Chapitre 5: La démarche à suivre

Comité constitutionnel du Parti libéral du Québec
Le Québec a atteint un niveau de maturité qui lui permet maintenant d'assumer pleinement ses choix collectifs. Ses réalisations récentes sur le plan économique, scientifique, technique, social ou culturel démontrent clairement le potentiel que recèle la société québécoise. La diversification de son économie, la richesse de ses ressources humaines, son haut degré de cohésion sociale, sa tradition de tolérance, son ouverture marquée sur l'étranger sont autant de gages de sa capacité d'affronter les défis de l'avenir. La taille de la population représente une masse critique viable en tant qu'élément constitutif d'un État souverain. De plus, il ne fait aucun doute que le Québec possède un droit inaliénable à l'autodétermination.

Dans le processus de redéfinition de ses liens avec le Canada, le Québec sera cependant confronté à des obstacles qu'il importe de ne pas sous-estimer. L'ensemble des décisions à prendre, des négociations à entamer, des gestes à poser, doit être abordé de front et avec réalisme. Le moment serait mal choisi de laisser des questions sans réponse.
Les principes de base
C'est dans cet esprit que nous abordons l'importante question de la démarche que nous entreprenons collectivement. Cinq principes doivent guider cette démarche: la légitimité, la stabilité, la clarté, la célérité et la lucidité.

La légitimité: au cœur de la démarche
La qualité démocratique du processus dans lequel nous nous engageons doit être à la hauteur de notre idéal de société et, par conséquent, reposer sur la légitimité de notre décision collective. Cette légitimité exige la reconnaissance de la population québécoise. Notre capacité de réussir la démarche entreprise est en quelque sorte fortement conditionnée par notre faculté d'y faire participer une majorité incontournable de Québécoises et de Québécois, de façon responsable, avec en mains toutes les informations pour poser un choix réfléchi.

La stabilité: l'harmonie et la cohésion sociale
Le Québec voudra également s'assurer du maintien de l'ordre social et d'un contexte favorable à la poursuite du cours normal des activités économiques et financières. Le Québec devra à cet égard déclarer que, peu importe le scénario constitutionnel finalement retenu, il ne compte aucunement remettre en question le fonctionnement de l'union économique et qu'il travaillera, au contraire, à son renforcement.

Cette déclaration ne laissera aucun doute sur le fait que le Québec respectera tous les traités commerciaux et internationaux auxquels il est déjà partie prenante comme membre de la fédération canadienne. Le Québec signifiera son intention de respecter tous ses engagements financiers.

Une démarche claire
La démarche suivie se devra d'être totalement transparente. La clarté du processus permettra de limiter l'incertitude, le flottement et le tâtonnement politique. Les objectifs visés de même que les étapes envisagées devront être connus de tous: citoyens du Québec, partenaires canadiens, membres de la communauté internationale. Les gestes posés par le gouvernement devront être communiqués par tous les canaux permettant de rejoindre la population.

Un processus rapide
Or, le facteur temps est essentiel au succès de la démarche. La question de l'avenir du Québec ne doit pas seulement être tranchée d'une manière décisive et claire. Elle doit aussi l'être avec célérité. Un réaménagement politique comportant de trop longs délais ne peut qu'accroître significativement les «coûts de transition». L'attentisme des investisseurs sera accru et les conséquences économiques plus dommageables. Dès lors, il importe de s'assurer que le processus soit complété, autant que possible, dans des délais raisonnables.

La lucidité ou le maintien du dialogue
Enfin, notre démarche doit être empreinte du souci de maintenir de bonnes relations avec nos partenaires. Nous devons les tenir continuellement informés de notre cheminement, de nos intentions. Le respect et la sincérité doivent marquer l'approche du Québec. La structure proposée permet en effet de mutuellement tirer bénéfice de l'intégration économique, tout en améliorant notre capacité commune d'assumer certaines responsabilités publiques. Le maintien du dialogue se révèle favorable aux intérêts de tous.

La démarche du Québec
Nous savons déjà que les résistances au changement sont importantes, à tel point qu'elles ont en maintes occasions dans le passé bloqué toute tentative de réforme constitutionnelle répondant aux revendications québécoises. C'est pour vaincre ces résistances au changement que la volonté québécoise doit s'exprimer de manière claire et sans équivoque, et cela dans un délai précis. Autrement, le message qu'enverrait le Parti libéral du Québec au reste du Canada, à la suite de l'échec de vingt ans de négociations constitutionnelles et de l'échec du lac Meech, serait celui de l'éternel recommencement. Cela, le peuple du Québec ne le veut pas, il ne l'accepte pas. Le Canada doit bien le comprendre. On doit également bien comprendre au Canada, que le Parti libéral du Québec ne participera pas à une telle démarche «ad infinitum». C'est pourquoi, notre Parti fixe à l'avance un délai. Le Parti libéral du Québec propose ainsi la tenue d'un référendum avant la fin de 1992.

Dans l'éventualité d'une acceptation, par le reste du Canada, de la plate-forme avancée précédemment, le Parti libéral du Québec propose que ce référendum porte sur l'entérinement du nouveau pacte Québec-Canada. Advenant un refus du reste du Canada, le référendum portera sur l'accession du Québec au statut d'État souverain. Les discussions sur la proposition avancée par le Parti libéral du Québec devront commencer sans délai compte tenu de l'échéance de l'automne 1992.

Cet intervalle ne doit pas être interprété comme une période de rémission. Les mois à venir doivent servir à trois fins: enrichir la réflexion du Québec en intégrant les conclusions de la Commission Bélanger-Campeau; démontrer notre ouverture d'esprit en présentant au reste du Canada notre test ultime; préparer la tenue du référendum en fournissant à la population toute l'information qu'elle a besoin pour poser un choix réfléchi.

La Commission Bélanger-Campeau
L'échec de l'Accord du lac Meech a permis d'élever le débat au-dessus de la partisanerie. Comme lors du rapatriement unilatéral de la Constitution, le Parti libéral du Québec et le Parti québécois ont choisi de faire front commun. La Commission sur l'avenir politique et constitutionnel du Québec, la Commission Bélanger-Campeau, est née de cette démarche exceptionnelle.

Les deux grands partis politiques ont reconnu l'importance d'assurer le plus haut degré de cohésion possible au sein de la société québécoise. L'enjeu commandait une telle ouverture d'esprit. Il importait de transcender les comportements traditionnels et l'affrontement que suppose notre système parlementaire. Le rapport de la Commission Bélanger-Campeau constituera l'un des guides privilégiés de l'Assemblée nationale et du gouvernement pour décider des prochaines étapes à franchir.

Un test ultime
Afin de démontrer notre ouverture envers le reste du Canada, nous proposons que le nouveau pacte préconisé par le Parti libéral du Québec soit présenté et discuté avec le gouvernement du Canada. Nous croyons fermement que le nouvel ordre politique et économique désiré est également dans l'intérêt du reste du Canada. Par contre, afin d'éviter de trop longs délais qui ne serviraient qu'à perpétuer l'actuelle incertitude politique, il importe que la question soit traitée rapidement. Le processus de discussion devra être complété avant l'automne 1992. Le reste du Canada a déjà amorcé son propre exercice de réflexion. Les rapports de plusieurs groupes de travail sont attendus au cours de l'année 1991. Il importe de bâtir sur ce momentum et de clore la démarche dans des délais raisonnables.

Un référendum pour avaliser la démarche
La proposition libérale repose sur la prémisse que le Québec doit initier un processus de changement qui, cette fois, sera irréversible. Pour y arriver, le gouvernement du Québec doit faire appel aux Québécois et Québécoises en vue d'avaliser une option de rechange au cul-de-sac actuel. Deux outils démocratiques peuvent être utilisés pour permettre à la population de sanctionner l'option de rechange: le référendum et l'élection.

Le référendum possède l'avantage de fournir des réponses claires et plus significatives. L'inconvénient est qu'il polarise invariablement le débat avec tous les risques de déchirement que cela comporte. Il se justifie surtout pour des enjeux majeurs. Or, les orientations que le Québec choisira dans les prochains mois engageront de façon irrémédiable les générations futures. D'ailleurs, même le statu quo est lourd de conséquences et devrait, de ce fait, être sanctionné pour être légitime. Cette décision fortement engageante pour l'avenir doit être prise par tous et chacun d'entre nous. Elle interpelle chaque Québécoise et chaque Québécois.

Un référendum nous apparaît une voie supérieure à celle de l'élection. Lors d'une élection, les citoyens votent pour une personne, un part, pour protester contre une mesure ou un geste gouvernemental, pour prendre position face à un ou plusieurs enjeux. Une élection invite aux interprétations les plus contradictoires. Les enjeux sont entremêlés et les personnalités prennent souvent le dessus. Il faut absolument éviter la confusion sur une question d'une telle portée. La légitimité de la démarche ultérieure s'en trouverait sérieusement entachée.

Le Parti libéral du Québec propose donc que le gouvernement du Québec recourre à un référendum avant d'adhérer à toute nouvelle entente avec le Canada. Dans la mesure où la proposition avancée ne déboucherait pas sur un accord avec le reste du Canada dans des délais raisonnables, le Parti libéral du Québec recommande que la population soit invitée par voie référendaire à se prononcer en faveur de la souveraineté du Québec avec un effort pour conclure par après une association de nature économique.

Nous n'avons pas l'intention ici d'arrêter le libellé de la ou des questions référendaires. Il s'agira de faire sanctionner la substance des orientations que nous avançons. Puis, il appartiendra au gouvernement, en tenant compte de l'éclairage additionnel qu'apportera le rapport de la Commission Bélanger-Campeau, de fixer le texte de la ou des questions.

Dans la mesure où le référendum porterait sur la souveraineté et que la réponse serait positive, l'appel au peuple serait ensuite suivi d'une demande formelle de l'Assemblée nationale auprès du gouvernement du Canada d'engager, dans les meilleurs délais, les discussions devant mener à l'accession du Québec au statut d'État souverain et que, dans cette deuxième hypothèse, le Québec offre au reste du Canada l'aménagement d'une union économique gérée par des institutions de nature confédérale.

La pierre d'assise d'un nouveau modèle québécois
À la suite du référendum, une nouvelle Constitution québécoise sera adoptée par l'Assemblée nationale du Québec. Elle sera la pierre d'assise du nouveau modèle québécois. Elle sera le fondement des lois et des institutions du Québec. Elle consacrera la primauté des lois du Québec sur son territoire et devra être assortie de dispositions transitoires assurant la mutation progressive du régime légal fédéral vers le nouvel ordre légal québécois dans les domaines que l'Assemblée nationale aura décidé d'occuper 10. Aussi, la Charte québécoise des droits de la personne sera enchâssée dans la Constitution du Québec afin de rendre compte de son caractère fondamental et inaliénable. Les droits historiques des anglophones y seront reconnus.

La gestion de la transition
Comme c'est souvent le cas dans les grands événements politiques, l'avenir politique et constitutionnel du Québec met en contradiction les perspectives à court et à long termes. À long terme, l'analyse des enjeux de l'avenir du Québec fait ressortir clairement l'impératif d'un changement significatif. À court terme, l'analyse des phénomènes de transition fait au contraire ressortir les risques d'un tel changement.

Il ne fait en effet aucun doute que l'économie du Québec sera viable quelle que soit l'option constitutionnelle retenue. D'une part, la richesse d'un pays ne se mesure pas à la taille de sa population. Le niveau de vie des citoyens de plusieurs petits pays en fait foi. De plus, l'élimination progressive des frontières économiques, par l'abaissement des obstacles au commerce, favorise l'éclosion de souverainetés locales qui s'avéreront très prospères économiquement.

D'autre part, le Québec peut miser sur une économie locale diversifiée et de plus en plus performante. Elle est supportée par la richesse de ses ressources naturelles, la qualification de ses ressources humaines, la collaboration entre les secteurs public et privé, la compétitivité de son système fiscal et la cohésion de ses différentes constituantes sociales.

Enfin, l'État québécois est en mesure de supporter financièrement un accroissement de ses responsabilités. Les dernières estimations des comptes publics montrent que le solde des revenus et dépenses fédéral au Québec représente une faible proportion du budget québécois. Le niveau d'endettement du Québec, en incluant une quote-part de la dette fédérale, se compare à celui d'autres pays industrialisés de taille similaire. Sans compter que l'élimination des dédoublements, une plus grande facilité à bâtir des compromis, une meilleure adéquation aux véritables besoins des citoyens et un meilleur contrôle des principaux leviers de développement, permettront d'accroître les revenus de l'État et de diminuer les coûts des services offerts, en d'autres mots, d'assurer une meilleure gestion des fonds publics.

Par contre, il est impossible de quantifier précisément les implications sur l'économie québécoise de tout changement constitutionnel majeur, particulièrement durant la période de transition. Il est en effet indéniable que le processus dans lequel s'engagera le Québec comporte des coûts de transition et des risques économiques importants. En revanche, il faut reconnaître que le statu quo comprend aussi sa part de coûts et de risques cachés, la crise des finances fédérales nous le rappelant chaque jour.

Parmi les principaux facteurs qui influenceront les coûts de transition, on note le temps, l'attitude du reste du Canada et la cohésion sociale au Québec. Nous avons déjà fait état de l'importance du facteur temps dans le processus que nous proposons. L'attitude du reste du Canada est plus difficile à prévoir. L'interdépendance économique commandera une attitude rationnelle qui contribuera à minimiser les coûts de transition et favorisera l'acceptation de la proposition avancée. Il en va de l'intérêt du reste du Canada comme du nôtre. Par contre, l'absence de coopération se révèle également possible avec toutes les conséquences que ce scénario comporte. D'où l'importance d'une démarche québécoise qui soit à la fois claire et lucide, marquée par la compréhension et le respect mutuel. Le reste du Canada doit bien interpréter les gestes du Québec et être assuré de notre ouverture d'esprit lors de l'étape des négociations.

Cette même franchise est primordiale pour assurer la cohésion interne. La population québécoise doit être associée étroitement à l'ensemble du processus. Le gouvernement devra communiquer constamment ses objectifs et vulgariser sa démarche. Cette démarche de transparence pourra débuter dès le prochain budget par une évaluation préliminaire des impacts associés au rapatriement des pouvoirs recherchés.

*******


La démarche que nous proposons démontre clairement au reste du Canada l'impossibilité de maintenir le statu quo. Elle consacre de nouveau le droit du Québec à s'autodéterminer. Elle permet au reste du Canada de clore sa période de réflexion. Elle favorise la conclusion d'un accord qui maintient et bonifie l'espace économique canadien. Enfin, elle permet à la population de faire un choix en toute connaissance de cause.

Note
10. Voir dans le même ordre d'idée, le mémoire de Archambault, Braen, Lacasse, Morin et Proulx à la Commission sur l'avenir politique et constitutionnel du Québec.

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