Vers la logique de Boole

Jacques Dufresne
L'ordinateur est le résultat de sept siècles de logique formelle
Leibniz, comme beaucoup de savants de son époque, était à la recherche d'une manière infaillible de raisonner. Qu'est-ce qui fausse notre raisonnement, qu'est-ce qui nous éloigne de la vérité? À l'époque de Leibniz, on répondait spontanément à cette question en accusant les sens. «Ce sont les sens qui nous trompent», avait écrit Descartes. Voilà pourquoi Leibniz, en cherchant une manière infaillible de raisonner, a été amené à s'élever dans l'abstraction jusqu'à une altitude telle que la perturbation venue des sens ne soit plus perceptible. Ce haut niveau d'abstraction est celui de la logique dite formelle.

À la vérité, c'est au philosophe espagnol Raymond Lulle (1235-1315) qu'il faut remonter pour discerner l'origine d'une telle logique formelle en Occident. Dans l'Art Bref, il a vraiment tenté de transformer les catégories d'Aristote en une machine de la vérité où, par un jeu complexe de schémas et de symboles, on peut représenter une multitude d'agencements possibles des éléments du savoir. «Le sujet de cet Art, écrit Raymond Lulle, est de répondre à toutes les questions, en supposant que soit connu ce qu'indique le nom». Le but de l'ordinateur sera de répondre à toutes les questions, à la condition qu'elles puissent être traitées selon des règles logiques elles-mêmes compatibles avec les circuits de l'ordinateur.

Le projet de Leibiniz resta inachevé. C'est le mathématicien anglais George Boole (1815-1864) qui, 150 ans plus tard, réalisera le rêve de Leibniz dans un ouvrage intitulé The Laws of Thought. Voici le but qu'il poursuivait et qu'il précise dans le premier paragraphe du livre: «étudier les lois fondamentales de l'esprit selon lesquelles le raisonnement s'accomplit; exposer ces lois dans le langage symbolique du calcul et, sur cette base, établir la science de la logique et construire sa méthode.» Boole émet l'hypothèse que les opérations de l'esprit engagé dans le raisonnement sont gouvernées par certaines lois algébriques, analogues aux lois des opérations arithmétiques familières relatives à l'addition, la soustraction, la multiplication, etc. À partir de ces lois fondamentales, qu'il expose à l'aide de symboles mathématiques, il construit une méthode pour résoudre des problèmes de logique.

Les hypothèses et les postulats de base sont d'abord mis sous forme d'équations. Par la suite, la manipulation des symboles logiques remplace l'habituel processus logique de déduction. Le raisonnement est ainsi ramené au calcul, la logique est réduite à l'algèbre. Soit deux termes: vrai ou faux, ou 0 et 1. Ces deux termes, ces deux états, peuvent se combiner de diverses manières. La somme logique de deux variables est égale à 1 lorsque au moins l'une d'elles a la valeur 1; elle est de 0 lorsque toutes deux ont simultanément la valeur 0. Le produit logique de deux variables est égal à 0 lorsque au moins l'une d'elles est égale à 0, et vaut 1 lorsque toutes deux ont simultanément la valeur 1.

Les «portes» sont une autre façon de représenter les opérations logiques. La porte «et» correspond à la multiplication logique, la porte «ou» à la somme logique. La porte «non» transforme une donnée en son contraire.

Un pas décisif en direction de l'ordinateur a été franchi lorsque l'on a identifié la similitude entre les portes logiques et les relais, et donc entre les circuits logiques et les circuits électriques. Supposons que 1 correspond à une impulsion forte, et 0 à une impulsion faible. On peut facilement régler les relais de telle sorte que seule l'impulsion forte puisse passer. Un circuit électrique peut ainsi devenir une machine à additionner.

1 (x) + 0 (y) = 1 (s)


A l'entrée les impulsions fortes et faibles correspondent aux touches 1 et 0 que l'on frappe sur le clavier avant d'appuyer sur la fonction addition +. Le relais OU est réglé de façon à ce qu'il y ait qu'un impulsion forte à la sortie lorsque les deux impulsions sont présentes à l'entrée. Le relais ET est réglé de façon à ce qu'il faille deux impulsions fortes a l'entrée pour qu'il y en ait une à la sortie. Le relais NON transforme une impulsion en son contraire. La réponse cherchée se trouve à droite du tableau. Elle correspond à la position 1.

Autres articles associés à ce dossier

L'industrialisation

Jacques Dufresne


La carte perforée

Jacques Dufresne

Du métier à tisser à l'ordinateur

Les événements décisifs

Jacques Dufresne

Si l'on définit le hasard comme la rencontre de deux ou plusieurs séries causales indépendantes, ont peut dire que l'ordinateur est le fruit du has

L'ordinateur et l'électromagnétisme

Jacques Dufresne

Nord, Sud, 0,1...La boussole c'est déjà l'ordinateur.

De la pascaline au robot

Jacques Dufresne

Exemple de la façon dont le XVIIe siècle a tenté de réaliser par des procédés mécaniques simples ce que le XXe siècle réalisera à l'aide de

À lire également du même auteur

Résurrection de la convivialité
Ivan Illich annonçait dès les années 1970 une révolution, litt&eacu

Mourir, la rencontre d'une vie
Si la mort était la grande rencontre d’une vie, que gagnerait-elle, que perdrait-elle &

Bruyère André
Alors qu'au Québec les questions fusent de partout sur les coûts astronomiques li&e

Noël ou le déconfinement de l'âme
Que Noël, fête de la naissance du Christ, Dieu incarné, Verbe fait chair, soit aus

De Desmarais en Sirois
Démocratie ou ploutocratie, gouvernement par le peuple ou par l'argent? La question se po

Le retour des classiques dans les classes du Québec
Le choix des classiques nous met devant deux grands défis : exclure l’idéal




Articles récents