Les principes de la direction scientifique des entreprises

Frederick Winslow Taylor
Extraits de l'ouvrage The Principles of Scientific Management, de Frederick Winslow Taylor, paru en 1911. Taylor fut l'homme d'une grande idée, celle de la productivité basée sur l'analyse scientifique des processus de travail. Le succès de son ouvrage, traduit en japonais, en allemand, en italien, en russe et en français quelques années à peine sa parution, tient au don de Taylor pour résumer en quelques phrases-clé les principes fondamentaux sur lesquels repose sa philosophie de l'organisation des entreprises. Voici donc un extrait du texte où il énumère les quatre grands principes de l'organisation scientifique des entreprises.
Extraits
I) Les fondements de la direction scientifique des entreprises
II) Les causes du travail à la traîne
III) Les principes de la direction scientifique des entreprises
IV) Des avantages découlant de la direction scientifique des entreprises


III. Les principes de la direction scientifique des entreprises
L'ingéniosité de chaque génération a permis de développer des méthodes plus efficaces et mieux appropriées pour l'exécution des tâches des divers corps de métiers. Ainsi on peut dire des méthodes qui ont cours aujourd'hui qu'elles représentent un degré supérieur de survie au sein de l'évolution, les méthodes les plus aptes et les plus brillantes développées depuis le commencement de l'histoire de ces métiers. Cependant, bien que cela soit vrai de façon générale, seulement ceux qui sont entièrement familiers avec ces métiers sont conscients du fait que l'on ne retrouve pratiquement aucune uniformité dans les méthodes utilisées. Au lieu que soit reconnue et adoptée en tant que standard une seule méthode, on fait quotidiennement usage de cinquante ou de cent façons différentes pour exécuter une même tâche. En y réfléchissant un peu, on comprend qu'il ne saurait en être autrement, puisque nos méthodes de travail se sont transmises d'homme à homme et de bouche à oreille, ou encore, ont été apprises, presque insconsciemment, par observation personelle. En aucune instance, ces méthodes n'ont été codifiées ou analysées et décrites de façon systématique. L'ingéniosité et l'expérience de chaque génération — de chaque décade même — a permis de transmettre de meilleures méthodes à la suivante. On peut dire que cette somme de connaissances empiriques ou traditionnelles constitue le principal bagage de chaque homme de métier. De nos jours, au sein des meilleures entreprises, les administrateurs reconnaissent sans détour qu'ils ne possèdent aucunement le savoir-faire de leurs 500 ou 1000 ouvriers, répartis en vingt ou trente corps de métiers. La direction de cette entreprise est elle-même composée de contremaîtres et de superviseurs, qui furent autrefois, pour la plupart d'entre eux, des ouvriers de première classe. En dépit de cela, ces contremaîtres et superviseurs savent, mieux que quiconque, que leur propres connaissances et leur savoir-faire ne dépassent pas le savoir-faire et la dextérité combinés de tous les ouvriers sous leur direction. Les superviseurs les mieux avisés se contentent d'exposer à leurs ouvriers une tâche à accomplir en leur demandent de l'exécuter de la manière la plus efficace et la plus économique. Ils conçoivent que leur tâche est d'inciter chaque ouvrier à employer toute son zèle, son savoir-faire, ses habiletés, son ingéniosité, sa bonne volonté, en un mot son initiative, pour produire le plus de bénéfices pour son employeur. Le défi posé à ces gestionnaires peut dès lors être résumé ainsi: susciter le plus haut degré d'initiative personnelle de chaque travailleur. Et l'auteur utilise le terme "initiative" dans son acceptation la plus large, celle qui englobe toutes les qualités recherchées chez un ouvrier.

D'un autre côté, aucun directeur intelligent n'ignore qu'il ne devrait pas s'attendre à recevoir la pleine et entière mesure de l'effort de ses travailleurs, à moins que n'ait été consenti à ceux-ci un avantage particulier par rapport à leur traitement habituel.

Ces mesures incitatives peuvent prendre différentes formes: la promesse d'une promotion rapide; des gages plus élevés, des prix généreux pour le travail à la pièce, des primes de rendement ou un bonus quelconque pour un travail de qualité effectué rapidement; des heures de travail écourtées; des meilleures conditions de travail, etc. Il est essentiel que la direction accompagne ces avantages d'une reconnaissance, de considération et d'un contact amical envers le travailleur, qui procèdent du souci réel du bien-être du travailleur. C'est uniquement en leur offrant une incitation particulière de cette nature qu'un employeur peut espérer obtenir l'entière initiative de ses travailleurs. Dans les entreprises ordinaires, la nécessité d'offrir aux travailleurs une incitation particulière est si universellement acceptée et reconnue, que bon nombre de ceux qu'intéressent les nouvelles pratiques de rémunération des travailleurs (paiement à la pièce, prime au rendement, bonus, etc.), les considèrent comme un système de gestion en soi. Dans un système où les entreprises sont dirigées scientifiquement, le mode de rémunération adopté n'est qu'un élément subordonné.

Par conséquent, on peut définir le meilleur type de direction des entreprises comme celui au sein duquel les employés offrent le plus haut degré d'initiative personnelle et reçoivent en retour des avantages particuliers de leur employeurs. On reférera à ce type d'organisation en tant que système basé sur "l'initiative et l'incitation" par opposition au système d'organisation scientifique, avec lequel nous allons être amenés à le comparer. L'auteur espère que le système basé sur l"'initiative et l'incitation" sera reconnu comme étant le meilleur système actuellement en usage, et il n'ignore pas, en fait, qu'il sera difficile de convaincre l'administrateur typique qui croit généralement qu'il n'existe aucun autre système applicable dans son secteur d'activité. La tâche qui lui incombe dès lors est de prouver, hors de tout doute, qu'il existe une autre approche non seulement supérieure, mais infiniment plus productive que celle qui repose sur "l'initiative et l'incitation".

Sous le mode actuel de direction des entreprises, le succès dépend entièrement de cette "initiative" que très peu d'entreprises parviennent à obtenir de leur personnel. Dans une entreprise dirigée scientifiquement, l'"initiative" des travailleurs (i.e. le zèle, la bonne volonté, l'ingéniosité) est obtenue avec une uniformité absolue et à un degré plus élevé que ce qu'il est possible d'envisager avec une approche traditionnelle; et, en sus de cet accroissement de la productivité des travailleurs, les administrateurs assument des tâches et des responsabilités nouvelles, dont ils n'auraient pu même rêver auparavant. Le gestionnaire assume, par exemple, la tâche de compiler toute les connaissances et le savoir-faire traditionnel, lesquels, dans le passé, appartenaient aux travailleurs; de classer, d'indexer, et de réduire ces connaissances à un ensemble de règles, de lois et de formules qui constitueront un apport immense pour les travailleurs dans l'exécution quotidienne de leur tâche. En plus de développer cette nouvelle science du travail, la direction de l'entreprise endosse trois nouvelles obligations qui représentent autant de nouvelles responsabilités pour elle.

Premièrement. La direction doit développer scientifiquement une nouvelle technique pour chaque aspect de la tâche d'un travailleur, pour remplacer la méthode empirique utilisée traditionnellement.

Deuxièmement. La direction doit choisir, entraîner, instruire et développer chaque travailleur, lequel, par le passé, déterminait par lui-même la façon d'exécuter sa tâche et se formait de son mieux par ses propres moyens.

Troisièment. La direction doit coopérer avec enthousiasme avec les travailleurs pour s'assurer que chaque tâche soit exécutée suivant les principes et les techniques qui ont été développés.

Quatrièmement. Une répartition égale du travail et des responsabilités doit êter établie entre la direction et les travailleurs. La direction doit prendre en charge les tâches pour lesquelles est elle mieux pourvue que les travailleurs, tandis qu'auparavant presque tout l'ouvrage et la plus grande part des responsabilités étaient assumées par les travailleurs.

C'est cette combinaison de l'"initiative" des travailleurs, couplée à ces nouvelles responsabilités de la directoin, qui fait que la direction scientifique du travail s'avère nettement plus efficace que l'organisation traditionnelle.


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Il peut sembler que l'organisation scientifique du travail n'offre pas au travailleur la même incitation que l'ancien système offrait, à mettre à profit son ingéniosité pour concevoir de nouvelles méthodes de travail plus efficaces, et améliorer ses outils de travail. Il est vrai qu'avec l'organisation scientifique du travail le travailleur ne jouit pas de la liberté qui lui permettait d'utiliser l'outil ou la méthode qui lui semblait convenir à l'exercice de son métier. Tous les encouragements, cependant, doivent lui être offerts pour l'inciter à formuler des suggestions visant à améliorer ceux-ci. Règle générale, lorsqu'un travailleur propose une amélioration, l'administration devrait avoir pour politique d'en faire une étude méticuleuse, et lorsque nécessaire conduire une série d'analyses afin d'établir le mérite de cette nouvelle proposition versus la méthode utilisée couramment. Le travailleur devrait recevoir tout le mérite pour cette amélioration et être récompensé pour son ingéniosité. De cette manière, l'esprit d'initiative du travailleur trouve à s'exprimer plus pleinement que sous l'ancien système.

L'histoire du développement de l'organisation scientifique du travail, à ce jour, hélas! invite à la prudence. La mécanique de l'organisation scientifique du travail ne doit pas être confondue avec son essence, ou sa philosophie sous-jacente. La même approche peut produire dans un cas des résultats désastreux, alors qu'elle s'avérera bénéfique dans un autre. La même approche produira les meilleurs résultats lorsqu'employée suivant les principes de l'organisation scientifique, conduira droit à l'échec et au désastre lorqu'utilisée suivant des fins contraires. Des centaines de personnes ont déjà confondu la mécanique du système avec l'essence du système lui-même. MM. Gantt, Barth et l'auteur ont déjà présenté des rapports à l'American Society of Mechanical Engineers à ce sujet. De ces rapports, les mécanismes sur lesquels repose l'organisation scientifique du travail ont été décrits en détail. Nous en citons ici quelques exemples:

— l'étude du facteur temps, de même que les outils et les méthodes nécessaires;
— la supervision fonctionnelle et répartie, et ses avantages sur le système traditionnel du contremaître unique;
— la standardisation des outils et de leur contexte d'utilisation pour chaque corps de métier, ainsi que les gestes et mouvements des travailleurs de chaque métier;
— la création d'un département ou d'une salle de planification;
— l'application du «principe d'exception» en gestion
— l'utilisation de règles mathématiques graduées et autres outils permettant d'économiser du temps;
— la préparation de cartes d'instruction pour les travailleurs;
— la préparation de descriptions de tâches, accompagnées par un large boni pour la réussite de cette tâche;
— l'application de taux différentiels;
— l'utilisation de systèmes mnémoniques pour répertorier les produits manufacturés de même que les outils utilisés dans les industries;
— l'utilisation de systèmes de routage;
— l'utilisation de systèmes modernes d'analyse des coûts, etc.

Ce ne sont là que des aspects ou des détails de l'organisation scientifique du travail. L'organisation scientifique du travail, de par son essence, consiste plutôt en une philosophie résultant en une combinaison des quatres grands principes de gestion:

1. Le développement d'une véritable science
2. La sélection scientifique du travailleur
3. La formation et le développement du travailleur selon les principes de cette science
4. Une étroite et intime coopération entre l'administration et les employés.

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