Hector Langevin, ce mal-aimé de la mémoire canadienne

Stéphane Stapinsky

Bien singulier pays que le Canada. Il cherche toujours à être l’exception, à se montrer plus vertueux que les autres. Pourtant, quand on creuse un peu sous le vernis... Un pays étrangement masochiste aussi. Alors que n’importe quel État célébrant un anniversaire comparable au 150e de la Confédération, mettrait en valeur les grandes figures de son histoire, ici, on assiste plutôt à une remise en question de personnages marquants du passé.

La situation est plutôt ironique. Moi qui ne suis pas vraiment un défenseur de la mémoire canadienne, surtout en cette année du 150e, je me retrouve, dans cet article, à argumenter en faveur d’un des pères de la Confédération dont certains veulent noircir la mémoire. J’ai souvent insisté sur le manque d’esprit critique des Canadiens anglais face à leur histoire. Je devrais donc me joindre avec enthousiasme à cette initiative. Mais je ne le fais pas. Car ce qui se passe ici m’apparaît inacceptable. Il y est question du Canada, mais cela pourrait très bien concerner le passé du Québec ou de n'importe quelle autre nation.

Hector Langevin au coeur d’une controverse

Comment Hector Langevin, un politicien du 19e siècle qu’à peu près personne ne connaît aujourd’hui, s’est-il retrouvé au coeur d’une controverse dans la capitale fédérale en cette année du 150e anniversaire de la Confédération?

Contrairement à d’autres controverses semblables (notamment aux États-Unis) impliquant des militants antiracistes ou des activistes LGTB, nous sommes confrontés, avec l’affaire Langevin, à une initiative qui émane du milieu politique autochtone lui-même.

En effet, cette affaire a débuté en février, alors que l’Assemblée des Premières Nations (APN), par la voix de son chef national Perry Bellegarde, a demandé au gouvernement fédéral de changer le nom de l’Édifice Langevin qui abrite le bureau du premier ministre du Canada face à la Colline parlementaire, à Ottawa. On priait aussi le gouvernement de tenir des consultation en collaboration avec les Premières Nations pour choisir le nouveau nom du lieu. La raison d’être de cette demande ? Le rôle joué par l’homme politique à la fin du 19e siècle dans l’établissement des tristement célèbres pensionnats autochtones.

L'Édifice Langevin, à Ottawa
Par Skeezix1000 — Travail personnel, CC BY-SA 3.0
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Des députés fédéraux autochtones de différents partis se sont associés à cette démarche. Tout le caucus libéral autochtone de même que la députée néo-démocrate Georgina Jolibois ont appuyé la requête de l’APN. Une conférence de presse très médiatisée a réuni les députés Hunter Tootoo (IND), Romeo Saganash (NPD), Don Rusnak (PLC) et Robert-Falcon Ouellette (PLC), lesquels ont suggéré à la ministre des Services publics et de l'Approvisionnement, Judy Foote, de donner à l’immeuble le nom d’un Autochtone qui a marqué l’histoire. «Ils ont estimé qu’il serait ‘’approprié’’ que le bureau du premier ministre porte le nom de l’un des premiers habitants du Canada.» Ouellette a suggéré le nom du chef métis Louis Riel.

L’affaire s’inscrit directement dans la suite des travaux de la Commission Vérité et réconciliation qui a fait enquête sur le système des pensionnats amérindiens. Cette demande de changement de nom est faite au nom de la réconciliation avec les peuples autochtones : «L’engagement du Canada à la réconciliation implique aussi de regarder en face certaines vérités plus difficiles de notre histoire.» Le rôle historique de Langevin en ferait partie.

Rappelons que la démarche qui vise l’édifice fédéral n’est pas la première concernant un lieu désigné du nom de l’homme politique. En janvier dernier, la ville de Calgary (Alberta) a débaptisé le point Hector-Langevin, construit en 2010, qui traverse la rivière Bow, qu’elle a renommé ensuite «Pont de la Réconciliation». Cette initiative fait partie des efforts de la ville « en vue d’un rapprochement avec les peuples autochtones ».

Pourquoi s’en prendre spécialement à Langevin?

Rappelons qu’Hector Langevin, avocat et journaliste mort en 1906, est l’un des pères de la Confédération canadienne et a participé à la rédaction de la constitution du pays. Sa carrière politique s’étend sur quelques décennies. Député conservateur fédéral, il a été un proche collaborateur de John A. Macdonald. Il fut plusieurs fois ministre, notamment des Travaux publics. Sa carrière se termina dans la foulée d’un scandale célèbre en 1891.

Hector Langevin (juillet 1873)

Langevin a aussi été surintendant des Affaires indiennes dans le cabinet de Macdonald. Les leaders autochtones lui reprochent ses positions et ses actions dans le cadre de ce mandat. Le rapport final de la Commission Vérité et réconciliation (décembre 2015) lui attribue d’ailleurs un rôle fondamental dans la mise en place de ceux-ci à la fin du 19e siècle.

On épingle aussi certains propos «incriminants» de Langevin au sujet des Amérindiens. En voici un exemple : «Pour pouvoir éduquer les enfants correctement, nous devons les séparer de leurs familles. Certains peuvent penser qu'il s'agit d'une mesure radicale, mais nous n'avons pas d'autre choix si nous voulons les civiliser.» (1883) La hargne avec laquelle les leaders autochtones s’en prennent à lui se comprend à la lumière des conclusions du rapport de la Commission, dans lequel il est affirmé que l’« établissement et le fonctionnement des pensionnats ont été un élément central de [la politique indienne du Canada], que l’on pourrait qualifier de “génocide culturel”.» «Génocide culturel». Le nom de Langevin est donc associé à ce qui est ni plus ni moins qu’une infâmie. Le chef national du Congrès des Peuples autochtones, Robert Bertrand, ne fait d’ailleurs pas dans la litote. Pour lui, « honorer de tels individus [comme Hector Langevin] ne fait que revictimiser les survivants ». C’est très fort. Exagéré? J’y reviendrai.

Les chevaliers de la rectitude politique appuient l’APN

Selon le député Romeo Saganash, le fait de changer le nom de l’édifice Langevin, en vue d’une réconciliation avec les peuples autochtones, ne devrait pas poser de problème. «Celle-là est facile. […] Ça ne fera pas même pas mal!» Je pense qu’il se trompe et sous-estime grandement les enjeux symboliques de ces changements de désignation, qui sont aussi importants pour les non-autochtones que pour les autochtones, et peuvent être assez compliqués à résoudre.

Ce débat n’a suscité, j’ai pu le vérifier, aucun intérêt au Québec et dans la presse franco-canadienne. Ce qui est quand même étonnant puisqu’il s’agit de la mémoire d’un homme politique canadien-français. Dans la presse anglophone, par contre, quelques textes de réflexion ont été publiés.

On ne s’étonnera pas d’apprendre que certains de ces textes sont pétris de rectitude politique et soutiennent sans réserve les changements de nom de l’édifice et/ou du pont.

Matthew Behrens, un écrivain et activiste résidant à Perth, endosse tout à fait la position des leaders des Premières Nations. On a là la posture «classique» du chevalier du politiquement correct. Il faut donc, à son avis, supprimer le nom de Langevin de la toponymie, car il était raciste. Point à la ligne. Pour lui, le personnage est associé au génocide culturel des Amérindiens. Il emploie même, citant un autre auteur, l’expression de «final solution of our Indian Problem».

Il propose ensuite au gouvernement une marche à suivre : «Comment le gouvernement libéral pourrait-il gérer le problème du nom de l’édifice du premier ministre ? Ne pourrait-il remplacer le nom de Langevin par celui de l'une des 29 femmes canadiennes d’exception figurant sur une liste établie par le gouvernement en 2012 (on y trouve notamment l’ex-juge de la Cour suprême Bertha Wilson)? Une plaque historique pourrait peut-être être installée à côté de chaque enseigne relative l’édifice Langevin, qui rappellerait aux passants le rôle joué par l’homme politique dans l'un des épisodes les plus honteux de l’histoire canadienne. Pourquoi ne pas donner à l’édifice un nouveau nom qui rappellerait le fait que celui-ci est construit sur un territoire algonquin traditionnel, qui n’a pas été formellement cédé au gouvernement canadien?» (1)

On ne s’étonnera pas de trouver, toujours en faveur du changement de nom, une universitaire spécialisée en études post-coloniales et ethniques. Les intellectuels postmodernes font généralement partie du peloton de tête, lorsqu’il s’agit de déconstruire la mémoire collective.. C’est le cas ici de Linda Many Guns, professeur d’études amérindiennes à l’université de Lethbridge, Alberta. De manière prévisible, elle charge à fond Langevin : “He was instrumental in the design of the residential schools”. Il faut renommer le pont (de Calgary) car «the association many aboriginal people have with the residential school system is still “real today, it’s not something of the past”» (2)

Prises de positions étranges, paradoxales même, de Michael Platt, à propos du nom du pont de Calgary.

Pour lui, effacer le nom de Langevin est peut-être une erreur, affirme-t-il dans un texte paru en 2017. Non pas qu’il fut un grand homme. C’est plutôt que nous pourrions perdre, par la même occasion, le souvenir du raciste qu’il était et du système qu’il incarnait (3)

Par ailleurs, le même auteur est d’avis, dans un texte écrit bien plus tôt en 2016 et bien plus «radical», que de se limiter à effacer le nom de Langevin serait une erreur. Bien d’autres noms de figures problématiques existent selon lui dans la toponymie de Calgary, et il faudra bien s’y attaquer. On retrouve ici la rectitude politique devenue folle, qui a sans cesse besoin de nouveaux «monstres» à dévorer...

Il s’en prend en particulier à un groupe de femmes, qui ont joué un rôle important dans l’avancement de la cause féminine mais ont eu le tort, en leur temps, d’adhérer aux idées eugénistes : « Et donc le nom de Langevin doit s’en aller -- mais le conseil municipal ne peut pas s'arrêter là. (...) le fait de renommer le pont Langevin tout en laissant en place la statue des controversées Célèbres cinq (Famous Five) est irrespectueux envers les personnes handicapées et les citoyens non-blancs de cette ville ou ceux ayant des besoins particuliers. Les cinq amies féministes étaient élitistes, intolérantes, et elles ont fait activement la promotion d’un Canada  pur,, du point de vue racial, et eurocentré. » (4)

Nous sommes donc en présence d’une rivalité, d’une compétition des mémoires malheureuses, qui habite trop souvent l’esprit visiblement tourmenté des chevaliers du politiquement correct. Que vont-ils privilégier dans la hiérarchie des souffrances et des discriminations? La cause des femmes ou celle des handicapés, des malades, victimes de l'eugénisme? On le voit, l’inquisition renaît de ses cendres, le maccartysme réapparaît dans le champ de l’histoire. On traque le mal partout...

Hector Langevin : un procès injustifié

Les analyses qui précèdent ont toutes en commun de tirer de force la figure de Langevin dans le présent. Elles le jugent à l’aune des valeurs «poltiquement correctes» à notre époque. Elles sont donc anachroniques. Il nous faut maintenant camper le personnage de Langevin dans l’histoire afin de restituer sa véritable dimension et de déterminer si le procès qu’on lui fait est ou non justifié.

L’historien Serge Gauthier est le seul commentateur francophone qu’il m’ait été donné de lire sur la question. Dans un texte intitulé «Pauvre Sir Hector-Louis Langevin!» (Le Droit, 28 février 2017), il se porte à la défense du politicien, un peu à son corps défendant. Et il dit l’essentiel: «Faut-il maintenant le traiter en ‘’rebut de l'histoire’’ à partir d'amalgames qui se font ici injustement comme sur bien d'autres sujets. À son époque, les pensionnats où résidaient de jeunes autochtones n'étaient pas considérés avec le regard d'aujourd'hui. Langevin n'était pas différent des gens de son époque là-dessus et il est impossible de lui en faire reproche [pour son rôle dans les pensionnats autochtones]. De plus, il n'a jamais rien su des terribles sévices subis par ces enfants et il ne pouvait sans doute pas même les imaginer. Ce serait un peu ridicule de lui faire un procès d'intentions sur des sujets que Langevin ne pouvait connaître. À l'époque, il croyait faire le bien et personne ne pourra jamais revenir là-dessus.»

Réduire la carrière politique de Langevin à la question des pensionnats autochtones, c’est une fausseté historique. Ce n’est pas pour cette raison qu’on l’honore. D’ailleurs, cet épisode n’est qu’une note de bas de page dans sa carrière politique. L’article consacré au politicien dans le Dictionnaire biographique du Canada ne mentionne même pas son implication quant à cette question.

Lorsque le leader autochtone Bellegarde affirme que, «Surely you can see the incongruity of naming a building after the architect of this system», il profère une inexactitude. Langevin n’est pas le créateur de ce système oppressif que furent les pensionnats amérindiens. Il n’était qu’un des maillons d’une machine administrative beaucoup plus vaste.

Michael Platt le rappelle dans son article de 2017. C’est une erreur de faire de Langevin un bouc-émissaire pour les erreurs de son temps. C’est le premier ministre Macdonald « qui était convaincu que que le Canada devait s’inspirer des États-Unis pour ce qui est de l’éducation des enfants autochtones, et qui en fait une politique, en retirant ceux-ci de leurs familles afin de les «civiliser» -- une approche que nous réprouvons bien sûr aujourd’hui mais qui était vue comme socialement progressiste en 1879» (5). Langevin ne faisait que souscrire à la position de son parti et obéir à son chef.

Platt souligne par ailleurs que Langevin était « favorable à l’augmentation des dépenses en faveur des élèves des Premières nations et à l’amélioration de leurs installations scolaires,  contrairement à d'autres députés qui voulaient réduire certaines dépenses essentielles, comme la ration d'avoine qui leur était attribuée. L'année précédente, Langevin, un défenseur sincère des droits des minorités au Canada, avait été l'un des seuls à se battre pour la vie du chef métis Louis Riel.» (6)

Le fait de porter son attention sur Langevin au détriment du reste (les hommes politiques de son temps, le contexte social plus large, etc.) n’est pas étonnant dès lors que nous sommes confrontés à une volonté d’épuration toponymique. Les épurateurs toponymiques sont habituellement monomaniaques. Ils focalisent sur une personnage, dont il veulent éradiquer la présence. Ils sont totalement inconscients de l’arbitraire de leur démarche. Pourquoi vouloir effacer le nom de Langevin et non pas celui de tel autre, qui partageait les mêmes idées et fut bien pire (par exemple Macdonald)? Ils ne se posent pas la question, tout occupés qu’ils sont à poursuivre leur oeuvre de démolition.

Les préjugés de Langevin concernant les Amérindiens peuvent scandaliser aujourd’hui, c’est vrai, mais ils étaient chose courante en son temps au sein de l’élite et dans la population en général. La notion de génocide culturel n’existait pas à l’époque. La notion de sauvegarde de la culture n’était pas à l’ordre du jour. La question de l’assimilation n’était pas non plus une cause de scandale. On croyait au contraire qu’elle permettrait à la personne assimilée d’améliorer son sort. Le rapport de la Commission illustre cette manière de voir les choses par des exemples comme celui-ci :

« L’évêque Vital Grandin de St. Albert (qui deviendra Edmonton) mène la campagne sur les pensionnats. Convaincu que les Autochtones sont menacés d’extinction, et doutant que des chasseurs et des trappeurs adultes puissent devenir de bons agriculteurs, il soutient dans une lettre rédigée en 1880 à l’intention d’Hector Langevin, ministre des Travaux publics, que ‘’la seule façon efficace de sauver les Indiens de Nord-Ouest de la destruction et de les civiliser est de commencer avec les jeunes enfants; toutes les autres dépenses engagées à cette fin ne seront qu’une perte presque totale’’.» (cité dans le rapport final de la Commission VR)

Sur la question des pensionnats autochtones, le rapport de la Commission mentionne, à côté d’innombrables témoignages d’abus, présente d’autres témoignages, plus positifs ceux-là, de jeunes ayant reçu, dans ces institutions, un enseignement, une éducation qui leur ont été utiles par la suite.

Par ailleurs, en toute justice, il faut comparer la violence dans les pensionnats à celles d’autres institutions dans lesquelles se retrouvaient surtout des Blancs. Une telle violence n’était pas unique. On a qu’à penser aux orphelinats, aux écoles de réforme. J’ai fait mon cours primaire au début des années 1970 et, encore à cette époque, dans l’école (ordinaire, normale) que j’ai fréquentée, le directeur punissait à l’occasion les élèves qui s’étaient très mal conduits au moyen de la «strap»... On parle des années 1970.

Certains commentateurs anglo-canadiens ont conscience, me semble-t-il, que quelque chose d’important est en jeu avec l’affaire Langevin, qui dépassent le cas de cette seule figure historique. Ils critiquent vertement cette tendance à dénigrer le passé, dont elle est l’un des symptômes.

Pour un autre commentateur de l'affaire, John Ivison, Langevin «was not a monster — he was a man of his time». Ce serait donc une erreur que d’effacer son nom. Dans un texte important publié dans le magazine Maclean, Peter Shawn Taylor prend lui aussi partie pour Langevin : «Alors que Langevin suscite l'indignation des leaders autochtones pour sa participation à la création du système des pensionnats, il est faux de prétendre que c’est là son principal héritage. Le nom de Langevin a été attribué à un immeuble important parce qu'il fut un membre-clé du gouvernement Macdonald et un ministre des Travaux publics accompli durant les premières années du Dominion du Canada» (7). Ivison souhaite qu’on cesse de s’en prendre de manière anachronique aux grandes figures de l’histoire canadienne. 

Comme Mohammed Adam, je pense que les figures du passé doivent être appréhendées dans leur totalité, en tenant compte à la fois des aspects négatifs et positifs de leur vie. « Nous célébrons ces géants pour l’empreinte qu'ils ont laissée sur la société, mais leurs défauts font aussi partie de leur héritage, et nous ne devons pas les passer sous silence.» (8) L’hommage que l’on rend à Langevin (ou à tout autre personnage) ne doit pas en dissimuler les zones d’ombre. «Si nous voulons conserver à cet édifice public le nom de Langevin, nous ne devons pas taire son rôle dans l’affaire des pensionnats autochtones. Une plaque commémorative doit être posée sur le bâtiment afin de rappeler ses torts à l’égard des peuples autochtones. » (9) Il me semble que ce serait là un compromis qui pourrait rallier une majorité de personnes de bonne volonté.

Le gouvernement fédéral ouvrira-t-il la boîte de Pandore mémorielle?

La balle est maintenant dans le camp du gouvernement libéral de Justin Trudeau, qui n’a pas encore répondu à la demande de l’APN.

Le bureau de la ministre Judy Foote a indiqué que le gouvernement prendra une décision en tenant compte des recommandations de la Commission Vérité et réconciliation. Cela sera fait de concert avec les peuples autochtones.

Que cache ce langage diplomatique? Une acceptation probable de la requête de l’APN, on dirait bien. Une telle acceptation serait cohérente avec d’autres prises de position «progressistes» du gouvernement Trudeau. Il faut que le Canada donne l’exemple au monde, pour sa tolérance, son ouverture... Ce qui ne pourrait que réjouir les leaders autochtones, pour qui l’heure devrait être à la réconciliation en cette année du 150e anniversaire de la Confédération.

L’ancien premier ministre Bob Rae a pris position dans le débat. Son intervention, par les tensions qu’elle révèle, traduit peut-être l’embarras d’une partie de la classe politique canadienne sur cette question.

En bon progressiste qu’il est, Rae n’est pas opposé à ce qu’on change le nom de l’édifice Langevin. « Je pense que nous devons considérer un bâtiment comme l’édifice Langevin et nous dire : « N'y a-t-il pas une autre façon de dire qui nous sommes aujourd'hui en tant que Canadiens? Hector fait presque partie des meubles -- l’édifice porte son nom depuis bien des années -- mais cela ne signifie pas que les noms ne doivent pas être remplacés.» (10)

Mais l’essentiel de son intervention consiste à apporter des nuances, à exprimer des réserves et des mises en garde :

«Nous devons comprendre que si l’on se concentre sur un individu en particulier, on passe à côté de l’essentiel (...) Hector Langevin n'était pas, si je puis emprunter une formule courante, ... un loup solitaire...» (11)

« Je ne pense pas qu’on puisse nier le fait que cette question [l’affaire Langevin] doive être discutée en profondeur. Mais nous devons bien peser les choses et être conscient que, en tant que pays, il serait très imprudent de commencer à enlever des murs les portraits officiels de personnages marquants de notre histoire, en prétendant qu’ils n’ont pas joué de rôle majeur dans notre vie nationale alors qu’en fait ils en ont joué un.» (12)

 «... il serait ‘’malavisé’’ de commencer à rebaptiser systématiquement les édifices du gouvernement » (13).

Que décidera Justin Trudeau? Ouvrira-t-il la boîte de Pandore de la mémoire canadienne. Suivra-t-il plutôt la voie de la sagesse, exprimée par Bob Rae et quelques autres. Si on commence à débaptiser, il est très difficile de s’arrêter... Si on épingle Langevin, on peut difficilement oublier Macdonald, son chef et inspirateur pour ce qui est pensionnats autochtones. Et Mackenzie King... Et Arthur Currie.... Et tant d’autres... Et puis, on peut aussi avoir des surprises. Certains héros de Justin Trudeau, qu’on aurait pu croire intouchables, comme Wilfrid Laurier, ont aussi leur part d’ombre.

Pour le premier ministre fédéral, le Canada est le premier État post-national. C’est un pays qui se vante de n’avoir pas de culture officielle. Sera-t-il aussi le premier à avoir une mémoire « politiquement correcte », c’est-à-dire, pour dire les choses telles qu’elles sont, une non-mémoire?

Notes

(1) Traduction libre de : «How could the Liberal government handle his office name problem? Would he replace Langevin with one of the 29 female leaders on a 2012 government list compiled for this purpose, which includes former Supreme Court justice Bertha Wilson? Maybe a historic plaque could be installed next to every Langevin Block nameplate, reminding passersby of his role in one of Canada’s most shameful episodes? Why not a new name that reflects the building’s location on traditional, unceded Algonquin territory?» -- Matthew Behrens, We should rename the Prime Minister's office, because Langevin was a racist
(2) L’auteur est cité dans cet article : What's in a name? Langevin bridge, school have complicated histories
(3) Michael Platt, Council's plan to erase Langevin a disservice to Calgary's history
(4) Traduction libre de : « And so Langevin should go — but council can’t stop there. (...) to rename the Langevin Bridge while leaving Calgary’s controversial Famous Five statue in place is a gesture of a different sort towards the disabled, special needs and non-white citizens of this city. The five feminist friends were bigoted elitists who actively promoted a racially-pure, Euro-centric Canada.» -- http://www.calgarysun.com/2015/06/16/langevin-bridge-not-calgarys-only-monument-to-bigoted-elitists--renaming-it-is-a-slippery-slope
(5) Traduction libre de : «who told the country he believed Canada should follow the American lead in schooling indigenous children far from the influence of their families, to civilize them — an obviously reprehensible notion now, but considered socially progressive in 1879.»
Platt: Council's plan to erase Langevin a disservice to Calgary's history
(6) Traduction libre de : «a champion of increased spending on First Nations students and better school facilities, when other MPs wanted to cut basics like the oatmeal allowance. The year before, Langevin, an outspoken defender of minority rights in Canada, had been one of the lone voices fighting for the life of Métis leader Louis Riel.»
(Platt: Council's plan to erase Langevin a disservice to Calgary's history)
(7) Traduction libre de : «While Langevin attracts the ire of Indigenous leaders for his creation of the residential school system, it’s wrong to consider this his principal legacy. Langevin was honoured with his name on a building because he was a key member of Macdonald’s government and an accomplished minister of public works during Canada’s early years.» -- Peter Shawn Taylor, «Canada is suffering from a rampant myopic urge to erase the entirety of its history. Why it’s time to stop the attacks on our past.» --
http://www.macleans.ca/news/canada/stop-hating-sir-john-a-and-other-history-lessons/
(8) Traduction libre de : «We celebrate these giants for the mark they left on society but their flaws are part of their legacy, and we shouldn’t whitewash them.» - Mohammed Adam, Monuments and mythology – let's not sanitize the past of famous Canadians
(9) Traduction libre de : «If we are going to name a public building after Langevin, we cannot bury this part of his record. A plaque on the Langevin building should explain the harm he caused aboriginal people.»
(10) Traduction libre de : «I think we need to look at a building like the Langevin block and say, 'Is there not some other way of saying who we are today as Canadians?' Hector's had a good run — he had his name on the building for a good while — but it doesn't mean the names can't be changed.» -- Bod Rae, Rename Langevin block, but prepare for history's other ghosts, Bob Rae warn, 17 février 2017
(11) Traduction libre de : 'We need to understand that if you fixate on one individual, you're missing the point.' (...) Hector Langevin was not, if I can borrow a current phrase, ... a lone wolf’
(12) Traduction libre de : « I don't think there's any question that this is a situation that needs to be fully discussed, but we also need to understand and appreciate that as a country, it would be unwise for us to start taking down official portraits of people and pretending people didn't play a role in our national life when in fact they did. »
(13) Traduction libre de : «... it would be 'unwise' to start renaming government buildings en masse ».




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