Pleins feux sur le Pharos

Sophie Boukhari et Hala Halim
La septième merveille du monde - le phare d'Alexandrie - refait surface. Les touristes amateurs de plongée pourraient bientôt se presser en Égypte pour la redécouvrir. Publié dans Sources UNESC0, no 87, février 1997
Les abords de l'île de Pharos, au large Ld'Alexandrie, sont peuplés d'étranges créatures. Plongez à six ou huit mètres de profondeur et vous vous trouverez nez-à-nez avec des sphinx, des femmes et des hommes aux proportions imposantes, perdus dans un champ de ruines. Les archéologues sous-marins, eux, nagent en plein bonheur; ils pensent avoir retrouvé les restes de la septième merveille du monde: le phare d'Alexandrie. Les amateurs de plongée pourront bientôt partager leur enthousiasme, si le projet de transformer ce formidable site en parc archéologique sous-marin parvient à émerger. Il figurera à l'ordre du jour d'un atelier réunissant archéologues, spécialistes de l'environnement marin et décideurs à Alexandrie du 7 au 11 avril, à l'initiative de l'Université de Lille (France), de l'UNESCO et du Conseil supérieur des antiquités égyptien (CSA). Lancée par Hassan El-Banna, de la Faculté des sciences, et Selim Morcos, consultant pour l'UNESCO, cette formule garantirait la conservation des vestiges là où l'Histoire les a amenés.


TREMBLEMENTS DE TERRE

Celle du Pharos commence au IIIe siècle avant JC, lorsque Ptolémée II le fit construire, sur une idée de son père. Le phare s'élevait à 100 mètres dans une cour à colonnades. Il reposait sur une base carrée surinontée d'un étage octogonal, lui-même coiffé d'un niveau cylindrique avec, au sommet, une lanterne couronnée d'une statue de Poséidon. Mais du IVe au XlVe siècles après JC, une série de tremblements de terre en vint à bout. Lorsque le voyageur arabe Ibn Battuta le visita en 1349, il le trouva "dans un tel état de ruine qu'il était impossible d'y pénétren". Plus d'un siècle plus tard, le sultan mamelouk Ashraf Qaitbay fit construire un fort sur le site. Qu'advint-il du phare? Certaines parties ont été récupérées et intégrées au fort, beaucoup plus petit. Mais l'on se soucia peu, jusqu'à une période récente, du corps du bâtiment et de la statuaire, qui reposaient au fond des eaux. Bien que le site fût connu des autorités, il fallut attendre le début des années 60 pour qu'un plongeur alexandrin presse la marine de repêcher une statue colossale représentant une reine ptolémaïque sous les traits d'Isis. À la demande des autorités, une étude préliminaire parrainée par l'UNESCO fut conduite par le plongeur britannique Honor Frost en 1968. Faux départ; le site retomba dans l'oubli, par manque d'archéologues spécialisés et parce qu'il devint zone militaire. Il ne refit surface qu'au début des années 90. Alors qu'elle tournait des séquences sous-marines, la réalisatrice Asmaa ElBakri remarqua une digue de béton en construction au-dessus des vestiges, afin de protéger le fort Qaitbay. La campagne médiatique qui s'ensuivit amena le CSA à suspendre les travaux tout en donnant le feu vert à une mission chargée de réaliser des fouilles de sauvetage. Commencées en 1994 sous la direction de Jean-Yves Empereur, chef du Centre d'études alexandrines (CEA), elles couvrent une zone d'environ 2,25 ha au nord-est du fort. Plus de 2.000 pièces ont été répertoriées, nettoyées, photographiées et couchées sur un plan. Les fonds sont fournis par l'Institut français d'archéologie orientale (IFAO) et des partenaires français privés. La profusion et l'amoncellement enchevêtré d'objets représentant des époques différentes - pharaonique, ptolémaïque et romaine - ont compliqué la tâche des archéologues. Mais l'analyse informatisée des cartes du site et l'examen de chaque bloc ont permis de distinguer deux catégories d'éléments bien distinctes. Selon Empereur et Jean-Pierre Corteggiani, un égyptologue de l'IFAO, la présence de sphinx et d'inscriptions hiéroglyphiques s'explique par la pratique ptolémaique qui consistait à réutiliser des vestiges pharaoniques. Certains d'entre eux, mêlés à des éléments hellénistiques et romains, auraient été jetés à la mer à la fin de l'époque romaine et au temps des mamelouks pour protéger le port d'Alexandrie. L’autre catégorie est constituée de blocs beaucoup plus lourds - 50 à 70 tonnes. Leur taille évoque un monument énorme et certains sont cassés en deux ou en trois, indiquant qu'ils sont tombés de haut. Empereur et ses collaborateurs n'en démordent plus: il s'agit des restes du phare d'Alexandrie. Une trentaine de pièces ont été repêchées, restaurées et exposées dans l'amphithéâtre de Kom el Dikka, à Alexandrie. Non seulement ces fouilles pourraient avoir d'importantes retombées touristiques mais elles ont ouvert de nouvelles perspectives aux archéologues égyptiens. Le CSA a créé, il y a deux mois, un département d'archéologie sous-marine. Pourtant, la poursuite de la campagne fait des vagues. Alors que les archéologues veulent le démantèlement de la digue de béton destinée à protéger le fort, notamment pour dégager les éléments du Pharos bloqués dessous, le service des antiquités a demandé que l'on arrête de remonter les vestiges après avoir été accusé de privilégier un site préislamique au détriment du fort mamelouk. La réunion d'avril permettra-t-elle de calmer la tempête qui se lève?

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