Quand la science fait la une

Jean Hamann
Les universitaires ont leur mot à dire pour contrer le sensationnalisme des médias sur les questions scientifiques. Article publié dans le magazine Au fil des événements, journal de la communauté universitaire de l'Université Laval (Québec), dans l'édition du 12 février 2004
Lorsque les médias prennent brusquement un virage scientifique pour traiter, à la faveur d'une crise, des sujets comme l'effet de serre, la vache folle, le clonage humain, le syndrome respiratoire aigu ou la grippe aviaire, c'est trop souvent pour s'engager à pleine vapeur sur l'autoroute du sensationnalisme, avec les risques de dérapage que cela implique. Les universitaires ont leur mot à dire pour ramener le train médiatique sur ses rails lorsqu'il s'emballe, a suggéré le conférencier Marc-François Bernier, le 6 février, à un auditoire composé d'étudiants du cours «Communication des sciences en agriculture», dispensé par Diane Parent, et de professeurs de la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation. «Il faut tout simplement qu'ils soient disponibles pour répondre aux questions des journalistes.»

Le conseil peut paraître simple, presque trop même, mais il est l'aboutissement d'une longue expérience pratique et d'une démarche scientifique chez Marc-François Bernier. Aujourd'hui professeur au Département de communication de l'Université d'Ottawa, ce diplômé à la maîtrise et au doctorat de l'Université Laval a été pendant une dizaine d'années journaliste au Journal de Québec, où il a couvert divers secteurs dont la santé et les sciences. Cette rencontre du troisième type avec la science et son intérêt pour l'examen critique du travail des journalistes l'ont incité à disséquer un cas de crise médiatique engendrée par un événement scientifique - le clonage de la brebis Dolly — afin de mieux comprendre le comportement des journalistes et des médias dans leur habitat chaotique naturel.

Hello Dolly!
«Un sujet comme le clonage du premier mammifère n'est pas simple pour des journalistes qui n'ont pas de formation scientifique, reconnaît Marc-François Bernier. Malgré la complexité du sujet, ils doivent travailler vite pour battre la concurrence. Le résultat est qu'ils ont souvent tendance à exagérer les conséquences négatives des événements scientifiques.» L'examen de la couverture que La Presse, Le Devoir, Le Droit et Le Soleil — des quotidiens «sérieux», commente-t-il au passage — ont accordée au clonage de Dolly dans les quatre semaines qui en ont suivi l'annonce montre que le risque de sensationnalisme atteint un sommet au tout début, «au moment où le public est le plus intéressé mais que l'information est rare, qu'il y a obligation de production mais manque de renseignements, que la demande d'information excède l'offre», constate-t-il. Le niveau de sensationnalisme diminue avec le temps, tout comme le nombre d'articles et l'intérêt des lecteurs.

Dans l'ensemble, 70 % des tous les articles publiés par les quatre quotidiens sur le clonage de Dolly contenaient plus d'anticipations inquiétantes que rassurantes. «Le lecteur raisonnable qui se fait une idée sur la base de ce qu'il lit a surtout reçu des messages inquiétants par rapport au clonage, souligne Marc-François Bernier. Même des quotidiens de qualité versent du côté du sensationnalisme par le biais des anticipations inquiétantes.»

Les normes professionnelles peuvent servir de remparts aux journalistes qui oublient que leur devoir est d'abord de rapporter la nouvelle et de la traiter de façon équilibrée et nuancée, rappelle-t-il. Les universitaires peuvent eux aussi apporter un antidote au poison du sensationnalisme médiatique en faisant montre de plus de disponibilité et d'ouverture face aux journalistes. «Toutefois, considérant l'urgence de couvrir une nouvelle, la rareté des sources compétentes qui acceptent de la commenter, le mépris d'une partie des scientifiques à l'endroit des journalistes et la mission finale des médias qui est de vendre de la copie, le sensationnalisme est quasiment inévitable», constate Marc-François Bernier.

Autres articles associés à ce dossier

Science, bon sens, complotisme et science critique. En compagnie de Pierre Biron.

Jacques Dufresne

Science sans critique est ruine de la raison. Science sans bon sens est ruine du sens « Science sans conscience n’est que ruine de l&rsq

La science victime d’elle-même : en marge de la manifestation mondiale de Stop 5G du 26 septembre 2020

Jacques Dufresne

Science trop bavarde est ruine de l’âme, dirons-nous pour paraphraser Rabelais.

Pitié pour la science

Depuis toujours et aujourd’hui plus que jamais, les amis de la science regrettent de la voir confondue avec l’opinion du premier venu, mai

Philosophie

Jacques Dufresne


Beaucoup de science...

Jacques Dufresne

À propos de Darwin, le hasard et Dieu,par le professeur Michel Delsol. Qu'importe que les animaux aient en partage une partie des dons autrefois ass

De la science

Jean le Rond d'Alembert

Extrait du Discours préliminaire de L'Encyclopédie dans lequel D'Alembert présente les grands principes qui ont présidé à l'organisation et à l

La foi dans la science

Charles Lichtenhaeler

La foi du charbonnier ou celle de l'homme de science? L'espoir en une transcendance est le même, qu'il se rencontre chez le philosophe, le théologie

La culture scientifique des Québécois

Conseil de la science et de la technologie

Cette enquête est une réalisation du Conseil de la science et de la technologie, dans le cadre de son Plan stratégique 2001-2004, qui devait prendr

La science nous trompe-t-elle?

Andrée Mathieu

Trois métaphores, celles du stréréoscope, du grand angulaire et de la chaîne d'arpenteur, nous aident à acqu&eac

L'homme et le monde

Werner Heisenberg

La technique rend l'homme étranger à lui-même dans le moment même où elle le prend pour «la mesure de toutes choses» (Protagoras).

L'apport des sciences humaines

Jacques Dufresne

Le regard de l'anthropologue n'est-il pas comparable à celui du primitif? Il voit des choses bizarres là où on est en pleine normalité.

La tragédie de la science

William Alfred Fowler

Le sens de l'humour de l'homme de science à son meilleur.

À lire également du même auteur

La peur, pire que le mal
Ce livre marque le retour de l'esprit critique à l'égard de la médecine. Vers la fin de la décen

Une pilule pour le coeur et la taille
Une étude dévoile les conclusions d'essais cliniques sur le rimonabant, un médicament administré

Un préhenseur robotique pour le nettoyage des installations nucléaires en Grande-Bretagne
Un préhenseur robotique mis au point au Département de génie mécanique servira aux opérations d

Thermomètre floral
La floraison du tussilage survient un mois plus tôt qu'il y a 80 ans.

Pas de pilule miracle
Une équipe de chercheurs de l'Université Laval vient de publier dans The American Journal of Cardi

Mieux vaut tard que trop tôt
Un délai entre un infarctus et un pontage améliore les chances de survie des patients.

Lutte biologique: trois bogues
Tout n'est pas rose du côté des armes «vertes» contre les insectes nuisibles




Articles récents