Le ver de terre immortel

Anne-Marie Simard
Deux chercheurs de l'Université McGill ont réussi à faire passer de 8 à 90 jours l'espérance de vie d'un ver de terre. La journaliste associe cette découverte au désir humain d'immortalité et traite de cette grave question comme s'il s'agissait d'un quelconque record qui vient d'être établi. Elle accrédite ainsi l'idée millénariste que la recherche de l'immortalité par la science, par les manipulations génétiques en particulier, est la chose la plus banale et la plus saine qui soit.

Cette immortalité de ver de terre rappelle ces vers de Hugo:
    «Vous m'offrez de ramper, ver de terre savant
    Hé bien, non. J'aime mieux l'ignorance étoilée
    de Platon, de Pindare, âme et clarté d'Elée [...]»

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Deux mois. Deux mois et les vers se tortillaient encore. Habituellement, le Coenorhabditis elegans rend l'âme après neuf jours. Lorsque le dernier mourut enfin, à l'âge vénérable de 80 jours, Siegfried Hekimi et Bernard Lakowski éprouvèrent une profonde satisfaction: grâce à des manipulations génétiques, les petites bestioles venaient de battre un record de longévité.
Ce n'est pas tout: les deux chercheurs de l'Université McGill ont également découvert que si les vers mutants parviennent à vivre plus longtemps, c'est tout simplement parce qu'ils vivent plus lentement! En effet, les deux généticiens moléculaires ont observé que Coenorhabditis elegans se déplaçait, mangeait et se reproduisait au ralenti.

Voilà qui renforce une nouvelle hypothèse pour expliquer le vieillissement: le rythme de vie «indolent» ralentirait l'accumulation des dommages dans les constituants des cellules - dommages causés par les déchets de la combustion métabolique. Bien sûr, rien n'est prouvé, et le vieillissement est un processus beaucoup plus complexe...

En attendant, il y a ce record et la notoriété inattendue qu'il vient de donner à Siegfried Hekimi et Bernard Lakowski. Leur article, publié dans la revue Science, a fait sensation. Du New York Times à la BBC, les grands médias du monde ont accordé une primeur à ces Canadian Researchers capables d'«allonger la vie».

Tout cela fait un peu rire Siegfried Hekimi, la séduisante quarantaine, surpris par l'importance accordée à un «simple record». Il est vrai que l'équipe de McGill n'a battu que d'une tête les résultats de Pamela L. Larsen, de la University of South California, qui avait réussi à multiplier par quatre l'espérance de vie des vers. Et puis, il y a cette fascination pour l'immortalité que le chercheur - d'origine suisse - juge «très américaine». «C'est comme si une longue vie était la chose la plus désirable au monde! Moi, je crois que la mort fait partie de la vie.»

Ce qui est vraiment capital dans cette recherche, c'est qu'une mutation sur un seul gène cause un ralentissement global de toutes les fonctions vitales. Que ce soit la vitesse à laquelle les cellules se divisent, le taux de production des oeufs, la régularité de défécation ou même l'espérance de vie. L'équipe de Siegfried Hekimi vient donc de mettre le doigt sur un mécanisme central: celui d'une horloge biologique qui déterminerait le métabolisme et la durée de vie.

Le concept d'horloge biologique ne date pas d'hier. On sait qu'il existe des cycles journaliers - qui n'a pas son creux de l'après-midi? -, mais aucun mécanisme précis n'avait été mis en évidence à ce jour.

Ces gènes qui «rythment» la vie interne, le chercheur les a baptisés clock-genes ou gènes-horloges (ce nom a d'ailleurs créé une mini-tempête à la revue Genetics, qui jugeait l'appellation présomptueuse puisque rien n'est encore prouvé). À l'origine, le groupe cherchait des gènes qui affectaient le développement des vers. Il en a finalement trouvé 22, parmi lesquels 3 gènes-horloges: clk-1, clk-2 et clk-3. Les trois agissent sensiblement de la même façon: lorsque n'importe lequel d'entre eux est endommagé, c'est tout l'organisme du ver qui est affecté.

Dans les labos un peu vieillots du Stewart Building, à l'Université McGill, ces expériences n'ont rien de spectaculaire en apparence. Pour endommager les gènes des C. elegans, on se contente de tremper les vers dans un produit toxique pour l'ADN. Les tissus sexuels s'imbibent du produit et, au moment de la division cellulaire, plusieurs erreurs s'introduisent dans le code génétique.

Les «défauts» liés à des gènes récessifs ne seront souvent visibles qu'à la deuxième génération. Un ver semble atteint du syndrome de la dolce vita? Hop! On sélectionne le «mutant» pour étudier sa carte génétique et voir si ses gènes-horloges sont touchés.

Le Coenorhabditis elegans est une bête de choix pour ce type d'expérience. Son cycle de reproduction très court - trois jours! - permet d'obtenir rapidement de nouvelles générations. Sur ses 14,000 gènes (environ), 1,000 sont déjà cartographiés.

Le ver dont le gène clk-1 est endommagé verra sa vie s'allonger de 50 %. Mais c'est en combinant les mutations dans les gènes clk-1 et daf-2 (un gène déjà connu des généticiens) qu'on obtient les résultats les plus spectaculaires. Le Mathusalem rampant de 80 jours en était la preuve vivante...

C'est grâce à un autre gène daf (du mot allemand dauer, durée) que Pamela L. Larsen a permis à ses microscopiques protégés de prolonger par quatre leur séjour sur Terre. Le gène daf détermine combien de temps une larve restera dans un état «dormant». On observe cette «pause» quand l'habitat devient trop populeux ou quand la nourriture se fait rare. Lorsque cet état est prolongé, les larves prennent plus de temps à devenir adultes. Ces vers vivent donc plus longtemps.

L'équipe de McGill a aussi observé un curieux phénomène, connu en génétique sous le nom de «secours maternel». Lorsque les gènes-horloges de ses descendants sont atteints, la mère contrecarre l'effet de la mutation. Pour y arriver, elle injecte dans l'oeuf un produit (protéine du gène normal) en quantité suffisante pour permettre à ce dernier de se développer normalement. Par contre, ce mécanisme de défense cesse d'être efficace à la deuxième génération, et c'est à ce moment qu'apparaissent les vers lents.
Avec cette nouvelle fournée de gènes, le groupe a beaucoup de pain sur la planche. Pour comprendre ce que font les clock-genes, il faut découvrir leur structure moléculaire. En d'autres termes, obtenir leur séquence d'ADN afin de savoir quelles protéines y sont associées. «Ces travaux très complexes peuvent exiger des années de labeur», explique le chercheur. Par exemple, il a fallu trois ans pour venir à bout du gène clk-1. Le groupe s'attaque maintenant au clonage de clk-2 et clk-3.

Voici la meilleure: l'humain posséderait l'équivalent d'un clk-1! «En fait, c'est un gène qui lui ressemble tellement qu'on peut sans crainte l'appeler clk-1», insiste Siegfried Hekimi.

On imagine sans peine ce que la maîtrise d'un tel gène laisse entrevoir comme possibilités... Vertigineuses! Mais Siegfried Hekimi est réaliste et, pour l'instant, il ne pense pas que cette découverte puisse avoir un grand effet sur le vieillissement. «Je crois davantage à des applications contre le cancer. Ces cellules qui se multiplient à un rythme effréné pourraient être ralenties. Évidemment, beaucoup de gènes sont défectueux dans les cellules cancéreuses. Les clock-genes ne sont probablement qu'une partie de la solution.»

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