Promenade de Jules Michelet

Jules Michelet

Nous destinons ce texte aux éducateurs, aux muséologues qui voudraient organiser un voyage au pays des insectes en suivant un parcours original. Ce parcours est celui de Jules Michelet dans son ouvrage consacré aux insectes, publié en 1857. L’avantage majeur d’un tel parcours thématique est qu'il est réalisable à peu de frais. Il suffit de composer avec les principaux énoncés de son essai sur les insectes et les leçons de travail et de vie qu’ils peuvent nous enseigner. Un choix de textes (en versions courtes et longues) pourrait coiffer différentes unités d’exposition déjà existantes ou facilement converties dans leur installation.
La promenade de Michelet s’inscrirait dans la double démarche d’une philosophie romantique de la Nature et d’une passion pour l’observation naturaliste. Cette promenade pourrait plaire à un vaste public cultivé et intéressé à suivre les leçons multiples de sagesse populaire qu’offre le texte de ce grand historien français du XIXe siècle sur le comportement et la vie des insectes. Un fascicule contenant l’itinéraire de la promenade et des extraits de Michelet pourrait accompagner l'exposition.

Florilège de L'Insecte, de Jules Michelet:

Introduction

Toutes les espèces animales, toutes les formes de la vie, placées en présence d'une seule, disparaissent et ne sont rien. Mettez le monde d'un côté, de l'autre le monde insecte; celui-ci a l'avantage.

Chaque insecte est un petit monde habité par des insectes. Et ceux-ci en contiennent d'autres.
Est-ce tout? Non; dans les masses que nous avions crues minérales et inorganiques, on nous montre des animaux dont il faudrait mille millions pour arriver à la grosseur d'un pouce, lesquels n'en offrent pas moins une ébauche de l'insecte, et qui auraient droit de se dire des insectes commencés.

Sous sa cuirasse de guerre, il demeure impénétrable. Son cœur (car il en a un) bat-il à la manière du mien? Ce qu'on voit mal inquiète. Provisoirement on le tue. Il est si petit d'ailleurs, qu'avec lui, on n'est pas tenu d'être juste.

Nous admettrions volontiers cet arrêt définitif d'un rêveur allemand qui tranche leur procès d'un mot: « le bon Dieu a fait le monde; mais le diable a fait l'insecte.»

Il (l'insecte) dit premièrement que la justice est universelle, que la taille ne fait rien au droit; que, si l'on pouvait supposer que le droit n'est point égal, et que l'amour universel peut incliner la balance, ce serait pour les petits.

Il est, lui, l'insecte, le grand destructeur et fabricateur, l'industriel par excellence, l'actif ouvrier de la vie.

Mais ce qui étonne bien plus que la grandeur, c'est l'aspect intérieur de ces habitations (de la fourmilière). Au dehors, tout humide, couvert de mousse, de petits cryptogames toujours trempés, moisis. Au dedans, une étonnante sécheresse, une propreté admirable; toutes les parois moelleusement fermes, exactement comme si elles eussent été tapissées d'un velours de coton, fort mat et sans éclat. Ce velours d'un noir doux résultait-il du bois lui-même puissamment modifié, ou d'un lit extrêmement fin des champignons microscopiques qui purent s'être établis dans l'arbre, quand tout humide encore il n'avait pas reçu ses tout-puissants transformateurs? L'agent de la métamorphose se révélait lui-même; chaque appartement pris à part, senti de près, saisissait l'odorat de l'âcre senteur de l'acide formique. Ce peuple avait tiré de lui cette grande métamorphose de sa demeure, l'avait brûlée et purgée par sa flamme, séchée et assainie par cet utile poison.

Que puis-je pour ce grand peuple insecte, laborieux, méritant, que toutes les tribus animées poursuivent, ou dévorent, ou méprisent, et qui pourtant nous montre à tous les plus fortes images de l'amour désintéressé, du dévouement public, et le sens social en sa plus brûlante énergie? ... une chose. Le comprendre, l'expliquer, si je puis, y porter la lumière, l'interprétation bienveillante.

Notre grand initiateur au monde des insectes, Swammerdam, au moment où le microscope lui permit de l'entrevoir, recula épouvanté. Leur nom, c'est l'infini vivant.

Les fourmis travaillant le sable, les carriers travaillant le grès. Les uns et les autres de même génie, des hommes fourmis en dessus, des fourmis presque hommes en dessous.

LA MÉTAMORPHOSE

L'homme absent, l'insecte doit prendre sa place pour que tout passe au grand creuset, se renouvelle ou se purifie.

L'insecte, nous le verrons plus tard, est guerrier par circonstance, par nécessité de défense ou d'appétit, mais généralement il est avant tout et surtout industriel. Pas une de ses espèces que l'on ne puisse classer par son art, et placer sous le drapeau d'une corporation de métiers.

Les tardigrades microscopiques tiennent déjà des insectes, et les leucophores des vers. Que sont ces petits des petits? Rien moins que les constructeurs du globe où nous sommes. De leurs corps, de leurs débris, ils ont préparé le sol qui est sous nos pas.

L'étonnement fut grand en Europe lorsqu'un professeur de Berlin, Ehrenberg, nous apprit que la pierre siliceuse, singulièrement âpre, aigre, cassante, le tripoli qui polit les métaux, n'est autre chose qu'un débris d'animalcules, un agencement de carapaces d'infusoires d'une terrible petitesse. L'être dont il s'agit est tel qu'il en faut 187 millions pour peser un grain.

Et pour la mère elle-même, dans la plupart des espèces d'insectes, la condamnation est la même. Elle aimera, enfantera, et bientôt elle en mourra. L'amour n'aura pas pour elle son prix et sa récompense. Elle ne verra pas son fils.

Ce qui étonne infiniment, c'est que cette mère (papillon, scarabée, etc.), après tant de changements où elle a passé, tant de mues, de sommeils transitoires, de métamorphoses, retrouve pour son enfant la connaissance du lieu, de la plante, où jadis, n'étant que chenille, elle se nourrit, grandit, d'où elle prit son point de départ. Merveille à confondre l'esprit! ... ceux que nous croyons les plus étourdis, la mouche, le papillon à la tête légère, au moment où la mort prochaine s'éclaire du rayon de l'amour, ils se posent, ils se recueillent, ils ont l'air de songer et de se ressouvenir.

Pour l'immense majorité, l'insecte naît seul et nu.

La vie de ces pauvres enfants sans mère est faite de deux choses sévères: le travail et la croissance par la maladie. Les mues ne sont pas autre chose.

Il naît trois fois, il meurt trois fois, comme larve, nymphe et scarabée. Dans chacune de ses existences, il est la larve ou le masque, la figure de l'existence suivante. Il se prépare, il s'enfante et il se couvre lui-même. Du plus rebutant sépulcre il jaillit étincelant.

L'inaugurateur de cette science, Swammerdam, a trouvé que la chenille contenait déjà la nymphe; bien plus, le papillon même. Dans la chenille il a surpris l'aile ébauchée, la trompe de cet être à venir. Ce n'est pas tout. Malpighi vit la nymphe du ver à soie dans son sommeil virginal, déjà pourvue des attributs de sa maternité future, contenant les œufs que, papillon, elle doit féconder. Et ce n'est pas tout encore. Réaumur, dans la chenille du chêne (t. I, p. 360), dans une chenille âgée à peine de quelques heures, trouva les œufs du futur papillon. c'est-à-dire que l'insecte enfant, à cet état où la chenille n'est elle-même qu'un œuf mobile (Harvey), cet enfant, cet œuf mobile, contenait des enfants, des oeufs.
C'est l'identité des trois êtres. Plus de morts intermédiaires, ce semble; une seule vie continue. Tout semble clair, n'est-il pas vrai? Le mystère antique a péri? L'homme a vu, dans sa plénitude, le secret des choses?

MISSION ARTS DE L'INSECTE

Personne n'ignore qu'en 1610 Galilée, ayant reçu de Hollande le verre grossissant, construisit le télescope, le braqua et vit le ciel. Mais on sait moins communément que Swammerdam, s'emparant avec génie du microscope ébauché, le tourna en bas, et le premier entrevit l'infini vivant, le monde des atomes animés! Ils se succèdent. à l'époque où meurt le grand italien (1632), naît ce hollandais, le Galilée de l'infiniment petit (1637).

Rien de plus curieux que d'observer les impressions toutes contraires que les deux révolutions firent sur leurs auteurs. Galilée, devant l'infini du ciel, où tout paraît harmonique et merveilleusement calculé, a plus de joie que de surprise encore; il annonce la chose à l'Europe dans le style le plus enjoué. Swammerdam, devant l'infini du monde microscopique, paraît saisi de terreur. Il recule devant le gouffre de la nature en combat, se dévorant elle-même.

Il disséqua, décrivit les ovaires de l'abeille, les trouva dans le prétendu roi et montra que c'était une reine ou plutôt une mère. Il expliqua de même la maternité de la fourmi. Découverte capitale qui donna le vrai mystère de l'insecte supérieur, nous initia au caractère réel de ces sociétés, qui ne sont point des monarchies, mais des républiques maternelles et de vastes berceaux publics dont chacun élève un peuple.

Le fait le plus général de la vie des insectes, la haute loi de leur existence, c'est la métamorphose, les changements, obscurs chez les autres êtres, sont très saillants chez ceux-ci. Les trois âges de l'insecte paraissaient trois êtres.

Il osa dire, et montra par la plus fine anatomie, que chenilles, nymphes et papillons, c'étaient trois états du même être, trois évolutions naturelles et légitimes de sa vie. Comment l'Europe savante accueillerait-elle cette science nouvelle des métamorphoses? C'était la question. Swammerdam, jeune et sans autorité, sans position d'académie ou d'université, vivait dans son cabinet. Presque rien, de son vivant, ne fut publié de lui, ni même cinquante ans après lui, de sorte que ses découvertes purent circuler, profiter à tous, plus qu'à lui et à sa gloire.

Il était déjà en cet état en 1669, quand il publia dans un premier essai le principe de la métamorphose des insectes. Il était sûr d'être immortel, mais d'autant plus en péril de mourir de faim. Son père lui retira désormais toute assistance. Swammerdam, par ses découvertes (vaisseaux lymphatiques, hernies, etc.), avait très-directement avancé la médecine et même la chirurgie, mais il n'était pas médecin.

Cette boîte osseuse continue qui enveloppe les corps, isole aussi de nous l'insecte, nous le cache. Il a un cœur, qui bat aussi bien que le nôtre; mais sous son épaisse armure on n'en voit pas le battement. Ce langage sans parole qui nous touche dans tant d'êtres muets, lui, il ne l'a même pas. Il est tout enveloppé de mystère et de silence. Il respire, ou plutôt reçoit l'air par le côté, non de face, non par la tête. On ne sent pas en lui le souffle, l'élan de la respiration. Dès lors, comment parlerait-il et comment se plaindrait-il? Il n'a rien de tous nos langages. Il a des bruits, non une voix.

Ce masque fixe, immobile, condamné à ne rien dire, est-ce celui d'un monstre ou d'un spectre? Non. D'après ses mouvements, et tant d'actes empreints de réflexion, d'après ses arts plus avancés que ceux des grands animaux, on est bien tenté de croire qu'en cette tête il y a quelqu'un. Et, du plus haut au plus bas de l'échelle de la vie, on sent l'identité de l'âme.

chapitre 10: l'insecte comme agent de la nature dans l'accélération de la mort et de la vie.

L'insecte n'a pas mes langages. Il ne parle ni par la voix, ni par la physionomie. Par quoi donc s'exprime-t-il?

Les insectes herbivores ont été la répression de l'épouvantable encombrement végétal du monde primitif.

Les plus humbles des insectes firent l'ouvrage le plus énorme qui rendit le monde habitable; ils dévorèrent le chaos.

Leur travail non interrompu d'indomptable destruction mit à la raison l'orgie végétale où s'était perdue la nature.

Les insectes insectivores ont des droits trop évidents à la protection de l'homme, dont ils sont les alliés. Mais, parmi les herbivores même, il y a d'excellents destructeurs de plantes nuisibles. L'ortie, inutile, piquante, désagréable en tout sens, est respectée des quadrupèdes; à peine un seul daigne y toucher: et cinquante espèces d'insectes travaillent, d'accord avec nous, pour nous en débarrasser.

Les nécrophores, ceux qui nous rendent le service de faire disparaître toute chose morte du sol.

Rien ne serait plus utile que d'éclairer le paysan sur la distinction à faire entre les insectes utiles et les insectes nuisibles à l'agriculture; sur ceux dont les arts divers peuvent tirer parti, spécialement les arts chimiques, qui trouveront probablement des ressources inattendues dans des êtres doués d'une vie si riche et si intense.

« Monsieur, il faut l'avouer, une seule chose se soutient à côté du cheveu de femme. Un seul fabricant peut lutter. Ce fabricant est l'insecte, le modeste ver à soie. »

Dans ces comparaisons de l'industrie des insectes avec la nôtre, les différences qu'on remarque ne tiennent pas aux méthodes mêmes, mais à la spécialité de leurs besoins, de leur situation. Ils varient leurs arts à propos.

chapitre 15: de la rénovation de nos arts par l'étude de l'insecte.

Les arts proprement dits, les beaux-arts, profiteraient encore plus que l'industrie de l'étude des insectes. L'orfèvre, le lapidaire, feront bien de leur demander des modèles et des leçons.

chapitre 16: l'araignée, l'industrie, le chômage.

Avant de passer aux sociétés d'insectes qui rempliront le dernier livre, parlons ici d'un solitaire. Plus haut, plus bas que l'insecte, l'araignée s'en sépare par l'organisation, s'en rapproche par les instincts, les besoins, l'alimentation.

chapitre 17: la maison de l'araignée, ses amours.

L'araignée dépasse de loin tout insecte solitaire. Elle n'a pas seulement le nid; elle n'a pas seulement l'affût, la station passagère de chasse, elle a (dans certaines espèces du moins) une maison régulière, une vraie maison très compliquée: vestibule et chambre à coucher, avec une issue par derrière; la porte enfin, pour comble d'art, que dis-je? Une porte faite pour se fermer d'elle-même, retombant par son propre poids. La porte! Voilà ce qui manque même aux grandes cités des abeilles et des fourmis; ces républiques industrieuses ne se sont pas élevées jusque-là.


SOCIÉTÉ DES INSECTES

chapitre 18: la cité des ténèbres; les termites.

Cependant ce dôme est creux, et le plancher inférieur qui le porte est lui-même soutenu par une construction demi-creuse que forme la rencontre de quatre arches de deux ou trois pieds, arches de forme très solide, étant pointues, ogivales et comme de style gothique. Plus bas encore, s'étendent des passages ou corridors, des espaces plafonnés qu'on pourrait nommer des salles, enfin des logements commodes, amples, salubres, qui peuvent recevoir un grand peuple; bref, toute une cité souterraine.

La destination des termites est visible; malgré les noms redoutables qu'on a donnés à leurs espèces (bellicosus, mordax, atrox), ce sont de simples ouvriers.

chapitre 19: les fourmis. Leur ménage; leurs noces.

Les fourmis ont sur tous les insectes une supériorité, c'est qu'elles sont moins spécialisées par leur vie, leur nourriture et leurs instruments d'industrie. Généralement elles s'accommodent de tout et travaillent partout: nul agent plus énergique d'épuration, d'expurgation. Elles sont, pour ainsi dire, les factotums de la nature. Les termites, du moins la plupart, travaillent dans les ténèbres, sous la terre; les fourmis dessus et dessous.

La fourmi, qui n'est point dédaigneuse et accepte toute nourriture, est, pour cela même, moins inquiète et moins égoïste. C'est bien à tort qu'on l'appelait avare, loin de là, elle ne semble occupée qu'à multiplier dans sa ville le nombre des copartageants. Dans sa maternité généreuse pour ceux qu'elle n'a pas enfantés, dans sa sollicitude pour ces petits d'hier qui deviennent aujourd'hui de jeunes citoyens, naît un sens tout nouveau, fort rare chez les insectes, celui de la fraternité. (Latreille, Huber)

Le point le plus obscur, le plus curieux de cette éducation, c'est sans doute la communication du langage, qui rappelle les formes de la franc-maçonnerie. Il leur permet de transmettre à des foules des avis souvent compliqués, et de changer en un moment la marche de toute une colonne, l'action de tout un peuple. Ce langage consiste principalement dans le tact des antennes, ou dans un choc léger des mandibules. Elles insistent (peut-être pour persuader) par des coups de tête contre le thorax. Enfin, il leur arrive d'enlever l'auditeur, qui ne fait aucune résistance, et de le transporter au lieu, à l'objet désigné. Dans ce cas, qui sans doute est celui d'une chose difficile à croire ou à expliquer, l'auditeur convaincu s'unit à l'autre, et tous deux vont enlever d'autres témoins qui, à leur tour, font sur d'autres, en nombre toujours croissant, la même opération.

chapitre 20: les fourmis. Leurs troupeaux et leurs esclaves.

Quand, pour la première fois, j'appris par la lecture d'Huber ce fait bizarre, prodigieux, que certaines fourmis ont des esclaves, je fus bien étonné (tout le monde l'a été à cette étrange révélation); mais je fus surtout attristé et blessé.

C'est l'être à qui la nature impose le destin terrible d'avoir à supprimer le temps. On parle de l'éphémère qui vit quelques heures; c'est assez pour qui ne fait rien. La vraie éphémère, c'est la guêpe.

Ce qui est commun aux abeilles avec les guêpes, les fourmis, tous les insectes sociables, c'est la vie désintéressée des tantes et sœurs, vierges laborieuses, qui se dévouent tout entières à une maternité d'adoption. Et ce qui sépare l'abeille de ces peuples analogues, c'est qu'elle a besoin de se faire une idole nationale dont l'amour l'invite au travail. Tout cela a été longtemps méconnu. On croyait d'abord que cet état était une monarchie, qu'il avait un roi. point du tout; ce roi est une femelle. Alors, on s'est rabattu à dire: cette femelle est une reine. erreur encore.

Non seulement elle ne règne pas, ne gouverne pas, ne dirige rien, mais elle est gouvernée en certaines choses, parfois mise en charte privée. C'est plus et moins qu'une reine. C'est un objet d'adoration publique et légale; je dis légale et constitutionnelle, car cette adoration n'est pas tellement aveugle qu'en tels cas l'idole ne soit, comme on verra, traitée très sévèrement. «Donc, ce gouvernement serait au fond démocratique?» oui, si l'on considère l'unanime dévouement du peuple, le travail spontané de tous. Nul ne commande. Mais, au fond, on voit bien que ce qui domine en toute chose élevée, c'est une élite intelligente, une aristocratie d'artistes. La cité n'est point bâtie ni organisée par tout le peuple, mais par une classe spéciale, une espèce de corporation. Tandis que la grande foule des abeilles va chercher aux champs la nourriture commune, certaines abeilles plus grosses, les cirières, élaborent la cire, la préparent, la taillent, l'emploient habilement. Comme les francs-maçons du Moyen Âge, cette respectable corporation d'architectes travaille et bâtit sur les principes d'une profonde géométrie. Ce sont, comme ceux de nos vieux temps, les maîtres des pierres vives. mais combien ces dignes abeilles méritent mieux encore ce nom! Les matériaux qu'elles emploient ont passé par elles, ont été élaborés par leur action vitale, vivifiés de leurs sucs intérieurs.

Ni le miel ni la cire ne sont des substances végétales. Ces petites abeilles légères qui vont chercher le suc des fleurs, le rapportent déjà changé, enrichi de leur vie virginale. Doux et pur, il passe de leur bouche à la bouche de leurs grandes sœurs. Celles-ci, les graves cirières, ayant reçu cet aliment vivifié et doté de la charmante douceur qui est comme l'âme du peuple, elles l'élaborent à leur tour, l'affermissent de leur vie propre, qui est la solidité. Sages et sédentaires, du liquide, elles font un miel sédentaire, un miel à la seconde puissance; j'allais dire, un miel réfléchi. Ce n'est pas tout, cette substance deux fois élaborée et deux fois dotée de suc animal, elles ne l'emploieront encore qu'en l'humectant incessamment de leur salive, qui la rend plus molle pendant le travail et plus résistante après.

Avais-je tort tout à l'heure de dire que cette construction est vraiment celle des pierres vives? pas un atome de ces matériaux qui ne passe trois fois par la vie, et ne s'en imprègne trois fois. Qui dira, dans cette ruche, si c'est la fleur qui a fourni le plus, ou si c'est l'abeille? Celle-ci y est pour une grande part. Ici, la maison du peuple, c'est la substance du peuple et son âme visible; il a tiré de lui sa propre cité, et il est sa cité même. Abeilles et ruche, même chose.

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