compromettant, inutile et insignifiant, pour autant qu’il puisse vous convaincre que ce problème est important.  L’idée de précision a un pouvoir de séduction certain sur nous tous qui vivons dans une civilisation où la science domine. Mais si précieuse et utile que soit cette qualité lorsque exercée au bon endroit, il faut réaliser que la recherche de précision pour la recherche de précision, spécialement en ce qui concerne les définitions de concepts, comme le TDAH par exemple, nous conduit à davantage d’obscurité que de lumière. Nous ne devons pas exiger un degré de précision qui excède celui qui est nécessaire à la résolution du problème que nous tentons de résoudre sinon, nous perdons rapidement notre boussole dans nos efforts de résolution de notre problème. Le grand philosophe des sciences Karl Popper a très bien exposé cet aspect du processus de la connaissance humaine (Popper 1974,1979).

 Que veut dire tout cela pour Paul ?  Sur le côté gauche de l’écran, Paul répond au « malaise comportemental » décrit par les termes d’agité, de distrait et d’impulsif (ou TDAH en vocabulaire moderne branché). Suivant un instrument reconnu et plus élaboré de description, le DSM, (notre QLDM en psychiatrie pour le cas présent ; le S du DSM désigne la statistique, on tient aux mathématiques qui garantissent notre objectivité !) il répond aux « critères diagnostiques » d’un Trouble par déficit Attentionnel avec Hyperactivité.  Sur le côté droit de l’écran, rien : aucun signe d’atteinte ou de possible atteinte organique cérébrale chez cet enfant. Nous sommes donc confinés à un trouble du côté gauche i.e. essentiellement à des signes et symptômes comportementaux qu’on ne peut relier, d’après l’histoire et l’examen de Paul, à aucune atteinte organique.  Dans son cas, la relation à une atteinte organique est purement théorique.  Devant cette absence plutôt embarrassante, on compare alors Paul à d’autres cas où a été observé du côté gauche de l’écran, ce que nous observons chez Paul (agitation, distractibilité, impulsivité) et à l’écran droit, des signes clairs ou de hautes probabilités à l’histoire, d’atteinte cérébrale (par exemple, encéphalopathie due à une infection virale ou à une exposition prolongée en période fœtale à une substance comme la cocaïne ou à une exposition du cerveau au plomb).  Et on conclut rapidement que pour Paul il en est également ainsi, à savoir que ses difficultés comportementales (à l’écran gauche) doivent nécessairement être expliquées également par une atteinte organique même si l’écran droit demeure chez lui vide et qu’on n’y voit rien.

 Dans le cas du TDAH, notre côté gauche de l’écran est une situation de départ diagnostique mais sans piste d’atterrissage à l’horizon.  Chez la grande majorité des enfants et adultes ainsi « diagnostiqués » par l’utilisation du questionnaire propre au côté gauche de l’écran, l’avion continue à voler, toujours à la recherche d’une maladie où poser ses roues. Rarement, dans la grande majorité des cas vus en clinique aujourd’hui, est-il possible d’entrevoir le terrain d’atterrissage espéré.

 Ici on pourrait vous vendre l’idée, juste d’ailleurs, que le cerveau est l’objet le plus complexe de l’univers connu, et que notre manque de connaissance explique le vide du côté droit de l’écran. Et il en est sans doute ainsi pour certains patients chez lesquels on retient le diagnostic TDAH par exemple. Malgré la logique et la possibilité réelle de cet argument, la question importante qui se pose ici est la suivante : y a-t-il d’autres facteurs qu’une atteinte cérébrale qui puissent généralement expliquer ce que nous voyons du côté gauche de l’écran chez ces enfants ? En d’autres mots, ces malaises (agitation, impulsivité, distractibilité) peuvent-ils avoir une cause autre que celle d’une atteinte cérébrale ? Aurions-nous avantage à diriger notre écran de droite sur d’autres objets que celui d’une atteinte cérébrale ?

 Il existe dans la pratique de la médecine quelque chose de très précieux qu’on appelle des signes spécifiques d’une maladie. Par exemple, des rougeurs qui apparaissent sur les muqueuses de la bouche, que nous appelons les taches de Koplik. Il s’agit là d’un signe, donc de quelque chose qui apparaît à l’écran gauche du processus diagnostic, mais que nous pouvons relier à 100% à la présence de la cause du malaise chez le patient (donc à l’écran droit), à savoir la présence d’une infection virale, la rougeole. Il s’agit d’un précieux signe dit spécifique qui nous conduit directement à la cause du malaise.  Les signes comportementaux d’agitation, d’impulsivité et de distractibilité par contre n’ont aucune spécificité relativement à une condition de maladie du cerveau.  Ce sont des « malaises » non spécifiques i.e. non reliés à une maladie en particulier. Tout comme la fièvre, ils peuvent être associés à une atteinte du cerveau, mais également au tempérament de l’enfant, à une maladie organique non cérébrale, à l’anxiété liée à des circonstances de vie etc… Pour Paul, ceci veut donc dire la chose suivante : si nous ne trouvons rien à l’écran droit lorsque cet écran est dirigé vers des atteintes du cerveau, nous devrions alors diriger notre écran sur les autres facteurs ci-haut mentionnés.

 Malheureusement, dans notre société moderne occidentale, on a pris l’habitude d’agir comme si, ne voyant rien du côté droit de l’écran, il y avait une lésion cérébrale que nous « savons » exister mais que la science actuelle, n’étant pas assez développée, ne nous permet pas d’identifier.  Vous comprendrez qu’il s’agit là d’une foi, d’une idéologie et que ceci est tout l’opposé de ce que nous appelons la science. Et de là surgit le traitement médical, le médicament. C’est ce que j’appelle l’approche DSM-Pilule. Très psychiatrie moderne. On ne niera jamais l’existence de d’autres facteurs, prenant même toujours soin de les mentionner comme fondamentalement importants, mais on ne leur accordera pas le rôle de premier violon dans le traitement. Et non seulement les psychiatres et les médecins (et je m’inclus parmi ceux-ci), mais toutes les instances dans notre société, incluant les patients qui nous consultent, sont sous l’influence de cette approche DSM-pilule.  Nous sommes tous comme des poissons qui baignent dans la même eau.  Je peux vous assurer qu’en tant que médecin, lorsque je tente de m’éloigner de ce modèle et d’explorer sérieusement les facteurs psycho-sociaux qui peuvent possiblement être en lien avec la partie gauche de l’écran, dans un cas comme celui de Paul par exemple, on ne me fait généralement pas la partie facile.  Les parents et les familles d’accueil vous diront qu’ils ont tout essayé ( et ils le croient sincèrement) ; les éducateurs des centres jeunesse et les enseignants vous diront que la loi leur interdit d’intervenir comme le « gros bon sens » semble l’indiquer dans des situations de désorganisation (et ils ont raison) ; les administrateurs des commissions scolaires et directeurs d’école vous diront que les services qu’ils accordent sont conditionnels au « diagnostic » que reçoit l’enfant (ce qui est vrai et ce qui constitue une aberration).  Si on considère le TDAH comme un diagnostic médical valide, comme une maladie du cerveau, on comprend alors pourquoi l’enfant obéit difficilement à ses parents, pourquoi l’enfant se désorganise en classe au point de tirer des objets de frapper les autres, pourquoi l’enfant apprend difficilement et nécessite un encadrement couteux à l’école et pourquoi il faut demander au médecin de le traiter.  Je vous fais remarquer que toutes « ces compréhensions » sont basées sur la valeur d’un diagnostic qui en réalité, nous venons de le voir, n’a pas beaucoup de valeur d’un point de vue médical.  Cette manière de voir et de concevoir les choses sur la valeur accordée à des diagnostics approximatifs est une position adoptée par notre société à l’heure actuelle.  Ceci présente des avantages administratifs, sociaux et commerciaux, dans la « gestion » de ces sujets, pas nécessairement pour le patient lui-même. Avant d’élaborer sur ce point cependant, revenons au sujet de ce chapitre qui concerne la question des diagnostics en pédopsychiatrie moderne. Nous venons de voir que le diagnostic TDAH n’a rien d’impressionnant d’un point de vue médical. Mais qu’en est-il de d’autres catégories ? Du diagnostic de psychose, de trouble du spectre de l’autisme, de la dépression ?

  LA PSYCHOSE

 La psychose est une condition très sérieuse caractérisée par une perte de contact avec la réalité. C’est une condition qui peut résulter de l’action de certaines substances sur le cerveau (marijuana, psychostimulants, ISRS etc…), et dans ce cas le diagnostic véritable en est un de psychose toxique. Dans la majorité des cas cependant, la psychose se réduit à un diagnostic orphelin, un « diagnostic » comme le TDAH, i.e. un « diagnostic » limité au côté gauche de l’écran, sans rien à mettre au côté droit.  Surprenant, étant donné le caractère dévastateur de cette condition. Nous y reviendrons lorsque nous parlerons de traitement. Mais pour l’instant, regardons ce qu’il en est du diagnostic de psychose chez l’enfant.

 En psychiatrie moderne, s’est développée l’idée qu’il était possible de prévenir les effets dévastateurs de la psychose si on intervenait de façon précoce dans le processus de la maladie.  Cette idée (ancienne dans l’histoire de la médecine, revivifiée récemment en psychiatrie adulte (Wyatt 1995), mais nouvelle lorsqu’appliquée aux enfants dits psychotiques) fut reprise par un pédopsychiatre australien du non de McGorry. (2002) et devint un mouvement, le Mouvement de l’Intervention Précoce. Il s’agit évidemment d’une idée propice à réjouir le cœur de tous, spécialement des parents qui dans leur famille ont connu l’effet dévastateur d’une psychose chez les adultes et qui craignent l’effet de la génétique pour leurs propres enfants. L’idée est claire, simple et souriante, donc qui se vend bien. Et bien vendue elle fut ! McGory fut nommé l’australien de l’année ; La mise sur pied de Centres d’intervention précoce pour la psychose en Australie ont couté 222.4 millions au Fond du Commonwealth ; des Centres d’Intervention Précoce ont poussé comme des champignons sur toute la planète ; et comble de l’hybris, McGory a même proposé une nouvelle catégorie diagnostique DSM, la prépsychose ; et encore aujourd’hui, je réalise que dans certains milieux académiques, et non des moindres, on recommande à nos résidents d’aller s’abreuver intellectuellement aux sources australiennes de McGorry.  Beau succès me dire-vous.

 Avez-vous déjà entendu parler du Dr William Peters ? Ce médecin s’est fait le défenseur d’une méthode pour guérir le cancer du sein, cette méthode s’appelait la transplantation de moelle ; cette méthode impliquait également le fait d’administrer de très fortes doses d’agents chimio thérapeutiques (10 fois la dose standard). Nous sommes dans les débuts des années quatre-vingt. Le traitement était très coûteux, entre 150 000 et 500,000 dollars à l’époque. Les assurances refusent de payer. Le docteur Peters, qui a dû bagou et de la prestance, se rend au Congrès, et désignant aux membres du Congrès une belle femme dans l’assistance leur dit : « Si vous regardez cette femme en face de vous, demandez-vous si elle ne vaut pas le prix d’une voiture de luxe ». (Brownlee 2007) Et il gagna. Et les transplanteurs de moelles devinrent les vedettes du système médical américain pour l’espoir entretenu et les sommes d’argent importantes levées dans leur sillage.  Mais il y a un problème : le traitement n’est pas efficace. Et il y a un autre problème : le traitement est cruel. Les médicaments détruisent les cellules linéaires de tout le tractus gastro-intestinal, de la bouche à l’anus, ce qui provoque des douleurs terribles quand il faut avaler et déféquer (en plus des nausées vomissements, diarrhées).  Quarante mille femmes (40 000) subissent ce destin. Est-il possible que ce traitement fut activement proposé par un médecin de renom, qui travaillait dans un des centres de traitement du cancer des plus réputés au monde, le Dana-Faber Cancer Institute de Boston ? 

 Pourquoi parler ici du Dr Peters ? Pour rappeler qu’il ne faut jamais se fier aux experts, si prestigieux nous semblent-ils, sans poser quelques questions simples à quelques autres personnes de confiance, lorsque les conséquences peuvent être tragiques. Questions du genre : est-il démontré que ce traitement est réellement efficace ? Par qui, et comment ? Compliqué ? D’accord, compliqué. Mais si rassurante soit la position de faire confiance à l’expert, se rappeler qu’elle peut être la cause de conséquences tragiques lorsque, comme dans le cas présent, elle est basée sur une idéologie i.e. sur des idées qui paraissent vraies parce que logiques, et non sur des bases de faits réels.

 Revenons à Mc Gorry ; si vous lui posez ces questions, soyez sûr qu’il saura vous rassurer si c’est ce que vous recherchez. Mais si vous désirez vous approcher davantage de la vérité vous verrez que les choses ne sont pas si simples. L’idée de base de McGory est que la psychose est le résultat d’une substance toxique sur le cerveau (on dit neurotoxique) et que les médicaments neuroleptiques (antipsychotiques) lorsque donnés tôt préviennent l’action toxique de cette substance et conséquemment, préviennent l’installation ou l’aggravation de la maladie appelée psychose. Mais cette substance n’a jamais été identifiée ; de plus, il n’a jamais été démontré que ces médicaments dangereux (les neuroleptiques) préviennent le développement de la psychose. Et il n’a surtout jamais été démontré qu’une intervention précoce quelconque prévient le développement de la psychose chez l’adulte. Ceci veut donc dire que dans le processus diagnostic de la psychose chez l’enfant, on a un problème à l’écran droit, qui, tout comme pour le TDAH, demeure désespérément vide.  Comme ceci est très embarrassant, on s’en tire avec la même pirouette comparative :

 -pour le TDAH on dit : les enfants dont le cerveau a été agressé par des agents toxiques (cocaïne, plomb, virus) ont un TDAH. Donc, les autres enfants qui présentent cliniquement les mêmes caractéristiques d’agitation, d’impulsivité et d’inattention ont un cerveau qui a été agressé par des facteurs toxiques quelconques, même si on ne peut pas les identifier.

 -pour la psychose : il est établi que la psychose chez certaines personnes est due à l’action sur le cerveau de certaines substances (psychostimulants par exemple, cocaïne, LDH etc.), donc la psychose chez les autres est également due à l’action de certaines substances même si on ne peut les identifier.

 Comme pour le TDAH à la partie gauche de l’écran, qui s’identifie à partir d’éléments observés, de même la prépsychose, suivant McGorry : comportement étrange, détérioration de l’hygiène personnel, agitation, énoncés irrationnels etc… Vous pouvez facilement vous imaginer qu’il n’y a rien de spécifique dans ces descriptions comportementales et que l’image de la spécificité des taches de Koplik qu’utilise Mc Gory est une grossière exagération, à saveur de propagande, une idée forte et simple qui se vend bien, Mais l’Intervention intensive précoce (IIP) prévient-elle réellement l’apparition de la psychose comme on nous le dit ? La réponse est négative selon les résultats des cliniques d’IP à Londres, au Danemark, au Canada, aux USA. (Montcfieff 2013)

 Donc, le diagnostic de psychose chez l’enfant, tout comme le « diagnostic » de TDAH, est, dans la grande majorité des cas, un « diagnostic » uniquement de l’écran gauche, i.e. en réalité une simple description qui demeure dépourvue d’explication du point de vue médical dans la très grande majorité des cas.  Comme pour le TDAH, on invente l’existence d’une explication à l’écran droit (l’existence d’une substance toxique) qui se réduit à une simple supposition, à une idéologie, cette substance n’existant, à ce jour, que dans la tête de ceux qui veulent à tout prix vendre l’idée d’un diagnostic médical pour ces enfants.  Le diagnostic de psychose chez l’enfant n’a donc, dans la majorité des cas, rien d’impressionnant d’un point de vue médical.

 Maintenant, du point de vue de mon opinion personnelle et de l’opinion personnelle de plusieurs collègues, il ne serait pas surprenant qu’un jour, nous puissions identifier des causes biologiques pour expliquer le comportement psychotique de certains de nos patients chez lesquels nous ne voyons aujourd’hui rien à l’écran droit.  Nous devrions toujours considérer ceci comme une simple opinion devant un tel patient de manière à ne pas fermer les portes à l’exploration d’autres facteurs dans la vie du patient, surtout chez les enfants pour lesquels les critères d’identification de la psychose manquent de sensibilité et de spécificité. Primum non nocere.

 LES TROUBLES DU SPECTRE DE L’AUTISME 

Lorsqu’un enfant présente un retard significatif dans son développement (i.e. impliquant, à des degrés variables, ses habilités de communiquer, de comprendre, de socialiser et de se mouvoir) on se demande tout naturellement quelle maladie peut expliquer une telle chose. On regarde d’abord du côté des maladies physiques connues, où on cherche à mettre en évidence une pathologie dans un organe (comme dans le cas par exemple de la paralysie cérébrale) ou dans un structure biochimique ou génétique quelconque (comme dans le cas par exemple du Syndrome de Down). Lorsqu’on y parvient, le diagnostic devient celui de la pathologie qui a été mise en évidence. On ne parle alors plus chez l’enfant simplement de retard de développement, mais, de Paralysie cérébrale ou de Syndrome de Down. Lorsqu’on ne parvient pas à faire le lien avec une maladie connue, on pourrait, et on devrait à mon avis, se contenter de parler de retard de développement ; mais ce n’est pas ce qui se produit. Le cerveau humain est une machine à fabriquer des réalités, lesquelles nous servent dans notre adaptation, et qui servent nos intérêts, qui que nous soyons.

Les réalités qui furent fabriquées au milieu du XX ième siècle pour expliquer les retards de développement chez les enfants (sans maladies physiques identifiables), s’enracinèrent dans la pâte culturelle de l’époque. C’était l’époque de la psychanalyse, donc les théories fabriquées par les cerveaux de ce temps-là pour combler le manque d’explication, furent de nature psychologique. C’était la mode du temps : le complexe d’Œdipe avec sa panoplie d’idées mélodramatiques et obscènes (le meurtre du père, le désir d’inceste, l’envie du pénis, etc…) la mère schizophrénogénique (inventée par une femme, Frida Fromm-Reichmann), les parents frigides (qui s’étaient dégelé le temps de faire un enfant dixit Leo Kanner à un journaliste du Time Magazine dans les années 1960- pour expliquer l’origine de l’autisme).  Lorsque les freins de la réalité ne sont pas facilement accessibles, l’imagination des cerveaux humains semble ne pas avoir de limites. Ce qui conduisit, pour expliquer les grands troubles de développement chez les enfants, à des extrêmes difficilement imaginables, notamment à l’idée que pour sauver ces ­pauvres enfants, qu’on appelait autistes,  des effets dévastateurs d’une mère froide, il fallait faire une parentectomie, i.e. séparer l’enfant de sa mère pour une période de 2 ans  (ce qui était évidemment  des plus coûteux en terme monétaire) et faire revivre à l’enfant ce qui lui avait manqué, à savoir, un environnement fœtal chaleureux - bains chauds, massages, musique douce et que sais-je encore. Le promoteur de cette thérapie pour les troubles sévères de développement chez l’enfant était Bruno Bettleheim.

Et pour compliquer les choses (nous ne vivons pas dans un monde simple noir ou blanc), il arrive que des idées trouvées folles à une période donnée de l’histoire, comme celle du psychanalyste Bruno Bettleheim pour les enfants autistes, passent l’épreuve du temps.  Un exemple frappant serait celui de ce grec (Anaximandre) qui essayait de comprendre comment l’univers était construit ; son maître (Thales de Milet) lui avait enseigné que la terre était stable parce qu’elle flottait sur l’eau, expliquant les tremblements de terre par les tempêtes sur l’eau ; mais la masse d’eau devait être tenue par quelque chose ; l’idée de base était que tous les corps célestes étaient soutenues par des structures matérielles solides même si ces structures nous demeuraient invisibles. A la réflexion, cela n’avait pas de sens pour Anaximandre, car il fallait expliquer sur quoi reposait l’eau, et sur quoi reposait ce sur quoi reposait l’eau et ainsi de suite. Une régression à l’infini d’où tout le monde sort avec des maux de ventre. De sorte qu’un bon matin Anaximandre déclara sans rire que la terre ne reposait sur rien, qu’elle flottait dans l’espace. Il a dû, ce matin-là, provoquer l’hilarité générale dans la Grèce entière. Et pourtant, il avait raison. Mais il n’en est pas ainsi pour l’idée de Bettleheim pour les enfants autistes ; certaines idées folles demeurent des idées folles. Eric Schopler fut l’un des premiers à documenter par des recherches sérieuses le fait que les parents d’enfants autistes sont des parents normaux. Il devint alors de plus en plus évident que la bonne direction, pour comprendre les retards de développement chez les enfants, était de regarder les enfants.  Et on se mit à les regarder. L’idée originale de Leo Kanner en parlant d’autisme chez certains de ces enfants avait été de distinguer, pour mieux comprendre, des sous-groupes de ces enfants suivant des caractéristiques particulières. L’idée de qualifier et de séparer pour mieux comprendre est une bonne idée. Et cette façon de procéder pour mieux comprendre, initiée par Leo Kanner lui-même pour les retards de développement chez les enfants, a été retenue. Que cherchait-on à comprendre ? Essentiellement deux choses : la cause du retard de développement chez un enfant et la façon de le traiter. On modifia, au cours des années, les critères de qualification (ou les critères diagnostiques comme on les appelle-mais vous savez maintenant que ce ne sont pas, du moins pour l’instant encore, de véritables diagnostics d’un point de vue médical) des enfants autistes. On laissa ainsi, dans notre civilisation moderne occidentale récente, l’Autism Diagnostic Observation Schedule (ADOS) s’imposer comme un standard « diagnostic » de l’autisme.

La question qu’il faut maintenant aborder est la suivante : en est-on arrivé, par l’utilisation de ces critères, comme l’ADOS, en recherche et en clinique, à comprendre, pour une majorité de ces enfants, ce qu’on voulait comprendre ?  À savoir la cause du retard de développement et, subséquemment, la façon de le traiter ?

La réponse à cette question est : non. L’utilisation de ces critères ne définit chez un enfant aucune atteinte dans un de ses organes ou systèmes biologiques qui nous expliquent les signes et les symptômes problématiques. Conséquemment, l’utilisation de ces critères ne nous ouvre la porte à aucune intervention spécifique de traitement. Et pourtant dans la vie courante actuelle, se dégage clairement l’idée que le terme Troubles du Spectre de l’Autisme (TSA) identifie un vrai diagnostic sur le plan médical et qu’il ouvre la porte à des traitements spécifiques. Prenons le temps de digérer ce paragraphe.

D’abord la question diagnostique TSA. L’ADOS n’est-il pas l’instrument diagnostic largement utilisé pour poser le diagnostic chez un enfant ? Effectivement. Utilisé dans les recherches universitaires, dans les cliniques spécialisées en TSA, avec même l’existence d’une certification ADOS, ce qui fait très sérieux. Malheureusement non valide, un véritable QLDM, un Questionnaire du lac derrière la montagne. L’ADOS augmente la précision des signes et symptômes, donc du côté gauche de l’écran mais n’ouvre sur aucun test confirmant une explication pathophysiologique pour ces derniers à l’écran droit. Tout comme le TDAH, il s’agit d’un « diagnostic » de l’écran gauche uniquement, donc d’un ‘diagnostic’ qui est limité à une description de signes et symptômes et qui ne va pas au-delà, donc d’un diagnostic insatisfaisant en terme médical, d’un diagnostic approximatif si on tient à l’appeler un diagnostic.  Mais le « diagnostic » de TSA n’ouvre-t-il pas sur une intervention thérapeutique spécifique appelée l’intervention Intensive Précoce (IIP), décrite en 1987 par Lovass, et qui a fait ses preuves depuis ?

Il est très important de réaliser ici que l’IIP n’a rien de spécifique pour le trouble de développement TSA, malgré tout ce qu’on en dit. Cette méthode consiste essentiellement à répéter et à faire répéter à l’enfant des actions et des paroles qu’il ne maîtrise pas et qu’il devrait maîtriser à son niveau d’âge sur le plan de ses habilités à communiquer. Il s’agit essentiellement d’une approche éducationnelle structurée, qui est très profitable à ces enfants dans la mesure où leur cerveau leur permet de progresser (Churchill 1978).  Vous comprendrez qu’il n’y a rien de spécifique dans une telle approche car tous les enfants ayant des difficultés dans leur développement peuvent et devraient pouvoir bénéficier d’une telle approche éducationnelle, adaptée à leurs difficultés propres.

Lovass n’a pas inventé, mais donné une organisation à une idée bien connue avant lui. Par exemple, en 1974 (Gajazago 1974) on rapporte dans la littérature scientifique le cas de deux enfants avec des retards de développement importants, autistes suivant les critères de Léo Kanner (entendez avec un très sérieux retard de développement), qui ont fait des progrès remarquables à la suite d’approches éducationnelles suivies et constantes de la part de leurs parents, donc, sans interventions professionnelles de type traditionnel.  Cette idée est celle des effets bénéfiques des approches éducationnelles chez les enfants ayant des retards de développement, idée que Lovass a appliquée à des enfants autistes, mais qu’il aurait tout aussi bien pu appliquer également à un groupe d’enfants présentant une déficience intellectuelle ou un trouble mixte de langage. Ce qui diffère d’un enfant à l’autre dans cette approche éducationnelle ce sont les interventions éducationnelles elles-mêmes qui vous seront dictées par nature même et le stade d’évolution des difficultés de l’enfant qui est devant vous.

Suite à la popularisation de cette approche de Lovass, on en est venu à identifier le diagnostic d’autisme (TSA) confirmé par l’ADOS, à ce traitement ‘spécifique’ (qui n’a rien de spécifique) que serait l’Intervention intensive précoce (IIP). Il faut comprendre que ce sont davantage des forces socio-politiques, plutôt que scientifiques, qui ont vendu cette association Diagnostic-Traitement spécifique. Ici comme ailleurs, l’argent est maître et lorsque vous voulez vendre quelque chose il faut se souvenir que les idées doivent demeurer simples ; les idées un peu compliquées se vendent très mal. Diagnostic clair (TSA), confirmé par un instrument simple et largement utilisé (ADOS), débouchant sur un traitement réputé efficace (IIP). Bingo. Et tout ceci ouvre la voie pour bâtir des organisations, des réputations, des carrières et des entreprises de diagnostics et de traitements ; et surtout pour créer un standard facile pour la gestion des services santé ; ceci ouvre également la voie à des cliniques médicales et psychologiques spécialisées. L’autisme et son instrument diagnostique deviennent une denrée facilement comestible et exportable et constituent un point d’appui valorisé par notre société pour l’obtention de crédits.

En tant que pédopsychiatre je me réjouis du fait que notre société accorde enfin des crédits au soutien du développement de ces enfants dit TSA ; ce qui me réjouis moins cependant est l’injustice à l’égard des autres enfants ayant des troubles de développement, qu’on choisit de façon arbitraire de ne pas qualifier de TSA et qu’on prive de l’efficacité des approches éducationnelles dont ils ont tout autant besoin et auxquelles ils ont tout autant droit (Thivierge 2008). Mais pourquoi alors parle-t-on en termes de traitement ou d’approche spécifique lorsqu’il s’agit des approches éducationnelles pour les enfants TSA ?  Pour la même raison que la compagnie Glaxo-Smith Kline (GSK), pour vendre son médicament, a popularisé l’idée que le cerveau des personnes déprimées manquait de sérotonine. Le terme spécifique se conjugue parfaitement avec le terme diagnostic et en renforce la portée, rendant encore plus claire l’idée de diagnostic. Mais malgré ce renfort, le diagnostic de TSA demeure toujours une description de signes et de symptômes confinée à l’écran gauche, sans répondant à l’écran droit. Il est très embarrassant en médecine d’appeler diagnostic une entité qui n’a pas de répondant à l’écran droit. Le malaise nous pousse à inventer une présence du côté de ce vide embarrassant. Pour l’autisme, il y eut au XXième siècle, la prédominance, à l’écran droit d’une explication psychologique des parents, et spécialement des mères froides et distantes, donc une explication non physiologique, mais une explication qu’on donnait pour justifier une condition médicale. C’était médicalement insatisfaisant, vous pouvez l’imaginer. Ces idées deviennent dangereuses et conduisent à des barbaries lorsqu’elles prennent dans notre culture une ampleur telle qu’elles deviennent une idéologie d’avant-plan. Une des barbaries qui sortit de cette idée de la froideur des mères pour expliquer l’autisme fut le centre de parentectomie de Bruno Bettelheim à Chicago dont nous avons parlé antérieurement Ces idées mélodramatiques sont très prisées des romanciers et cinéastes qui, de ce fait, les propagent avec suspense et renforcent malheureusement leur statut de réalité objective dans notre culture.

Mais si on soupçonne, à juste titre, que les troubles de développement d’un enfant sont sérieux comme le sont ceux des enfants TSA ou porteurs d’une déficience intellectuelle (DI), et que ces troubles dépendent en grande probabilité d’une cause organique inconnue, pourquoi alors ne pas se permettre de parler de diagnostic ?

Nous pourrions très bien décider qu’il en soit ainsi et nous en aurions bien le droit, les mots que nous utilisons pour désigner les réalités étant somme toute arbitraires ; ce sont les humains qui décident de la définition des mots. Il faut ici réaliser qu’il y a toujours des conséquences aux termes que nous utilisons pour désigner les réalités, ces conséquences étant en grade parties liées aux connotations idéo-affectives qu’acquièrent ces termes à notre insu dans notre milieu culturel ; dans l’utilisation du terme diagnostic pour les enfants TSA, ce sont ces conséquences qui constituent la base de mon argument contre l’utilisation du terme diagnostic pour désigner ces troubles de développement. Quelles sont ces conséquences ? Je vous en mentionne deux que je trouve importantes :

Rappelons d’abord l’étymologie de ce terme : dia = à travers (en grec), gnosis =connaissance (en grec). Connaître à travers, connaître les bases du problème, connaître l’explication des signes et symptômes chez un malade.  C’est un terme d’espoir et de promesse ; et quelle que soit la modification que vous apportiez à sa définition, cette connotation affective est fermement liée à ce terme dans nos sociétés occidentales. Parce que si nous comprenons ce qui explique nos maladies, leurs diagnostics, alors nait l’espoir d’une porte qui s’ouvre à un traitement spécifique.

Revenons aux conséquences.

Première conséquence : celle de projeter sur le terme de TSA une lumière qui est fausse d’un point de vue médical. Ce terme ‘diagnostic’ débouche sur un écran droit vide ou bourré de fantaisies (la mère froide, le manque de vitamine C, la réaction aux vaccins etc.) Je reviens à l’idée que dans l’état actuel de nos connaissances, le meilleur terme pour désigner les retards de développement chez les enfants demeure : « retard de développement ». Cette appellation n’est pas un diagnostic mais une description condensée, tout comme les termes de TSA, de Déficience intellectuelle (DI) et de Trouble Mixte de Langage (TML) qui malgré leur emplumage soi-disant objectif, ne sont pas des diagnostics mais des termes simplement descriptifs d’un ensemble de signes et symptômes, de comportements, mettant respectivement l’accent sur l’atteinte des habilités de socialisation, d’abstraction et de langage.

 En réalité, c’est que nous ne savons pas expliquer les retards en terme médical pour la très grande majorité des enfants qui en souffrent.  J’aime dans ce terme de « retard de développement » le fait qu’il dit exactement ce qu’il veut dire, sans être au service de la mode du jour qui est de mettre insidieusement en avant sa supposée science à travers des termes soi-disant diagnostiques qui éclairent faussement ; et j’aime également le fait qu’il incite à chercher le vrai, sans jamais mentir et laisser croire qu’on connaît davantage que ce qu’on connaît en réalité. Difficile à vendre, j’en conviens. Mais il me semble qu’on a avantage à souhaiter que les médecins ne soient pas ici très vendeurs.

Deuxième conséquence : celle de trop monopoliser les crédits sous un prétexte médical et de favoriser injustement une catégorie d’enfants présentant des retards de développement au détriment de tous les autres. Cet état de choses explique à mon avis l’augmentation de 20 fois le nombre de cas d’autisme dans nos sociétés à la suite de l’apparition de la version du DSM-IV. C’est ce qu’on appelle une épidémie. Et pourtant l’autisme n’est pas une maladie infectieuse. Comment comprendre cette augmentation faramineuse des cas de cette supposée maladie qui n’est pas infectieuse ?  Je crois que la réponse vous l’avez plus haut : l’argent. Nous sommes très loin de la description de l’autisme par Léo Kanner. L’ADOS est maintenant devenu un instrument administratif lucratif pour toutes les parties. Avec l’avènement de l’approche éducationnelle prônée par Lovass (1987) en Californie, on voit très rapidement diminuer le nombre de cas d’enfant appelés Déficients intellectuels au profit de ceux appelés autistes : le vocabulaire s’adapte aux sources de crédits pour les approches éducationnelles des enfants, appelées « traitement » dans le contexte de la médicalisation des troubles de développement. 

Nous en arrivons donc encore à la conclusion que, tout comme le « diagnostic » de TDAH et le « diagnostic » de psychose, le « diagnostic » de TSA chez l’enfant n’a donc, dans la majorité des cas, rien de convaincant d’un point de vue médical.

LA DEPRESSION :

Difficile de ne pas aborder le sujet de la dépression chez l’enfant dans le contexte de notre discussion.

Au milieu du XXe s, avant la découverte des antidépresseurs, la prévalence de la dépression était de 50 à 100 personnes par million de personnes i.e. 0.01%. Le terme de dépression majeure que nous utilisons aujourd’hui pour caractériser les personnes qui souffrent de dépression aurait très bien convenu à ces patients qui souffraient de mélancolie et dont l’état dépressif était marqué et faisait peine à voir.  De nos jours, il y a 100000 personnes par million de personnes i.e. 10% qui souffrent de dépression majeure. (Healy 2004). Se peut-il réellement qu’en l’espace de 30 à 50 ans il y eut une telle explosion de la même maladie qui, rappelons-le, n’est pas une maladie infectieuse ? L’hypothèse la plus plausible est que les « critères diagnostics » de la « maladie » sont du genre variable et élastique, donc relativement subjectifs, tout comme les diagnostics précédents de TDAH, de psychose et de de TSA. 

La tendance moderne dans l’utilisation du terme de dépression est d’y inclure facilement les manifestations de tristesse et de découragement inévitablement liées au déroulement de la vie de chacun d’entre nous à certains moments.  Le comble de cette tendance avec l’apparition récente du DSM-V est l’inclusion des manifestations de tristesse lors d’un deuil. On médicalise ainsi une réaction parfaitement normale ; c’est comme si la tristesse d’avoir perdu votre femme fait de vous un malade qui doit recevoir un traitement médical. L’industrie du médicament est une force puissante derrière cette tendance avec la complicité non seulement des fabricants de pilules, mais de ceux qu’on appelle les dispensateurs et les administrateurs de soins de santé. On instrumentalise, à travers un questionnaire simple, le diagnostic de dépression, ce qui permet d’appliquer ce terme à un nombre croissant de personnes : on donne ainsi de l’expansion au marché, ce qui accroit la valeur du produit et du service qu’on désire vendre ou populariser. On rassure tout le monde par une explication simpliste : le manque de sérotonine ou la génétique (deux concepts très mode). Et tout cela est très efficace commercialement : on vend des services et des pilules. On voit même l’OMS entrer dans le jeu et affirmer que la dépression est l’une des maladies les plus fréquentes sur la planète. (Je rappelle le rôle qu’a joué l’OMS, avec l’argent de l’Industrie, dans la promotion, la détection et le traitement de l’ostéopénie ; l’ostéopénie n’est pas une maladie et les traitements proposés mettent de l’argent dans les poches des compagnies au détriment des soi-disant malades – on parle ici des médicaments qui supposément préviennent les fractures de la hanche chez les personnes vieillissantes, comme le Fosamax de Merck, l’Actonel de Procter and Gamble.) (voir Thivierge 2010)

Pour en revenir aux enfants. Dans ce contexte, on affirme qu’on vient de trouver un médicament (le Paxil, de la compagnie Glaxo-Smith-Kline GSK) qui peut traiter la dépression chez l’enfant avec une efficacité et une sécurité remarquables (textuellement écrit dans l’article). L’article clef de cette « grande découverte »  est signé par le Dr Martin Keller, un pédopsychiatre chef du département de psychiatrie de l’Université Brown  (Keller 2001) ; cet article est paru dans le journal le plus important en pédopsychiatrie, le Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry (JAACAP) et est signé par non moins  22 auteurs, tous de milieux universitaires respectables, dont un canadien, de l’Université Dalhousie à Halifax, Stan Kutcher, auquel l’Académie Canadienne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent a décerné (une honte à mon avis) en septembre 2014, son prix d’excellence en éducation. Merveilleux progrès de la science me direz-vous.

 L’envers de la médaille :

Cette étude est une fraude et les conclusions proclamées sont l’inverse ce que les données de l’étude démontrent i.e. que non seulement le médicament n’est-il pas efficace dans le traitement de la dépression chez l’enfant, mais encore n’est-il pas sécuritaire (l’article parle d’une sécurité remarquable) ; en effet, le médicament démontre un taux de pensées et gestes suicidaires inacceptable relativement au placebo.

 Vous vous demandez sans doute si vous avez bien lu ce que vous venez de lire. Une fraude ? Un article de recherche, signé de tant de grands noms, provenant de tant de milieux universitaires de renom, publié dans une revue scientifique de premier plan dans le domaine ? Eh bien malheureusement oui, une fraude : vous pouvez bien vous imaginer que les compagnies (ici GSK) qui financent, donc contrôlent, ces études ont, étant très riches, de puissants moyens de cacher leurs fraudes. Et elles le font. Il demeure alors difficile d’avoir accès à la vérité de ces études. Jugez par vous-même : comment avons-nous su pour Paxil ? Laissez-moi vous raconter cette histoire vraie de la façon suivante :

 L’histoire commence avec un délateur qui a fait parvenir à la BBC un mémo interne de la compagnie écrit en 1998 au sujet de l’échec de l’étude (l’étude connue sous le nom de 329) à démontrer l’efficacité du Paxil dans la dépression chez l’enfant (il y eut 2 autres études de la compagnie sur la paroxétine, la 377 et la 701, cette dernière terminée en 2000) ; le mémo se lit comme suit :« Il serait commercialement inacceptable d’énoncer que l’efficacité est non démontrée et ceci saboterait le profil de la paroxétine ».

 Ce mémo a été publié dans le Canadian Journal of Psychiatry (CJP) qui l’a obtenu de David Healy ; David Healy est un psychiatre de Cardiff University qui a été impliqué dans plusieurs poursuites contre les pharmaceutiques et l’une des rares personnes qui, sous ordre de la cour, a pu avoir accès aux données des compagnies, dont GSK pour la paroxétine. Healy (Healy 2012) découvre que les données de l’étude 329 et l’étude 377 ne démontrent aucun bénéfice chez les enfants déprimés par rapport au placebo et de plus, que les enfants deviennent 3 fois plus suicidaires sous Paxil que sous placebo et imipramine (un antidépresseur classique). C’est là exactement l’inverse de ce qui est clairement publié dans l’article scientifique du JAACAP.

Et l’histoire se poursuit avec une avocate de NY, Rose Firestein. Presqu’aveugle, elle travaillait dans le contentieux de l’Etat de NY au moment où Spitzer en était le Gouverneur. Elle avait travaillé pour la cause des enfants noirs présentant des troubles dans leur développement, défendant leur droit à obtenir des approches éducationnelles adéquates. Au moment des évènements du Paxil, elle défendait le droit des enfants placés sous la garde de l’Etat de NY : dans les services de l’Etat où on utilisait des psychotropes comme camisole chimique pour rendre dociles les enfants abandonnés de leurs parents et présentant des troubles de comportement dans les ressources institutionnelles de l’état. Pour éclairer son travail, elle se renseigna sur ces médicaments. Elle découvrit avec stupéfaction que le Paxil donné aux enfants, non seulement n’était pas efficace, mais dangereux à un degré inacceptable. Elle découvrit que 9 jours avant que la FDA ne donne son approbation pour le médicament, les Anglais avaient défendu l’utilisation de la paroxétine chez l’enfant. Mais elle découvre aussi, ce qui est stupéfiant, que la FDA elle-même estime que la paroxétine n’est pas efficace dans la dépression chez l’enfant. Elle se demande alors pourquoi la paroxétine est tellement  prescrite par les médecins. Elle communique donc avec l’éditeur du CJP qui lui fit parvenir le mémo de la compagnie GSK et la mit en contact avec David Healy qui confirma l’exactitude de sa compréhension des faits. L’étude 329, qui a été publiée par Keller et Co., est un ramassis de duplicités et de fraudes :

 -on change le vocabulaire pour atténuer la gravité des faits. Plutôt que de parler de gestes ou de pensées suicidaires chez les enfants qui ont participé à l’étude, on parle de labilité émotionnelle, un terme moins commercialement dommageable

-on exclut de l’étude quatre enfants qui ont présenté des idées ou gestes suicidaires ce qui rend les analyses statistiques non significatives (rappelez-vous le cas du QLDM antérieurement). Laisser ces enfants dans le groupe aurait jeté de l’ombre sur le Paxil du point de vue du sacro-saint test de signification.

-on découvre dans les documents de la compagnie GSK que la compagnie savait depuis les années 90 que le médicament n’était pas efficace.

-Des enfants qui se sont détériorés sous Paxil ont été retirés avec la mention : non observant (ce qui signifie qu’ils ne se conformaient pas au protocole de l’étude). Ce qui évidemment est une fraude.

L’autre tranche de l’histoire se poursuivit ainsi (Bass 2008) : Rose Firestein alla voir Spitzer, le Gouverneur Général de l’Etat de NY pour lequel elle travaillait, lequel décida de poursuivre GSK pour avoir caché les données sur les gestes suicidaires des enfants. La réponse de Spitzer qui attaque un titre si rentable donne des sueurs froides à Wall Street ; Wall Street riposte en accusant Spitzer de fou qui menace la santé publique (discours genre : les médecins auront peur de traiter les enfants déprimés et ils se suicideront), l’accuse de s’arroger le rôle de la FDA. Spitzer répondra que puisque la FDA préfère protéger les puissantes compagnies plutôt que les enfants, il doit lui jouer ce rôle de protéger les enfants de l’état de NY.  A titre d’exemple, et non le moindre, de la complicité de la FDA : le Dr Andrew Mosholder qui travaille pour la FDA et découvre qu’un médicament comme la paroxétine augmente le taux de suicidalité chez l’enfant ; les dirigeant de la FDA (La moitié du budget de la FDA provient de l’industrie) le musellent et l’empêchent de témoigner aux audiences publiques (Avorn 2005).

 Maintenant, parlons argent et Paxil.

 Il faut savoir que le Paxil était le dernier né et le moins efficace des ISRS i.e. les nouveaux antidépresseurs. GSK dépense 92 millions en 1 an, profitant des angoisses suscitées par l’effondrement des tours le 9-11 pour publiciser son Paxil contre l’anxiété. L’excellent marketing du produit en a fait un blockbuster de 3 milliards par année (Moynihan 2005). Ces chiffres, tout comme les années lumières en astronomie, dépassent l’entendement courant ; pour en faire saisir l’énormité, il serait bon de dire qu’un milliard par année équivaut à 2.7 millions par jour pendant 365 jours. Mais si énormes soient les chiffres, l’avidité des corporations est sans limite et elles insistent pour ouvrir de nouveaux marchés, notamment du côté des enfants. Et vous comprendrez qu’avec des milliards dans la mire, les cadavres doivent être nombreux et bien au soleil pour constituer un obstacle. Le jour où la poursuite a été enregistrée, les actions de GSK ont chuté de 3.2%.

GSK a rejeté les accusations de l’Etat de NY comme non fondées, mais a accepté de payer 2.5 millions et accepté de rendre publique les données de ses recherches cliniques.

Plus tard, en 2011 GSK a été trouvé coupable au civil et au pénal et condamné à payer l’amende la plus élevée qu’une compagnie pharmaceutique eût jamais à payer à ce jour pour une poursuite concernant un seul médicament, soit 3 milliards de dollars.

 Pourquoi, direz-vous, cette longue digression sur le Paxil et l’argent alors que nous traitons de la valeur diagnostique du terme de dépression chez l’enfant ? Parce qu’elle place le terme diagnostique de dépression dans son juste contexte moderne qui en est un de définition soi-disant objective et d’argent. Pour vendre il faut rejoindre le besoin (réel ou créé de toute pièce) avec une idée attrayante et simple. Voilà pourquoi les pharmaceutiques donnent dans la fabrication des maladies pour vendre leurs médicaments. Elles prennent soin d’habiller leurs maladies d’une belle robe d’objectivité (visibilité des docteurs, des journaux médicaux, de beaux graphiques du cerveau, d’études de consensus universitaires, de ministres de la santé, d’organismes de régulation des médicaments etc…)  et de la promesse de dessous paradisiaques (leurs pilules). C’est en raison de cette situation et de cette force, et non pas en raison des découvertes scientifiques, que nous voyons se transformer, disparaître et apparaitre en psychiatrie moderne, un grand nombre de maladies. C’est ce qui explique l’utilisation abusive des questionnaires à tous les niveaux de la pratique dans la définition des maladies. Un des grands-prêtres du marketing, Vince Parry fait l’éloge de cette trouvaille de l’utilisation de questionnaires dans un domaine (dépression et anxiété) où n’existent pas de marqueurs biologiques (Moynihan 2005). Mais l’apparence d’objectivité suffit amplement ici à notre culture moderne d’apparence. Chris Hedges, (2009) (qui connaît bien la misère humaine pour avoir été journaliste de guerre pendant 30 ans) nous rappelle que Martha Stewart a bâti son empire financier en expliquant aux femmes qu’un décor bien conçu pouvait rendre leur maison parfaite. Jamais il n’est question de ce qui se passe au foyer, de la réalité des relations familiales : tout est dans les apparences.  Je me prends quelquefois à penser que la psychiatrie moderne est devenue la Martha Stewart des problèmes de comportement chez l’humain.  Les problèmes de comportement (dans le sens large, on s’entend) ? Simple : bon diagnostic (DSM), bonne pilule.  Le ton est donné : c’est ce que j’appelle l’approche DSM-Pilule. Dans des cas où les problèmes de comportement bien réels ne peuvent manifestement aboutir à un diagnostic et à une pilule, de jeunes psychiatres qui me disent : « ce n’est pas psychiatrique, je ne sais pas quoi leur dire ».  Je me demande : c’est ainsi que nous avons formé nos résidents ? avec cette mentalité de gestionnaire à l’esprit de mandat, entendu comme champ d’intervention étroitement découpé dans la complexité du réel ?

On ne traite plus nos patients, on en fait la gestion. Et pour faire une bonne gestion, il faut avoir de bons standards. Que ces standards soient vrais ou faux a peu d’importance en soi pour le gestionnaire ; cet aspect lui est très secondaire ; ce qui lui importe c’est que le standard soit socialement accepté, qu’il constitue une règle sur laquelle il puisse en toute impunité appuyer sa décision et se défendre en cours en cas de poursuite.  « Ce n’est pas une question de bon sens, c’est une question de loi » m’a un jour répondu une gestionnaire des Centres Jeunesse de Québec lors d’une discussion concernant les méthodes d’intervention avec un enfant. Et voilà, nous y sommes : nous retrouvons ici la grande utilité des diagnostics et du DSM. Dans ce monde de l’enfant où foisonnent les administrateurs et les gestionnaires (Services de Santé, Services d’éducation, Services juridiques etc…), on comprend l’attrait pratiquement irrésistible d’un diagnostic clair pour les enfants qui ont des troubles de comportement.  Cela, l’Industrie l’a bien compris, raison pour laquelle elle accorde les plus grands honneurs à ce terme dans ses propagandes. J’aimerais pouvoir me laisser aller au confort des « bons diagnostics » dans mon domaine. Malheureusement, pour la grande majorité des cas que je vois dans ma pratique, il n’y a pas de bons diagnostics mais comme tout le monde, je rêverais d’en disposer.

Il m’est impossible de conclure ce chapitre sans aborder la question suivante, qui est complexe et capital.  Dans la réalité de la clinique en psychiatrie, existent des personnes qui ont des maladies mentales réelles, et ceci, suivant l’intuition concordante des cliniciens qui évaluent ces personnes. Je fais ici référence, par exemple, à des adultes avec une histoire persistante de comportements typiques de la schizophrénie ou de la psychose maniaco-dépressive. Or la grande majorité de ces patients n’ont rien à l’écran droit, tout au plus quelques ombres. Est-ce que ceci veut dire qu’ils ne font pas de maladie, i.e. est-ce que ceci veut dire qu’on exclut, pour expliquer leur état, la présence de toute anomalie de structure ou de fonction dans un de leurs organes pour expliquer leur état ? Les idées que nous avons développées à date nous poussent à nous poser cette importante question. Mon opinion à cet égard, (car en l’absence de matière à l’écran droit la réponse ne peut être qu’une opinion) rejoint celle de la majorité de mes collègues médecins : nous parlons alors de diagnostic car le tableau clinique est imposant et persistant et qu’il est raisonnable de croire qu’il s’explique par la présence d’une maladie. Mais raisonnable ne veut pas dire évidence : il a longtemps été raisonnable de croire que le soleil tournait alentour de la terre. La position consistant à considérer ces patients comme ayant une maladie demeure toujours une question d’opinion, opinion que nous espérons tous voir se confirmer par des évidences à l’écran droit, un jour prochain. Alors pourquoi tant se préoccuper de la question des diagnostics comme nous l’avons fait tout au long de ce livre ? 

La réponse courte est la suivante :

 -Parce que nous parlons d’enfants, donc d’êtres humains en plein développement chez lesquels nous ignorons largement le potentiel de développement.

-Parce qu’un diagnostic médical limite les capacités d’adaptation de l’être humain dans le cadre d’une déficience biologique. Une personne avec un diabète sucré doit nécessairement tenir compte de sa maladie dans son adaptation au monde.

-Parce que les diagnostics en pédopsychiatrie ne sont pas des diagnostics médicaux valides mais que le fait de les considérer comme tels conduit à des façons de voir ces enfants à travers des œillères qui médicalisent et limitent les interventions d’aide à leur égard. A toujours parler de maladie, nous finissons par ne penser que médication.

-Parce que parler de diagnostic médical finit par faire croire à tous que l’enfant est malade et finit par faire croire à cet enfant qu’il a une maladie.

 Pour toutes ces raisons, nous devons nous préoccuper de la question des diagnostics comme nous l’avons fait dans ce chapitre. Nous avons retenu une définition claire de ce que nous considérons un diagnostic valide dans le champ de la médecine (Ecran gauche et Ecran droit) et nous avons fait ressortir le fait que des diagnostics d’une telle qualité n’existent à peu près pas en psychiatrie et pédopsychiatrie. L’hypothèse de la présence d’une maladie peut être raisonnable dans des circonstances cliniques où les problèmes de comportements sont majeurs et persistants. Mais à mon avis, l’hypothèse de la présence d’une maladie ne peut pas être tenue pour raisonnable si rapidement chez les enfants ; il faut résister au courant actuel de médicalisation trop rapide des difficultés comportementales de l’enfant. J’espère que ceci clarifie le contexte pour lequel nous nous préoccupons de la question des diagnostics. N’oublions pas qu’un tel terme conduit à des actions qui inévitablement s’automatisent à l’usage. Nous devons nous interroger sur la valeur de ces actions à l’égard de nos enfants.

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Chapitre 4

LA MÉDICATION

 Par Jacques Thivierge, médecin et pédopsychiatre

Histoire de Marie : un diagnostic complexe

Marie, une adolescente déficiente intellectuelle de niveau léger, fut référée à un pédopsychiatre en raison des importantes crises de comportement qu’elle présentait. Ces crises étaient homériques : surtout à l’occasion de refus, elle se mettait à hurler, à déchirer ses vêtements, à tirer les cheveux (les siens et ceux des autres), à frapper, etc. Grand état d’agitation au cours duquel elle invectivait abondamment les personnes de son entourage, ne ménageant pas les grossièretés. Ces crises pouvaient durer de 40 à 60 minutes et survenaient autant à la maison qu’à l’école, où elles exaspéraient tout le monde. Enfant unique, elle vivait dans un environnement des plus chaleureux avec des parents, qui comme beaucoup de parents d’enfant présentant des difficultés dans son développement, faisaient tout pour lui rendre la vie la plus douce et la plus agréable possible. Dans cette famille en particulier, cet élan naturel des parents, avait pris la forme d’une grande attention aux demandes de leur enfant et à son confort matériel. Sa chambre était digne des chambres de princesse des contes de Walt Disney avec tous les accommodements modernes et une quantité impressionnante de toutous et de poupées, qu’elle accumulait depuis des années, et dont elle ne voulait jamais se départir.

Dans l’histoire de son développement, le psychiatre note que Marie, même toute petite, avait toujours eu son « caractère i.e. qu’elle ne se gênait pas pour manifester son mécontentement lorsque les choses ne lui plaisaient pas. Le psychiatre supposa que ces manifestations de mécontentement s’étaient accrues en intensité au cours des années à la faveur d’une attitude toujours trop permissive de la part des parents. Dans ce contexte, il crut que la situation actuelle de désorganisation majeure pouvait résulter de cet état de chose, i.e. que les habitudes d’intervention entre les parents et l’enfant les avaient conduits à une situation un peu désespérée. Conséquemment, il pensa qu’avant d’introduire une médication psychotrope de quelque nature qu’elle soit dans le corps de cette enfant, il fallait d’abord éliminer cette hypothèse et aider les parents à intervenir différemment avec Marie. Malgré la simplicité de cette idée, il s’agit toujours là d’un travail difficile, car il n’est jamais facile pour quiconque de changer ses habitudes. Ce travail s’avéra particulièrement ardu avec cette famille, la mère de l’enfant estimant que sa fille souffrait d’une maladie mentale car, dans sa famille, il y avait des cas de psychose maniaco-dépressive. Les parents demeurèrent toujours réticents à investir leurs énergies dans des interventions différentes, estimant que le problème était ailleurs. Après un certain temps, le psychiatre, devant l’impossibilité de vérifier son hypothèse (le changement du comportement parental) et devant la persistance des désorganisations majeures, se rendit aux arguments de la mère et prescrivit du lithium à l’enfant. Les crises majeures de désorganisation disparurent du tableau clinique. La mère avait raison. Le p

 

a discussion que nous avons eue antérieurement au sujet des diagnostics en psychiatrie. Il est réconfortant de penser que dans le cas de cette adolescente, le bon diagnostic psychiatrique est celui de Psychose Maniaco-Dépressive (PMD ) et le bon traitement, le lithium. Y a-t-il quelque chose de vrai dans cette façon de voir les choses ? Dire que cette façon de voir est vraie c’est affirmer que nous avons ici affaire à un vrai diagnostic médical, i.e. pour reprendre notre image, à un ensemble de signes et de symptômes à l’écran gauche qui suggèrent une hypothèse diagnostique que vient confirmer le résultat de tests à l’écran droit. 

(N.B. se référer à l’image utilisée au Chapitre 2 pour définir un bon diagnostic en médecine, à savoir des problèmes –que nous avons mentalement placés sur un écran gauche- et les explications biologiques de ces problèmes –que nous avons mentalement placés sur un écran droit-)

SIGNES et SYMPTÔMES : Dans le cas de Marie, qu’avons-nous ici à l’écran gauche?  Essentiellement des accès de plus en plus intenses et fréquents de comportements problématiques, de l’irritabilité, de l’anxiété une grande agitation..

RÉSULTATS DES TESTS 

Nous ne retrouvons pas le tableau typiquement adulte de la PMD. Pouvons-nous quand même considérer l’hypothèse d’une PMD pour expliquer ces symptômes ? Nous pouvons risquer un oui, d’une part parce que les symptômes des maladies psychiatriques connues chez l’adulte n’offrent généralement pas chez les adolescents la présentation typique retrouvée chez l’adulte, et d’autre part parce que depuis les vingt derrières années, le diagnostic de PMD a subi des transformations telles qu’un étudiant en psychiatrie qui n’envisagerait pas cette possibilité pour cette patiente serait surement coulé à ses examens. Est-ce un progrès de la science ? Un raffinement moderne des catégories diagnostiques ? Attardons-nous un peu à cette question.

PMD et bipolarité

La PMD est une maladie psychiatrique majeure, connue depuis longtemps.  En 1949, un psychiatre australien, Cade, a découvert que le lithium apportait un bien-être insoupçonné à ces patients. Assez étrangement, les raisons pour lesquelles il estimait que ce médicament fonctionnait étaient toutes fausses ! Mais le lithium produisait le miracle d’un apaisement chez des personnes irrémédiablement agitées.  Il le produit toujours aujourd’hui « pour ces patients », et nous ne savons toujours pas pour quelles raisons.

Relativement à « ces patients », il s’est produit récemment une transformation assez étrange et insoupçonnée à leur égard. En effet, la psychiatrie moderne a pratiquement abandonné le terme de PMD. Le terme in est aujourd’hui celui de bipolarité; on le retrouve sur toutes les lèvres compétentes, dans toutes les revues médicales et dans tous les textbooks de psychiatrie, et il a même trouvé sa place dans le vocabulaire quotidien de nos ados « T’es ben bi toé ! ». Ce terme a même fait son apparition dans le domaine de l’enfant, ce qui n’était pas le cas auparavant. Un psychiatre du  Massachusetts General Hospital (MGH),  (un peu le Saint Pierre de Rome des hôpitaux modernes) Joseph Biederman, a popularisé le diagnostic de bipolarité chez l’enfant et on a ainsi vu une augmentation (tenez-vous bien!) de 40 fois le nombre « d’enfants  bipolaires» avec la publication du DSM-IV ( Frances 2013). Une épidémie inattendue. Étrange épidémie où il n’y avait pas de microbes, mais où il y avait peut-être, vous ne serez pas surpris de l’apprendre, beaucoup d’argent.

Il serait trop long de donner tous les détails de cette histoire. Disons simplement que le terme fut inventé dans les arcanes de la compagnie pharmaceutique Abbott qui cherchait à ouvrir un nouveau marché pour son médicament, l’acide valproique. La nouvelle indication de régulateur de l’humeur fut proposée, très adaptée à la condition de bipolarité, terme qui, assez incroyablement, en arriva à effacer de la carte le terme de PMD. Une fois la brèche de la bipolarité ouverte, plusieurs autres pharmaceutiques se lancèrent dans l’aventure de ce nouveau marché avec leur molécule. Ce fut notamment le cas de Jennsen. Biedermann (dont nous avons déjà parlé), le porte étendard de la bipolarité chez l’enfant, a été largement financé par Jennsen, avec son risperdal. Bel exemple de la médecine et de la psychiatrie moderne qui se laissent prendre en otage par les corporations. Nous avons abordé ailleurs ce thème important (Thivierge 2010) qu’il est toujours essentiel d’avoir à l’esprit lorsque nous parlons de médecine moderne.

Revenons à Marie et à son diagnostic. Est-elle bipolaire, ou peut-être mieux, PMD ? Il est ici important de comprendre que même pour Marie, qui a bien répondu au lithium et qui aurait dans son hérédité un passé de PMD il n’y a toujours rien à mettre actuellement à la partie droite de l’écran. C’est un fait important qui ne veut pas dire, comme c’est souvent interprété, que la cause de son état est d’origine psychologique. Cela veut tout simplement dire que pour l’instant, dans l’état actuel des connaissances, nous n’avons rien à mettre à l’écran droit pour expliquer le comportement de Marie, sauf peut-être quelques ombres. Quelles sont ces ombres : l’ombre de la présence de PMD dans son hérédité, l’ombre de sa réponse au lithium. Mais ce ne sont que des ombres, et il est important de se souvenir qu’il peut être périlleux de prendre ces ombres pour des réalités, même si, « ça marche ».  Jaime ce que dit ce personnage de William Faulkner (1957) :

            “ If it aint complicated it dont matter whether it works or not, because if it aint complicated up enough it aint right. So even if it works, dont believe it.”           

Regardez par exemple ce qui est arrivé dans le domaine des enfants dits TDAH; au début, on disait que ces enfants souffraient d’une Dysfonction cérébrale mineure. Ceci était basé sur l’ombre « convaincante » à l’écran droit, d’une histoire réelle d’encéphalite chez certains d’entre eux. Ce qui arriva par la suite ? On prit l’habitude de projeter, sans autre forme de preuves, cette ombre à l’écran droit de tous les enfants qui à l’écran gauche se montraient inattentifs, impulsifs et facilement distraits.  La propagande des pharmaceutiques fut explosive, on y crut et on en vint à considérer le TDAH (appellation moderne de Dysfonction cérébrale mineure) comme un véritable diagnostic médical, projetant à l’écran droit l’ombre d’une atteinte cérébrale. En conséquence, une proportion honteusement élevée de nos enfants en Amérique du Nord se retrouvent sous psychostimulants (le Québec champion au Canada), une médication très bien supportée par les règles de gestion de nos organismes publics, à tous les paliers, i.e. organisations gouvernementales, scolaires et médicales. Les ombres ne sont pas sans conséquences pour nos patients et c’est la raison pour laquelle il faut s’en méfier lorsque nous tentons de comprendre et d’aider le patient qui nous est référé.

Approximation des diagnostics

Cette situation d’ombre caractérise bien, à mon avis, la situation qui est celle du psychiatre dans la prescription de médicaments à ses patients. Elle constitue la situation de départ sur laquelle son rôle doit être défini. Nous ne disposons dans notre spécialité d’aucun marqueur biologique pour la grande majorité de nos patients, ce qui veut dire que la partie droite de l’écran demeure désespérément vide, sauf pour quelques ombres, parfois. Ce qui veut aussi dire que nos soi-disant diagnostics, malgré toutes nos tentatives modernes de les enrober d’une allure objective, demeurent des concepts approximatifs qui ne peuvent donc qu’approximativement servir de guide au traitement.  Il est donc rare qu’on puisse parler d’un traitement spécifique découlant d’un bon diagnostic; il existe très peu de diagnostics précis ici, en dépit de la rhétorique grandiloquente et trompeuse de nos institutions, et de plusieurs de nos chercheurs, entre autres, qui sont constamment à la recherche de crédits et qui savent, comme les pharmaceutiques, qu’une idée se vend d’autant mieux qu’elle est simple.

Robert Spitzer, le psychiatre qui a donné au système « diagnostique » moderne en psychiatrie ses lettres de noblesse, était d’avis que si le processus du diagnostic ne peut pas diriger le traitement, alors il n’a pas de but pratique et convaincant ( Moncrieff  2013).  Nous ne pouvons qu’être d’accord. Spitzer espérait donner à la psychiatrie des diagnostics médicaux utiles. L’idée était bonne. Ce fut un échec. A moins évidemment que vous ne décidiez que la chanson à la mode des diagnostics clairs et des traitements spécifiques régulièrement entendue sur les ondes de nos organismes « responsables » soit la bonne, i.e. pour la dépression majeure, les antidépresseurs; pour la psychose, les antipsychotiques; pour les TDAH , les psychostimulants; pour la bipolarité, le lithium. Confus(e) ? Il y a de quoi. Rappelez-vous que ces termes sont de pseudo-diagnostics. Leur utilité est de décrire des comportements.  Ce sont des termes de l’écran gauche, mais l’écran droit demeure dans la majorité des cas toujours vide. Ces termes (dépression majeure, psychose, TDAH, bipolarité) décrivent mais ne font rien comprendre qui vaille d’un point de vue médical; ce sont des descripteurs, non des diagnostics. Un vrai diagnostic en médecine fait comprendre sa raison d’être au-delà de sa description. Alors qu’en est-il de Marie et de son diagnostic, et du psychiatre qui veut la traiter ?

Dans le cas où il est clairement établi que le lithium apporte un soulagement réel et durable pour Marie, les médecins opteront sans problème pour l’ajustement et le maintien de cette médication.  Là où il y aura divergence chez les médecins, ce sera dans leurs attitudes respectives à l’égard des ombres à l’écran droit.  Certains y verront des semblants d’ombre, d’autres des ombres assez discernables, d’autres enfin des ombres plus tranchées, parfois si tranchées qu’elles deviendront pour eux des réalités matérielles. J’ai personnellement la conviction, comme la très grande majorité des psychiatres, que pour certains de nos patients, peut-être pour Marie un jour, ces ombres à l’écran droit se transformeront en réalités matérielles tangibles sur le plan biologique. Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui et je crois que cela devrait être clair dans l’esprit de chacun, surtout dans l’esprit du médecin qui prescrit. Si nous l’oublions, nous prendrons naturellement l’habitude de voir à l’écran droit des ombres de plus en plus marquées, au point de les confondre avec des réalités tangibles, de ne plus nous poser de questions et d’en arriver à croire que ces ombres justifient de vrais et valides diagnostics médicaux. Ce qui n’est pas de bon augure. Un tel réflexe ne m’apparait pas étranger au nombre effarant d’enfants sous psychotropes en Amérique du Nord.

Mais comment, dans cette situation ambigüe, décider de l’administration d’un psychotrope à un enfant ?

D’abord, bien réaliser que nos diagnostics en psychiatrie sont, d’un point de vue médical, des mascarades de diagnostics, et ceci, je le répète, en dépit de la rhétorique tapageuse de ceux auxquels profite l’idée d’un diagnostic clair et qui en font la promotion. Tout se passe comme si nous ne voulions définitivement pas réaliser le fait que nos soi-disant diagnostics DMS n’ont de clair que le noir et blanc de leur écriture sur le papier. Nous voulons l’oublier, ne pas nous souvenir de certaines histoires, par exemple, l’histoire de Rosenhan (1973), qui demande à huit personnes saines de se présenter à l’urgence psychiatrique d’hôpitaux américains et de simplement raconter qu’ils entendent des voix qui leurs disent : vide, creux et sourd; au-delà de ce fait, il leurs demande de répondre normalement aux questions et de se comporter naturellement. Ces huit personnes furent toutes admises dans des hôpitaux psychiatriques pour des périodes s’étalant de 7 à 52 jours; on leur administra à toutes une médication psychiatrique (une moyenne de 14 pilules par jour) et elles furent toutes libérées avec un diagnostic de schizophrénie. Lorsque la « supercherie » fut révélée, les milieux psychiatriques crièrent à la trahison. Des urgences mirent Rosenhan au défi de leur envoyer de nouveaux faux patients dans les semaines à venir; Rosenhan accepta le défi. Après quelques semaines les urgences rapportèrent fièrement avoir identifié quarante et un (41) faux patients. Or Rosenhan n’avait envoyé aucun faux patient. Fatiguant!

Donc, pour répondre à la question, dans ce cas, le médecin doit combattre son réflexe naturel de croire que la « catégorie diagnostique » qu’il retient suggère une déficience physiologique qu’il doit corriger par son traitement. Un bon diagnostic médical est quelque chose d’inestimable lorsque la nature du problème est médicale. Pour la grande majorité de nos patients en psychiatrie, notre culture occidentale admet une nature médicale qui ne repose que sur des suppositions, sur des mythes, sur des ombres. Ce qui veut dire que le « soi-disant diagnostic médical que nous portons » constitue un mauvais guide pour le traitement également médical qui s’ensuit. Nous avons infiniment plus de chances de mieux comprendre les problèmes de nos patients en tentant de dégager les forces interpersonnelles et sociales qui agissent sur eux, qu’en accordant de l’importance au profil biologique et génétique d’une quelconque molécule chez eux, comme la sérotonine par exemple. Mais voilà ce que nous n’aimons pas, et ce qui me semble expliquer pourquoi nous continuons à jeter aux oubliettes l’histoire de Rosenhan. Depuis ses débuts la psychiatrie est une profession qui a du mal à établir fermement sa place à l’intérieur de la médecine.  Mais ce biais qui pousse à définir trop rapidement des maladies et leurs traitements médicaux n’est pas un biais uniquement propre aux médecins et aux psychiatres. Rappelez-vous le Dr Hawley et ses cotes ( voir chapitre 1). Tous les humains espèrent avoir une réponse simple (la pilule est une réponse on ne peut plus simple) aux problèmes complexes qu’ils éprouvent.

 Cependant, si nous voulons être efficaces en tant que médecin, nous devons définir les problèmes de nos patients d’une manière aussi fidèle que possible à leur réalité. Or pour la majorité des patients que nous voyons en pédopsychiatrie, la nature de leurs problèmes, malgré ce que plusieurs préconisent, n’a souvent rien de médical. Nous devons alors être disposés à explorer et définir avec compétence les vraies dimensions des problèmes et voir si la médecine, malgré l’absence d’un diagnostic médical, peut quand même intervenir d’une façon utile. Élucidons cette question.

En tant que médecin je dois réaliser que je n’ai pas besoin d’un diagnostic médical et surtout pas d’un diagnostic bidon pour offrir à mes patients des interventions qui peuvent être utiles d’un point de vue médical

Histoire de Julien, quand des neuroleptiques s’imposent

Julien, un patient autiste, peu verbal, que j’ai connu enfant, qui demeure chez sa mère, laquelle est séparée du père. Il a maintenant douze ans; il agresse sa mère à un rythme croissant, de sorte que cette dernière présente régulièrement des ecchymoses sur le corps, visite après visite. L’enfant est costaud et je crains pour la sécurité de la mère et, par ricochet, pour celle de l’enfant. Au cours des années, la mère a reçu un support suivi de la part d’excellents éducateurs et éducatrices pour tenter de solutionner ce problème par des approches comportementales. Aujourd’hui le problème a atteint un nouveau seuil et la mère craint de se faire blesser sérieusement. Un jour, dans ce contexte, la mère entre dans mon bureau et me dit réaliser que la qualité de vie de son enfant et la sienne sont définitivement compromises et qu’elle veut tenter de les améliorer par la médication. L’utilisation de psychostimulants a été discutée à plusieurs reprises antérieurement avec la mère, et essayés avec des succès mitigés, alors qu’il était beaucoup plus jeune et qu’il n’était pas sous mes soins. Donc aujourd’hui, au chapitre de la médication, nous en sommes rendus aux neuroleptiques, médicaments qui à moyen et long terme ont des effets secondaires importants, dont celui, si pris de façon continue, de diminuer l’espérance de vie (Healy 2012). En dépit de ces terribles effets secondaires possibles, je suis parfaitement d’accord avec la position de la mère qui accepte d’éprouver l’effet de ces médicaments sur la qualité de vie de son enfant et sur la sienne. Nous décidons d’administrer un neuroleptique qui a depuis amélioré la qualité de vie de cet enfant, du moins à ce jour; car il est important de réaliser que les acquis peuvent s’effacer. Vous comprendrez que le suivi médical demeure une nécessité dans ce cas.

Histoire d’Anne, autisme et contrôle du comportement

Anne est une autiste qui vit dans sa famille avec trois autres enfants. Anne ne parle pas mais s’exprime par des gestes. Comme elle a du caractère, ses gestes n’ont souvent aucune douceur. Dans la famille, aucun problème d’agression à cette époque. Le père se montre ferme avec l’enfant, lui parlant d’un ton énergique et intervenant avec des arrêts d’agir appropriés lorsque nécessaire. À l’école, qui est une école spécialisée pour les enfants avec problèmes de développement, les difficultés sont rapportées comme majeures : elle frappe les autres enfants, les prend à la gorge, frappe également les intervenants, etc. L’inquiétude du milieu scolaire est telle qu’on pense lui interdire la fréquentation de l’école et la scolariser à la maison, quelques heures par semaine. Une réunion a lieu à l’école réunissant un grand nombre de personnes impliquées avec cet enfant, dont les parents, l’enfant et moi-même. Les éducateurs de l’école qui demeuraient un peu incrédules devant les affirmations du père, à l’effet qu’il n’avait aucun problème important de comportement avec sa fille, ont dû se rendre à l’évidence : même dans une situation longue et monotone pour l’enfant, donc propice à déclencher ses comportements agressifs. L’enfant n’a présenté durant cette heure et demie, aucun comportement agressif. Elle était assise à côté de son père, à dessiner et à faire des casse-têtes; le père n’est intervenu qu’à deux ou trois reprises de façon chaleureuse et ferme. Comme la loi interdit au personnel de l’école de faire des arrêts d’agir même lorsque le personnel y agit comme substitut parental et qu’il relève du simple bon sens d’agir de cette façon, les choix qui restent sont, soit scolariser l’enfant à la maison, soit tenter une médication pour vérifier si elle permettrait à l’enfant de fréquenter l’école sans qu’elle ne constitue, dans les circonstances, un danger pour elle-même et pour les autres.  Après discussion, un neuroleptique fut introduit (les autres médicaments ayant été introduits à l’essai antérieurement) et l’enfant put terminer son année scolaire en fréquentant sa classe.

Histoire d’Isabelle, les effets bénéfiques des psychostimulants

Isabelle, une fillette de 8 ans, placée en famille d’accueil depuis son tout jeune âge, sans contact avec ses parents biologiques, vit avec quatre autres enfants chez des parents d’adoption qui ont un excellent investissement affectif avec elle. Elle-même a établi des liens significatifs au cours de ces années avec toute cette famille. C’est une enfant qui sur l’échelle de l’agitation se situe vers l’extrême de la courbe, avec toutes les conséquences que cela comporte.  Les parents ont consulté leur médecin de famille, lequel a parlé de TDAH et administré un psychostimulant et référé l’enfant en pédopsychiatrie. Je vois l’enfant après plusieurs mois. Enfant charmante, calme dans mon bureau avec un bon contact, des intérêts variés, un désir manifeste de bien faire les choses. Les parents d’accueil rapportent que la médication a amélioré la situation de façon très significative dans leur famille, et à l’école; ils ne peuvent plus concevoir un retour en arrière. Lorsque nous considérons la situation de cette enfant, il est clair que nous ne voulons pas la compromettre davantage. J’ai donc maintenu sa médication. Aux vacances d’été, après discussion avec les parents d’accueil sur les effets secondaires de ces médicaments, ceux-ci approuvèrent un essai d’ajustement à la baisse. Le niveau d’agitation redevint extrême malgré la lenteur de l’ajustement à la baisse. Faute de cette médication, cette enfant courrait le risque de perdre l’immense avantage de continuer à vivre dans une bonne famille d’accueil. En tant que médecin, je suis heureux de pouvoir disposer de ces médicaments dans de telles circonstances.

Mathyas est cet enfant dont nous avons déjà parlé antérieurement dont le cerveau a été intoxiqué par la cocaïne pendant la période fœtale. Il est certain que sans médication, cet enfant viendrait à bout de ses parents d’accueil pourtant si aimants, tellement son état d’agitation serait extrême.

Médicalisation des problèmes de comportement

Il est donc clair dans mon esprit que l’administration de médicaments peut être d’un grand bénéfice pour certains enfants. Il m’est aussi évident qu’un nombre inacceptable d’enfants et d’adolescents dans nos sociétés occidentales se retrouvent à prendre des médicaments psychotropes. Je vois comme un des rôles importants du psychiatre d’aider les parents à faire le point sur cette question; rôle qui n’est pas facile car nous vivons dans une culture de médicalisation des problèmes de comportement chez l’humain. Il faut comprendre que d’un point de vue professionnel, cette tendance à la médicalisation des problèmes simplifie à l’extrême les difficultés qu’ils posent dans l’immédiat. Cette simplification présente des avantages pour à peu près tout le monde : d’abord pour les patients et les parents qui trouvent réconfortant de pouvoir mettre un diagnostic explicite sur leur détresse, et qui suggère un traitement qui soulage leur enfant. Également pour toutes les personnes (médecins, travailleurs sociaux, psychologues, éducateurs, psychopédagogues, orthophonistes, etc. qui travaillent dans les services de santé; la direction claire fournie par cette approche explique l’insuccès des approches non médicamenteuses, lesquelles sont d’ailleurs souvent proposées trop timidement pour venir à bout de ces problèmes.

Bien qu’il soit politiquement incorrect de paraitre blâmer les parents, il est bien sûr dans les règles de l’art de soulever la question de leurs méthodes d’intervention et souvent de souligner l’importance d’une action à ce niveau. Un sérieux travail! Car de nos jours, une suggestion même bien fondée est dans ce cas pleine d’embuches , ces embuches allant de la crainte que les parents se sentent blâmés,  jusqu’ à la loi fédérale qui interdit sous peine de poursuite au criminel, les arrêts d’agir de la part des adultes qui assument chez nos enfants le rôle de substitut parental. À tout point de vue, pour un grand nombre de raisons pratiques, l’approche DSM-pilule constitue l’approche qui semble la plus évidente et la plus rentable, mais pas nécessairement pour le patient.

Toujours relativement à la médication, un des rôles important du psychiatre ne se réduit pas à aider les parents ou les patients à déterminer si une médication psychotrope aiderait dans les circonstances, et en ce cas, quelle médication choisir. Un autre rôle important, et encore plus difficile, est celui de guider les parents dans l’ajustement à la baisse de cette médication psychotrope. Et quand se terminera le traitement ? C’est toute la question de sa durée. Deux possibilités en médecine : il se terminera lorsque la maladie sera guérie (une infection pulmonaire, par exemple) ou il ne se terminera pas car le traitement compense une déficience physiologique permanente (dans le cas du diabète sucré par exemple). De laquelle de ces deux possibilités relève le traitement médical des troubles psychiatriques modernes? En psychiatrie, l’image courante de la médication est de se rapporter à une déficience physiologique (la norépinephrine pour le TDAH, la sérotonine pour la dépression, la dopamine pour la schizophrénie), images dont l’acceptation générale fait chaud au cœur des compagnies de communication qui reçoivent des contrats des compagnies pharmaceutiques. Image puissante et puissamment entretenue. C’est contre cette image omniprésente dans notre société que doit livrer bataille le médecin qui désire ajuster à la baisse les médicaments psychotropes administrés aux enfants. Comme tous les milieux sont fortement imprégnés de cette image, qui définit présentement ce que nous pourrions appeler le gros bon sens en la matière, on devra d’abord bien expliquer à tous ceux qui sont impliqués les raisons pour lesquelles un tel ajustement à la baisse sera effectué; leur expliquer également que même si cet ajustement se fera progressivement, il se peut que nous ayons à composer avec des périodes plus difficiles dues à des réactions de retrait de la médication, surtout si cette dernière a été prise régulièrement pendant une longue période, et finalement leur indiquer ce qu’il faut faire dans ces circonstances. Voici quelques exemples de cet aspect du rôle du psychiatre :

          Histoire de Michel diagnostic douteux médication abusive

-        Michel est un enfant âgé de six ans qui nous est référé parce que l’école soupçonne chez lui un diagnostic de TSA. Entendez par là qu’il présente des difficultés de développement et de comportement: il est agité, active à répétition la chasse d’eau aux toilettes, a peu de contact avec les pairs, manque d’autonomie, n’a pas d’attention, a une démarche particulière et fait du flapping. Or cet enfant prend du Biphentin (méthyphénidate à libération prolongée) 25 mg depuis l’âge de 3 ans auquel a été ajoutée une dose de méthyphenidate 5 mg en fin de journée en raison de la reprise de son état d’excitation à ce moment. Cet enfant fut admis dans notre hôpital de jour pour une évaluation de deux semaines. Comme nous le faisons généralement avec les enfants qui nous arrivent sous psychostimulants, nous avons voulu l’observer sans médication. Malgré la grande réticence de la mère, cette dernière accepta de ne pas administrer la médication, nous avisant bien de la situation difficile que nous nous apprêtions à vivre. A notre grande surprise, la journée fut un charme avec cet enfant, qui certes présentait des difficultés de compréhension et d’expression (l’enfant présentant un déficit intellectuel léger) mais qui ne présentait aucune des difficultés comportementales antérieurement décrites. Incrédule devant ce fait, la mère décida de ne pas administrer la médication chez elle le jour suivant (un vendredi), de même que pendant la fin de semaine. Le lundi matin, elle nous raconta en riant que les membres de sa famille et les voisins lui avaient demandé quelle médication on avait donné à son enfant, lui qui était devenu si calme et si agréable.

-        La majorité des enfants chez qui on cesse les psychostimulants ne réagissent pas de cette manière positive mais ce cas illustre bien l’importance de se poser périodiquement des questions sur la nécessité de poursuivre la médication psychostimulante chez l’enfant, même s’il prend cette médication depuis plusieurs années et même si on rapporte que cette médication avait été bénéfique antérieurement.

Immaturité de l’enfant et administration de médicaments

Il se produit souvent que des enfants qui ont des difficultés à saisir les notions plus abstraites nous arrivent médicamentés. Ces difficultés peuvent résulter de leur plus jeune âge, de l’immaturité de leur développement par rapport à celui de leurs compagnons et compagnes. Par exemple, ceux qui viennent tout juste d’avoir 5 ans (ceux qu’on appelle les petits 5 ans), à leur entrée en maternelle. L’étude de Morrow (2012) a nettement mis ce facteur en évidence dans une population au Canada de près d’un million d’enfants. Lorsqu’on observe ces enfants, on peut les décrire comme des enfants inattentifs, agités et souvent impulsifs, donc « souffrant de TDAH » alors qu’en réalité c’est leur immaturité biologique qui explique leur comportement. Si votre cerveau ne possède pas la maturité suffisante dans son développement pour s’adonner à une tâche abstraite, vous ne pourrez pas y maintenir votre attention vous deviendrez distrait, regarderez ailleurs, par la fenêtre, etc. Si on vous oblige malgré tout à persister dans cette tâche, vous deviendrez impatient, réagissant avec de la bougeotte, de l’agitation motrice et fort probablement de l’impulsivité. Le psychostimulant ne peut pas traiter l’immaturité biologique du cerveau, que cette immaturité provienne du trop jeune âge chronologique de l’enfant, comme c’est le cas dans l’étude de Morrow, ou qu’elle provienne d’un facteur la plupart du temps inconnu, chez un enfant, ce qui est le cas de Michel, qui souffre d’une déficience intellectuelle légère. Or il est très fréquent aujourd’hui, dans notre ère du TDAH-pilule, d’attribuer d’emblée à cette « maladie » l’explication de l’agitation, du manque d’attention et de l’impulsivité de l’enfant et de ne pas considérer d’autres facteurs comme par exemple celui des capacités d’abstraction de l’enfant dans une situation où, comme à l’école, ces capacités sont constamment sollicitées.

Le contexte, élément essentiel du diagnostic, l’histoire de Jérôme

Or, même si le « diagnostic » de TDA ou TDAH est souvent attribué à des enfants qui ont des difficultés avec les tâches abstraites en milieu scolaire, ce « diagnostic » est également souvent attribué à des enfants qui n’ont pas ce genre de difficulté. Jérôme est un enfant âgé de sept ans qui m’est référé sous la pression du milieu scolaire parce qu’il a un TDAH. Comme très souvent, cet enfant m’est référé avec le diagnostic déjà inscrit dans le discours des parents et les notes de l’école; et souvent accompagné de l’habituelle excuse d’avoir osé proférer ce « diagnostic » : « Nous ne sommes pas médecins mais… ». Cependant, à première vue, Jérôme est le dernier enfant auquel vous auriez pensé administrer des psychostimulants. Lorsqu’il entre dans mon bureau pour la première fois, je découvre un enfant charmant, vif d’esprit, brillant, intéressé à tout, et calme. Et pourtant il a actuellement une prescription de concerta 36 mg; ce calme est-il l’effet du concerta ? Mais justement, il ne l’a pas pris ce matin-là, car les parents voulaient que je le voie au naturel, afin que je puisse mieux évaluer son problème. Les parents me décrivent un enfant impoli et agressif à l’égard des amis à l’école; ils me décrivent également un enfant qui met beaucoup de temps à faire ses devoirs le soir à la maison de sorte que la situation est décrite comme véritablement exaspérante pour eux.

Plusieurs parents des enfants que je vois en consultation m’ont entendu dire que le comportement humain est « un sacré bordel ». Pour peu élégante que cette formulation soit, elle a l’avantage de bien faire comprendre, rapidement et sans ambigüité, que le comportement humain, avec son intrication indissociable d’éléments intellectuels et émotifs, constitue l’un des plus formidable casse-tête que l’on puisse imaginer. Devant une telle complexité, nous cherchons naturellement des simplifications : les catégories diagnostiques en psychiatrie (re : TDAH) constituent de beaux exemples des simplifications culturellement acceptées à cet égard. Mais également, les simples mots que nous utilisons pour décrire les comportements humains ne doivent être considérés que comme des approximations grossières de ce qui se passe. Par exemple, comme lorsque Jérôme est décrit comme un enfant agressif, impoli, inattentif. Pensez-vous que ces mots vous font bien comprendre ce qui se passe réellement chez cet enfant ? À partir de ces mots, vous pouvez facilement vous faire une idée personnelle de ce qui se passe chez lui et, à partir de cette idée, prendre certaines décisions comme utiliser un questionnaire pour mieux décrire ses comportements et faire un diagnostic DSM aboutissant à un traitement médical.

Le contexte, élément essentiel de la psychiatrie moderne

À mon avis, c’est exactement ce qu’il ne faut pas faire, car cette approche court un grand risque : devenir une prophétie qui se réalise d’elle même en ignorant l’essentiel i.e. le contexte dans lequel se présentent ces difficultés, le contexte impliquant nécessairement ici ce qui se passe dans les interactions i.e. entre les personnes. À chaque étape, toujours se souvenir que le comportement humain est souvent incompréhensible en dehors du contexte où il est apparu. Le contexte, je le redis, est l’élément le plus lamentablement oublié en psychiatrie moderne.

Comment se présentent les comportements d’agression, d’impolitesse et d’inattention de Jérôme et surtout, comment interviennent les adultes du milieu devant ces comportements?

En étudiant le contexte, vous apprenez que la performance de cet enfant sur le plan de l’apprentissage était telle à la fin de sa première année qu’on lui a fait sauter sa deuxième année. Il est donc passé directement de la première à la troisième année. En conséquence, malgré sa grande facilité sur le plan intellectuel, il se trouve toujours en retard d’un an sur le plan de la maturité affective; de surcroit on peut penser que la maturité sur le plan intellectuel, n’est pas aussi achevée que celle d’un enfant qui a complété sa deuxième année. D’autre part, lorsque nous investiguons ses comportements problématiques, nous réalisons qu’ils se produisent pratiquement toujours dans un contexte de rire et de taquinerie à l’égard de ses camarades; par exemple, s’il fait la remarque à l’un de ses compagnons un peu obèse qu’il mange trop et qu’il grossit, ce qui fait pleurer ce dernier, Jérôme est alors étiqueté méchant garçon! S’il traite l’un de ses camarades de classe de con lors d’un jeu à la récréation, cela sera rapporté comme une preuve de sa méchanceté et de sa violence verbale. Lorsque ses parents rapporteront qu’il pousse son jeune frère; Jérôme éclatera de rire en leur expliquant calmement que c’est pour jouer avec lui et faire en sorte qu’il le pousse à son tour.

À la suite de tout cela, je retiens l’hypothèse qu’il s’agit d’un enfant brillant, enjoué, rieur, nullement méchant qui s’ennuie dans un milieu un peu trop formel et qui tente de se divertir comme il le peut. Les parents, qui sont de bons parents, m’apparaissent se soumettre avec trop de facilité à la version qui leur est donnée de leur fils par les autorités scolaires. La médication que prend cet enfant ne pourra en rien régler ce problème. Il faut aider les parents à changer leur perception de l’enfant, notamment, les convaincre qu’il ne souffre pas de maladie TDAH et ne nécessite aucune médication. Un travail qui s’échelonna sur une période d’un an avant d’obtenir la complicité d’un des parents pour convaincre l’autre de ne pas avoir peur de cesser la médication. Il fallut impliquer l’école et l’enfant ne prend plus de médication psychotrope depuis ce temps.

Donc, il est clair que ce « diagnostic TDAH » n’est pas seulement porté sur les enfants ayant des difficultés d’apprentissage à l’école en raison de leur incapacité d’abstraction mais également sur les enfants qui sans avoir ces difficultés d’apprentissage, sont jugés comme ayant des difficultés de comportement. Ce diagnostic est aussi devenu un prêt à porter pour les enfants qui dérangent parce qu’ils s’ennuient ou n’aiment pas l’école.

Histoire de Sylvain les effets d’une surdose de médicaments

Sylvain avait 13 ans lorsqu’il m’a été référé par son pédiatre, avec un diagnostic de TDAH sévère et de syndrome de Gilles de la Tourette; il prend une médication psychostimulante depuis l’âge de 4 ans. Lorsque je le vois pour la première fois à l’âge de 12 ans, il est sous Vyvanse 50 mg (lisdexamphétamine) et Risperdal 1,75 mg par jour, des doses importantes de psychostimulant et de neuroleptique. Le neuroleptique (Risperdal) a été introduit à la suite d’un diagnostic de Gilles de la Tourette chez l’enfant, diagnostic établi par un spécialiste.

L’histoire du cas m’apprend qu’il vit avec sa mère, les parents étant séparés. La mère a reçu de l’aide d’une éducatrice pour composer avec les comportements d’opposition de son fils. À l’école, il fréquente une classe spéciale de troubles graves de comportement depuis l’âge de 8 ans. Au cours de ces années, en plus de ne pas performer à son niveau sur le plan académique (l’école le décrit comme ayant un bon potentiel) et d’agir de façon agitée, inattentive et impulsive, il s’est mis à voler et à mentir. La totale, pourrait-on dire.

Sylvain, quant à lui, se présente à moi comme un enfant vif, aux yeux clairs, avec un franc parler, un bon regard, une attitude facilement souriante. Assis devant moi, il bouge constamment ses pieds, me fournit des explications de façon spontanée, avec un rythme de pensée en accéléré. Il me parle de ses 30 amis, des sports auxquels il aime s’adonner. Il m’explique qu’il ne vole plus, ayant compris qu’il était préférable d’acheter ce qu’il voulait. Lorsque je fais venir sa mère et engage une conversation avec elle, il couvre mon tableau d’un dessin d’une qualité exceptionnelle de proportion et de précision, représentant ce qu’il appelle une voiture du futur. Il ne fait pas de doute que cet enfant est intelligent, capable d’attention et d’imagination.

Après avoir complété son évaluation, j’en vins à retenir l’hypothèse que les tics qu’il avait présentés n’étaient pas dus à la maladie de Gilles de la Tourette mais étaient la conséquence de la haute dose de psychostimulant qu’il prenait. Je discutai de cela avec la mère qui se montra d’accord avec l’ajustement à la baisse du neuroleptique jusqu’à sa cessation si possible. Et ce fut possible. Après trois mois, le neuroleptique avait cessé d’être administré  (remarquez que la cessation n’avait pas été abrupte). Par la suite, le psychostimulant a également été ajusté à la baisse chez cet enfant, lentement et par palier, passant de Vyvanse 50 mg à methylphenidate 30 mg, l’ajustement à la baisse se poursuivant toujours chez lui. Entre temps l’enfant fut progressivement et avec profit intégré à une classe normale; ses mauvais comportements, voler et mentir, disparurent.

Ce cas illustre bien le phénomène fréquent dans notre culture moderne de l’élargissement des critères diagnostiques d’une maladie connue, ici la maladie de Gilles de la Tourette. Un élargissement qui a des conséquences malheureuses pour nos patients. Dans le cas de Sylvain, il s’est vu prescrire inutilement pendant des années, et pour longtemps, un médicament dont les effets secondaires à moyen et long terme peuvent être très sérieux.

Le fait d’avoir le reflexe d’ajuster à la baisse la médication de plusieurs enfants qui nous sont référés en pédopsychiatrie ne signifie pas que nous avons une position anti-médicament. Nous ne sommes pas en religion et les positions sectaires de cette nature n’ont rien à voir avec une approche saine de problèmes complexes. Nous devons nous efforcer de savoir si, dans sa situation présente, un patient peut être aidé par une médication à court, moyen et long terme; nous devons estimer les conséquences négatives de recevoir cette médication versus celles de ne pas la recevoir. Et le résultat est la conclusion d’un ensemble de jugements qui ont tous des connotations subjectives importantes; nous sommes ici toujours loin de l’objectivité tant recherchée d’un diagnostic médical. Fatiguant, mais beaucoup mieux que de se bercer de l’illusion d’une objectivité diagnostique qui n’est pas au rendez-vous. En prenant en compte ces conditions, nous savons toujours pourquoi nous administrons un médicament à un patient, ce qui nous permet de nous poser les bonnes questions relativement à son ajustement ultérieur.

Bibliographie :

-Faulkner William, 1957,The town, (2013) Harper Perennial Classics, Kindle Edition

-Frances Allen 2013, Saving Normal, Harper Collins NY  

-Healy,D., Le Noury,J., Harris,M., et al 2012  Mortality in schizophrenia and related psychoses: data from two cohorts, 1875-1924 and 1994-2010. BMJ Open 2-12; 2,e0011810

-Morrow Richard et all, 2012, Influence of relative age on diagnosis and treatment of attention-deficit hyperactivity disorder in children, CMAJ, vol.184.No.7

-Rosenhan, D.,L. 1973 On being sane in insane places. Science, 179 (January 19) 250-258

-Thivierge J. 2010, L’autre Espoir Détrompé – De l’influence des corporations sur la pratique médicale d’aujourd’hui -  http://agora.qc.ca/documents/medicaments_un_psychiatre_sindigne?

ation de les entretenir et de les éduquer. Ainsi, nous sommes d’avis que les personnes qui exercent leur profession au Centre de pédopsychiatrie et qui dispensent des soins et des services aux enfants hospitalisés ne sont pas des personnes qui remplacent les père et mère.

Chapitre 5

La loi canadienne et les arrêts d'agir

Lorsque Paul se fâche en classe, ce qui arrive souvent, et qu’on est incapable d’arrêter ses cris et ses injures en lui parlant calmement, ou qu’il s’oppose en hurlant, à la demande qui lui est faite de sortir de la classe, on prend alors l’initiative de faire sortir tous les élèves du local. C’est là la procédure habituelle et recommandée dans les commissions scolaires de ma région. La raison ? On invoque la loi, une loi fédérale canadienne qui considère comme une voie de fait i.e. un acte criminel d’agression, le fait de toucher à un enfant dans l’intention de l’arrêter d’agir.

Le fait que le personnel des Centres Jeunesse, des Centres de Santé et des Commissions scolaires invoque l’application de cette loi pour justifier leurs façons d’agir est relativement récent. Dans un article écrit il y a longtemps (Thivierge 1978), je suggérais aux parents, avant de considérer de donner une médication à un enfant turbulent, de travailler l’encadrement et de faire les arrêts d’agir si indiqué. Cela impliquant que les parents donnent leur accord pour cette intervention aux personnes jouant le rôle de substitut parental lorsqu’elles sont aux prises avec les difficultés de comportement de leur enfant. En somme, j’incitais les parents à des actes actuellement considérés répréhensibles par la loi à l’égard de leurs propres enfants. Vous comprendrez que cette question devient rapidement très émotive lorsque nous devons la discuter. Tentons ici de l’examiner de façon calme et rationnelle.

Revenons d’abord à Paul. Une fois à bout de souffle, comment se sent-il lorsqu’il se retrouve seul dans son local de classe, avec un « superviseur » près de la porte ? Seul et étrange certainement. Finalement, il dira qu’il est redevenu calme et acceptera de suivre l’adulte. Il sera difficile pour lui d’éviter les regards inquisiteurs et distants des autres élèves et adultes de son milieu. Il pourra pendant de courts instants se réconforter dans le sentiment d’être le King, mais un King bien seul, enfermé dans son orgueil et son incapacité à accepter de quiconque une main tendue. Dans cette situation émotive complexe, son orgueil lui fera retenir le pouvoir non négligeable qu’il vient de découvrir; un pouvoir ambigu, mêlé de mauvais sentiment, mais un mauvais pouvoir. Se pose donc la question : comment aider cet enfant aux prises avec ce mauvais pouvoir ? Que lui répondre lorsqu’avec moi dans mon bureau, discutant de ses comportements en classe, il me dit avec un air de défi : « Je vais les faire sortir » ? Discuter ? Croyez-moi, tout au long de son parcours, cette approche a été tentée à de multiples reprises, et par des adultes impliqués et compétents pour parler à un enfant. Se peut-il que cet enfant, qui a sur sa vie un contrôle limité depuis des années, en arrive à apprécier cet exercice de pouvoir où il peut toucher du doigt son influence sur les autres ? Doit-on se résoudre à être compréhensif à l’égard de cet enfant et à le laisser « se défouler » sous prétexte que cela lui fait du bien ? Comme des parents qui m’expliquent parfois : « On le laisse se défouler dans sa chambre et après, il se calme, pleure et on peut parler ». Mais que fait-il dans sa chambre ? Il hurle, dit des grossièretés, frappe sur les murs et y fait des trous, vide ses tiroirs sur le sol. Et cela dure combien de temps ? De 20 à 60 minutes. Et les parents attendent de l’autre côté de la porte…. Quel message l’enfant reçoit-il ici ?

Je crois personnellement qu’un enfant auquel on laisse tant de pouvoir est nécessairement un enfant anxieux, notamment parce qu’il réalise les dommages qu’il fait à son entourage; et un enfant qui n’a pas assez de maturité, malgré son intelligence, pour être conscient des dommages qu’il se fait à lui même. Et un diagnostic DSM de trouble anxieux ou de TDAH chez l’enfant, et le médicament qui s’ensuivra ne toucheront pas le cœur du problème. Dans une telle situation devenue extrême, lorsque les approches habituelles des adultes n’auront fait qu’empirer l’état de révolte de l’enfant, l’intervention en arrêt d’agir (mais oui, celle qui est défendue par la loi fédérale canadienne) peut être très bénéfique.

Des faits qui font réfléchir : si on permet à des garçons de 7 ans de frapper des poupées (tolérer ces gestes signifie les approuver) cela les rend beaucoup plus agressifs dans les compétitions avec les autres enfants plus tard (Berkowitz 1978). Le simple fait de les laisser se défouler augmente leur niveau d’hostilité et contribue à l’apparition subséquente de la violence dans leur comportement. Ce qui était vrai en 1978 l’est encore de nos jours. Mon opinion c’est que si le législateur avait été avisé de ce fait (i.e. le renforcement de la violence), on aurait épargné à plusieurs de nos enfants une médication non seulement inutile mais potentiellement nuisible.

L’arrêt d’agir, les conséquences de son interdiction

Qu’est-ce qu’un arrêt d’agir ? Comme le terme le dit, c’est le fait d’arrêter physiquement un enfant d’agir, par le moyen le moins contraignant possible et le plus efficace dans les circonstances. Pour être efficace, un tel moyen requiert un adulte qui demeure calme, en contrôle de lui-même et ferme dans ses interventions.

Lorsqu’on atteint le point où, pour un enfant opposant, on pense justifier l’administration de psychotropes sur le dos d’un diagnostic DSM, la procédure la moins dommageable et souvent la plus efficace est sans doute l’arrêt d’agir.
.
L’interdiction de cette approche par une loi fédérale constitue à mon sens un obstacle sérieux à l’efficacité du travail des éducateurs et des enseignants dans les circonstances que j’ai décrites. De même que pour les médecins qui doivent prendre la décision d’administrer des psychotropes. Remarquez que cette loi existe depuis longtemps mais ce n’est que depuis quelques années qu’on lui accorde cette importance. L’arrêt d’agir m’apparaît, dans ces circonstances, essentielle pour assoir le jugement du médecin sur la nécessité de la médication. Vous pouvez alors m’objecter que dans ce cas, la médication est donnée à l’enfant par un médecin qui a eu le soin de poser un bon diagnostic chez lui. Souvenez-vous qu’il s’agit de diagnostics si approximatifs (TDA,TDAH,TSA…) qu’on ne devrait même pas les appeler diagnostics; ces « diagnostics » appliqués aux comportements, ne sont que des descriptions, i.e. des mots sur l’écran gauche, auquel répond un vide à l’écran droit (voir le chapitre 2 précédent).

Cette question des arrêts d’agir m’apparait d’une telle importance que j’ai demandé au contentieux de notre hôpital de me fournir une opinion à ce sujet. La voici :

Réponse du contentieux à la demande du pédopsychiatre
Le 30 août 2013

Docteur Jacques Thivierge Centre de pédopsychiatrie 1, avenue du Sacré‐Cœur Québec (Québec) G1N 2W1
Objet : Demande d’opinion juridique quant à « l’arrêt d’agir » d’un enfant

Cher docteur,

C’est avec plaisir que nous vous transmettons notre opinion juridique en regard du dossier mentionné en objet.
1‐ L’état de la situation
La situation factuelle peut se résumer ainsi :
Il arrive que nous ayons un enfant turbulent ou qui fait mal à un autre enfant ou qui n’écoute pas les consignes des professionnels en autorité.
2‐ Votre questionnement
En tenant compte de la situation factuelle, votre questionnement peut se résumer ainsi :
Quels sont les droits de la personne en autorité eu égard à la possibilité d’intervenir par un « arrêt d’agir » (c’est‐à‐dire qui implique une forme d’intervention physique) de la part du professionnel de santé ou de tout autre membre du personnel du CHU ?
Pour les fins du présent avis, nous distinguons trois situations possibles:
A. Un enfant qui met sa propre sécurité ou celle d’autrui (professionnel de la santé, préposé de l’établissement, autre usager ou visiteur) à risque.
B. Un enfant qui endommage ou détruit les biens de l’établissement.
C. Un enfant qui est turbulent ou désobéissant.
Nous distinguerons donc les interventions possibles dans chaque cas.
3‐ L’avis juridique
Remarques préliminaires
Il est important de préciser que toute intervention dans laquelle la force est utilisée de manière intentionnelle contre une autre personne (y compris un enfant), sans son consentement, constitue des voies de fait au sens de l’article 265(1) du Code criminel, (L.R.C., 1985, c. C‐46, ci‐ après « Code criminel »).
265. (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :
. a) d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;
. b) tente ou menace, par un acte ou un geste, d’employer la force contre une autre personne, s’il est en mesure actuelle, ou s’il porte cette personne à croire, pour des motifs raisonnables, qu’il est alors en mesure actuelle d’accomplir son dessein;
(...)
Cependant, l’article 43 du Code criminel décriminalise certains types de comportement qui pourraient constituer des voies de fait :
43. Tout instituteur, père ou mère, ou toute personne qui remplace le père ou la mère, est fondé à employer la force pour corriger un élève ou un enfant, selon le cas, confié à ses soins, pourvu que la force ne dépasse pas la mesure raisonnable dans les circonstances.
En 2004, la Cour suprême du Canada a analysé cette disposition du Code criminel dans l’affaire Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Procureur général du Canada1. Dans cette affaire, la constitutionnalité de l’article 43 du Code criminel était remise en question pour cause d’imprécision.
La Cour suprême a maintenu la constitutionnalité de cet article et a déterminé que ce moyen de défense à une accusation de voies de fait pouvait être appliqué lors de l’emploi d’une force réfléchie2 et modérée3, répondant au comportement réel de l’enfant4 et visant à contrôler le comportement fautif, à y mettre fin ou à exprimer une certaine désapprobation symbolique. La force utilisée doit toujours avoir pour objectif d’éduquer ou de discipliner l’enfant et des effets bénéfiques doivent pouvoir en être escomptés5.
Toutefois, la Cour suprême précise que cet article est d’application restrictive et ne vise que les personnes mentionnées à celui‐ci, soit :
- Les instituteurs;
- Les père ou mère;
- Les personnes qui remplacent le père ou la mère. 
Au sujet de cette dernière catégorie de personnes, la Cour suprême précise : 
Les tribunaux ont statué que l’expression «toute personne qui remplace le père ou la mère » désigne quiconque prend en charge « toutes les obligations qui [...] incombent [au père et à la mère].6 
(emphase de la Cour) 
Ainsi, la Cour suprême met l’emphase sur le fait que cette catégorie de personnes doit prendre en charge toutes les obligations qui incombent au père et à la mère. 
Ce sont les articles 599 et 605 du Code civil du Québec qui nous indiquent plus particulièrement les obligations qui incombent aux parents d’un enfant. Ceux‐ci doivent assumer la garde, la surveillance, l’entretien et l’éducation de leurs enfants et doivent les nourrir. 
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6
2004 1 R.C.S. 76
C’est‐à‐dire, qui n’est pas le fruit d’un excès de colère ou de frustration.
Soit une force raisonnable qui ne cause pas de préjudice ou qui ne suscite pas un risque raisonnable de préjudice à la personne et qui n’est pas dégradant.
Ce qui signifie que la nature de la « faute » à l’origine de la correction infligée n’est pas pertinente. Pour ce faire, l’enfant qui se voit infliger la correction doit être capable de tirer une leçon de celle‐ci et on doit pouvoir en retirer des résultats positifs.
Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Procureur général du Canada, 2004 1 R.C.S. 76, par. 21.
Bien que les personnes qui exercent leur profession au Centre de pédopsychiatrie du CHU dans lequel un enfant est hospitalisé assument la garde et la surveillance de cet enfant, nous ne pouvons conclure que ceux‐ci ont l’obligation de les entretenir et de les éduquer. Ainsi, nous sommes d’avis que les personnes qui exercent leur profession au Centre de pédopsychiatrie et qui dispensent des soins et des services aux enfants hospitalisés ne sont pas des personnes qui remplacent les père et mère.
À l’appui de cette conclusion, il importe de souligner qu’une décision rendue en 2011 par la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, déclarait coupable de voies de fait simple à l’endroit de quatre (4) enfants, un couple qui exploitait une ressource intermédiaire fournissant l’hébergement, le gite, le couvert et des services de soutien et d’assistance à ceux‐ci7.
Dans sa décision sur la sentence, le tribunal indique :
32. Les défendeurs plaident que bien que n’étant pas instituteurs, ni père ou mère des enfants, il était justifié d’employer la force parce qu’ils étaient des personnes qui remplaçaient le père ou la mère et qu’ils utilisaient cette force dans un but d’éducation.
33. Le tribunal a rejeté cette prétention et a conclu que les défendeurs n’agissaient pas in loco parentis, non plus qu’ils n’agissaient en vertu d’une quelconque délégation de l’autorité parentale.
En conséquence, considérant l’application restrictive de l’article 43 du Code criminel et du fait que les personnes qui exercent leur profession au Centre de pédopsychiatrie et qui dispensent des soins et des services à des enfants hospitalisés ne prennent pas en charge toutes les obligations qui incombent au père et à la mère de ces enfants, nous ne pouvons conclure que cet article, qui décriminalise certaines formes de voies de fait, s’appliquerait dans le cas d’un « arrêt d’agir » d’un enfant appliqué par ces personnes8.
Toutefois, malgré ce constat, nous concluons que, dans certaines circonstances, les personnes qui exercent leur profession dans un Centre de pédopsychiatrie pourraient être justifiées d’employer la force face au comportement d’un enfant, tel que plus amplement décrit ci‐après:
A. Un enfant qui met sa propre sécurité ou celle d’autrui (professionnel de la santé, préposé de l’établissement, autre usager ou visiteur) à risque
Malgré ce qui précède, il importe de mentionner que lorsqu’un enfant met sa sécurité ou celle d’autrui à risque, une personne qui exerce sa profession dans un Centre de pédopsychiatrie peut intervenir, de façon raisonnable dans les circonstances, afin d’empêcher que ce risque ne se réalise, tel que le prévoit l’article 34 du Code criminel :
R. c. Bertrand (R. c. Dauphinais) 2011 QCCQ 252 (C.Q.).
À titre parallèle, la Cour suprême a limité de façon importante le type d’intervention qu’un instituteur peut faire auprès d’un enfant.
34. (1) a)
b)
c) (2)
a) b)
c) d)
e) f)
N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :
croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne; commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger — ou de défendre ou de protéger une autre personne — contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force; agit de façon raisonnable dans les circonstances.
Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :
la nature de la force ou de la menace; la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel;
le rôle joué par la personne lors de l’incident;
la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme;
la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause;
la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;

 


f.1)l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause;
. g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force;
. h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime.
Il importe de mentionner que les conditions prévues à cet article sont cumulatives, c’est‐à‐dire :
- La personne qui exerce sa profession dans un Centre de pédopsychiatrie doit avoir des motifs raisonnables de croire que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne;
- Elle doit utiliser la force dans le but de se défendre ou de se protéger ou de défendre ou de protéger une autre personne;
- Elle doit agit de façon raisonnable dans les circonstances. 
Pour décider si la personne agit de façon raisonnable dans les circonstances, il sera tenu compte des faits pertinents dans sa situation personnelle et celle des autres parties aux évènements, de même que des faits pertinents de l’acte, notamment les éléments mentionnés au deuxième paragraphe de l’article 34 du Code criminel ci‐haut cité. 
Au surplus, mentionnons que l’article 2 de la Charte des droits et liberté de la personne (L.R.Q., c. C‐12) prévoit l’obligation de porter secours à une personne dont la vie est en péril : 
12 .Tout être humain dont la vie est en péril a droit au secours. 
Toute personne doit porter secours à celui dont la vie est en péril, personnellement ou en obtenant du secours, en lui apportant l'aide physique nécessaire et immédiate, à moins d'un risque pour elle ou pour les tiers ou d'un autre motif raisonnable. 
Enfin, dans certaines circonstances, des mesures de contention et d’isolement pourraient être appliquées, tel que prévu à l’article 118.1 de la Loi sur les services de santé et services sociaux (L.R.Q. c. S‐4.2) (ci‐après : LSSSS) : 
118.1. La force, l'isolement, tout moyen mécanique ou toute substance chimique ne peuvent être utilisés, comme mesure de contrôle d'une personne dans une installation maintenue par un établissement, que pour l'empêcher de s'infliger ou d'infliger à autrui des lésions. L'utilisation d'une telle mesure doit être minimale et exceptionnelle et doit tenir compte de l'état physique et mental de la personne. 
Lorsqu'une mesure visée au premier alinéa est prise à l'égard d'une personne, elle doit faire l'objet d'une mention détaillée dans son dossier. Doivent notamment y être consignées une description des moyens utilisés, la période pendant laquelle ils ont été utilisés et une description du comportement qui a motivé la prise ou le maintien de cette mesure.
Tout établissement doit adopter un protocole d'application de ces mesures en tenant compte des orientations ministérielles, le diffuser auprès de ses usagers et procéder à une évaluation annuelle de l'application de ces mesures.
Toutefois, l’application de telles mesures doit être minimale et exceptionnelle et doit tenir compte de l’état physique et mental de la personne. Elles doivent également être prises en fonction du protocole adopté en ce sens par l’établissement9:
B. Un enfant qui endommage ou détruit les biens de l’établissement
Par ailleurs, si un enfant s’avérait turbulent au point d’endommager ou détruire un bien de l’établissement, l’article 35 du Code criminel décriminalise également l’utilisation de la force pour contrôler le comportement d’un enfant dans de telles circonstances :
35. (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :
. a) croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle a la possession paisible d’un bien ou agit sous l’autorité d’une personne — ou prête légalement main‐forte à une personne — dont elle croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle a la possession paisible d’un bien;
. b) croit, pour des motifs raisonnables, qu’une autre personne, selon le cas :
. (i) sans en avoir légalement le droit, est sur le point ou est en train d’entrer dans ou sur ce bien ou y est entrée,
. (ii) est sur le point, est en train ou vient de le prendre,
. (iii) est sur le point ou est en train de l’endommager, de le détruire ou de le rendre inopérant;
. c) commet l’acte constituant l’infraction dans le but, selon le cas :
. (i) soit d’empêcher l’autre personne d’entrer dans ou sur le bien, soit de l’en expulser,
. (ii) soit d’empêcher l’autre personne de l’enlever, de l’endommager, de le détruire ou de le rendre inopérant, soit de le reprendre;

 


9
Dans de telles circonstances, une intervention physique de la part de la personne en autorité pour contrôler le comportement d’un enfant qui met sa propre sécurité ou celle d’autrui à risque est décriminalisée par l’article 25 du Code criminel. À titre d’exemple, voir l’affaire R. c. Trottier, J.E. 2003‐112 (C.Q.).
d) agit de façon raisonnable dans les circonstances.
(...)
Tout comme lors de l’utilisation de la force pour empêcher une agression contre soi‐même ou contre autrui, les conditions prévues à cet article sont cumulatives et prévoient que l’utilisation de la force pour défendre un bien doit être faite de façon raisonnable dans les circonstances.
Ce critère n’est pas défini avec autant de précisions que lors de l’utilisation de la force pour se défendre contre une agression physique. Toutefois, nous croyons que nous pouvons nous inspirer des critères énoncés à l’article 34 du Code criminel pour déterminer ce qui est raisonnable. Évidemment, en toutes circonstances, la force utilisée ne doit jamais avoir des conséquences ou comporter des risques plus grands que ceux que la personne souhaite éviter par son intervention.
C. Un enfant qui est désobéissant
En ce qui concerne l’enfant qui est turbulent ou désobéissant, mais sans menace pour sa sécurité ou celle d’autrui ou pour les biens de l’établissement, nous devons conclure que l’utilisation de la force physique afin de lui faire cesser ce comportement ne peut être utilisée et, dans le cas contraire, pourrait constituer des voies de fait au sens de l’article 265 du Code criminel.

 


***********
Enfin, il importe de préciser que, dans tous les cas mentionnés précédemment, l’article 26 du Code criminel prévoit que, lorsque l’utilisation de la force est autorisée par la loi, la personne qui est fondée à l’employer est criminellement responsable de tout excès :
26. Quiconque est autorisé par la loi à employer la force est criminellement responsable de tout excès de force, selon la nature et la qualité de l’acte qui constitue l’excès.
4‐ Les conclusions
En conclusion de ce qui précède, nous sommes d’avis que l’article 43 du Code criminel qui décriminalise, dans certaines circonstances, l’emploi de la force physique à l’égard d’un enfant ne peut s’appliquer à une personne qui exerce sa profession au Centre de pédopsychiatrie et qui dispense des soins ou des services à un enfant.
Toutefois, dans une situation où un enfant met sa propre sécurité ou celle d’autrui à risque, une personne qui exerce sa profession au Centre de pédopsychiatrie serait justifiée d’employer la force afin de prévenir ce risque, le tout en fonction des critères prévus à l’article 34 du Code criminel.
Par ailleurs, dans certaines situations exceptionnelles, des mesures de contention ou d’isolement pourraient être prescrites, en respect de règles énumérées à l’article 118.1 LSSSS.
Enfin, dans la mesure où un enfant serait turbulent au point d’endommager les biens de l’établissement, une personne qui exerce sa profession au Centre de pédopsychiatrie serait justifiée d’intervenir afin d’éviter ce préjudice en utilisant la force raisonnable dans les circonstances, tel que prévu à l’article 35 du Code criminel.
En toutes circonstances, aucun excès de force ne peut être utilisé, même dans les situations mentionnées précédemment, tel que prévu à l’article 26 du Code criminel.
En ce qui concerne un enfant turbulent, mais qui ne menace pas sa sécurité ou celle d’autrui ou les biens de l’établissement, nous concluons que les personnes qui exercent leur profession au Centre de pédopsychiatrie ne peuvent utiliser la force physique pour lui faire cesser ce comportement indésirable.
Demeurant disponibles pour discuter du présent projet d’avis, nous vous prions de recevoir, Cher docteur, l’expression de nos sentiments les meilleurs.
Le directeur de l’éthique et des affaires juridiques,
Bernard Morency, avocat, M.B.A., Adm.A. Contentieux du CHUL Québec

Mon point de vue

Or j’estime que la façon dont cette loi est actuellement appliquée cause un préjudice sérieux à plusieurs de nos enfants. Je parle de la façon dont cette loi est appliquée dans nos écoles, dans nos centres jeunesse et par l’ensemble des professionnels (éducateurs, travailleurs sociaux etc.) qui viennent en aide aux parents incapables de se faire obéir de leurs enfants. La façon dont cette loi est appliquée a pour conséquence de porter tous ces adultes à formuler le problème essentiellement du côté de l’enfant, à décrire chez lui les comportements et attitudes problématiques de façon à définir un profil diagnostique DSM. Cela médicalise d’emblée un problème qui, dans la grande majorité des cas, n’a rien de médical, et pousse les enfants, avec la bénédiction de tous les partenaires, de façon consensuelle, vers un traitement médical du problème, i.e. une médication. Notez bien que mon point de vue n’est pas un plaidoyer contre l’utilisation de la médication chez tous les enfants présentant des troubles de comportement; je ne suis nullement le défenseur d’une foi anti-médicament. Nous avons abordé au chapitre quatre précédent la question de l’utilité de la médication. Ce dont il est question ici c’est de cette manie qu’a notre société de médicaliser beaucoup trop rapidement et trop facilement les problèmes d’opposition de nos enfants, et de leur administrer alors des psychotropes. Nous discutons présentement du fait que la loi fédérale dont nous avons fait état constitue, dans notre milieu, un facteur non négligeable du maintien de cette mentalité.

Dans un livre fort intéressant, le journaliste Michael R.Legault (2006) recense, autour des évènements sociopolitiques, quels sont les domaines importantes de réflexion dans notre société nord américaine. Et le premier chapitre de la section portant sur les solutions concerne l’éducation de nos enfants. Dans un sujet aussi vaste, il est facile de se perdre mais tous s’entendront sur son importance capitale pour nos sociétés. Qu’on le veuille ou non, l’application de loi fédérale telle que nous l’avons évoquée, touche l’éducation de nos enfants; ni les écoles, ni les familles d’accueil, ni les centres jeunesse ne peuvent se dissocier de cette tâche d’éducation, les parents en demeurant toujours les responsables immédiats.

Lorsqu’on parle d’importants troubles d’opposition chez l’enfant, on touche inévitablement à un aspect de son éducation, notamment le développement du sens moral chez lui, qui consiste à ce qu’il comprenne que les actes qu’il pose affectent les personnes de son entourage et qu’il a une responsabilité à cet égard.

Or il fait partie du naturel des enfants de de transgresser les limites qu’ils rencontrent dans leur entourage : cette façon d’explorer leur environnement physique et humain est à la base leur apprentissage du monde et de leur adaptation à ce dernier. Un enfant qui ne bouge pas est inquiétant, il apprend moins. C’est en bougeant qu’il fera ses expériences, dont certaines pourront être amères, comme se casser un bras en tombant d’un arbre . Or la loi reconnait que lorsqu’un enfant se met en danger, ou met les autres en danger, l’adulte, qu’il soit parent ou autre, peut (et doit, on s’entend) intervenir avec un arrêt d’agir si les paroles ne suffisent pas. Aucun adulte n’hésite à prendre par le bras un enfant qui se met à courir dans une rue passante. Donc la loi reconnait implicitement (une question de bon sens!) que dans certaines situations un adulte peut et doit faire un arrêt d’agir au profit de l’enfant, ce qui aura pour conséquence de lui apprendre comment agir dans certaines situations pour se protéger lui-même et protéger les autres. L’enfant apprend ainsi à distinguer ce qui est bien de ce qui est mal pour pouvoir s’adapter au monde physique dans lequel il vit. Il faut réaliser qu’il existe des choses tout aussi importantes et urgentes à apprendre pour l’enfant du point de vue de la vie en société.

La loi « décriminalise » (le choix du vocabulaire utilisé par le législateur est étonnant, vous en conviendrez) ces « voies de fait » à l’égard des enfants lorsque ces derniers brisent du matériel. Pour quelle raison ? Difficile de pénétrer l’esprit du législateur ici mais ceci concerne définitivement le respect des biens matériels dans notre société, biens qui en général n’appartiennent pas à l’enfant. Les adultes peuvent faire des arrêts d’agir, donc s’adonner à des voies de fait décriminalisées pour la circonstance à l’égard de l’enfant (suivant le vocabulaire toujours étonnant du législateur), lorsqu’il brise du matériel, ce qui aura pour conséquence de lui faire comprendre qu’il vit dans une société où on doit respecter le bien d’autrui.

Mais lorsque Paul injurie son enseignante devant la classe, la traitant de grosse conne, d’enfoirée, de « va te faire foutre », et j’en passe….le législateur considère que le prendre par le bras pour le sortir de la classe constituerait une voie de fait passible de poursuite au criminel! C’est la raison pour laquelle les gestionnaires de nos institutions d’enseignement recommandent au professeur dans une telle circonstance de faire sortir tous les autres élèves, ce qui renforce le pouvoir d’un enfant qui en a déjà trop. À peu près tout le monde sera d’accord pour dire qu’il est nécessaire de mettre des limites aux enfants afin qu’ils apprennent à leur profit où ils doivent eux-mêmes mettre les limites pour s’adapter de façon positive au monde physique et social qui est le leur. Le problème qui nous occupe concerne le fait de mettre des limites à un enfant, lorsque les moyens usuels d’explication et de demandes ne suffisent plus, et que le comportement de l’enfant constitue une menace pour ses capacités à établir des relations saines avec les personnes de son entourage.
Sur ce sujet devenu épineux, existe-t-il certaines recherches ou évidences pouvant servir d’appui à une opinion plus judicieuse que celle suggérée par notre loi fédérale? Je vous en propose quelques-unes :

Une loi suédoise

A - En 1979 en Suède, une loi fut passée contre l’utilisation de la force physique et d’abus verbaux à l’égard des enfants; les statistiques subséquentes à cette loi montrèrent effectivement une diminution des interventions physiques avec les enfants (du genre arrêt d’agir ou voie de fait de notre loi fédérale canadienne). Mais ces statistiques montrèrent également, contrairement à toutes les prévisions, une augmentation substantielles d’abus (x4) à l’égard des enfants et une augmentation également substantielle des actes de violence (x6) chez les adolescents. (Baumrind 1996)

Il n’y a donc pas que les jeunes enfants de 7 ans à qui on laisse passer leur colère sur une poupée qui deviennent plus violents dans leurs rapports sociaux, Je crois que ces recherches prouvent que le contexte de la discipline physique est important. Bel exemple du proverbe chinois qui dit que lorsqu’une chose est poussée à son extrême, elle touche à son contraire. Lorsque pour favoriser une atmosphère de bonne entente et d’harmonie vous désirez exclure toute intervention physique dans votre relation avec les enfants, vous aboutissez à l’effet contraire, à un climat chronique de tension et de violence : l’histoire scolaire de Paul en témoigne.
Vous ne pouvez pas laisser passer une opposition aussi grossière et intense que celle de Paul. Dans une telle situation extrême, vous faites face à un problème. Vous devez faire quelque chose. De deux choses l’une, ou vous êtes amené à remettre en question votre façon de concevoir le problème de l’enfant comme étant celui d’un malade qu’il faut soigner, ou vous justifiez cette façon de voir le problème; notre société actuelle choisit trop souvent cette dernière option.

Délinquance et permissivité

B-A une époque où le populaire livre du Dr Spock (1946) définissait encore les standards culturels de l’éducation des enfants, Diana Baumrind (1966), une psychologue de l’Université de Californie avait le courage de faire réfléchir sur quelques faits connus concernant le rapport entre une trop grande permissivité dans les approches éducationnelles et les comportements agressifs chez les enfants. Elle rappelle les travaux (Bandura and Walters 1959) qui rapportent que les parents d’enfants délinquants sont plus permissifs que les parents d’enfants non délinquants. Elle rappelle également les travaux de Siegel and Kohn (1959) démontrant que la présence d’un adulte permissif accroit l’incidence d’agression de jeunes garçons en garderie à l’égard de plus jeunes.

C-Des chercheurs de l’Université de Londres (Leman in : LeGault 2006) ont démontré que des parents permissifs nuisent au développement moral des enfants; les enfants vivant dans les familles les moins permissives, donc les plus autoritaires, sont les enfants qui prennent le plus en compte les sentiments et les droits des autres en société. Il n’y a pas de raison de croire qu’une trop grande permissivité de la part de ceux qui agissent comme substituts parentaux n’ait pas le même effet.

Des lecteurs pourraient alors m’objecter que les parents qui se refusent aux arrêts d’agir ne sont pas nécessairement des parents permissifs qui n’offrent pas d’encadrement à leurs enfants, un argument qui est tout à fait exact. Il est difficile de lancer une discussion qui ait du sens sur des comportements si complexes lorsque nous nous en tenons à des discussions de principes. Tout dépend en grande partie de la nature de l’enfant, de la nature du parent et de la nature des circonstances dont nous parlions. Le comportement humain est d’une complexité sans non et ne se laisse jamais enfermer dans des principes qui planent avec une sagesse tranquille au-dessus de tous les cas particuliers : d’où la grande difficulté du législateur en la matière. Il est aussi important d’ajouter que lorsque nous parlons d’arrêt d’agir, nous ne parlons jamais de frapper un enfant ou de lui donner une volée. Nous parlons d’une intervention au cours de laquelle l’adulte demeure calme et en totale maitrise de lui-même. Il est important de préciser cela car lorsque nous parlons d’arrêt d’agir, beaucoup de personnes se sentent mal à l’aise, deviennent émotives et imaginent des sévices à l’égard des enfants, i.e. quelque chose de violent et de brutal, ce qui ne doit jamais être le cas; l’intention de faire mal à un enfant est totalement exclue et incompatible avec le rôle d’un adulte à l’égard un enfant. Il faut distinguer la fermeté de la violence.

Histoire d’André

André avait presque quatre ans lorsqu’il a été référé à notre hôpital de jour pour une évaluation du retard de son développement. Il présentait un certain nombre de caractéristiques utilisées pour documenter la présence d’autisme chez les enfants, appelés à cette époque, TED (roubles envahissants du développement). Il fut intégré à un programme de stimulation intensive impliquant une vingtaine d’heures par semaine. Je le revis deux ans plus tard avant son intégration en maternelle. Il avait fait des progrès significatifs : le langage, quoiqu’à un niveau inférieur, était maintenant dans le registre des enfants de son âge et ses habiletés de socialisation étaient en émergence. André recevait toujours, dans le cadre scolaire, le soutien accordé aux enfants ayant présenté des difficultés significatives dans leur développement.

L’arrêt d’agir comme seule solution; le cas d’André

Puis un jour, alors qu’il avait neuf ans, on me demanda de le voir d’urgence. Il entra dans mon bureau seul, calme, souriant. Les progrès étaient toujours manifestes : le contact visuel, significatif, il comprenait bien et s’exprimait mieux. Il me dit avoir des amis et m’expliqua qu’il venait me voir parce qu’il n’était pas gentil avec eux. Il avait de fait été exclu de l’école en raison de comportements agressifs mais il ne savait pas m’expliquer pourquoi il agissait ainsi.

Dans cette situation d’urgence, j’avais demandé à rencontrer au moins une personne des divers milieux de vie importants de l’enfant. Les parents étaient présents, de même que l’enseignante, l’éducatrice, la psychologue et le directeur de l’école; il y avait également l’éducatrice du centre de réadaptation qui était impliquée depuis le début dans le programme de stimulation intensive de cet enfant. Délégation à la mesure de l’urgence perçue de la situation.

Les parents, qui sont séparés, font chacun état de problèmes de comportement dans leur maison respective. Le père rapporte que lorsque son fils est fâché contre lui, il peut lui donner des coups de pied sur les jambes; mais il minimise rapidement la chose en disant que cela est peu fréquent et qu’en général les choses se passent bien. Je rappelle au père un épisode survenu lors d’une entrevue antérieure où son fils, trouvant le temps long et voulant quitter le bureau, devant le refus de son père, l’avait frappé avec vigueur sur le bras. Lorsque j’étais intervenu à ce moment-là, le père avait également minimisé le fait, expliquant en riant qu’il s’agissait de quelque chose d’exceptionnel.
Quant à la mère, elle rapporte d’emblée que chez elle les crises sont certainement moins fréquentes et moins intenses que celles rapportées à l’école. Elle raconte que lorsqu’elle le renvoie dans sa chambre, il hurle, claque la porte, donne des coups de pieds sur les murs; elle raconte aussi que lorsqu’à table son verre n’est pas à sa place, ou qu’elle ne sort pas le pantalon qu’il doit mettre ce jour-là, ou lorsqu’une contrainte lui est imposée. il fait une crise. La mère décrit ces comportements en utilisant le terme rigidité. Un terme devenu une sorte de norme pour désigner le comportement des enfants qui de nos jours s’opposent avec persistance.

À l’école, les intervenants mettent l’accent sur ses propos menaçants « je vais te tuer », sur ses dessins de guerriers tout tachetés de rouge sang. On rapporte qu’il passe de 0 à 10 sans raison, qu’il frappe, agit de façon impulsive, qu’il refuse de faire des exercices qu’il faisait volontiers le jour précédent. Le directeur me dit qu’il est inquiet de la sécurité des enfants et du personnel, notamment en raison de ses coups de pied. Ce qui le rassure c’est qu’André se trouve dans un environnement TED avec du personnel qualifié.

Je demande alors des détails sur les interventions qui sont faites lors des désorganisations. On me parle d’un plan d’intervention qui consiste à présenter à l’enfant des alternatives sur carte; mais cela ne fonctionne pas car il les repousse systématiquement. On me parle d’interventions d’apaisement, dont des massages etc…C’est alors que je leur demande abruptement s’ils font des arrêts d’agir i.e. des actions par lesquelles on arrête physiquement l’enfant de frapper, de tirer des objets, de renverser les chaises et les bureaux, de continuer à crier des insultes et des grossièretés devant tout le groupe. Silence. Je répète ma question en l’adressant plus spécifiquement aux éducatrices qui sont sur place dans la classe lorsque ces désorganisations se présentent. Embarrassées, elles me répondent, en regardant le directeur, qu’elles n’ont pas la permission d’intervenir de cette manière i.e. de toucher physiquement à un enfant s’il n’est pas jugé dangereux pour lui-même ou pour les autres. Une réponse évidemment à laquelle je m’attendais.

S’ensuit alors une discussion très animée sur l’idée que dans une circonstance de comportement aussi extrême, lorsque les approches dites normales ont toutes échoué, il est important de faire un arrêt d’agir. Je me tourne vers la mère pour lui rappeler nos discussions antérieures à ce sujet qui n’ont jamais jusqu’à maintenant porté fruit pour la bonne raison que la mère ne s’est à ce jour jamais impliquée de cette manière avec son enfant. Et les larmes se mettent à couler sur le visage de la mère qui, avec une émotion qui ne laisse personne insensible, nous dit son épuisement, sa misère sur le plan matériel et émotif. Après avoir accordé un soutien à la mère relativement à une aide concrète dans l’organisation de sa vie à la maison, nous revenons en fin d’entrevue sur le problème des comportements d’opposition de l’enfant. Durant tout ce temps, nous avons devant nous un enfant qui demeure calme et attentif. Nous insistons sur les arrêts d’agir. Le malaise redevient palpable lorsque nous abordons cette question. Finalement, le directeur de l’école nous dit qu’il devra parler aux responsables de la commission scolaire avant de prendre une décision. Nous lui proposons d’inviter une responsable de la Commission Scolaire à la prochaine rencontre. Ce qu’il fit.

Je me souviendrai toujours de cette rencontre qui fut déterminante. Elle réunissait toutes les personnes importantes des milieux de vie de l’enfant, plus une conseillère pédagogique de sa Commission scolaire, sauf la mère et l’enfant retardés au début sur la route par une tempête de neige. J’ai d’emblée orienté la discussion sur le problème des arrêts d’agir à l’école. On me répondit en parlant de protocole, des craintes de poursuite (même si la mère avait déjà rassuré l’école à ce sujet) mais on se dit non fermé à l’idée. Arrivent alors la mère et l’enfant qui viennent s’assoir à mes côtés. André est calme et souriant. La discussion reprend rapidement sur la question des arrêts d’agir et devant les attitudes d’hésitation, voici que la mère interrompt subitement la discussion et s’adressant aux personnes de l’école d’une voix assurée et ferme que je ne lui avais jamais connue : « Écoutez-le, il a raison, ça marche, je l’ai essayé chez moi ». Cette intervention balaya les dernières hésitations des autorités scolaires qui autorisèrent pour cet enfant, mais pour cet enfant seulement, les arrêts d’agir lorsqu’indiqués. Et les importants troubles de comportement de l’enfant devinrent chose du passé et le demeurent après quelques années.
Situation extrême et arrêt d’agir

Que fait-on, dans une situation extrême comme celle de cet enfant, lorsque tous les moyens raisonnables ont été épuisés et que le problème, non seulement persiste, mais s’aggrave et que les arrêts d’agir permis aux parents dans de telles circonstances, sont défendus aux personnes qui assument le rôle de substituts de l’autorité parentale dans les différents milieux de vie de l’enfant ? Bonne question. Où est la bonne réponse ? Dans le cas de l’enfant dont nous venons de parler, la réponse fut dans l’application d’une procédure illégale! Une procédure illégale dont nous ignorions l’illégalité dans les débuts de ma pratique en pédopsychiatrie,
L’idée que je défends c’est que les lois sont des fabrications de l’homme, qu’elles naissent dans des contextes particuliers et qu’elles doivent évoluer en suivant l’évolution de ces contextes.

Il ne faut jamais oublier que les lois sont là pour nous servir, non l’inverse. Pensez-vous qu’il y a un problème lorsqu’il faut appliquer une loi qui interdit les arrêts d’agir chez les enfants aux personnes qui, dans leur milieu de vie, jouent le rôle de substituts parentaux ?
Ma réponse est fermement affirmative. La manière qui prévaut actuellement dans notre culture c’est de décrire le comportement problématique de l’enfant trop opposant comme se rattachant à une catégorie diagnostique DSM : TDAH, ou TSA, ou TAG, etc ….et pourquoi pas TIC ou TAC ? Qu’est-ce qu’on est alors en train de faire ? On pelte son problème, on le projette ailleurs comme on pelte sa propre neige dans la cour du voisin! En d’autres mots, on le médicalise. Or, les approches éducationnelles n’appartiennent pas à la médecine en tant que telle. Et quand on pelte du côté de la médecine, les chances de médicalisation sont grandes. Et cela devient un problème, non seulement pour les patients mais également pour les médecins. Essentiellement, ce qu’un médecin veut faire, c’est un bon diagnostic pour orienter le patient vers un bon traitement. Comment faire ce bon diagnostic dans les cas de Paul et d’André? Est-il judicieux de prescrire des médicaments pour ces enfants ? Et sur quelle base? Nous avons montré dans le chapitre précédent que les catégories TIC-TAC ne sont pas de véritables diagnostics.


Notes
-Bandura , A.,& Walters, R,H. Adolescent agression. NY; Ronald,1959
-Baumrind Diana, 1966, Effects of authoritative parental control on child behavior in : Child Development V.37(4) dec. 1966
-Baumrind D, The Discipline Controversy revisited, Family Relations, 1996, 45, 405-414
-Berkowitz,L., 1978, The case for bottling up rage Psychology today july p.28
-Glueck, S., & Glueck, Eleanor. Unraveling juvenile delinquency. NY; Commonwealth Fund, 1950.
-LeGault Michael, 2006, Think, Threshold Editions, N.Y
-Leman,P, Kragh-Muller, T, Parenting Stlye as a Context for Moral Legitimacy: Children’s Perceptions of the Reasons Behind Adult Moral Rules. Dept. of Psychology, Goldsmiiths College, University of London, UK.
-Siegel,Alberta E & Kohn,Lynette G. Permissiveness, permission and aggression : the effects of adult presence or absence on agression in children’s play. Childa Develpm. 1959, 30, 131-141
-Spock,B.M. 1946, The common sense book of baby and child care. NY : Duell,Sloan, & Pearce
-Thivierge J. 1978, La dysfonction cérébrale mineure : mythe et traitement. La Vie médicale au Canada Français Volume 7 Déc.1978

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